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Politiques publiques

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POLITIQUES PUBLIQUES
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L’analyse des politiques publiques : concepts, approches,
problématiques
1 | INTRODUCTION - SITUER L’ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
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A. Les politiques publiques - avant notre mort et après notre mort
2
B. L’État «au concret» (J.G. Padioleau, 1982)
2
C. Une construction analytique
2
D. «Politique»
3
E. «Publique»
5
F. Le développement de l’analyse des politiques publiques
6
2 | LES ÉTAPES DU PROCESSUS DÉCISIONNEL
12
A. Émergence et politisation des problèmes : mise sur l’agenda
13
B. Formulation d’alternatives et prise de décision
23
C. Autonomie relative de la mise en oeuvre
30
D. Regard en retour : l’évaluation
41
3 | LENTILLES CONCEPTUELLES : LE CHANGEMENT DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES
45
A. La ‘path dependency’ : le changement contrarié par l’inertie
46
B. Théorie du changement non incrémental : ‘punctuated equilibrium’
51
C. L’approche des courants multiples : la place de la contingence
55
E. Approches cognitives du changement - référentiel et médiateur
56
F. Approches cognitives du changement : «advocacy coalition framework»
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G. Conclusion : concurrence ou complémentarité des approches ?
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H. La péréquation financière
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1 | INTRODUCTION - SITUER L’ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Politiques publiques - processus décisionnel : pour qu’une politique publique émerge il faut que la question soit
soulevée et considérée comme un problème. Il faut ensuite accepter la solution mais également la mettre en oeuvre.
De plus, on évalue les politiques publiques. Des travaux ont montré que certaines mesures avaient des effets non
voulus, voire des effets pervers. Ces différentes phases ont été conceptualisées par les théories de politiques
publiques.
A. LES POLITIQUES PUBLIQUES - AVANT NOTRE MORT ET APRÈS NOTRE MORT
Influence avant notre naissance : notre naissance peut dépendre de la législation en vigueur à ce moment ou
d’autres facteurs indirects. Par exemple on retrouve les politiques sur l’interruption volontaire de grossesse ou encore
le fait que certains pays en Europe les pays qui ont les taux de fécondité le plus bas sont les pays où l’État social est
peu développé alors qu’auparavant ces pays avaient un taux élevé de fécondité, puisqu’ils étaient des pays dans
lesquels la religion amenait à faire beaucoup d’enfants.
Influence sur la mort : par exemple la notion de sécurité routière fait dépendre le taux de mortalité, tout comme la
question de l’euthanasie autorisée ou non.
Influence après notre mort : la question de la succession est également déterminée par des politiques publiques.
B. L’ÉTAT «AU CONCRET» (J.G. PADIOLEAU, 1982)
«Concret» : l’analyse des politiques publiques place la focale sur les manifestations concrètes des actions des
pouvoirs publics. Si on étudie l’État au concret on ne pourra pas se satisfaire de ce que fait l’État en ne regardant que
les discours et documents officiels car ces derniers ne montrent que ce que l’État veut faire sur le papier mais pas
nécessairement ce qu’il se passe concrètement.
Exemple de la ceinture : s’il y a une imposition du port de la ceinture il faut également regarder si chacun obéit (cf.
juridisme). Dans ce genre de situation, certains peuvent dire que l’État ne peut pas faire grand-chose, du fait d’une
société trop complexe. À l’inverse d’autres sont d’avis qu’il est possible pour l’État d’agir, parfois en privilégiant des
incitations positives aux punitions.
Problèmes de catégorisation : la catégorisation des politiques publiques est complexe car il se peut qu’il soit
question de plusieurs politiques publiques. Par exemple, lors de la votation sur les taxes de douanes sur les carburants
cela impliquait plusieurs politiques publiques ; fiscale, commerciale, énergique, des transports, etc.
C. UNE CONSTRUCTION ANALYTIQUE
Catégorisation des politiques publiques : on retrouve des représentations spontanées quant à ce que sont les
politiques publiques qui diffèrent par leurs degrés de sophistication et de familiarisation différents. Les pouvoirs publics
construisent aussi leurs catégories officielles de politiques publiques. De plus, on retrouve également des incarnations
institutionnelles des politiques publiques, comme par exemple des ministères ou des départements fédéraux.
Cependant, si par exemple on étudie le sujet de l’environnement il ne faut pas uniquement s’intéresser aux
départements directement concernés. C’est un sujet récent et son institutionnalisation est aussi récente, mais cela ne
veut pas dire qu’il n’y avait pas de mesures étatiques qui visaient à avoir un impact sur l’environnement avant sa
labellisation officielle.
Construction de l’objet : une fois l’étape de déconstruction faite, il faut également reconstruite l’objet d’étude. Les
différentes visions vont influencer le travail de l’objet. C’est relativement récent que l’on s’intéresse à la mise en oeuvre
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des politiques publiques dans les analyses des politiques publiques, pas uniquement comment est-ce qu’on prend les
décisions. Par exemple, une étude sur les politiques publiques en matière de pédophilie est un véritable construit,
c’est-à-dire que c’est récent que l’on sensibilise les enfants à la pédophilie. Il y a eu un travail de construction sociale
de ce problème, des organisations ont mis ce problème sur l’agenda. Différents acteurs interviennent dans la
construction sociale d’un problème qui implique de prendre des mesures, comme par exemple les médias. De plus,
souvent les mesures prises ne vient pas par exemple à combattre la pédophilie mais lutter plus généralement contre
les abus sexuels et donc former une boîte à outils qui elle peut lutter entre autres contre la pédophilie. L’auteur des
politiques publiques a donc dû construire son objet en se basant sur des mesures disparates. C’est un travail de
(re)construction analytique qui en construisant son objet doit l’analyser.
Exemple des partis populistes : ce sont des partis qui ont eu des succès électoraux mais qui - à l’exception de la
Suisse - ne sont pas membre des gouvernements. En Suisse, on retrouve une influence récente de l’UDC sur les
politiques sociales mais ce n’est pas leur cheval de bataille premier. Sur la question de l’immigration hors Européenne
on peut facilement délimiter l’influence de l’UDC. Par contre, pour l’immigration à l’intérieur de l’Europe et venant de
l’Europe en dehors de la Suisse, cela fait parti à la fois de la politique d’intégration et de l’immigration. Il est difficile de
délimiter l’influence de l’UDC sur ces deux sujets.
D. «POLITIQUE»
Harold Lasswell - WHO GETS WHAT, WHEN, HOW ? (1936) : la définition de Lasswell de la politique est assez
simple. Elle consiste à étudier la politique en s’interrogeant sur qui obtient quoi, quand et comment. Cela renvoie à la
définition de la politique selon Easton.
Définition de la politique par Easton (1965) : la politique est un processus d’allocation autoritaire (imposition) de
ressources et de valeurs. La politique est donc les processus par lesquels les membres d’une société reçoivent des
ressources et des valeurs, ils les reçoivent de manière autoritaire, ce qui signifie qu’ils peuvent protester mais ils y sont
néanmoins contraints. Allocation signifie que l’on est dans le «who gets what», certains reçoivent plus que d’autres. Le
concept de ressources et de valeurs signifie que ce que l’on reçoit n’est pas que financier mais également immatériel
(droits, éducations, etc.). L’activité politique est donc un processus à travers lequel l’État alloue des ressources de
manière très large.
Politiques redistributives : l’idée de bénéficiaires implique que certains reçoivent plus que d’autres et certains
doivent même donner. Les pouvoirs publics imposent aux membres de la société de donner des ressources à l’État.
Certains doivent également donner de leurs personnes, notamment avec le service militaire. On retrouve de
nombreuses recherches sur la capacité d’extraction de l’État. Une des parties des politiques publiques correspond à
ce schéma-là (gagnants-perdants) aux politiques redistributives. L’Etat prend aux uns pour donner aux autres. Cela
peut amener à se poser la question de qui mérite quoi. Dans l’appréciation des différents prestataires, on retrouve un
phénomène d’empathie avec le bénéficiaire (retraités versus chômeurs). Selon la définition d’Easton, on retrouve l’idée
de contraintes collectives sur une population donnée. Ceux qui sont élus paraissent plus légitimes à contraindre que
les autres (Union européenne, Banque centrale, etc.).
Coûts et bénéfices : les politiques publiques génèrent à la fois des coûts et des bénéfices. Cela ne signifie pas
nécessairement des coûts et des bénéfices matériels mais également immatériels comme le temps par exemple. Ces
derniers sont donc alloués de manière autoritaire.
1. «POLITICS SHAPES POLICY» VS «POLICY SHAPES POLITICS»
Politics shapes policy : traditionnellement, la science politique britannique divise la politique en trois dimensions ;
politics (jeu politique), polity (institutions), policy (activité de production des politiques publiques par l’État). Il y a
beaucoup d’études sur les rapports de force politique et comment ils influencent la prise de décision politique. Dans
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les années 1960-1970 les démocraties industrielles ont été marquées par la croissance économique et cette période
fut qualifiée par certains de la fin des idéologies, avec des sociétés consensuelles. Cela se manifestait notamment par
le fait que les partis qui s’alternaient au gouvernement étaient tous modérés et avec plus ou moins le même
programme. On a parlé de consensus de social-démocratie. Cependant, l’analyse des politiques publiques a permis
de démontré que ce n’était pas exactement cela en posant la question de savoir si les politics avaient un impact sur
les polity ou encore si les partis politiques comptaient (politics shapes policy).
Exemple de la lutte contre le chômage : les politiques de lutte contre le chômage étaient menées à la fois par des
partis politiques de droit et de gauche mais pas de la même manière. Les partis de gauche mettaient en place des
politiques de lutte contre le chômage de manière anticyclique alors que les partis de droite ne s’en préoccupaient pas
dans les moments de croissance.
Theodore J. Lowi, Policy shapes politics (1964) : Lowi cherche à voir ce qui se passe dans l’autre sens, si les
politiques publiques transforment les rapports de force politique.
Exemple de l’UDC et des perdants de la mondialisation : si on regarde la force électorale de l’UDC et celle du
centre modéré on peut voir qu’aujourd’hui elles sont égales. Les études en sciences politiques ont montré que le
propre de ces formations est d’avoir un électorat particulier, les perdants de la mondialisation et notamment à travers
la mise en place de politique de libéralisation. Ces électeurs déçus ne se tournent pas vers les rangs de la gauche
établie. C’est un exemple typique de politique publique qui produit des perdants ou du moins des personnes qui
s’estiment comme tels, qui ne se reconnaissent plus dans les partis établis considérés comme responsable de ces
politiques et donc se tournent vers des partis contestataires. C’est un exemple de policy shapes politics.
Exemple des bénéficiaires pour le statu quo : pour ceux qui appartiennent au courant «path dependency» ils
estiment que comme certaines politiques publiques existent depuis longtemps il est très difficile de les changer. Cela
serait dû au fait que les politiques publiques ont créé un large rang de bénéficiaires. Si un bénéficiaire de politique
étatique agit de manière rationnelle et qu’on lui parle de réforme qui remettrait en question de manière défavorable son
bénéfice, il sera pour le statu quo. Ces bénéficiaires vont donc s’organiser pour maintenir ce statu quo. C’est un
exemple de l’impact des politiques publiques sur le jeu politique.
Bénéfices ou coûts, diffus ou concentrés : les politiques publiques créent des coûts et des bénéfices immatériels.
La structure des coûts et des bénéfices peuvent varier. Les coûts et les bénéfices peuvent être soit diffus soit
concentrés. Les coûts diffus peuvent être les coûts généré par le système d’imposition. Les bénéfices concentrés sont
des bénéfices qui sont alloués à un groupe restreint de la population. Les coûts concentrés sont le fait qu’un petit
groupe paye. L’exemple classique est celui des nimby (not in my backyard). Par exemple c’est un bénéfice diffus de
traiter les déchets nucléaires mais cela a un coût concentré là où ces déchets sont traités. La perception des coûts a
un impact sur la perception de ces politiques publiques.
Dimension temporelle : le deuxième aspect est la dimension temporelle. Certains coûts se sentent moins car ils sont
répartis dans le temps. Certains bénéfices peuvent être invisibles car ils doivent avoir un impact dans le futur. Ce qui
compte c’est la visibilité des coûts et des bénéfices. Les réactions aux politiques publiques sont ce que Easton
appelait le feedback.
Modèle de Easton : dans un système politique il y a des processus politiques. Easton considère le système politique
comme une boîte noire. Ce qui l’intéresse c’est comment le système politique traite les inputs que son environnement
lui fournit. Un système politique a besoin d’être considéré comme efficace, crédible. Les soutiens (type d’input)
renforcent un système politique alors que les demandes peuvent le déstabiliser (autre type d’input). Les demandes au
système politique correspondent à des revendications formulées à l’égard du système politique. Le système politique
reçoit des revendications ; les partis politiques, les groupes d’intérêts, les médias en tant que porte-parole, etc. Les
outputs du système sont des décisions.
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Adéquation entre inputs et outputs : le problème est celui de l’adéquation entre les inputs et les outputs. Les
systèmes politiques n’ont pas toujours les ressources pour répondre aux revendications. On peut retrouver un
décalage entre les demandes et les solutions. De plus, les inputs ne sont pas toujours convergents entre eux. Les
autorités politiques doivent faire un travail de sélection ; who gets what. Ils peuvent décider de donner plus à certains
qu’à d’autres. Le système politique est une instance de sélection ou du moins il hiérarchise les demandes. Il y a très
probablement un déséquilibre entre les inputs ou les outputs. En fonction de la nature des outputs on retrouve des
acteurs qui ont formulé des inputs qui peuvent être plus ou moins satisfaits et qui vont réagir. C’est ce qu’on appelle le
policy feedback. On transmet les réactions aux autorités politiques. Ce feedback dépend des outputs. Si les gens sont
contents, ils vont formuler des soutiens (output legitimacy). Si par contre ils sont mécontents, ils vont retenir à la
charge avec de nouvelles demandes (input) en réaction aux outputs du système. On voit donc comment policy shapes
politics. Les outputs ont un impact sur le jeu politique.
Notion de gagnants ou de perdants : cela implique des rapports de pouvoirs qui peuvent se transformer dans un
environnement différent. On voit qu’il y a des coûts et des bénéfices qui sont plus ou moins visibles ; cela veut dire que
les acteurs en sont plus ou moins conscients. Cependant, toute politique publique ne génère pas nécessairement des
coûts et des bénéfices ; certaines politiques publiques visent à améliorer le bien-être collectif. Si les politiques
publiques montrent qu’il y a des rapports de pouvoirs et transforment ces rapports de pouvoirs cela ne veut pas dire
que les politiques publiques se résument à des rapports de pouvoirs. Il peut y avoir d’autres choses ; pas uniquement
de la controverse mais aussi l’existence de coopération pour produire des résultats ou des solutions à des problèmes.
On peut certes parler de coopération conflictuelle quand des individus qui n’ont pas les mêmes intérêts doivent se
mettre ensemble pour pouvoir résoudre un problème. De plus, la conduite des politiques publiques est également une
démarche réflexive où on se demande quels sont les meilleurs choix. La dimension politique est donc centrale dans les
politiques publiques.
E. «PUBLIQUE»
1. ACCENT SUR LES PRODUCTEURS
Producteurs publics : une politique publique est publique notamment parce que les producteurs sont publics. On
dira qu’une politique est publique si elle est produite par les autorités publiques et notamment par les instances
gouvernementales, même si une loi peut être nécessaire et donc passer devant le parlement.
«Tout ce que les gouvernements choisissent de faire ou de ne pas faire» (Dye) : ce qui intéressant dans cette
décision est la notion de ne pas faire. Les gouvernements font des choix sur les domaines dans lesquels ils vont
intervenir, les domaines qu’ils vont essayer de réguler. Ces choix sont faits pour différentes raisons, selon l’idéologie et
les préférences qui amènent à choisir des domaines d’interventions. Par exemple, de façon caricaturale, on retrouve
des forces politiques de la «nouvelle gauche» qui se pense libérale sur le plan socioculturel et donc qui ne veut pas que
les pouvoirs publics interviennent dans ce domaine. Cependant, cette gauche est interventionniste dans les domaines
économiques et sociaux. De l’autre côté on trouve une droite traditionaliste qui pense le contraire et est favorable au
laisser-faire sur le plan économique mais l’Etat doit intervenir dans le domaine socioculturel pour éviter le désordre. Les
préférences idéologiques amènent donc à choisir des domaines d’intervention. L’autre facteur déterminant dans les
choix d’interventions est les ressources. Les ressources sont limitées et donc imposent un choix. Cela permet de
comprendre pourquoi dans certaines situations les gouvernements choisissent de ne pas agir. Méthodologiquement il
est difficile de savoir quand un gouvernement décide de ne pas agir. Parfois on le sait car les gouvernements le
déclarent ouvertement mais ce n’est pas toujours aussi clair. L’action et l’inaction de l’État relèvent donc des politiques
publiques.
«Choisir» - une conception volontariste : la conception de Dye est une conception volontariste de l’action
gouvernementale ou agir ou ne pas agir relève d’un choix. D’autres approches mettront l’accent sur les contraintes qui
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pèsent sur l’action des autorités publiques. Certains se posent la question de la globalisation et de son impact sur les
politiques publiques car elle enlève un certain nombre d’outils à disposition des autorités nationales. Par exemple, la
globalisation rend plus difficile la taxation des acteurs économiques car dans cette situation un acteur économique qui
se sentirait trop contraint se délocalisera. Dans cette littérature, la globalisation est l’exemple même du déterminisme
économique qui pèse sur les choix gouvernementaux et réduit la possibilité de ces choix. Une question classique en
politique publique est de savoir s’ils ont sauté ou s’ils ont été poussés. Par rapport à la globalisation, cela veut dire que
l’on ne sait pas si les gouvernements sont de simples entités passives face à cette dernière ou si la globalisation
résulte de choix conscient des gouvernements. On se pose donc la question de la part de choix et de la part de
contraintes.
Mais privatisation (PIGs) - acteurs non publics : on ne retrouve pas que des acteurs publics qui sont déterminants
dans le processus de décisions concernant les politiques publiques et donc des décisions qui s’imposent à une
collectivité donnée. Elles peuvent également être produites par des acteurs non publics. Cela vaut beaucoup pour la
mise en oeuvre des politiques publiques ; certaines sont décidées par les gouvernements mais la mise en oeuvre est
déléguée à des acteurs non publics. C’est le cas par exemple de la formation professionnelle qui comme en Suisse
avec l’apprentissage peut être gérée par des acteurs privés. Une partie de la littérature du domaine s’est donc
focalisée sur ce qu’on a appelé les PIGs (private interest government), soit le gouvernement par des intérêts privés.
Certains acteurs privés agissent également ex ante (avant la prise de décision). Par exemple, les produits que nous
consommons doivent répondre à un certain nombre de normes comme les normes ISO. Ces normes ISO sont
produites par une organisation internationale qui est privée. Elle est essentiellement composée d’experts qui viennent
des milieux des producteurs. Ces normes ISO sont souvent reprises par les pouvoirs publics qui leur donnent en
quelque sorte une validation. On peut donc retrouver différents points d’ancrage dans le système de prise de décisions
dans lesquels interviennent des acteurs privés.
2. ACCENT SUR LES DESTINATAIRES
Décisions collectivement contraignantes : selon la définition classique des juristes de ce qu’est une loi il s’agit
d’une norme générale et abstraite. C’est donc une norme qui ne s’adresse pas à un ou plusieurs individus particuliers
mais elle a une validité qui concerne l’ensemble d’une collectivité donnée. Ce qui est public dans une politique
publique est aussi le fait qu’elle se manifeste par des décisions qui sont collectivement contraignantes pour une
collectivité donnée. Selon les auteurs du mouvement systémique, dans le monde social coexistent différents champs
qui ont chacun leurs logiques propres. Pour le champ du système politique, l’enjeu est de prendre des décisions
collectivement contraignantes. Ce qui relève l’aspect public est que les décisions sont collectivement contraignantes.
Selon Weber l’État se définit par son monopole de la violence légitime. La dimension de contrainte est centrale dans
les politiques publiques.
Mais «soft law» : si on met l’accent sur les destinataires et sur la contrainte que l’on met sur eux, il faut dire qu’il y a
des politiques publiques qui s’appliquent de manière peu ou pas contraignantes, ce qu’on appelle soft law. Par
exemple les pouvoirs publics peuvent éditer des recommandations, ce qui n’implique pas d’aspect fortement
contraignant. Les politiques publiques on recourt à des outils peu contraignants tels que les recommandations ou les
informations car ils partent de l’idée que tout le monde ne va pas l’ignorer et surtout que dans certains cas la
contrainte ne fonctionne pas. Les pouvoirs publics ne régulent pas les collectivités uniquement via la contrainte.
F. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
1. PRÉCURSEURS ET CONTEXTE INTELLECTUEL
Théorie de la bureaucratie (Weber) : les travaux d’analyse de l'administration publique sont proches des travaux
d’analyse des politiques publiques, notamment par le fait que la bureaucratie jour un grand rôle dans la mise en place
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des politiques publiques. Weber est le premier théoricien majeur de la bureaucratie. L’analyse qu’il en fait doit être
située dans le contexte de sa typologie des formes de domination. Il y a trois types idéaux (construction analytique du
chercheur qui met l’accent sur les principales caractéristiques pour en dégager la spécificité) de dominations
politiques ; charismatique, traditionnelle, légale-rationnelle. Cette domination légale-rationnelle se manifeste dans
différents facteurs dont l’instrument de la loi avec la caractéristique qu’il s’agit d’une norme générale et abstraite. Ce
type de domination nécessite des infrastructures, ce qui donne la bureaucratie. Weber dit que la bureaucratie est
particulièrement indiquée comme structure exerçant la domination légale-rationnelle. On y retrouve l’idée de rationalité
et donc la bureaucratie par l’expertise qu’elle détient est censée être porteuse de cette rationalité. La bureaucratie est
également impersonnelle et suit des règles codifiées. Elle fonctionne selon le principe de commandement hiérarchique,
tout cela relevant de la rationalité du processus. C’est une vision idéale-typique de la bureaucratie, elle ne fonctionne
pas exactement de cette manière, on retrouve également des normes informelles. Cependant, Weber est le premier à
avoir identifié les caractéristiques que doit avoir en principe une bureaucratie et ce sans pour autant l’idéaliser. Il y
voyait les risques de la bureaucratie et pensait qu’il fallait des contre poids, notamment un pouvoir politique élu
suffisamment fort. Les études sur la bureaucratie sont à la fois des travaux précurseurs par rapport à l’analyse des
politiques publiques car Weber montre comment fonctionne l’État contemporain et ces études se sont également
développées en parallèle de l’analyse des politiques publiques, les travaux de sociologie des organisations.
Sociologie des organisations : ces recherches dialoguent parfois avec des recherches sur les politiques publiques
ou du moins sont porteurs d’éléments importants pour les recherches en politiques publiques. Il s’agit de la sociologie
de toute sorte d’organisation mais particulièrement des entreprises. Cependant, on retrouve également des analyses
des administrations. Il y a deux courants importants, dont les travaux américains autour de Herbert Simons et ceux de
James March. Herbert Simons est prix Nobel d’économie mais a une formation à la fois plus psychologue et
d’économistes. James March est plus un spécialiste des organisations. La contribution majeure de leurs travaux et la
mise de l’accent sur ce qu’ils appellent la rationalité limitée des acteurs. En France, on retrouve les travaux du centre
de sociologie des organisations de Parie qui eux montrent également un point important ; l’importance des normes
informelles qui contraignent les individus. Pourquoi retrouve-t-on des écarts à la norme formelle qui sont tolérés voir
parfois encouragés ? Les politiques publiques fonctionnent en partie avec la loi et on peut comprendre qu’il est
important de relativiser leurs impacts.
Analyse de la décision : dans les travaux des sciences politiques des années 1950-1960 on fait de l’analyse des
politiques publiques sans vraiment le savoir ou du moins sans le déclarer comme tel. C’est plutôt labellisé comme des
travaux d’analyse de la décision politique ; quels sont les acteurs influents, les gagnants, les perdants, etc. L’un de ces
auteurs, Robert Dahl, a écrit un livre qui s’intitule Qui gouverne ?. Il a fait une étude de politique locale qui est pourtant
devenue un classique de science politique. Cela est dû au fait qu’il a développé à partir de cette étude une conception
et une méthode d’analyse de la décision politique. Il fait partie de ce qu’on a appelé les auteurs pluralistes.
2. DIFFÉRENTES APPROCHES
Elitisme versus pluralisme (Floyd Hunter) : Robert Dahl a monté dans son étude que la décision est un lieu
pluraliste, c’est-à-dire que plusieurs acteurs concourent à la prise de décision. Du point de vue du pouvoir gouvernant
le pouvoir est fragmenté mais qu’on retrouve plusieurs groupes d’intérêts plus ou moins aussi influent. Si le pouvoir est
fragmenté, cela impose de créer des coalitions entre acteurs qui sont interdépendants. Ces coalitions sont fluides,
changeantes. La conséquence est qu’il n’y a pas de gagnants et de perdants structurants ; quelqu’un sera toujours du
bon ou du mauvais côté. Robert Dahl arrive donc à monter en généralité une étude locale et à arriver à des
conclusions pluralistes du monde politique avec une méthode particulière de la prise de décision, la méthode
décisionnelle.
Pour l’élitisme, on retrouve un petit groupe d’acteurs au pouvoir, des élites qui représentent un faible nombre
d’intérêts et qui s’entendent entre elles au détriment du reste.
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Méthode réputationnelle versus décisionnelle (Dahl) : la méthode décisionnelle veut dire qu’on regarde une
décision, qu’on regarde ce que les différents acteurs participant aux décisions ont comme préférences par rapport à la
décision puis on compare les inputs et les outputs. On conclut que celui qui a le pouvoir, qui gouverne, est celui dont
les préférences sont les plus proches du résultat final. Cette méthode est critiquable car elle ne rentre pas dans la boîte
noire des processus de décisions mais infère l’exercice du pouvoir à partir de la proximité entre les préférences de
certains acteurs et les choix des autorités politiques. Cependant, cette méthode a pendant longtemps été largement
établie et, en tant que première étape pour aborder une décision politique, n’est pas absurde.
Pour la méthode réputationnelle, on se pose la question de savoir qui a la réputation d’avoir le pouvoir. C’est donc
celui qui a le pouvoir qui serait celui qui a la réputation d’avoir le pouvoir. On procède donc par sondage auprès des
acteurs impliqués dans la prise de décision mais pas auprès de toute la population.
Non-décision et gatekeepers (Peter Bachrach et Morton Baratz) : la non-décision correspond à des situations
dans lesquelles on ne prend pas de décisions, cependant cela reste quelque chose d’intéressant et de significatif. Dahl
étudie les processus de décisions et à partir de sa méthode décisionnelle il infère qui a une influence majeure sur la
décision politique. Bachrach lui dit que cela exclut un autre type de pouvoir d’influence important de certains acteurs,
le pouvoir d’empêcher de prendre des décisions. Pour être en mesure d’identifier ce type de pouvoir on doit voir s’il y
a eu blocage de la prise de décision par des acteurs influents. Dans ce modèle il y a beaucoup de demandes qui se
manifestent auprès du système politique, pourtant toutes n’y entrent pas. Le système dispose de gatekeepers dont le
rôle et le pouvoir consistent à filtrer les inputs. On peut retrouver des acteurs comme les partis politiques. En Suisse on
retrouve par exemple l’initiative populaire qui est un input qui permet - formellement du moins - de passer outre les
barrages et d’imposer un sujet à l’ordre du jour politique. Récemment le parti socialiste avait en tête une série d’enjeux
sujets à une initiative populaire mais se rendait compte qu’il n’avait pas les ressources pour faire campagne sur tous et
a donc fait une consultation en ligne pour déterminer les sujets les plus populaires auprès de son électorat. Cela
montre son pouvoir de filtrage.
Pouvoir positif et pouvoir négatif : les approches de la non-décision permettent donc de distinguer deux types de
pouvoirs par rapport à la décision politique ; le pouvoir positif et le pouvoir négatif. Le pouvoir positif est la capacité à
produire des décisions tandis que le pouvoir négatif est la capacité à empêcher des décisions. On retrouve donc un
pouvoir de promotion, c’est-à-dire la capacité de promouvoir un objet et le pouvoir d’interdiction ou de veto. Des
études ont montré que les groupes d’intérêts, dont les groupes économiques, lors de campagnes de démocratie
directe, ont un pouvoir avant tout négatif. S’ils sont contre un projet de loi, la loi échoue généralement en votation. Ces
mêmes études ont montré que les autres associations ont un pouvoir moins absolu.
Sociologie de la décision (Haroun Jamous) : dans cette étude on s’intéresse à la réforme du système hospitalier.
On retrouvait des demandes de réformes qui étaient portées majoritairement par des jeunes médecins que Jamous
qualifiait de jeunes Turcs. Les jeunes Turcs étaient un groupe d’officier ottoman ayant pris le pouvoir pour faire des
réformes au sein de l’Empire ottoman. On peut expliquer que c’est l’acteur jeune dans un système qui est porteur de
revendications de réformes parce qu’il n’est pas encore fortement socialisé aux codes du système et ils n’ont pas le
pouvoir. Jamous explique que les réformes ont bel et bien lieu parce que cette coalition de jeunes a trouvé l’écoute
d’un professeur réputé. Ce dernier permet un effet de charisme, propriété relationnelle qui donc importe s’il est
reconnu. Ce professeur est donc une autorité incontestée en la matière, impliquant que ce qu’il disait faisait sens. Le
message fonctionne différemment selon celui qui le produit. Le succès de cette réforme tient donc au fait de la mise en
place d’une coalition entre les jeunes médecins et le professeur charismatique.
Préfigure les coalitions de causes (Paul Sabatier) : cette histoire de la réforme du monde hospitalier préfigure la
théorie de coalitions de cause. Autour de différents enjeux se forment des coalitions. Jamous nous montre une
coalition de cause comme condition nécessaire de réussite de la politique publique en question.
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Médiateurs (Bruno Jobert et Pierre Muller) : d’autres auteurs français présentent une approche du changement en
politique publique qui ressemble aux coalitions de causes car ils partent aussi de ce que les gens croient (approche
référentielle). Jobert et Muller expliquent que pour qu’il y ait un changement en politique publique il faut qu’il y ait un
médiateur. Dans l’approche référentielle le médiateur est l’acteur individuel ou collectif (personnalité politique,
organisations, etc.) qui fait l’interface entre le secteur de politique publique et le système politique. Pour y arriver, il faut
que le médiateur dispose de deux types de capitaux de reconnaissance/légitimité. Cela veut dire que cet acteur doit
être reconnu et considéré comme légitime à la fois au sein du secteur en question et par les autorités politiques.
Ellen Immergut - étude comparée sur le veto : cette étude nous dit que ce qui compte pour le succès ou l’échec
d’une politique est l’existence de lieu de veto. Les lieux de veto sont les opportunités institutionnelles qui existent pour
ceux qui s’opposent à une politique de pouvoir la bloquer. On retrouve des systèmes politiques avec peu de lieu de
veto ou beaucoup, impliquant un certain nombre de points d’ancrage pour un veto. Immergut explique qu’en France,
par rapport à la réforme de la politique de la santé en général, les choses ont changé avec le passage de la IVe à la Ve
République en 1958. La IVe République était considérée comme un système bloqué avec des gouvernements faibles
car résultant de coalitions dont la survie dépendant du parlement. Au niveau des politiques publiques, le parlement
était un lieu de veto par rapport au gouvernement. En raison de cette configuration institutionnelle macro, on retrouve
un système défavorable au changement. Dans le domaine de la politique de la santé cela se voit particulièrement car
on retrouve le lobby des médecins qui étaient en général opposé aux réformes et bien représenté au parlement. Cela
implique donc une sorte de pouvoir de veto contre les réformes de la santé qui ne correspondrait pas à leurs
préférences. Cette situation s’est débloquée avec le passage à la Ve République puisque cela impliquait un
changement du rapport de force entre le gouvernement et le parlement. De Gaule est arrivé au pouvoir comme porteur
de cette revendication de cesser ces blocages et donne plus de pouvoir au gouvernement qu’au parlement. Immergut
montre donc que les médecins qui étaient toujours contre les réformes étaient toujours au parlement, mais ce qui a
changé est que le parlement a cessé d’être un lieu de veto.
Fenêtres d’opportunité (John Kingdon) : le passage de la IVe République représente une fenêtre d’opportunité
pour une réforme de la santé. Le professeur émérite de l’étude de Jamous avait des contacts avec le président, mais
si cela s’était passé 10 ans avant cela n’aurait servi à rien puisque le gouvernement n’avait pas le pouvoir d’imposer
une réforme. Cependant, la mise en oeuvre est occultée par ces diverses approches.
3. ÉMERGENCE DES PP AUX ÉTATS-UNIS - «NEW DEAL», GUERRE ET TOTALITARISME
Développement de la science des politiques publiques : le développement de l’analyse des politiques publiques
émerge aux États-Unis dans le contexte des années 30 où on retrouve un renforcement des politiques publiques.
C’est l’époque du New Deal, programme de développement économique de Roosevelt comme réponse à la crise et
relancer l’économie américaine. L’État fédéral américain commence à devenir actif et on constate qu’on commence à
chercher des outils pour améliorer l’efficacité de l’État central. Le deuxième point important est le contexte de la
montée des totalitarismes qui est perçu comme un danger pour la démocratie. On développe donc l’idée que la
démocratie doit se défendre par sa légitimité ; les individus doivent défendre la démocratie et pour cela il faut que ces
démocraties leur donnent satisfaction. C’est l’idée d’outputs legitimacy ; un régime politique peut aussi se légitimer en
produisant des politiques qui satisfassent les citoyens. On développe donc les politiques publiques comme science
utile pour la légitimité des démocraties.
Harold D. Lasswell - A policy science for democracy : Lasswell a joué un rôle dans le développement des
analyses des politiques publiques qu’il considérait comme une science pour les démocraties dans un contexte ou le
système démocratique est soumis à des tensions. Derrière ce projet, il y a une vision normative.
Vision normative - expertise multidisciplinaire doit améliorer le pilotage (Lindblom et Cohen) : l’idée est que
si on développe l’analyse des politiques publiques on acquiert une meilleure perspective sur les enjeux des politiques
publiques et cette dernière va pouvoir être mise au service des autorités démocratiques pour améliorer le pilotage
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politique. Cela a fonctionné, l’analyse des politiques publiques s’est développée car il y avait un besoin de la part des
gouvernants. Lasswell était donc un médiateur au sens de Jobert et Muller.
Usable knowledge - contribution au problem-solving : on parle de l’analyse des politiques publiques en tant que
science utilisable pour les praticiens et qui contribue à régler les problèmes. L’analyse des politiques publiques se
développe parce qu’elle permet de résoudre des problèmes. Comme elle se développe cette science s’institutionnalise
également, et ce de deux manières différentes.
4. DEUX TYPES D’INSTITUTIONNALISATION
1 - Institutionnalisation à la marge du champ académique (schools of government année 60) :
(interdisciplinarité, conseil, aide à la décision, policy sciences, analysis for policy). L’analyse des politiques publiques
s’est institutionnalisée comme science du gouvernement. On retrouve à la marge du champ proprement académique
la création d’écoles du gouvernement qui sont censées former des personnes qui vont travailler pour le gouvernement.
C’est proche de l’ENA en France ou de l’IDEAP à Lausanne. Il s’agit de créer des compétences qui vont améliorer
l’action publique. On retrouve aussi l’idée de faire des analyses pour les politiques publiques (analysis for policy). C’est
donc un projet normatif et appliqué.
New Frontier, Great Society (années 60) : (expansion des activités étatiques, lutte contre pauvreté et inégalité). On
cherche à éviter les erreurs de théorie de l’action dans des programmes ambitieux. Les années 1960 sont, du point de
vue de la conduite de l’État, la réplication du New Deal. C’est une administration démocrate au pouvoir (Kennedy,
Johnson) et où se sont lancés de nouveaux programmes fédéraux de luttes contre les inégalités et la pauvreté. On
peut constater l’émergence d’une problématique qui deviendra récurrente qui est le souci d’éviter les erreurs. Les
programmes sont ambitieux et mobilisent beaucoup de ressources, ce qui implique d’éviter qu’ils échouent. Ce qui
pourrait les faire échouer serait que la théorie de l’action sous-jacente à ses programmes est fausse. Il faut développer
de l’expertise pour monter et construire des programmes qui reposent sur des théories de l’action correcte.
Théorie de l’action : les politiques publiques reposent sur des théories de l’action plus ou moins implicites, sur à la
fois des images de comment se comportent les populations et sur des attentes sur comment les comportements vont
être modifiés à la suite de l’intervention publique. Les concepteurs des politiques publiques, les coalitions de causes,
etc. ont des images différentes sur l’impact des politiques publiques car ce qu’on vise dans les politiques publiques
c’est un changement dans les comportements des acteurs. Une politique publique repose donc sur l’hypothèse
causale que si on varie l’action de l’État, c’est la variable indépendante qui va changer et le comportement des
acteurs, variable dépendante. Ces théories de l’action ont de fortes chances de se tromper et donc les expertises
permettent de faire moins d’erreurs.
Néolibéralisme et reaganomics (années 80) : (dénonciation des policy failures, critique de l'inefficacité
bureaucratique, le problème est le gouvernement, objectif de réduction de l’interventionnisme étatique, logique de
marché et emprunts aux secteurs privés). Ces grands programmes ont été lancés et les gouvernements se sont rendu
compte que ces programmes n’atteignaient pas leurs objectifs. Les problèmes étaient souvent des problèmes de mise
en oeuvre et reposaient sur des attentes erronées quant au comportement des acteurs sur le terrain. Par exemple la
théorie de l’action sous-jacente était que des aides sociales distribuées par l’Etat pour les catégories sociales les plus
défavorisées réduiraient le niveau d’inégalité. Ce qu’on a observé sur le terrain est que certains des bénéficiaires de
l’aide sociale ne l’a demandait pas. Le contexte politique des États-Unis change, on passe à une administration
républicaine du président Reagan avec des politiques très libérales et où on remet en question l’action de l’État. On ne
se contente pas de produire de la connaissance pour améliorer l’action de l’État mais on considère que l’Etat est le
problème et on se focalise sur les échecs pour remettre en question l’action de l’État. On remet en question l’efficacité
de la démocratie et on critique les intérêts recherchés dans les politiques publiques qui seraient au service de la
bureaucratie.
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Conséquences du changement de contexte politique sur l’analyse de politiques publiques : ce type de
décideur est moins enclin à développer des écoles de gouvernements car il pense que moins il y a de gouvernements,
mieux c’est. L’analyse des politiques publiques continue d’être instrumentalisée dans le but de savoir utile mais avec
un objectif différent ; on ne cherche plus à améliorer l’activité étatique mais à utiliser les résultats de l’analyse publique
pour montrer que c’est l’État le problème.
2 - Institutionnalisation comme sous-discipline de la science politique académique (policy analysis of
policy) : (analyse politique de l’action publique, modèle dominant qui se diffuse en Europe dès les années 1970-1980).
L’analyse des politiques publiques s’institutionnalise également dans le champ académique proprement dit et devient
une sous-discipline de la science politique. On ne parle pas d’analyse pour améliorer les politiques publiques. Ce
mode d’institutionnalisation est concomitant aux États-Unis des écoles de gouvernement. En Europe, l’analyse des
politiques publiques arrive au moment où elle est remise en question aux États-Unis et se développe majoritairement
dans le champ académique.
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2 | LES ÉTAPES DU PROCESSUS DÉCISIONNEL
DÉCOUPAGE DU CHAPITRE - ANALYSE SÉQUENTIELLE
Émergence et
On retrouve des controverses pour savoir si des situations sont problématiques ou non,
politisation des
problèmes : mise
sur l’ampleur que cela pose. Cette phase relève également la capacité de mettre sur
l’agenda un problème, ce qui demande des ressources et peut conditionner ce qui se
sur l’agenda
Formulation
d’alternatives et
prise de décision
passe par la suite.
Une fois qu’un problème est sur l’agenda il faut ensuite réfléchir à des solutions ; dans des
systèmes démocratiques on retrouve plusieurs alternatives.
Pendant longtemps l’analyse des politiques publiques s’arrêtait au moment de la prise de
Autonomie relative
de la mise en oeuvre
décision, sans s’intéresser spécialement à l’application. Aux États-Unis dans les années 70
on s’est rendu compte qu’il y avait des problèmes de mise en oeuvre des grandes
réformes.
Finalement il reste l’étape d’évaluation des politiques publiques ; on peut le faire de
Regard en retour :
l’évaluation
manière formelle en mandatant un groupe d’experts qui cherchent à savoir si la politique
publique a atteint ses objectifs et ce à quel prix. En plus de l’évaluation formelle, tout le
monde évalue.
Après l’évaluation on peut poursuivre le cycle d’une politique publique ou faire des
Cycle d’une
politique publique
réformes, la stopper, etc. Théoriquement, la fin du cycle d’une politique publique peut
marquer sa fin mais comme celles-ci ont des défenseurs et des bénéficiaires, cela
complique l’exercice.
Vision stylisée et donc peu réaliste : cette analyse séquentielle des processus de décisions a été critiquée pour sa
vision stylisée et donc peu réaliste. En réalité, les processus sont beaucoup plus entremêlés que cela n’apparaît dans
ce genre de schémas. Par exemple, la définition des problèmes dans l’approche séquentielle est ce qui arrive en
premier puis on passe à autre chose. C’est vrai que cela intervient au début mais cette approche ne montre pas la
problématisation et la reproblématisation qui arrivent tout au long du processus. La manière dont on cadre le problème
change quand on prend la décision et au moment de la mise en oeuvre où la réalité du terrain change la perspective
que l’on avait initialement. Lors de la réforme de la péréquation financière en Suisse cela été initialement défini comme
un problème économico-financier et juridique mais au moment des débats parlementaires la gauche a introduit des
considérations de justice sociale, et donc a reproblématisé le problème. Par ailleurs, on peut souvent observer que l’on
a d’abord des expériences faites sur le terrain (mise en oeuvre) et c’est après que l’on engage un véritable processus
de décision pour voter une loi.
Descriptif plutôt qu’explicatif : l’autre critique consiste à dire que le modèle séquentiel est un modèle descriptif et
non pas un modèle explicatif, qui n’explique pas pourquoi une décision a été prise ou n’a pas été prise. Les
théoriciens de la non-décision partent du principe qu’il existe des acteurs puissants qui ont un droit de veto. Le
modèle séquentiel ne permet pas d’expliquer pourquoi il n’y a pas eu de mise en oeuvre.
Michael Howlett et al - Weaving the Fabric of Public Policies - «(A)n elementary template for ‘how to think’
about public policy-making» : c’est un modèle élémentaire sur comment penser la conduite des politiques
publiques. C’est un modèle qui inévitablement simplifie les processus décisionnels et n’a pas de prétention explicative
mais descriptive.
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A. ÉMERGENCE ET POLITISATION DES PROBLÈMES : MISE SUR L’AGENDA
1. PREMIÈRE CONCEPTION : VISION BALISTIQUE DES PROBLÈMES PUBLICS
Émergence du problème : on entend par là le fait qu’une situation soit décrite comme problématique. Une situation
problématique l’est car on observe un écart entre l’idéal souhaité et la réalité. Ce n’est pas objectif pour autant, en
Suisse par exemple quand le chômage atteint 5% on considère que c’est plutôt dramatique alors que d’autres pays
rêveraient d’un pareil taux. Ces problèmes peuvent être thématisés par des médias, des ONG, des partis politiques,
etc.
Politisation : une fois qu’un problème émerge cela ne veut pas dire qu’il est politique. Certains acteurs arrivent à
convaincre que leurs problèmes sont des problèmes politiques mais d’autres n’y parviennent pas. On retrouve
l’existence de gatekeepers. Le travail des lobbyistes est de convaincre les décideurs politiques que les problèmes du
groupe d’intérêt qui les emploie sont des problèmes politiques.
Mise sur l’agenda : dire que les problèmes sont politisés cela veut dire qu’ils sont pris en charge par une partie des
acteurs qui sont d’accord de les mettre à l’ordre du jour politiques. On peut avoir une conception formelle avec les
sécessions parlementaires mais également informelles avec l’agenda politique plus large avec les déclarations des
politiciens, des commentaires des médias, etc. Il n’y a donc pas de problèmes en soi, les situations jugées
problématiques sont des constructions sociales et encore moins de problèmes politiques en soi.
Vision balistique (problèmes = solutions) restrictive : la vision balistique des politiques publiques est fausse ou du
moins pas toujours juste. C’est une métaphore de quelqu’un qui tire sur une cible pour l’abattre ; la politique publique
est le projectile et la cible est la destruction du problème. C’est une vision comme quoi il y a des problèmes, les
pouvoirs publics y répondent par des politiques publiques qui, si elles sont efficaces, conduisent à anéantir ou réduire
l’ampleur du problème. Ici le problème préexiste à la politique publique qui existe en tant que réponse (stimulusréponse). Les études d’analyse publique montrent que cette vision est largement fausse ou du moins limitée.
«In policy analysis, the most creative calculations concern finding problem for which solutions might be
attempted» : les choses peuvent donc parfois se passer dans le sens inverse que pour la méthode séquentielle ; les
pouvoirs publics sont à la recherche des problèmes qui justifieraient leurs actions. On retrouve plusieurs raisons et
facteurs à ce phénomène.
Activisme organisationnel - «to justify their actions, organizations create problems, successes, threats and
opportunities» (Starbuck) : Starbuck étudie les organisations publiques et sa thèse est que ces organisations font
de l’activisme organisationnel. Pour justifier leurs actions, elles créent des problèmes, des menaces, etc. qui leur
permettent de se légitimer, de justifier leur raison d’être. Elles pourraient donc dans certains cas créer des problèmes
de toute pièce. Les partis politiques par exemple ont chacun des enjeux qui leur sont propres, atours desquels le parti
se profile. C’est ce qu’on appelle l’appropriation d’enjeux. Les partis doivent convaincre que l’enjeu est important et
que le parti est le plus compétent pour fournir des solutions au dit problème. On retrouve une relative corrélation entre
l’appropriation des enjeux et la perception que les acteurs ont des partis pour s’occuper de tel ou tel enjeu. Les partis
ont de bonnes raisons de construire certains problèmes puisque ceux-ci représentent leurs fonds de commerce.
Existence de «instrument constituencies» : les politiques publiques sont un domaine où il y a des groupes
d’acteurs qui défendent certaines causes et se battent par rapport à tels ou tels enjeux. On retrouve également des
communautés épistémiques, une sorte d’autorité scientifique. On reconnaît à ces groupes des compétences
spécifiques par rapport à tel ou tel problème, leurs expertises. Ils parlent d’une seule et même voix et ce sont sur des
sujets sur lesquels les décideurs politiques ont des incertitudes. Il y a donc des communautés qui défendent des
instruments politiques particuliers, des manières de faire spécifiques ; des instruments financiers, des subventions, etc.
Chacune de ces communautés va cadrer les problèmes de manière à ce que son instrument apparaisse comme le
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plus adéquat. On parle donc ici de l’instrument que l’on sait manier plus ou moins bien avant de configurer le
problème, de telle manière que l’instrument paraît le plus crédible pour pallier au problème. Dans la conduite des
politiques publiques, on retrouve des acteurs avec différents types d’intérêts qui font un travail de cadrage des
problèmes de manière à ce que cela favorise leurs intérêts ou leurs croyances. C’est donc à l’opposé de la vision
balistique ; on voit comment l’analyse des processus d’émergence des problèmes nous amène à remettre en question
le schéma purement séquentiel. On a affaire à des processus de construction sociale des problèmes et le travail des
analyses des politiques publiques consiste à essayer de voir comment les problèmes sont construits, par qui et
pourquoi.
2. DEUXIÈME CONCEPTION : ENTRÉE OU NON DES PROBLÈMES DANS L’AGENDA PUBLIC
Accent sur les situations définies comme plus ou moins problématiques par des acteurs en situation
d’incertitude : les acteurs politiques sont dans l’incertitude, ils doivent donc prendre des décisions comme par
exemple considérées un problème comme important ou non dans une situation d’incertitude. On ne sait pas si le
problème est grave ou non, on ne connaît pas les causes du problème, on ne peut pas mesurer/anticiper/évaluer les
conséquences du problème. Il y a un certain nombre de mécanismes qui peuvent conduire les acteurs à mettre
l’accent sur l’existence d’un problème ou non ; rôle des intérêts rationalités limitées, croyances, focusing events,
dramatisation.
Comment les problèmes sont mis à l’ordre du jour politiques ? On retrouve des acteurs qui ont des solutions,
qui y croient et qui essayent de définir la réalité sociale comme étant une réalité qui appelle à ce type de solution.
L’entrée des problèmes dans l’agenda n’est pas un processus automatique. Qu’est-ce qui compte ? Tout d’abord ce
sont les ressources des acteurs.
Quel type de ressources ? Certains diront que tout s’achète. L’argent finance des campagnes qui vont sensibiliser
l’opinion publique ou les décideurs par rapport à un certain problème. L’organisation est un autre type de ressource ;
souvent les administrations sont des acteurs clés qui disposent de l’organisation pour convaincre de résoudre certains
types de problèmes. L’accès au média est également une ressource comme la proximité avec les décideurs (lobby), la
capacité de mobilisation (manifestation), donc le processus de mise à l’agenda est un processus dans lequel on
retrouve des ressources des plus diverses.
Pourquoi les acteurs veulent mettre des problèmes à l’agenda ? Souvent parce que cela sert leurs intérêts. Les
partis par exemple tablent sur le fait que s’ils arrivent à parler des enjeux qui leur sont chers, cela va leur ramener des
voix. Il y a aussi des acteurs qui pensent que la politique n’est qu’une histoire d’intérêts à assouvir.
Importance des croyances : une fois qu’un problème a été défini comme problématique ce n’est pas
automatiquement mis sur l’agenda politique. Quand bien même il y a un accord sur le problème cela ne signifie pas
qu’il y a une intervention. La mise sur l’agenda dépend de rapports de force, ce qui implique l’idée que les différents
acteurs ont des intérêts divergeant. Les acteurs ont des croyances différentes, ils pensent que telle solution va mieux
permettre de résoudre le problème qu’une autre. Les intérêts résultent de croyances, ce que nous pensons être de
notre intérêt résulte de nos croyances.
Exemple des politiques familiales : la politique familiale a plus facilement pénétré l’agenda politique en Suisse à
partir du moment où les employeurs ont cessé de voir la mise en place d’infrastructures telles que les crèches comme
une affaire de coût mais plutôt de bénéfices pour une meilleure insertion de la femme dans le milieu du travail. Les
employeurs ont changé de croyance et cela a dynamisé le processus de décision. Il faut donc mettre les croyances au
centre de l’analyse, les croyances structurant fortement les débats sur les politiques publiques.
Analyse rationnelle de la situation : ces croyances peuvent résulter d’une analyse rationnelle de la situation, mais
pas nécessairement. Elles sont aussi le résultat de ce qu’on appelle la rationalité limitée des acteurs. Cela veut dire
qu’on ne dispose pas de l’information nécessaire pour prendre des décisions en toute connaissance de cause. Il y a
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un problème de rapport à l’information. Généralement on a tendance à penser que la personne qui décide n’a pas
suffisamment d’information pour prendre une décision rationnelle, pour évaluer l’ampleur du problème. L’information et
le temps pour s’informer sont des ressources rares et donc parfois les individus font des raccourcis, la rationalité est
donc limitée. Un élément important pour qu’un élément entre dans l’agenda politique est qu’il soit saillant, qu’il attire
l’attention des acteurs (focusing events). Pourtant un élément saillant ne renseigne pas objectivement sur l’ampleur
d’un problème mais irrite suffisamment les acteurs pour qu’ils réagissent.
Rationalité limitée : si on met l’accent sur les intérêts cela revient à postuler qu’ils se comportent de manière
rationnelle. Je suis un acteur avec un certain nombre d’intérêts et j’agis en conséquence. Je choisis consciemment de
faire ce qu’il faut faire pour maximiser mes intérêts (comportements rationnels). Dans les politiques publiques, la
rationalité est plus limitée chez les acteurs, c’est-à-dire que les acteurs lorsqu’ils décident de s’engager pour une
cause ou de la combattre ils n’ont pas nécessairement une vision rationnelle du problème. Différents travaux ont
montrés comment cette rationalité limitée est mise en oeuvre, travaux qui mettent l’accent sur les focusing events.
Focusing events : événement pour lequel les acteurs concentrent toute leur attention. C’est un événement
particulièrement visible, cinglant voir dramatique. Lorsqu’on concentre notre attention sur un fait précis, on a une
interprétation dramatisante et on se dit qu’il faut impérativement intervenir. C’est le cas pas exemple lors d’attentats,
d’accident nucléaire, etc. on retrouve un rôle important des médias. On est dans une situation où l’attention des
décideurs est concentrée et leurs actions sont guidées par une urgence, par cet événement saillant. Le comportement
relève donc d’une rationalité limitée. La capacité d’agir de manière rationnelle est réduite suite à des événements
saillants et surmédiatisés.
3. DÉFINITION DE PROBLÈMES ET SOLUTIONS
Problem-solving et politics : on retrouve un problème social (construit) comme l’inflation, la pollution, le chômage,
etc. qui requiert de trouver des solutions. Les politiques publiques sont donc perçues comme des solutions aux
problèmes. Les problèmes sont des stimuli et les politiques publiques sont des réponses à ces stimuli, ce qui
correspond à une vision balistique.
Puzzling et powering : la politique est une affaire de domination. Une approche comme celle de Lasswell ne parle
pas domination mais de qui gagne et qui perd (who gets what, when, how?). L’activité politique relève de jeux de
pouvoir (powering). Le plus fort a plus de chance de gagner, même si d’autres dimensions existent celle-ci est très
importante. On parle également de puzzling, de résolution d’énigmes. Par exemple un gouvernement peut être
confronté à l’énigme d’absence de croissance en dépit de mesures qui devraient être favorables à ce problème. Si ce
gouvernement n’arrive pas à résoudre certaines énigmes, il va perdre son pouvoir. Il faut à ce gouvernement des
connaissances qui lui permettront de résoudre ces énigmes.
Dimension réflexive : on retrouve des acteurs qui tentent d’imposer leurs points de vue mais aussi des acteurs qui
tendent à réfléchir sur la nature des problèmes et les solutions à leur apporter. Cette dimension se trouve plus
fortement chez un expert qu’un politicien, elle varie donc selon les acteurs et est plus ou moins présente bien
qu’indispensable. Il s’agit là du puzzling, les acteurs se posent des questions et ont des énigmes à résoudre. Il ne faut
donc pas réduire l’activité de production des politiques publiques aux seuls enjeux de pouvoir mais aussi prendre en
compte cette dimension réflexive.
4. PLUS GÉNÉRALEMENT, L’ACTIVITÉ DÉCISIONNELLE
Aaron Wildavsky , Speaking Truth to Power. The Art and Craft of Policy Analysis (1979) : cette distinction entre
puzzling et powering renvoie à une distinction plus large faite par Wildavsky. Dans son livre il effectue une série de
distinctions qui structurent les politiques publiques et renvoient à cette distinction de puzzling et powering. Il s’agit de
l’interaction sociale entre des acteurs qui se battent, coopèrent, négocient, etc. On ne peut comprendre les choix de
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politiques publiques qu’avec cette dimension d’interaction sociale qui renvoie au powering. Cependant ce n’est pas la
seule dimension :
Intellectual cogitation : on peut opposer l’interaction sociale à la cognition intellectuelle. Lorsqu’un problème
apparaît ces deux dimensions sont à l’oeuvre. Par exemple, avec la question de l’immigration on retrouve une réflexion
qui relève plus du puzzling qui consiste à se demander quels sont les problèmes à l’origine de ces migrations (activité
réflexive) mais en même temps ces questions sont dans l’agenda des politiciens qui utilisent ces questions comme
«fonds de commerce» pour gagner des bénéfices (dimension de pouvoir). Cela veut aussi dire que lorsqu’on réfléchit à
la conduite de politique publique, il faut que les solutions aux questions soient aussi politiquement acceptables, qu’on
puisse les vendre. Il y a donc des compromis à faire et des alliés à trouver. Ces négociations créent des tensions dans
les politiques publiques ont été mises en évidence par plusieurs acteurs, dont Wildavsky qui nous expose deux
manières de voir les problèmes publics ; la vision synoptique et la vision anti-synoptique.
❖ Vision synoptique : lorsqu’on essaye de voir l’ensemble d’un problème et de tenir compte de l’ensemble des
variables à une vision d’ensemble.
❖ Vision anti-synoptique : il s’agit des ajustements à la marge lorsqu’on fait des compromis pour obtenir des
soutiens et là on est dans l’interaction sociale.
Social interaction : il y a interaction sociale car il y a négociation. L’approche pluraliste voit les activités décisionnelles
comme une activité sociale, on a des acteurs qui font des échanges. D’un côté, il y a cognition intellectuelle, c’est-àdire qu’il y a des acteurs qui réfléchissent par rapport à des problèmes qu’ils veulent résoudre. La caractéristique du
décideur est qu’il est un être réflexif. Par exemple cela peut être une situation où le patronat ne veut pas
d’augmentation de salaire alors que les syndicats demandent une augmentation de 5% en menaçant de faire une
grève. On peut finir par parvenir à un compromis de 2,5%.
Distinction entre délibération et marchandage (Jon Elster) : pour les deux on vise un accord, une définition
commune des problèmes et des solutions. Dans la délibération on retrouve des échanges d’arguments, des critiques
et on décide ensuite de qui a plus ou moins raison. Dans un processus de délibération, on réfléchit et les mécanismes
de prise de décision sont l’argument et la persuasion. Au cours du processus il arrive que des acteurs changent de
point de vue car il peut apprendre et être persuadé. C’est en lien avec la conviction et conversion à cognition
intellectuelle. En ce qui concerne le marchandage, au lieu de trancher pour tel ou tel argument on cherche à faire des
compromis. Les acteurs ne changent pas de préférence mais font des compromis. La délibération et le marchandage
sont des mécanismes collectifs et sociaux qui impliquent la présence de plusieurs acteurs avec des points de vue
différents, des croyances, des intérêts, etc. Pour la délibération on chercher à convaincre et à faire changer d’avis
tandis que pour le marchandage on fait des promesses et des menaces. C’est un processus conflictuel au terme
duquel on arrive à un résultat négocié.
Politiques distributives versus politique d’efficacité (position versus valence issues) - Majone : il y a des
politiques publiques qui relèvent plus de la cognition intellectuelle et des politiques publiques qui relèvent plus de
l’interaction sociale. C’est la distinction faite par Majone entre politiques redistributives et politiques publiques
d’efficacité. La communauté européenne n’a pas un grand budget et ce même budget est essentiellement mis dans la
politique agricole commune. L’Europe ne peut donc prétendre à des politiques publiques redistributives mais elle
régule, notamment en visant à produire des politiques améliorant le bien-être collectif. Majone distingue donc les
politiques redistributives et celles qui visent à améliorer le bien-être collectif (politique d’efficacité). Dans une politique
redistributive, il y a des gagnants et des perdants et peu d’espaces pour la cogitation intellectuelle et donc la prise de
décision se fait par le vote où là, on retrouve de l’interaction sociale. Pour les politiques d’efficacités, le problème se
définit autrement ; ce sont des politiques avec lesquelles tout le monde gagne. Il s’agit de trouver la solution la plus
optimale. Ce sont des domaines où les gens sont d’accord mais pas sur les solutions les plus appropriées pour arriver
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à ce bien-être collectif. Il y a un consensus sur les objectifs mais un débat sur les meilleurs moyens pour y arriver
(cogitation intellectuelle).
Critiques : on peut reprocher à Majone d’avoir une vision essentialiste des politiques publiques. C’est une vision qui
consiste à penser que, par essence, les politiques publiques sont plutôt distributives avec des gagnants et des
perdants. Cependant la manière dont sont définies les politiques publiques dépend des perceptions des acteurs ; la
même politique peut être vue par certains comme redistributive et par d’autres comme d’efficacité. Par exemple, les
politiques d’environnement sont censées être d’efficacité car on est tous censés en bénéficier mais les législations sur
l’environnement peuvent être perçues comme générant des coûts et ce parfois de manière concentrée pour certains.
De plus, il est rare d’avoir des politiques publiques sans coût. Ces controverses sémantiques importantes relèvent à la
fois de la cognition intellectuelle et de l’interaction sociale. Le fait que la nature d’une politique publique n’existe pas
par essence mais qu’elle est définie par des acteurs avec des luttes et des controverses qui relèvent de l’enjeu du
cadrage.
Exemple de la libéralisation de l’économie : on retrouve des politiques publiques dont le but était de réduire le rôle
des cartels en réglementant la politique de la concurrence. Dans le contexte des années 1990, la libéralisation
apparaissait comme bénéfique puisqu’un secteur libéralisé devait impliquer une baisse des prix et donc profiter au
consommateur comme dans une politique d’efficacité où tout le monde est censé gagner. Pourtant, dans les années
2000 ces mêmes réformes ont commencé à susciter des oppositions. Par exemple, la libéralisation de l’électricité ou
encore la réforme de la poste ont suscité de nombreuses réactions. On a commencé à redouter que la libéralisation de
la poste se fasse au détriment des régions périphériques. Cette politique initialement vue comme politique d’efficacité
sont redéfinies en redistributives.
5. PROBLÉMATISATION, («FRAMING»)
I.
Naming : qu’est-ce qui fait problème, quel est le problème ? En fonction de ce qu’on pense être la cause du
problème, on propose telle ou telle solution.
II.
Blaming : qui/quoi est à blâmer, a les responsabilités ? On retrouve une identification de ce qui est à l’origine du
problème pour leur assigner des causes et des responsables que l’on va blâmer. On fait le lien entre le problème
et ses causes pour désigner des coupables.
III.
Claiming : revendiquer, proposer des solutions, faire des revendications, demander des choses pour que l’écart
entre l’état souhaité et actuel soit réduit.
Récits («narratives») et arguments à l’oeuvre - interprétations dramatisantes et dédramatisantes des
problèmes : l’argumentation joue un rôle important dans la conduite des politiques publiques. Il faut convaincre les
médias, les décideurs, les citoyens, etc. Autour des problèmes publics se construisent des récits, des narrations et
des enjeux, des controverses, des interprétations dramatisantes ou dédramatisantes. Dans le cas de la durabilité du
système de retraite les forces politiques de droites ont plutôt des interprétations dramatisantes (problème de
financement des retraites) alors qu’à gauche c’est plutôt dédramatisant (système des trois piliers plus robuste que
dans d’autres pays). Ce qu’il faut retenir que la construction des problèmes publics est sujette à controverses dans
lequel des narrations sont construites.
Des histoires stratégiques : ces narrations sont des histoires stratégiques que les acteurs construisent afin d’arriver
à leurs buts. Elles ont une intrigue, il y a des gentils et des méchants et une leçon de morale sur ce qu’il faut faire pour
remédier au problème. Qu’est-ce que les pouvoirs publics doivent entreprendre, etc.
Petridou (2014) - Theories of the Policy Process : Contemporary Scholarship and Future Directions : « Policy
narratives are strategic stories with a plot, villains and good guys, and a moral lesson (...) They can also include
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adjuvant components such as a plot and a causal mechanism (CM), and narrative strategies, such as the distributions
of costs and benefits and policy beliefs » (p.24).
6. HYPOTHÈSES CAUSALES - MÉCANISMES D’EUPHÉMISATION ET DE STIGMATISATION
Hypothèses causales : les politiques publiques reposent sur toute une série d’hypothèses causales. Il y a des
hypothèses causales sur les responsables des problèmes, les causes, les effets, etc. Les narrations sont pleines de
descriptions des mécanismes causaux qui seraient à l’oeuvre. On se rend compte que les acteurs ne sont pas
d’accord sur ces chaînes causales, que les interprétations divergent. Il y a des croyances sur les bonnes politiques
mais aussi des images variables sur la distribution des coûts et des bénéfices.
Enjeux du cadrage : lorsqu’on cadre un problème - défini en tant qu’écart entre l’état existant et l’idéal qu’on en a on fait trois opérations sémantiques ; on nomme, on blâme et on revendique des solutions. Les politiques publiques
donnent lieu à des récits, les acteurs racontent des histoires, identifient des problèmes et des coupables et créer des
arguments. On retrouve des interprétations dramatisantes ou dédramatisantes. Les acteurs ne sont pas d’accord sur
ces questions et sur l’ampleur des problèmes. Le blaming - recherche des causes du problème - amène les acteurs à
des hypothèses causales. Selon ce qui est défini comme la cause du problème, les solutions envisagées ne sont pas
les mêmes. La manière dont on conditionne un problème va également conditionner les solutions que l’on va
proposer. Si on fait une hypothèse causale spécifique sur qui pose problème on va également modifier le
comportement qui mène à ce problème. Pour montrer la force de la problématisation, on peut prendre l’exemple de
Daniel Kübler et son étude sur les politiques de la drogue en Suisse.
6.1. COALITION DE L’ABSTINENCE ET COALITION DE VOISINAGE
Exemple - Politique de la drogue dans les villes suisses entre ordre et santé (Daniel Kübler) : alliance
ponctuelle entre deux coalitions ayant des «framing» différents de la répartition des coûts et des bénéfices liés à la
libéralisation de la politique de la drogue en Suisse. Dans les années 1990 apparaît l’épidémie du sida. Cela aura pour
effet de changer les données du problème de la drogue. Jusque là on retrouvait une politique répressive qui interdisait
la distribution et la consommation de drogue. L’épidémie lance un défi à l’approche répressive car il y a un risque de
contagion à travers l’utilisation par plusieurs personnes de seringues contaminées. Or, on sait que la pénalisation de la
consommation de stupéfiant n’empêche pas la consommation et on apprend que cette consommation expose les
consommateurs au sida. Les autorités publiques cherchent donc à agir.
Changement de perspective : une nouvelle approche est largement préparée et soutenue par des réseaux
d’experts internationaux et d'événements internationaux. On retrouve l’émergence sur le plan international d’une
communauté épistémique qui prône une approche de réduction des risques. C’est l’idée que l’État doit prendre des
mesures pour réduire les risques. L’incarnation de cette approche est la création d’un certain nombre de locaux
d’injections, de services publics qui mettent à disposition des seringues propres, etc. Cette approche est assez
hétérodoxe car l’État participe à une activité que lui-même interdit et ce pour éviter les risques associés à la
contamination via la drogue. Ce nouveau paradigme va rencontrer de fortes oppositions ; on retrouve deux types
d’oppositions à partir de deux types de problématisation différents. Pendant un premier temps, ces deux oppositions
vont pouvoir se rencontrer et faire obstacle à ces objets étatiques. Le premier est de type traditionnel véhiculé par la
«coalition de l’abstinence» et le deuxième par la «coalition du voisinage».
Coalition de l’abstinence (coûts diffus, bénéfices concentrés et immérités dans un groupe stigmatisé) :
c’est une coalition plutôt conservatrice, traditionaliste, etc. dont l’idéal est une société sans drogue et partisane du
statu quo de la répression. Pour elle le nouveau paradigme génère des coûts diffus qui imposent à une bonne partie
de la population de vivre avec une politique qui ne correspond pas à leurs valeurs. On parle donc de coûts moraux liés
à cette politique. Ce qui aggrave l’illégitimité de la politique est que les bénéficiaires de la politique sont un petit
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groupe. On retrouve une politique dont la légitimité est problématique car elle génère des coûts diffus pour des
bénéfices concentrés. De plus il y a l’idée que ce petit groupe ne devrait pas recevoir ces bénéfices car selon cette
vision c’est un groupe stigmatisé. Les personnes toxicodépendantes sont vues comme responsables de leurs
situations et donc ne méritent pas de recevoir des prestations des autorités, d’autant plus qu’il s’agit de
comportements réprimés par la loi. On retrouve donc une idée de mérite lié aux politiques publiques ; tel ou tel groupe
mérite-t-il d’avoir tels ou tels bénéfices ? La coalition de l’abstinence a dans un premier temps perdu du terrain car le
problème du VIH/sida est si important qu’il y a un impératif qui prend le dessus mais cela n’a duré que jusqu’à la
création de ces dits locaux d’injection. La phase de mise en oeuvre des politiques publiques est une phase où les
perdants de la mise en place de solution vont réessayer de gagner du terrain. La mise en oeuvre de la politique de
réduction des risques génère un autre type d’opposition ; l’émergence de la coalition du voisinage.
Coalition du voisinage (coûts concentrés, nimby, question des bénéfices pas problématisée) : la
problématisation est différente de celle de la coalition de l’abstinence ; elle ne voit pas les coûts et les bénéfices liés à
cette politique publique de la même manière. La question des bénéfices n’est pas vraiment problématisée, du moins
pas au centre du discours de cette coalition, il n’y a pas l’idée de bénéfices concentrés illégitimes. Le problème pour
cette coalition est le désagrément dans le voisinage lié à la mise en place de locaux de distribution contrôlés de
seringues. Cette politique a un impact sur l’environnement spatial et cette coalition est justement celle des voisins de
ces centres. Les raisons sont multiples mais elles dénoncent des coûts concentrés. Cette coalition est typique du
phénomène nimby. Les autorités dans ces cas-là stigmatisent les nimbystes. C’est donc un autre type de
problématisation qui n’apparaît que dans la phase de mise en oeuvre. Le moment de la mise en oeuvre est donc celui
où les deux oppositions se rencontrent et que grâce à l’effet nimby la coalition de l’abstinence peut refaire surface. On
retrouve donc une phase de reproblématisation de l’enjeu - du moins partiel.
Tout problème public n’est pas politisé (rôle des médiateurs et gatekeepers pour l’entrée dans les arènes
décisionnelles) : en Suisse on retrouve quatre acteurs qui ont la possibilité de mettre en oeuvre un problème dans
l’agenda politique (parlement, Conseil fédéral, cantons, peuple). Or, en Suisse, près de 90% des lois proviennent du
Conseil fédéral bien qu’il s’agisse de la fonction principale du parlement. De plus, les acteurs non institutionnels
peuvent également mettre en avant des sujets et les mettre dans l’agenda politique informel.
7. PROCESSUS SOCIAUX À L’ORIGINE DE LA MISE SUR L’AGENDA POLITIQUE
S’intéresser à l’analyse de l’action collective, des groupes d’intérêt à la sociologie des mobilisations, etc. :
l’analyse de la mise à l’ordre du jour des problèmes, de la politisation des problèmes ne peut pas manquer de
s’intéresser également à des phénomènes dits d’action collective.
Répertoires d’action collective les plus visibles pas nécessairement les plus efficaces : efficaces du point de
vue des l’impact sur les politiques publiques. Chaque acteur ou groupe qui a des revendications (claiming) dispose
d’un répertoire d’actions possibles pour obtenir les effets attendus. On retrouve par exemple l’initiative populaire en
Suisse, les manifestations, le fait d’alerter les médias, le lobbying, etc. Le choix dépend de multiples facteurs ;
ressources, des routines, etc. On peut constater que les actions les plus visibles telles que les manifestations alors
qu’utilisée pour leurs poids sociales, c’est généralement un signe de faiblesse, ils ne sont pas arrivés à ce qu’on voulait
par d’autres moyens. Il ne s’agit pas d’une règle sociologique parfaite mais il y a le risque qu’une action collective
visible soit un signe de faiblesse. Pour les syndicats par exemple, les grèves et les manifestations peuvent signifier
qu’ils ne sont pas intégrés dans les processus de décisions.
Accent sur les idées des élites politiques («issue ownership») et administratives («communautés
épistémiques») - élites programmatiques (Genieys) : l’analyse des politiques publiques met l’accent sur le rôle
des élites, au sens des personnes qui ont un accès aux sphères décisionnelles que n’ont pas les citoyens lambda.
Même dans un système politique comme en Suisse où on retrouve l’initiative populaire il y a des élites car lancer une
initiative nécessite beaucoup de ressources. Une communauté épistémique est un groupe de personne qui revendique
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avec succès de l’autorité dans un domaine en se basant sur l’expertise qu’elle possède. Il s’agit donc de personnes
qui ont des interactions entre elles afin d’améliorer leurs connaissances et propager leurs idées mais aussi un groupe
cohésif qui défend les mêmes paradigmes. Ce concept vient des relations internationales, notamment développé par
Peter Haas. Aujourd’hui cela désigne tout groupe de personnes qui a un savoir commun et peut se revendiquer de
l’expertise pour acquérir de l’autorité. C’est souvent des membres de l’administration car dans plusieurs domaines
l'administration est l’institution qui dispose du plus de savoirs. Les élites professionnelles, l’administration et les autres
experts comptent dans le processus de mise sur l’agenda et plus généralement sur le processus décisionnel.
Issue ownership : c’est l’idée que chaque parti politique va essayer de convaincre le public qu’il est le plus
compétent par rapport à tel ou tel domaine et plus ou moins se l’approprier. Chaque parti dans son programme
présente un ensemble de thématique mais met l’accent sur les thématiques sur lesquelles il se considère comme plus
compétent. Les élites programmatiques sont des élites qui formulent des programmes. L’analyse des politiques
publiques est particulièrement attentive à ces élites programmatiques.
Identifier les entrepreneurs de cause et les ressources mobilisables : c’est une manière de penser la politique
en cherchant à identifier les différents entrepreneurs de causes, un acteur qui défend une cause. Cela peut être une
cause liée à ses intérêts, matériels ou immatériels (droits humains). Les entrepreneurs de cause ont différents types de
ressources et de répertoires d’actions plus ou moins efficaces. L’analyse des politiques publiques remet en question
un certain nombre de stéréotypes, notamment le fait que les actions les plus visibles semblent être les plus efficaces.
Un autre stéréotype que les analyses des politiques publiques remettent en question est l’idée qu’il suffit qu’il y ait un
intérêt présent dans la société, même large (contribuable, consommateur) pour que les acteurs se mobilisent en faveur
de cet intérêt. Ce n’est pas une condition suffisante pour la mobilisation. Il ne suffit donc pas qu’un intérêt ou une
cause soit présent dans la société pour qu’il y ait une mobilisation en faveur de cette cause.
Exemple du free riding et du paradoxe de l’action collective de Mancur Olson : Mancur Olsen est un
économiste et sociologue qui a une vision des acteurs comme étant avant tout rationnels qui calculent les coûts et les
bénéfices de leurs actions. Plusieurs de ces actions conduisent à l’obtention de bénéfices collectifs. Si des militants se
mobilisent pour la protection de l’environnement et atteignent leurs objectifs cela va profiter à tout le monde. Ce sont
des biens publics par rapport auxquels il n’y a pas d’idée d’exclusion. Il n’y a donc pas d’intérêt à s’engager si on peut
obtenir un bénéfice en faisant autre chose qu’en s’engageant si les bénéfices obtenus par l’engagement sont
accessibles sans l’engagement. Le résultat est donc un phénomène d’inaction collective. En dépit du fait qu’on
cherche à obtenir un bien qui profite à l’ensemble de la communauté, personne ne s’engage car tous pensent que les
autres vont le faire à la place. Pour Olsen, les consommateurs ont créé des associations beaucoup plus tard que les
groupes plus restreints comme les agriculteurs bien qu’il y aurait un grand intérêt collectif. Olson explique donc que
c’est rationnel sur le plan individuel de ne pas s’engager mais si tout le monde fait ce calcul le résultat est que le bien
public en question n’est pas produit. C’est un résultat suboptimal du point de vue du bien-être collectif. C’est la
problématique qu’il a qualifiée de free-riding. L’objection que l’on peut en faire est que tout le monde n’a pas ce type
de rationalité. Certains individus agissent par conviction idéologique et ne calculent pas, s’investissent sans compter.
Au final cette approche calculatrice n’explique qu’une partie des comportements. Cependant l’intuition de Olsen est
importante pour comprendre qu’il n’y a pas d’automaticité entre l’existence de préférence ou d’intérêt dans la société
et le fait qu’elle soit satisfaire ou qu’on s’engage dans ce but.
Le paradoxe de l’action collective - avantage des petits groupes car «club goods» et pression sociale :
Olsen dit que dans cette compétition entre différents groupes, les petits groupes sont plus gagnants que les grands.
Le nombre présent à une manifestation est considéré comme un signe de puissance. Cependant Olsen dit que les
petits groupes se mobilisent plus facilement et ce pour deux raisons. La première est que dans un petit groupe il y a
plus de pression sociale, le free rider est plus visible et plus stigmatisé ce qui restreint les possibilités de ne pas
s’engager. Le deuxième élément est que, puisque lorsqu’on fait le calcul rationnel on n’a pas d’intérêt, ce qui peut
nous faire nous mobiliser est que l’engagement procure des bénéfices qui ne sont pas accessibles à ceux qui ne le
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font pas. On parle de «club goods», le fait d’être dans un groupe donne certains bénéfices dont ne bénéficient pas les
non-membres, c’est exclusif. Ces biens peuvent être de natures diverses ; être récompensé en obtenant des fonctions
de commandements, des postes, etc. Or, dans un petit groupe le nombre de bénéficiaires du bien privé est plus
restreint et plus significatif. Ceci explique pourquoi les petits groupes sont plus intéressants pour la mobilisation. C’est
là le paradoxe de l’action collective. Pour les politiques publiques, si l’agenda politique est avant tout ouvert aux
revendications des petits groupes il y a peut-être un problème démocratique, une composante oligarchique.
Rôle de la «polity» (POS - political opportunity structure) : l’élément absent de l’approche d’Olsen est
l’intégration du système politique dans les coûts, l’intégration par les acteurs des caractéristiques du système politique
dans leurs calculs. D’autres approches ont mis en évidence cela, des approches qui traitent davantage des
mouvements sociaux. Une approche importante a été celle de la structure des opportunités politique qui nous dit que
les différents types de systèmes politiques sont plus ou moins ouverts à l’émergence de demandes/revendications. En
Suisse, l’existence de l’initiative et du référendum en fait un système plutôt favorable. On peut également se poser la
question des alliances et des coalitions (Jamous). Les acteurs, lorsqu’ils décident de se mobiliser pour une cause ou
non, font une évaluation des opportunités que leur offre le système politique et intègrent cela dans leurs calculs.
Critiques - incertitude et rationalité limitée et perception du système : la critique qui a été faite à cette
approche a été d’être trop objectiviste. Cela veut dire que cette approche considère qu’il y a une structure des
opportunités politique qui par essence est ouverte ou fermée, favorable ou non. Il y a des éléments structurels qui
influent sur l'ouverture d’un système politique ; dans un système électoral majoritaire si vous être un petit parti vous
n’obtenez pas de sièges parlementaires alors que dans un système proportionnel on peut avoir une représentation. Il y
a donc des éléments structurels objectifs. Cependant les critiques de cette approche insistent sur l’élément
perceptuel ; les acteurs lorsqu’ils calculent ils ont une perception du système politique. Ce n’est donc pas la nature
même du système politique qui compte mais la perception qu’on en a. Cette dernière peut être relativement biaisée et
erronée et ce parce que contrairement à la vision de Olsen, les acteurs ont une rationalité qui n’est que limitée. La
rationalité peut être limitée par deux choses ; la première limite vient des croyances et de l’idéologie tandis que la
deuxième est qu’en général les acteurs agissent dans des situations d’informations imparfaites. Cela peut vouloir dire
qu’on n’a pas assez d’informations, on ne peut pas bien anticiper (incertitude) et très souvent on a au contraire trop
d’informations qui ne sont pas assez congruentes.
8. CONCLUSION
“Carrière” des problèmes - dans toutes les phases il y a (re)problématisation (reframing) : le même problème
n’est pas évoqué, défini, cadré de la même manière d’une phase à l’autre du processus décisionnel. Cela peut être dû
au fait que les acteurs ne sont pas les mêmes, qu’une nouvelle phase fait apparaître des facettes du problème qui
n’étaient pas visible avant. Un processus de décision peut donc être traversé par plusieurs problématisations, ce n’est
pas un processus statique.
(Re)problématisation que partielle : en même temps, il est difficile de remettre en cause une problématisation
initiale. Plusieurs études de politiques publiques ont montré qu’il est important d’être présent à l’origine d’un processus
de décision car celui qui agit en premier donne le ton. Les autres doivent se positionner par rapport à sa
problématisation. Cela empêche donc de reproblématiser de fond en comble. Cela dépend certes des situations
pratiques mais il faut être attentif à la fois à l’idée que les problèmes sont reproblématisés tout au long du processus
de décision mais en même temps cette reproblématisation est limitée et ce pour plusieurs raisons (incrémentalisme et
path-dependency).
Incrémentalisme : les changements en matière de politiques publiques sont souvent incrémentaux. Cela signifie que
ces changements sont souvent à la marge. C’est l’idée qu’il est possible que le changement en politique publique soit
d’une amplitude limitée. Il n’y a pas sauf circonstances exceptionnelles de réformes majeures. Les tenants de
l’approche incrémentaliste sont des pluralistes ; ils pensent que dans la société et les systèmes décisionnels il y a
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plusieurs acteurs en présence avec leurs intérêts divers et que donc pour arriver à prendre une décision politique il faut
faire des compromis car seul ce n’est pas possible. La société et le système politique sont tellement fragmentés et
donc faire des coalitions est incontournable. Il y a différentes visions sur ce qu’est une coalition, certains estiment
qu’une coalition d’acteur est cimentée par des croyances communes. Les incrémentalistes n’ont pas cette vision-là, ils
pensent que les coalitions ne sont pas nécessairement formées par des acteurs ayant des croyances communes mais
des acteurs qui arrivent à force de marchandages et de préférences différentes à s’entendre sur une sorte de
dénominateur commun minimum. Ce dénominateur commun minimum ne va donc s’éloigner que du minimum du
statu quo, le changement se fait donc à la marge. C’est l’une des raisons qui fait que si une proposition fait carrière,
elle ne sera modifiée que de manière marginale.
Path-dependency : la thèse de la «dépendance au sentier» ou «sentier de dépendance» nous dit que les décideurs
sont dépendants du sentier en matière de politique publique qui a été tracé dans le passé. Cette approche a des
prolongations importantes par rapport à l’analyse des décisions politiques et du changement politique. Pour ce
courant, on met l’accent sur l’inertie décisionnelle, le changement est l’exception plutôt que la règle. On retrouve des
forces d’inertie dans les systèmes décisionnels qui empêchent le changement et ces forces sont ce qui a été fait
avant. Une autre conséquence de cette approche est qu’un chemin sur lequel on s’engage dès le début. Cela veut
dire que les politiques publiques ont un début historique dont le chemin tracé initialement est difficile à modifier. On
met donc également l’accent sur le poids des origines.
-
Rôle des intérêts (“constituencies” de bénéficiaires) : analyse leurs ressources et comportements
stratégiques (ex. usage des lieux de veto). Plus on s’est engagé dans un sentier plus il est difficile de sortir de celuici. Cela est notamment dû au fait qu’historiquement les politiques publiques suscitent des bénéficiaires et si ces
derniers agissent rationnellement, ils ne seront pas d’accord de remettre en question leurs bénéficiaires, souvent
qualifiés de droits acquis. On met donc l’accent sur les intérêts et sur le comportement rationnel des acteurs
bénéficiaires, souvent qualifiés de droits acquis. On met donc l’accent sur les intérêts et sur le comportement
rationnel des acteurs bénéficiaires de politiques publiques passées. Ces acteurs peuvent utiliser les lieux de veto.
-
Rôle des croyances/habitudes - rationalité limitée (limites du pensable) : le deuxième angle d’analyse de
cette approche met l’accent sur les croyances ou les habitudes des acteurs. Si on a des politiques publiques qui
existent depuis 100 ou 150 ans, ces dernières ont contribué à créer un système de normes et de croyances qui
leur est favorable. Cela empêche donc une reproblématisation radicale. De même on peut avoir des phénomènes
de rationalité limitée ; l’adhésion à un sentier de dépendance peut ne pas être que le résultat de calcul mais aussi
d’une rationalité limitée, c’est ce que l’on connaît.
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B. FORMULATION D’ALTERNATIVES ET PRISE DE DÉCISION
Il n’y a pas une décision et les non-décisions sont importantes : les politiques publiques peuvent se définir
comme ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire. En général dans une politique publique il n’y a pas
une décision mails un amalgame de portée différente, d’ampleur différente.
Pas de sociologisme, “withinputs” : le sociologisme est l’inférence de ce qui se passe dans le système politique à
partir de ce qui se passe dans son environnement social. Il ne faut pas partir du principe que lorsqu'une décision est
prise cela correspond nécessairement à un problème social. Certains inputs viennent de la société, de groupes
d’intérêts, etc. mais également de l’administration elle-même. Les organisations administratives prennent des
décisions et formulent des inputs pour justifier leur raison d’être. Certaines demandes de réformes ne correspondent
pas à des besoins sociaux mais proviennent d’une lutte politique.
Politique politicienne : les acteurs du système débattent entre eux, se mettent d’accord entre eux mais pour leur
logique propre. La politique politicienne peut être critiquée mais cela ne signifie pas qu’elle ne développe pas de
conséquences par rapport aux politiques publiques. Certaines politiques publiques proviennent de luttes entre partis
rivaux et non de problèmes sociaux en tant que tels. Les changements en politiques publiques peuvent résulter
d’inputs formulés par la bureaucratie.
Décision rationnelle ? Exemples de rationalités multiples : on peut avoir des comportements qui sont des
actions rationnelles, c’est-à-dire un moyen d’atteindre des buts. Cependant on peut voir que certaines rationalités
peuvent être multiples. On peut voir cela au travers des comportements bureaucratiques.
1 - William Niskanen - maximisation du budget → développement du secteur public : Niskanen est un
économiste qui fait parti du public choice et qui considère donc que les bureaucraties ont des comportements visant à
maximiser leur utilité. En tant qu’adepte du public choice il met l’accent sur le comportement rationnel de l’acteur
politique qui tente de maximiser son intérêt. Il met en avant toute une série de politiques publiques qui conduit au
gonflement de l’État. C’est une approche classique, un peu sociologiste qui aurait tendance à interpréter ce
développement de l’État comme le résultat de changements sociaux, de pressions sociales, etc. Par exemple, le
développement de l’Etat social correspond à une prise de conscience dans la société qu’un certain nombre de risques
amènent le développement de l’Etat social. Niskanen dit donc que si l’État social se développe c’est parce que la
bureaucratie a intérêt à se développer. Chaque organisation tente de maximiser, d’augmenter son budget, de
développer son territoire, d’avoir plus de ressources et cette concurrence conduit alors au développement de l’État. Si
l’État grandit ce n’est pas parce qu’il répond à des raisons sociales nouvelles, mais cela tient à sa dynamique propre
interne. Niskanen pense que plus une démocratie grandit, plus elle a de postes, de compétences, etc. mieux elle se
porte.
2 - Patrick Dunleavy - “bureau-shaping” → restriction du secteur public : tout comme Niskanen, il s’inspire du
paradigme du choix rationnel et considère qu’il faut expliquer les réformes par le comportement rationnel des acteurs.
Il est également d’accord avec l’idée de Niskanen qui dit que la bureaucratie cherche à maximiser son intérêt. Le
moteur des réformes administratives serait l’intérêt propre de la bureaucratie, mais Dunleavy ne définit pas de la même
manière l’intérêt propre. Il dit que le bureaucrate rationnel veut faire du bureau-shaping, c’est-à-dire littéralement
“arrange son bureau”. On peut donc dire que la bureaucratie rationnelle ne veut pas plus de ressources mais un joli
bureau, avec des belles lumières, de belles plantes, etc. Cependant, Dunleavy entend précisément les hauts
fonctionnaires, notamment ceux qui ont un impact sur les réformes qui ne veulent pas plus de ressources mais un
travail intéressant. Ces hauts fonctionnaires ne sont pas contre une réduction de l’Etat, ils acceptent de déléguer des
tâches à l’extérieur car cela permet de privilégier la qualité à la quantité. Ils veulent donc des tâches plus intéressantes
et non une maximisation des tâches. Les deux auteurs parlent donc de maximisation mais ce n’est pas la même.
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3 - Christopher Hood - “blame avoidance” → restriction du secteur public : comme Dunleavy, Hood constate
que l’on est dans une période de restriction du secteur public. Il observe la même conséquence mais ne l’explique pas
de la même manière. Hood dit également que la haute fonction publique a intérêt à déléguer des tâches à des
organisations extérieures. La rationalité est cependant différente, il parle de blame avoidance. C’est un concept
important dans l’analyse des politiques publiques puisque comme des dernières ne font pas toujours que des heureux
et donc risquent de blâmer les autorités pour leurs malheurs. Il est rationnel pour un cadre de la haute fonction de se
protéger contre le risque de blâme. On vit dans une société hautement médiatisé et les hauts fonctionnaires sont
fortement exposés au regard critique des médias. Les décideurs politiques sont avant tout motivés par une logique
d’évitement du blâme. La haute fonction publique est d’accord de réduire son influence là où elle a peur d’être tenue
responsable pour d’éventuels problèmes.
1. RATIONALITÉ ABSOLUE (L’ACTEUR)
Nature de la rationalité : il faut distinguer une rationalité absolue et une rationalité limitée. En quoi consiste un
comportement rationnel ? Ce genre de problématique s’applique aux acteurs individuels mais aussi collectifs, bien que
cela reste complexe pour les groupes.
L’acteur - connaît ses préférences (indifférence à leur origine et leur objet : intérêts matériels ou objectifs
moraux) : il sait ce qu’il veut, quels objectifs il veut atteindre, si ces objectifs sont importants ou pas, ce qu’il ne veut
pas, etc. Ces préférences sont considérées comme données, quelque chose de clair. On se pose la question de
savoir si les préférences résultent de leurs intérêts matériels ou avec des idées. Le terme de préférence permet donc
de tenir compte des deux.
Est en mesure d’identifier les alternatives disponibles (compétences) : de plus, confronté à un processus
décisionnel, un acteur a un certain nombre de choix. L’idée est que l’acteur rationnel est en mesure d’identifier toutes
les alternatives disponibles. Cela signifie que l’acteur aurait toutes les informations nécessaires.
Est en mesure de les comparer selon leur rapport c/b : une fois que l’acteur identifie les alternatives il y a le
postulat dans cette approche qu’il est en mesure de les évaluer et de comparer le rapport coûts/bénéfices de ces
alternatives. Il est donc en mesure de faire une évaluation comparative et de les hiérarchiser.
Est en mesure de procéder à une hiérarchisation (transivité) et de choisir l’alternative qui optimise le
rapport c/b → meilleure adéquation moyens-fins (rationalité instrumentale, en finalité) : le postulat de
transivité est quelque chose d’important car il n’est pas évident en pratique. Cela veut dire que si un acteur préfère
l’alternative A à l’alternative B d’une part et l’alternative B à l’alternative C d’autre part, il va aussi préférer l’alternative A
à l’alternative C. Dans la réalité les choses sont plus complexes. Il choisirait l’alternative qui optimise le rapport coût/
bénéfice. La démarche consiste à choisir l’alternative/le moyen qui permet d’arriver le mieux à ses fins. Dans l’idée de
rationalité une idée centrale est celle de l’adéquation entre les moyens et les fins et donc le meilleur rapport coût/
bénéfice. C’est ce que Max Weber appelle la rationalité en finalité ; l’acteur a un objectif qui est la satisfaction des
préférences et il agit de manière à atteindre cette finalité par le moyen le plus adéquat. On parle aussi de rationalité
instrumentale ; les actions que l’on entreprend sont des instruments pour atteindre nos fins.
Éventuellement postulat de «self-interest» : une critique normative qui a été faite à cette vision consiste à dire que
les acteurs qui répondent à cette description sont des acteurs égoïstes qui cherchent à maximiser leurs intérêts. De
plus, en réalité, les acteurs ne sont pas toujours des maximisateur de leurs intérêts personnels. Il est juste de dire cela
mais une action rationnelle en finalité peut être rationnelle par rapport à une finalité qui n’est pas égoïste. Ce qui
compte dans cette approche est que les acteurs prennent des décisions en accord avec leurs préférences, que la
préférence relève de la maximisation du bien-être personnel ou collectif, peu importe. L’idée centrale est celle de
l’adéquation des moyens aux fins.
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1.1. COMPORTEMENTS STRICTEMENT ÉGOÏSTES? COOPÉRATION COMME STRATÉGIE RATIONNELLE?
Garett Hardin, The tragedy of the Commons (1968) : la question de recherche est de savoir dans quelle situation
il est plus rationnel d’avoir un comportement coopératif plutôt que de maximiser son intérêt propre. Le débat classique
sur la Tragédie des biens communs a longtemps été mis en avant par Hardin, économiste et philosophe.
Biens communs : les biens communs sont des biens publics qui sont accessibles à l’ensemble d’une collectivité et
qui ont la particularité de dépérir avec le temps et l’utilisation mais il n’y a pas de rivalité d’utilisation. Les études sur les
biens communs sont fréquemment des études locales sur la gestion des pâturages. Ce genre de biens communs
incitent aux comportements opportunistes et une maximisation de l’intérêt individuel sans se préoccuper d’une
externalité négative dont résulte une surexploitation. Dans ces situations-là, le comportement opportuniste est vu
comme rationnel. C’est une problématique analogue à celle d’Olsen où on retrouve des comportements rationnels sur
le plan individuel mais dont le résultat est suboptimal sur le plan collectif.
Exemple en Suisse : le système d’assurance maladie est un système sans incitation à la limitation du recours
individuel aux soins médicaux. On ne paie pas plus si on consomme beaucoup, ce que l’on paie est indépendant de
notre consommation. Le résultat est que les primes augmentent et est donc suboptimal. Hardin avait une vision très
pessimiste et c’est pour cela qu’il parle de tragédie. Il n’y a pas de jugement moral mais l’absence d’auto-limitation qui
est rationnelle conduit à la disparition progressive du bien commun.
Elinor Ostrom, Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action (1990) : cette
vision tragique a été amendée ultérieurement par Elinor Ostrom. Économiste et politologue, elle a écrit plusieurs textes
sur cette question. Son idée est que l’on peut réguler cette tragédie. On retrouve des mécanismes de régulations qui
se mettent en place est que l’issue tragique ne se produit pas. Cela s’explique par le fait que les acteurs n’ont pas un
comportement opportuniste décrit par Hardin mais un comportement coopératif. Dans la situation où ils sont, il est
rationnel d’avoir un comportement coopératif (altruiste) plutôt qu’opportuniste. Le comportement coopératif consiste à
s’autolimiter.
Les stratégies de coopération par l’auto-limitation sont rationnelles en situation d’interdépendance : l’autolimitation consiste à ne pas user complètement de son droit. Ce comportement d’auto-limitation est rationnel et
implique de prendre conscience de l’interdépendance. Nos décisions auront un impact sur les autres et la décision des
autres aura un impact sur nous. Si on est dans une situation d’interdépendance on a plus intérêt à coopérer qu’à avoir
un comportement opportuniste.
❖ Intériorisation logique coûts/bénéfices à long terme : cette question de l’adéquation des coûts et des
bénéfices se pose à court terme, ce qui nous mène à avoir un comportement opportuniste. La logique à long terme
(framing du cadrage c/b) mène à préserver ces biens communs périssables. Ce déplacement de l’horizon temporel
induit toujours une logique instrumentale mais sur une perspective à plus long terme.
❖ Attente de réciprocité dans le futur (Niklas Luhman) : on est dans une situation où parce qu’on est
interdépendant on a des attentes de réciprocité. La réciprocité implique qu’on n’est plus dans une logique de selfinterest. Dans certaines circonstances il est rationnel d’intégrer des comportements de réciprocité.
❖ Coopération comme rationalité : la coopération a donc une dimension stratégique pour arriver à ses fins. Si on
est dans une logique de résolution des problèmes, tous les acteurs n’ont pas toutes les informations il s’agit d’une
stratégie rationnelle que d’emprunter des informations. On peut voir que l’État quand il doit prendre des décisions il
prend en compte les groupes d’intérêts qui ont des ressources en matière d’informations et d’expertises que la
bureaucratie étatique ne possède pas nécessairement, il est donc rationnel de coopérer.
Importance de la réciprocité et de l’interdépendance durable : on développe plus facilement un comportement
coopératif si on estime qu’il y a des chances raisonnables qu’il y ait réciprocité (anticipation rationnelle). Cela a plus
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facilement lieu lorsqu’on se trouve dans des situations d’interdépendances durables. Dans une situation d’interaction
durable il y a un plus grand risque de blâme mais également davantage de situation possible de réciprocité. C’est ce
que Luhman appelle la loi du revoir ; le fait que l’on va revoir quelqu’un favorise l’interaction coopérative d’une part et la
réciprocité de l’autre.
Auto-limitation (Ostrom) : il y a donc de l’auto-régulation pour Ostrom ; les acteurs s’auto-limitent eux-mêmes, ils
n’ont pas besoin de limites posées de manière répressive par les pouvoirs publics. Cependant la question qui reste est
la généralisation de ce type de conclusion. Les communautés qui ont été étudiées par Hardin et Ostrom ont un certain
nombre de caractéristiques particulières. L’attente de réciprocité dans le futur ne peut fonctionner que sous certaines
conditions
Mais conditions requises pour les engagements mutuels crédibles et donc auto-régulation possible :
(confiance : dépend de capital social, transparence des comportements, communauté de valeur, etc.). La confiance
est nécessaire pour l’attente de réciprocité dans le futur. Il faut une confiance mutuelle forte pour arriver à une
coopération mutuelle. La confiance dépend de variables sociologiques et pas uniquement psychologiques ; le niveau
de confiance qui existe dans une société dépend du capital social. Les communes dans lesquels il y a beaucoup
d’associations locales sont des endroits ou les individus tissent des liens sociaux et c’est ce tissu de relations sociales
qui constituent ce capital social qui favorise la confiance. Dans une société atomisée les individus ne font pas
confiance les uns aux autres. Une autre chose qui entre en jeu est la nécessité d’avoir une société où les
comportements sont relativement transparents, que les uns sachent plus ou moins ce que font les autres. C’est plus
facile dans une communauté homogène. Ce qui peut également aider à des comportements coopératifs est
l’existence d’une communauté de valeur. Pour une attente de réciprocité il faut que les gens croient à la réciprocité. Il
faut un substrat social à la fois organisationnel mais aussi culturel qui pousse à des comportements coopératifs. Il faut
des facteurs structurant des comportements.
Institutions/règles du jeu/normes requises pour rendre les comportements prévisibles en guidant les
acteurs par des incitations positives et négatives : ce genre de débats ont conduit à mettre l’accent sur le fait
que les comportements des acteurs ne relèvent pas uniquement de leurs dispositions psychologiques mais sont
structurés par un cadre normatif. Ostrom a développé cette idée que dans un ensemble social donné il faut quelque
chose qui rende les comportements prévisibles et donc stables. Il faut des structures qui facilitent la prévisibilité des
comportements, cela peut être des normes sociales. Ces dernières permettent l’auto-régulation mais si elles ne
fonctionnent pas il faut également des institutions, des règles du jeu qui permettent de rendre certains comportements
plus prévisibles en les encourageants ou en sanctionnant d’autres comportements. Dans cette optique, les normes et
les institutions sont perçues comme agissant en fournissant aux acteurs des incitations positives ou négatives. Les
acteurs calculent et évaluent donc les possibilités. C’est ce qu’on appelle l’institutionnalisme du choix rationnel.
1.2. LE CAS DE LA «CONTINGENT COMPLIANCE»
Margaret Levi - Consent, Dissent and Patriotism (1997) : elle pose la question du consentement ; qu’est-ce qui
fait que les individus consentent à des choses qui impliquent un coût pour eux ? On a vu le cas de la tragédie des
communs où il est plus rationnel de consentir au petit coût de l’auto-limitation sur le court terme plutôt qu’un grand
coût à long terme. Le cas classique est le fait de payer ses impôts.
Les individus sont d’accord de subir des coûts si deux conditions sont réunis :
❖ Dimension verticale - (contre-)prestations satisfaisantes (Bo Rothstein) : cette dimension à avoir avec le
rapport qu’entretient chaque individu avec l’État. L’idée est que pour consentir des sacrifices il faut l’attente de
réciprocité (bon système de santé, de transport, etc.). Le contribuable ne doit pas se percevoir comme perdant
dans sa relation avec l’État. On a un comportement coopératif sous condition d’attente de réciprocité. Dans cette
logique, Bo Rothstein relève qu’il est important que les individus perçoivent les institutions publiques comme
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opérantes de manière juste/correcte. Si on a la perception que l’État agit de manière correcte par rapport à nos
normes on est d’accord d’endosser des coûts. Rothstein est suédois, pays dans lequel les individus paient
beaucoup d’impôts avec un État social très développé. Majone relevait que les politiques distributives génèrent des
gagnants et des perdants. Rothstein nous dit lui que même les perdants, ceux qui contribuent plus, seront
d’accord de le faire s’ils estiment que l’État fait bien son travail en ayant des politiques en phase avec leurs normes.
Le rapport à l’État peut donc façonner un comportement plus ou moins coopératif.
❖ Dimension horizontale - concitoyens contribuent aussi à l’effort collectif : Levi relève également une
dimension horizontale qui agit également. Il faut pour être d’accord d’endosser un coût pouvoir se dire que tout le
monde fait de même, que tout le monde contribue également à l’effort collectif et qu’il n’y a pas de free rider. On
est toujours d’accord de X mais à condition que Y. On est dans la dimension des normes communément partagées
(capital social) qui encourage à l’action coopérative. On est toujours dans une problématique d’auto-limitation. Pour
Ostrom cela consistait à ne pas abuser des ressources. Pour Levi cela consiste à payer mais on voit qu’il faut aussi
certaines conditions.
En pratique les acteurs ont l’intention de se comporter de manière rationnelle. Ils sont rationnels dans
leurs intentions mais en réalité leur rationalité est limitée. L’approche de la rationalité limitée décrit une
série de ses limites.
2. RATIONALITÉ LIMITÉE (BOUNDED RATIONALITY, H. SIMON)
Rationalité limitée - par valeurs (Wertrationalität) : par exemple si on voit un t-shirt à un prix bas un individu peut
refuser de l’acheter malgré l’envie car il se demande dans quelles conditions il a été produit. Les politiques publiques
qui pourraient être rationnelles par la finalité sont des politiques publiques qui peuvent être empêchées par le système
de valeur des décideurs. L’idéologie et les systèmes de valeurs limitent les calculs rationnels de type utilitariste. Les
croyances jouent un rôle important dans la prise de décision car elles prédisposent à prendre certains types de
décisions et découragent d’autres palettes de décisions. On peut même dire que les croyances nous imposent
certaines décisions, car elles seraient moralement bonnes ou socialement efficaces, d’un autre côté elles nous
interdisent de prendre des décisions qui seraient immorales. Selon March et Olsen il existe toutefois deux logiques
différentes, la logique des conséquences et la logique de convenance.
❖ «Logic of consequentiality» (conséquence) : les individus font quelque chose ou non en fonction des risques.
Ce que les individus font ou non dépend de leurs anticipations des conséquences. Ce qui guide les actions c’est
l’anticipation des comportements. Il s’agit donc d’une action dictée par anticipation des conséquences.
❖ «Logic of appropriateness (convenance) : c’est ce que l’est individus font ou non en fonction de ce qu’ils
estiment moralement acceptable ou non. L’action est dictée par des croyances sur les comportements appropriés
ou encore valorisés socialement et sur les comportements inappropriés ou stigmatisés socialement.
Institutionnalisme sociologique (March & Olsen) : les institutions en tant que collectif produisent des valeurs
auxquelles les acteurs adhèrent et qui les contraignent. Les deux auteurs vont regarder le rôle des institutions et leurs
mécanismes d’impact sur le comportement des acteurs. Pour eux, les institutions produisent des normes, des normes
de comportement sur ce qu’il est bien de faire ou non. Elles socialisent les individus à ces normes qui vont dicter leurs
comportements. On parle donc la logique de convenance. Par exemple en Suisse lorsqu’on est contre un projet de loi,
on a la possibilité de lancer un référendum et donc on est moins enclin à manifester, faire des grèves, etc. Même si
cela pourrait être considéré comme mieux cela ne fait pas partie de la culture politique suisse.
Rappel - path dependency : il est difficile de faire des changements, les politiques qui se sont développées pendant
longtemps sont institutionnalisées. On retrouve deux mécanismes qui rendent difficile le changement, cela est dû à la
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logique des conséquences et à une logique sociale. On peut relier ces deux mécanismes aux limites de la rationalité,
on est limité par nos valeurs.
1 - Car les individus ont des limitations cognitives computationnelles et car l’information est imparfaite ,
difficile d’accès (search costs) et on est dans une situation d’incertitude : les acteurs n’ont pas les moyens
intellectuels pour cherche l’information qui a un coût important. Les acteurs doivent décider en situation d’incertitude
et d’informations imparfaites, c’est donc une rationalité limitée. Cela ne veut pas dire que les individus ne peuvent pas
prendre de décisions. Il faut essayer de réduire l'incertitude et ce notamment avec nos valeurs. On va être aidé pour
décider par une idéologie qui réduit les complexités. Les raccourcis simplifient également les problèmes.
2 - Car objectifs pluriels et parfois contradictoires sans possibilité de hiérarchisation (encore plus si
l’acteur est collectif : l’approche de la rationalité limitée ne considère par que les acteurs sont capable de hiérarchisé
entre des objectifs pluriels.
Shortcuts empruntés à l’environnement : par exemple, lors de votations, les individus doivent voter sur des enjeux
complexes et la documentation demande de l’investissement. On peut s'accrocher à des points focaux, faire un
raccourci en regardant les recommandations de vote des partis (raccourci informationnel). On emprunte des raccourcis
à notre entourage, notre environnement, etc.
Recherche de satisfaction plutôt que maximisation : toutes ces limitations font qu’un acteur défini comme étant
d’une rationalité limitée aura des objectifs de rationalisation moins ambitieux qu’un acteur dans un principe de
rationalité absolue. Pour la rationalité absolue ont cherche à maximiser le bien-être, scanne toutes les décisions
possibles, les classe et hiérarchise pour maximiser la décision. Un acteur en situation de rationalité limitée sera moins
ambitieux dans cet effort, ne scanne pas tout puisque certaines options lui sont moralement insupportables (rôle des
valeurs) ou qu’il ne les connaît pas.
2.1. CHARLES LINDBLOM, L’ART DE LA DÉBROUILLARDISE
Plus un acteur est confronté à de l’incertitude (complexité, manque de familiarité, problèmes
d’information), plus il recourra à des «shortcuts», plus il calculera : la vision de Charles Lindblom est antisinoctide. Cela signifie qu’il est contre le fait d’avoir une vue d’ensemble et de décider sur cette vue d’ensemble. Pour
Lindblom cela ne sert à rien d’avoir une vision sinoctide car en pratique on va se heurter à des opposants, on va devoir
négocier. Il a développé la formule de the science of muddling through et donc que les décideurs développent l’art de la
débrouillardise. Il présente deux exemples où l’on fait avec ce que l’on a (incrémentalisme et garbage can) mais son
modèle est excessivement pessimiste de la capacité des acteurs à prendre des réformes d’envergures (vision des
incrémentalistes et de la path-dependency).
1 - Incrémentalisme sur l’impossibilité de réformes (ex. side-payments, log-rolling, etc.) : l’approche
incrémentale est l’idée qu’on ne peut pas introduire beaucoup de rationalité dans les processus décisionnels car les
marchandages guident la décision. Les acteurs épuisent leurs rationalités dans des considérations tactiques pour
bricoler des compromis et cet épuisement empêche une vision plus rationnelle. C’est l’un des reproches adressés au
système politique suisse, il n’y a pas de vision à long terme car trop d’acteurs, de lieux de veto, de point d’ancrage,
etc. Différents dispositifs permettent de réduire cet effet pervers.
-
Side-payments : c’est la capacité des décideurs à compenser les perdants d’un processus décisionnel. Cela
implique souvent de produire des décisions qui sont des paquets cherchant à convaincre le plus de monde
possible. On considère que c’est un modèle qui a largement dominé dans les petits pays développés d’Europe,
des pays corporatistes dans lesquels les politiques économiques et sociales sont formulées et préparées dans des
structures de concertations entre différents groupes d’intérêts. Les paiements annexes permettent de réduire
l’incrémentalisme.
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Log-rolling : concept appliqué aux travaux sur les parlements. C’est le même principe que celui de la réciprocité
développée dans le temps qui requiert la durabilité des interactions. Le log-rolling est de faire une concession
aujourd’hui dans l’espoir d’une concession dans le futur. Cependant, ici on tient compte de l’intensité des
préférences. Pour les partis politiques et l’issu-ownership, chaque parti essaye de s’approprier un enjeu qui leur
importe fortement. Le système majoritaire ne tient pas compte de l’intensité des préférences ; il y a un risque
qu’une majorité qui a une intensité de préférence faible impose sa décision sur une minorité dont l’intensité de
préférence est forte. Il n’y a pas de mécanismes de pondérations des préférences dans le système démocratique.
Cependant l’intensité permet d’influencer la réciprocité ; on fait des concessions sur quelque chose qui n’est pas
central mais important pour l’autre dans l’attente d’une réciprocité sur quelque chose d’intensité forte pour nous.
C’est un coût faible pour le premier mais très important pour l’autre. Ce genre de concession permet d’aller au-delà
de l’ajustement à la marge tel que décrit par l’approche incrémentale.
2 - Garbage can sur la dimension aléatoire et non programmable des processus de décision : c’est un
modèle de décision qui remet fondamentalement en question la rationalité de la décision ; il y a des problèmes et des
solutions et on associe au hasard un problème et une solution. On ne sait pas si empiriquement cela se passe de
manière aussi aléatoire ; même s’il y a des limites à la rationalité des acteurs, on peut se demander si les choses
relèvent uniquement du hasard. L’intérêt du modèle est de montrer qu’il peut y avoir du hasard. Par exemple lors de la
problématisation il y a une influence des focusing events. Ce modèle a servi d’inspiration pour une autre approche
décisionnelle, celle des courants multiples ; il y a du hasard mais aussi des entrepreneurs politiques qui forcent le
hasard, qui sur la base d’événement aléatoire arrive à persuader qu’il faut prendre telle ou telle décision. Le focusing
events existe en soi mais en tant qu’entrepreneur politique il faut être capable de le dramatiser.
2.2. L’APPROCHE EMPIRIQUE
Plus un acteur est confronté à l’incertitude (complexité, manque de familiarité, problèmes d’information),
plus il recourra à des shortcuts (Mintz et DeRouen) : lorsque les acteurs ne sont pas familiers avec les enjeux,
lorsqu’ils ont des problèmes d’accès ou de traitement de l'information, ils sont plus susceptibles de faire recourir à des
raccourcis/shortcuts. L’idéologie par exemple est un réducteur d’incertitude.
Plus un enjeu est important, plus il calculera (Payne et Bettman) : le décideur est adaptatif, il n’utilise pas les
mêmes clés selon la situation dans laquelle il se trouve. Lorsqu’un enjeu est perçu comme important, les acteurs se
mettent à calculer. L’importance de l’enjeu est liée à des mécanismes des calculs plus sont complexes. Le contexte
compte donc.
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C. AUTONOMIE RELATIVE DE LA MISE EN OEUVRE
Initialement un angle mort dans l’analyse : à l’origine la question de la mise en oeuvre des politiques publiques
était restée une boîte noire. On a commencé à s’en préoccuper aux USA lors des grands programmes de luttes contre
les inégalités, etc. des années 1960-70 où on s’est rendu compte que ces programmes ne déployaient pas les effets
attendus, voir avaient des effets pervers. On en a conclut que pour différentes raisons il se passe des choses lors de la
mise en oeuvre des politiques publiques et donc c‘est une étape des politiques publiques qu’il faut étudier en soi.
Mais pas une étape nécessaire (politiques symboliques, effets d’annonce) : cependant, si on reprend le
modèle séquentiel il faut garder à l’esprit que ce modèle est schématique et aussi que toutes les étapes prévues dans
un processus décisionnel ne se passent pas. Parfois des décisions sont prises mais ne sont pas exécutées. Ce sont
les politiques que l’on qualifie de symboliques ; il s’agit de mots, de déclarations, des décisions en bonne et due
forme, etc. mais sans action. Les politiques symboliques sont souvent des politiques où il y a une demande d’action et
où les autorités politiques déclarent qu’elles vont s’en occuper mais sans que cela soit suivi des faits. Ces politiques
fonctionnent uniquement avec les mots et les discours qui cherchent à sécuriser le public. On espère que les
déclarations d’intentions vont satisfaire les demandes. Cela peut arriver pour plusieurs raisons. Parfois les pouvoirs
publics ne veulent pas s’occuper d’un problème mais que s’ils ne le font pas cela aura des conséquences négatives.
Les pouvoirs publics peuvent également ne pas avoir les moyens, les ressources nécessaires. Les discours ont donc
un effet persuasif.
-
«How to do things with words» (John Austin) : les mots ont un pouvoir performatif. Les mots peuvent changer
les choses, sans que cela ne soit suivi d’actions.
-
«Words that succeed and policies that fail» (Murray Edelman) : les politiques symboliques sont aussi un
moyen de se donner bonne conscience. Les politiques sociales sont selon Murray Edelman sont des politiques qui
n’ont pas d’effet tangible, soit des politiques qui échouent, mais les mots eux réussissent. Les pouvoirs publics
tranquillisent les citoyens avec leurs discours. Les approches des politiques symboliques mettent en avant l’écart
entre les discours et les actes et essayent d’expliquer pourquoi il y a un écart entre les discours et les actes.
-
«Organizatioal hypocrisy» (Nils Brunsson) : Brunsson nous dit qu’une organisation a un certain nombre
d’objectifs qui lui sont assignés. En vérité, l’organisation ne remplit pas ces objectifs et ce pour plusieurs raisons ;
doit se légitimer elle doit faire autre chose que ce qui lui a été assigné à l’origine. Elle développe un discours qui lui
est conforme au but initial mais en réalité elle fait autre chose. C’est l’hypocrisie organisationnelle. Cela n’a pas de
charge normative, Brunsson nous dit que l’hypocrisie organisationnelle est l’écart entre ce que dit et ce que fait
l’organisation et cela se fait par des raisons qui peuvent s’expliquer.
Phase d’incertitudes car décisions ambiguës - rationalité limitée ou compromis stratégiques, consensus
contradictoires comme coalition magnet : dans les premiers travaux des politiques publiques on s’est étonné de
la non-mise en oeuvre de politiques publiques et on retrouve une dimension normative sans ce poser la question de
savoir si les décideurs eux-mêmes avaient délibérément décidé de la non-mise en oeuvre. C’est une phase
d’incertitude, notamment car les textes législatifs sont ambigus et laissent une marge d’interprétation pour la mise en
oeuvre. Cette ambiguïté peut être mise en lien avec la rationalité limitée, ils ne peuvent pas tout prévoir, des situations
leur échappent, etc., laissant une marge d’interprétation.
Ambiguïté délibérée comme compromis stratégiques : cependant, cette ambiguïté peut être délibérée et utilisée
à des fins stratégiques. Pour arriver à ces fins il faut construire des systèmes de coalitions qui se font entre des acteurs
qui n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts. Il s’agit donc d’opérer des compromis et souvent c’est plus facile si
ce dernier est ambigu.
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Exemple des consensus contradictoires (Palier) : c’est lorsque des acteurs se mettent d’accord sur une décision
mais pour des raisons différentes voire même opposées. En Suisse une des révisions de l’assurance chômage en
1990 fait partie de ces révisions qui ont réussi car «équilibrée». Dans le cas d’espèce, la gauche et la droite se sont
mises d’accord mais pour des raisons différentes. Un moyen d’introduire des réformes est de créer des coalitions
autour de mesures communes qui suscitent des soutiens assez larges mais pour des raisons différentes. Des
approches mettent l’accent sur les coalitions pensent qu’elles se construisent autour de croyances communes. Palier
lui parle de magnet, d’aimant qui fait que différentes parties de la coalition collent entre elles autour d’un consensus
contradictoire. Une des raisons pour lesquelles la phase de mise en oeuvre est une phase d’incertitude est que, de
manière voulue ou non, il subsiste des notions ambiguës qui laissent de la marge à l'interprétation.
Fenêtre d’opportunité et «forum shopping» pour acteurs défaits lors des phases antérieures - Eugene
Bardach (1977) - The Implementation Game - what happens after a bill becomes a law : lors de la mise en
oeuvre il y a des comportements stratégiques déployés par les acteurs. L’argument est que lorsqu’on prend une
décision il y a des gagnants et des perdants. Les perdants, s’ils sont des acteurs rationnels, vont se dire que peut-être
une bataille est perdue mais pas la guerre et peut, partiellement du moins, se refaire lors de la mise en oeuvre. Si on a
perdu par exemple au parlement il y a des configurations sur le terrain qui est plus favorable. Cette fenêtre
d’opportunité va être exploitée. Les acteurs politiques ont plusieurs lieux dans lesquels ils peuvent intervenir (forum).
Des acteurs rationnels qui ont des points de vue à faire valoir vont faire du shopping de forum. La mise en oeuvre de la
loi est l’un de ces forums, un lieu de recours. La conséquence de cette autonomie de la phase de mise en oeuvre est
que ce qui se passe sur le terrain n’est pas nécessairement conforme à ce qui est prévu sur le papier. C’est la raison
pour laquelle qu’on parle parfois de phénomènes de traductions des lois.
Accent sur interprètes et pas sur composition (Lascoumes-Le Galès) : lors d’une traduction il est difficile d’avoir
une traduction mot pour mot, il y a une marge présente pour l’interprétation. Étudier la phase de mise en oeuvre
revient à mettre l’accent sur les interprètes, sur les acteurs de la mise en oeuvre plutôt que sur le texte initial (qui peut
être ambigu).
1. EXEMPLE DU FÉDÉRALISME EN SUISSE
Monica Battaglini et Olivier Giraud (2003) - Policy Styles and the Swiss Executive Federalism : cette étude a
été faite après la mise en oeuvre de la révision de la loi sur le chômage, la LACI de 1995. C’est un compromis qui
repose sur la logique du consensus contradictoire. Il y a eu d’autres révisions de la législation sur le chômage en
Suisse qui n’étaient pas basées sur des consensus contradictoires, beaucoup plus polarisés mais qui sont quand
même passés.
LACI (1995) - consensus contradictoire, contrôle et réinsertion : cette révision de la législation sur le chômage
impliquait un dispositif de contrôle sur les personnes aux chômages, l’idée que pour bénéficier d’allocations chômage
il fallait une contrepartie (recherche d’emploi, formations complémentaires, etc.) avec un organe de contrôle. La droite
était pour car cela impliquait un renforcement du contrôle des chômeurs. Cependant la révision a aussi été soutenue
par la gauche et ce pour d’autres raisons. Cela était dû au fait que la révision introduisait des organismes qui
n’existaient pas avant, les offices régionaux de classements, des instances régionales mieux dotées que les services
de chômage des petites communes et la gauche s’attendait à une mise en place d’un soutien aux chômeurs. L’Etat
n’intervenait pas uniquement pour contrôler mais également soutenir.
Fédéralisme d’exécution et ‘mondes’ de la mise en oeuvre, fédéralisme de traduction : l’étude de Giraud et
Battaglini cherche à comprendre comment cette législation ambiguë a été mise en oeuvre par les cantons (vs
fédéralisme américain). Ils font l’hypothèse que l’accent de la mise en oeuvre est différent selon les cantons et
essayent d’expliquer pourquoi. Ils font une typologie des mises en oeuvre. On peut parler de monde de mise en
oeuvre dans la mesure ou la réalité de la mise en oeuvre sur terrain n’est pas la même selon les quatre groupes. Les
quatre types correspondent aux quatre possibilités théoriques ; on peut chercher à poursuivre les deux objectifs
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contradictoires, à privilégier l’un des deux ou finalement faire une politique symbolique. Les deux acteurs arrivent à
expliquer pourquoi dans tel ou tel groupe de canton on adopte un type de mise en oeuvre plutôt qu’un autre.
1. Mise en oeuvre partielle orientée vers réinsertion (JU, VS, TI, FR, VD et autres) : des cantons ont mis de
côté ou considéré comme secondaire la question du contrôle et plus mis l’accent sur la réinsertion. Il s’agit des
cantons latins. Dans ces cantons les syndicats sont plus forts, la gauche est relativement plus forte (pas
nécessairement majoritaire), dans lequel le parti démocrate-chrétien est orienté plus vers la gauche et une
population favorables à des mesures de politiques sociales.
2. Mise en oeuvre «maximaliste» (BS, LU, SO et plusieurs autres cantons Alémaniques) : plusieurs cantons
alémaniques ont fait une mise en oeuvre maximaliste ou fidèle au texte législatif dans lesquels on a essayé de
mettre en place l’ensemble du dispositif. Selon les auteurs il y a une gauche moins forte, des positions moins
affirmées de la population et un critère peu démontré dans leur étude qui est le légalisme de l'administration (une
déférence plus poussée).
3. Mise en oeuvre partielle orientée vers contrôle (UR, NW, OW (faibles niveaux de chômage) : la mise en
oeuvre de droite, l’accent mis sur les processus de contrôles. Ce sont des petits cantons peu urbanisés et peu
industrialisés, quasi-absence des syndicats, conservatisme social du PDC. On voit l’importance du terrain
idéologique et des rapports de forces locaux qui influent sur la mise en oeuvre.
4. Mise en oeuvre minimaliste (AR, AI, idem) : il n’y a pas eu grand-chose de fait et heureusement il s’agissait de
canton où le niveau de chômage était faible. On peut se dire que c’est rationnel de petits cantons face à une
pression du problème faible chez eux.
Ambiguïté des législations : on voit donc que les législations sont souvent ambiguës et c’est l’une des causes de
l’autonomie de la mise en oeuvre de la législation. Elle peut être ambiguë à cause des limites cognitives des acteurs ou
encore pour des raisons stratégiques.
2. GERDA FALKNER ET OLIVER TREIB (2008) - THREE WORLDS OF COMPLIANCE OR FOUR ?
Transposition directive Union européenne dans la législation nationale : certains disent que l’UE est un
système politique fédéral. On peut dire qu’il est quasi-fédéral, qu’il dispose de caractéristiques assez proches du
fédéralisme. Une partie de la législation européenne est mise en oeuvre par des administrations nationales. L’UE n’a
pas beaucoup de prérogatives sur le champ du social mais peut édicter des directives, notamment ici sur le travail.
Cette étude porte sur la transposition de ces directives dans la législation nationale. Il faudrait plutôt parler de
traduction, l’esprit des directives est indigéniste, il est réinterprété par les gouvernements et les administrations
nationales. Cette étude a pour objectif d’identifier des types de mise en oeuvre qui sont différents selon les groupes de
pays. Ils en distinguent quatre qu’ils appellent des mondes législatifs.
1. Word of law observance (pays nordiques) : le premier monde est celui de l’observation de la loi, le monde de
la transposition fidèle où les administrations nationales ne se posent pas la question de comment transposer mais
juste transpose. Ils agissent selon une logique de convenance ; que convient-il de faire (logique normative). On ne
se pose pas la question de savoir si la traduction doit être fidèle ou non.
2. Word of domestic politics (A, B, D, N, Sp, UK) : ce groupe de pays est hétérogènes mais ils ont en commun
que lors de la mise en oeuvre nationale ce sont des considérations de politique internes qui prévalent. Ici on est au
contraire de la logique de convenance, on est dans la logique des conséquences. La transposition de chaque
directive donne lieu à une analyse de type coûts/bénéfices qui est le résultat des rapports de forces internes.
Qu’est-ce qui est le plus payant de faire ? On parle de word of domestic politics car c’est le rapport de force dans
le jeu politique national qui va déterminer le degré de mise en oeuvre. La phase de mise en oeuvre est donc
politisée et avec des conflits.
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3. Word of transposition neglect (F, GR, L, P) : on observe une transposition négligente qui peut avoir deux
origines. On retrouve la posture d’arrogance nationale qui consiste à penser que la position nationale est meilleure.
L’autre facteur est l'inefficacité administrative à mettre en oeuvre.
4. Word of dead letters (IRL, I, CZ, H, SL, SK PL) : c’est le monde des lettres mortes. On peut critiquer la
distinction avec le monde de la transposition négligente puisque les résultats sont les mêmes. Ce quatrième
monde regroupe pour l’essentiel les pays de l’élargissement européens.
Si la phase de mise en oeuvre est une phase dans laquelle il se passe des choses, c’est principalement rendu possible
par l'ambiguïté des législations et qu’il y a des cultures de mise en oeuvre différentes.
3. CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES DE LA MISE EN OEUVRE
3.1. RESSOURCES ÉTATIQUES
Faiblesse des ressources étatiques : parfois si la mise en oeuvre ne se passe pas comme cela était prévu ce n’est
pas nécessairement parce que l’administration ne le veut pas mais qu’elle ne peut pas. Il faut donc raisonner sur les
ressources dont disposent les pouvoirs publics pour conduire des politiques publiques. La mise en oeuvre de
politiques publiques peut nécessiter un recours à différents types des ressources et que ces mêmes ressources
peuvent faire défaut.
TYPOLOGIE DES RESSOURCES
VELDUNG - CARROTS, STICKS AND SERMONS
Carrots
Veldung fait une typologie métaphorique et nous dit que les pouvoirs publics disposent
principalement de trois types de ressources. Les carottes font miroiter des choses attrayantes pour
faire accepter des politiques publiques, ce sont des politiques d’incitations
Sticks
Le consentement est obtenu par les incitations positives, le bâton peut être les incitations
négatives, les menaces, les sanctions, etc. Pour reprendre l’exemple de l’UE, la commission
européenne peut - suite à une longue procédure - sanctionner un État pour n’avoir pas mis en
oeuvre une directive. C’est la menace qui produit le comportement désiré, pas la carotte.
Le troisième type de ressources utilisé peut être les sermons, c’est-à-dire le recours à l’information,
à la persuasion, etc. C’est convaincre que c’est ce qu’il faut faire sans menace ou récompense, ce
qu’on appelle parfois soft-law. Cette typologie présuppose que les pouvoirs publics a à sa
Sermons
disposition ces ressources. Par rapport à la sanction par exemple, les personnes qui risquent d’y
être soumises peuvent savoir que l’État n’a pas réellement les moyens de les poursuivre. Dans les
contextes de mise en oeuvre on peut constater que ces ressources peuvent être utiles mais
peuvent aussi ne pas exister du tout ou dans des quantités insuffisantes.
HOOD - NATO
Les pouvoirs publics doivent disposer d’autorité auprès des destinataires de politiques publiques
pour obtenir leur consentement. L’autorité est une ressource centrale pour la mise en oeuvre de
politiques publiques. Si les contribuables potentiels n’estiment pas que le gouvernement agit de
Autorité
manière acceptable on va considérer qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’autorité pour
imposer la taxation. L’autorité peut facilement faire défaut. Pour le phénomène nimby on estime
que les décisions génèrent des coûts concentrés défavorables à tel ou tel environnement, l’autorité
à un déficit d’autorité dans une communauté locale.
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Trésor
Toutes les politiques publiques ne sont pas coûteuses mais beaucoup le sont. Pour avoir des
mesures de politiques sociales il faut pouvoir les financer. L’argent peut facilement manquer.
Organisation
Pour mettre en oeuvre des mesures il faut une bureaucratie, une organisation, etc. qui peuvent
parfois être insuffisantes par rapport aux objectifs assignés.
C’est le fait que pour les pouvoirs publics d’être au centre d’un réseau de communication et donc
d’avoir une capacité a communiqué avec leur environnement. Par exemple, cela peut être pour
produire des sermons acceptables (Veldung). Hood désagrège cette nodalité en deux dimensions.
Nodalité
La première est que les pouvoirs publics doivent être en mesure de produire des discours qui vont
convaincre leurs environnements. Cela peut être lié à d’autres facteurs (autorité, argent, etc.). La
deuxième dimension va dans l’autre sens, c’est la capacité des pouvoirs publics à recevoir de
l’information.
Problème du manque de ressource : les politiques publiques reposent sur des théories causales sous-jacentes. Si
les pouvoirs publics n’ont pas d’informations adéquates, la théorie causale est erronée et les politiques publiques vont
échouer. Par exemple, les pouvoirs publics français se sont rendu compte qu’il y avait des problèmes dans le
comportement des transporteurs qui avaient tendance à rouler trop vite, à ne pas respecter les horaires, etc. Les
pouvoirs publics ont donc essayé de réguler le comportement de ce groupe cible. Cela n’a pas fonctionné parce que
si les conducteurs de camions se comportaient ainsi c’était parce qu’ils étaient mis sous pression par ceux qui leur
confiaient la marchandise. Les pouvoirs publics n’avaient pas vu cela car les transporteurs sont un maillon visible du
fonctionnement social alors que ceux qui leur confiaient les travaux n’offraient pas les informations nécessaires aux
pouvoirs publics. Les pouvoirs publics avaient donc un manque d’information et donc une théorie de l’action faussée.
Il y a donc un décalage entre les objectifs des pouvoirs publics et les moyens dont ils disposent. Ce décalage peut
conduire à des problèmes de mise en oeuvre.
3.2. COMPLEXITÉ SOCIALE
Difficultés de compréhension de la complexité sociale : une des raisons pour lesquelles les pouvoirs publics
n’ont pas suffisamment d’outils de mise en oeuvre est qu’ils sont confrontés à une situation de complexité. Les
pouvoirs publics agissent face à une société qu’ils ne peuvent pas connaître suffisamment, les mécanismes sociaux
sont trop complexes pour être perçu correctement par les pouvoirs publics. Il est important pour les politiques
publiques de développer les antennes nécessaires pour comprendre les phénomènes sociaux. C’est par exemple le
développement de l’expertise. Les pouvoirs publics intègrent souvent dans les prises de décisions les groupes
d’intérêts et ce - entre autres - parce qu’on sait qu’ils ont un savoir local. Cela rappelle également le modèle d’Easton,
souvent les pouvoirs publics sont confrontés à une multitude d’inputs qu’il faut trier, hiérarchisé et donné sens.
Trois types de complexité - complexité sociale, institutionnelle et des problèmes (J. Dryzek) : concernant la
complexité institutionnelle, les systèmes de prises de décisions peuvent être plus ou moins complexes. Chaque fois
qu’il y a un lieu de veto cela introduit une nouvelle incertitude. Un système fédéral par exemple implique que ceux qui
produisent les décisions et deux qui les mettent en oeuvre ne sont pas les mêmes contient un certain nombre de
complexités institutionnelles. Pour la complexité des problèmes, les problèmes sont difficilement maîtrisables. La
complexité des problèmes vient doubler une éventuelle complexité institutionnelle. Le dernier niveau de complexité est
la complexité sociale. Cela veut dire que dans les politiques publiques intervient un grand nombre d’acteurs sociaux
avec des intérêts, des préférences, des croyances, etc. différentes. Des sphères sociales fonctionnent avec des
logiques différentes, c’est un monde social pluriel. Weber parlait de l’existence d’un polythéisme des valeurs, l’idée que
dans les sociétés modernes ont retrouvé plusieurs valeurs en concurrence et il n’est pas possible d’avoir une
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hiérarchie entre ces valeurs, elles sont en conflit les unes par rapport aux autres. Ce sont des dimensions de la
complexité qui peuvent être présentes de manière plus ou moins forte chacune mais qui pèsent sur la conduite des
politiques publiques.
Exemple des publics du RMI (consensus contradictoire) - complexité sociale et des problèmes : le RMI a été
un dispositif de politiques sociales en France intitulé le revenu minimum d’insertion et qui est un cas de processus
ambigu ou contradictoire. La gauche a soutenu cette mesure car elle était censée donner un revenu aux catégories les
plus vulnérables de la population et la droite a soutenu cette mesure car ce revenu n’était pas inconditionnel et devait
répondre à un effort de la part des potentiels bénéficiaires, dont des mesures de réinsertion. Pour la complexité des
problèmes, un élément est que - parfois - ce n’est pas facile d’identifier les bénéficiaires d’une mesure. Les problèmes
rencontrés sont proches des problèmes des grandes mesures étasuniennes ; une partie des potentiels bénéficiaires
n’ont pas recouru à cette mesure.
❖ Difficile de cerner les catégories de bénéficiaires initialement visées («non-usage des droits») : pendant
longtemps on a considéré comme implicite que les gens avaient des droits et allaient les faire valoir. Or, certaines
catégories de la population ne font pas valoir leurs droits. Par exemple, des catégories de la population peuvent ne
pas être visibles, des personnes pas enregistrées du point de vue de leur domicile et donc les services sociaux ne
peuvent pas les identifier. La deuxième raison peut être que des populations sont identifiées mais ne font pas ce qui
est attendu d’elles pour recevoir les prestations.
❖ Clientèles inattendues bien «coachées» : il s’agit de groupes à faible revenu (agriculteur, étudiants, etc.) dont il
est apparu qu’ils remplissaient les critères pour obtenir le RMI alors que les pouvoirs publics n’avaient pas anticipé
ces groupes-là. Cependant, la législation était suffisamment imprécise pour laisser des interstices qui permettaient
à ces groupes d’être des bénéficiaires. Ces groupes avaient aussi la particularité d’avoir des organisations derrière
eux qui ont permis de coacher ces personnes pour qu’elles revendiquent aussi d’être bénéficiaires. La
problématique de la configuration des publics cibles est donc un aspect complexe de la mise en oeuvre des
politiques publiques.
4. VISION DE LA (NON) MISE EN OEUVRE DANS LA SCIENCE DES POLITIQUES PUBLIQUES
D’abord, focale sur les limites du pilotage («Steuerungsdefizite») et de la planification («top down») : on a
longtemps eu en politique publique une vision positiviste du droit et donc une vision hiérarchique du droit. Cela signifie
que si à un niveau de la hiérarchie les choses ne se passent pas de la manière prévue, c’est perçu comme un déficit et
donc que l’absence d’effet d’une loi était un problème. Dans ces premiers travaux on a essayé de comprendre les
sources du problème. L’explication était d’ordre plutôt sociologique. Par exemple, Luhman postule que les tentatives
de régulation du système politique sont condamnées à l’échec car perçue comme des intrusions illégitimes dans le
fonctionnement autonome de ces systèmes. Les acteurs de la société vont donc être rétifs à ces réglementations et
s’y opposer. On parle de déficit de pilotage. Luhman pense cela car il voit la société comme fragmentée entre divers
espaces autonomes mais il faut reconnaître que les individus ont de bonnes raisons de ne pas suivre nécessairement
des règlements.
Première phase des travaux sur l’école du «Akteurzentrierter Institutionnalismum» (Mayntz & Sharpf, Max
Planck Institut de Cologne) : d’autres travaux sont entrés en débat avec Luhman en ne partageant pas son
pessimisme car, sous certaines conditions, le pilotage politique reste possible. Eux parlent d’institutionnalisme centré
sur les acteurs. Dans un premier temps ces travaux ont partagé la vision positiviste des politiques publiques et ont
cherché à expliquer les déficits. En cette période, les États essayaient de planifier la société mais on s’est rendu
compte que cela ne fonctionnait pas. Les travaux du Max Planck ont essayé d’expliquer ces déficits par les réactions
des publics visés et ce de manière imprévue (ex. RMI). Ces travaux remettent en question les conclusions pessimistes
de Luhman car si on se centre sur les acteurs on retrouve une marge de négociation ; le pilotage politique est possible
mais à condition que les pouvoirs publics négocient avec les destinataires (ex. négociation avec nimbystes).
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Puis vision plus politique - la mise en oeuvre comme analyseur de la politique publique : finalement on voit la
mise en oeuvre comme un ensemble d’activités hétérogènes impliquant une multitude d’acteurs à comportements
imprévisibles («bottom up»), comme par exemple avec des ordres locaux avec des rapports de forces spécifiques
(réactions des publics) impliquant des négociations (gouvernance coopérative). L’apport des travaux allemands a été
de montrer la place de la négociation dans le pilotage politique. Cependant, ces travaux ont évolué en quittant
progressivement cette vision hiérarchique des politiques publiques, notamment sur la question des «problèmes» de la
mise en oeuvre. Ils ne sont plus vus comme des déficits mais comme des révélateurs ; si des choses ne se passent
pas comme prévu dans la mise en oeuvre, cela révèle des enjeux importants. C’est ce qu’on appelle la vision bottomup, on part de ce qui se passe sur le terrain pour comprendre les problèmes d’une politique publique et apprendre sur
celle-ci. Effectivement les problèmes sur le terrain sont liés au fait que la mise en oeuvre implique un grand groupe
d’acteurs et pas uniquement les «bureaucrates de terrains». La mise en oeuvre d’une politique publique est localisée
spatialement et les contextes locaux varient. On passe donc d’une vision moins formaliste et plus politique de la mise
en oeuvre.
Différentes traditions de recherche ont conceptualisé et cherché à expliquer les caractéristiques de la mise en oeuvre.
5. ANALYSE DES PP : COMPRENDRE LES ÉCHECS DES PROGRAMMES INTERVENTIONNISTES
Pressmann. Jeffrey L. & Aaron Wildavsky (1973) - Implementation : cet ouvrage s’inscrit dans la nouvelle vague
d’analyse des politiques publiques aux États-Unis avec les analyses de mise en oeuvre et notamment dans le contexte
des échecs des grandes réformes démocrates. L’étude montre comment le pouvoir fédéral a Washington créer de
grandes attentes et comment à Oakland cela crée des déceptions. Ces auteurs ont étudié la mise en oeuvre des
programmes de luttes contre les inégalités, Great society sur le plan local, par une organisation qui s’appelle la Oakland
Economic Development administration. C’est une agence fédérale, et même si c’est la même agence qui met en
oeuvre la politique publique, il y a toujours des écarts entre les intentions et les résultats. Cela est dû au fait que la
scène locale a une dynamique propre que les décideurs à Washington n’ont pas anticipée.
Conflits sur le terrain : on retrouve des conflits sur le terrain car les nombreux acteurs impliqués dans la mise en
oeuvre sont d’accord sur les objectifs mais pas sur les moyens, ont des priorités et des temporalités différentes. Pour
la temporalité cela peut être par exemple une contrainte électorale. Une des conclusions à laquelle les auteurs arrivent
que plus il y a d’étapes et de transactions dans la mise en oeuvre, plus il y a de chances que la décision initiale soit
mal ou non appliquée.
6. CHOIX RATIONNELS, THÉORIE DU PRINCIPAL-AGENT
Théorie de la délégation : la mise en oeuvre d’une politique publique est déléguée, notamment aux acteurs qui
interviennent sur le terrain. Le législateur fédéral suisse délègue la mise en oeuvre de politiques publiques aux
administrations cantonales, le législateur européen délègue la mise en oeuvre aux délégations nationales, etc. Les
travaux sur la délégation fournissent une explication possible des écarts entre les intentions du législateur et les réalités
du terrain. En politique il y a plusieurs éléments de délégation ; dans les démocraties représentatives les citoyens
élisent des représentants à qui ils délèguent leurs autorités. Dans la vie socioéconomique, les individus délèguent
également, notamment car il est estimé que certains ont des compétences que d’autres n’ont pas. C’est par exemple
la prise en charge de la santé par le corps médical.
Délégation réduit les coûts d’acquisition de l’information pour l’exécution d’une tâche, mais risques (coûts
d’opportunité) associés à l’incertitude de la production de biens de confiance («credence goods») : la
délégation a été principalement étudiée sous l’angle du choix rationnel et l’angle principal a été la délégation entre un
principal et un agent (principal agent theory). La délégation est vue comme rationnelle mais elle implique des risques.
Pourquoi est-ce que le comportement de l’agent peut il être différent de l’attente du principal (celui qui délègue) ? La
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délégation est rationnelle car elle réduit les coûts d’acquisition de l’information pour exécuter une tâche. On retrouve
des coûts d’opportunités. Le risque suprême est que la tâche dont on attend qu’elle soit produite ne soit pas ou mal
réaliser. On parle de production de bien de confiance. Il y a des risques concernant la production de ces biens de
confiances qui relève de la délégation car le principal et l’agent n’ont pas nécessairement le même système de
préférence.
Différences de préférences possibles (goal incongruence) et asymétrie de l’information pour l’agent,
agency loss, risque de «adverse selection», aléa moral («moral hazard») : les préférences de l’agent ne sont pas
nécessairement alignées à celle du principal (incongruence d’objectifs). Cela ne suffit pas pour créer une situation
problématique, un deuxième élément est l’asymétrie de l’information en faveur de l’agent ; il dispose de plus
d’information sur l’agent que la principale. C’est souvent le cas, on délègue principalement parce que la personne à
qui on délègue a plus d’informations. Le risque est donc que l’agent exploite l’asymétrie de l’information en sa faveur,
au détriment de la satisfaction des préférences et des objectifs du principal. Le risque est donc de choisir le mauvais
agent (agency loss). Le risque d’aléa moral est plus important si l’agent s’estime relativement à l’abri de sanction de la
part du principal. Pour les élections, un des mécanismes est le mécanisme de l’autorisation de prendre des décisions
à la place des citoyens. La sanction possible est la possible non-réélection. Le risque de sanction est crucial, est-ce
que l’agent agit à l’ombre de sanctions crédibles ou non ?
«Hidden action» et «hidden information» - comportement opportuniste de l’agent, remèdes : il y a
principalement deux risques de comportements opportunistes de l’agent. Ces approches du choix rationnel
considèrent les individus comme des maximisateur d’utilités et donc susceptibles d’avoir des comportements
opportunistes. On retrouve l’action cachée, le fait que l’agent fasse des choses que le principal ne peut pas voir ou
encore l'inaction cachée. Cependant, même si le principal peut voir il n’a pas nécessairement la bonne interprétation
ou la bonne expertise, c’est le problème de l’information cachée. La visibilité du comportement ne garantit pas
l’exécution fidèle aux voeux du principal car ce dernier n’a pas toujours les clés pour évaluer le comportement de
l’agent. Dès le moment où l’on délègue une tâche (mise en œuvre) c’est rationnel mais cela implique des risques. Les
théories de la délégation imaginent également des remèdes possibles à ces dérives.
SOLUTIONS EX ANTE ET EX POST
Prévention via sélection adéquate de l’agent et spécification ex ante de ses tâches, mais «search
costs» et limites prévisibilités («contrats imparfaits»)
1
Le premier remède possible est d’essayer de réduire le risque de sélection adverse en acquérant de l’information
sur l’agent. Le problème est ce que cela a un coût alors qu’on délègue pour éviter le coût de l’information.
L’autre possibilité et de spécifier le contrat, donner des instructions très précises à un agent. Le problème est
qu’il est difficile de tout prévoir. La théorie des contrats en économie parle du caractère imparfait des contrats
qui ne peuvent pas tout prévoir.
Dissuasion à travers une structure d’incitations adéquate - ombre du contrôle ex post mais coûts
«monitoring» (délégation avec risques : «fire alarms» et «lanceur d’alerte» vs «police patrols»)
Coût du monitoring : on peut agir avec le mécanisme des sanctions positives ou négatives. Ces mécanismes
2
ex-post fonctionnent indirectement, ce n’est pas tant la sanction qui compte mais l’anticipation par l’agent. On
est dans une perspective de choix rationnel ou ce qui modère les choix des acteurs est les systèmes
d’incitations qui facilitent certains comportements ou les rendent plus difficiles. Un exemple peut être celui des
gouvernements élus dont on attend qu’ils respectent les volontés des électeurs s’ils veulent être réélus. Pour
pouvoir décider s’il faut sanctionner ou pas, le principal doit être en mesure de contrôler. Or, c’est une entreprise
coûteuse.
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Monitoring - police patrols : on peut déléguer le contrôle mais cette nouvelle relation de délégation pose des
problèmes identiques. La théorie du principal agent traite de deux moyens d’exercer le contrôle ; mettre en
place des patrouilles de police. Ces dernières sont en action alors même qu’il n’y a pas encore de problème et
donc disponible. Cela revient à faire des inspections régulières du travail des metteurs en oeuvre (monitoring).
2
C’est coûteux et la plupart du temps il n’y a pas de problèmes. Un agent qui sait qu’il est périodiquement
monitoré implique un effet disciplinant.
Lanceur d'alertes : un autre mécanisme plus léger et donc avec des risques d'inefficacités plus élevés est le
recours à des lanceurs d'alertes qui ne sont pas nécessairement mandatés par le principal. Cela peut être les
groupes d’intérêts, les médias, etc. Le principal ne contrôle pas directement mais se repose sur la croyance en
l’existence de lanceurs d'alertes. Le risque est que ce système ne fonctionne pas.
Critiques de Edgar Kiser sur la logique de conséquence : pour la théorie du principal agent, chacun à un
comportement opportuniste. Kiser lui nous dit que ce n’est pas nécessairement le cas, car son action n’est pas
uniquement guidée par des motivations instrumentales. Dans l’approche du principal agent, l’agent agit selon une
logique des conséquences et donc en anticipant les conséquences de ses actes (blâme, non-réélection, etc.). Pour
Kiser c’est une vision réductrice, il existe des mécanismes qui réduisent le risque de comportements opportunistes.
Dans une relation de délégation, il y a croyance en l’autorité du principal de la part de l’agent et donc considérer que le
principal est légitime de prendre des décisions auxquelles les agents doivent se conformer. Les agents n’ont pas le
choix de se conformer ou non car ils sont imprégnés du sentiment d’autorité. La légitimité génère de la déférence de
l’agent par rapport au principal, cela génère du consentement même si les actions demandées ne correspondent pas
aux préférences de l’agent et ce en l’absence de sanction. «A belief that the ruler has the right to give orders and
officials have a duty to obey them».
Logique de convenance - N.I.S. vs N.I.C.R. : le comportement de l’agent est le comportement que l’agent estime
moralement approprié. Les deux approches ont raison, les risques de la délégation existent mais de même on sait que
dans une bureaucratie wébérienne qui fonctionne bien les ordres de la hiérarchie ne se discutent pas. Les mécanismes
de socialisations sont importants pour dissuader (moralement inacceptable). Ce n’est pas par hasard que les
institutions inculquent des normes à ses membres (institutionnalisme sociologique), c’est pour limiter la marge de
manoeuvre des agents, empêchant les décalages entre principal et agent.
7. SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS : ÉCARTS À LA RÈGLE
Philip Selznick (1949) - TVA and the Grass Roots. A Study in the Sociology of Formal Organizations : sur le
terrain de la mise en oeuvre il y a un écart par rapport à la règle. Différents travaux ont essayé de comprendre qu’estce qui conduit à cet écart. La sociologie des organisations a beaucoup travaillé sur l’écart à la règle. Selznick a travaillé
sur ce qu’il s’est passé lors du New Deal et étudie l’action d’une organisation en charge de ces travaux, l’autorité de la
vallée du Tennessee (TVA). C’est une de ces agences fédérales qui est chargée de mettre en oeuvre la politique de
développement voulue par les autorités fédérales mais ne va pas se comportement comme on aurait pu l’attendre et
les résultats ne correspondent pas aux objectifs des législateurs. Selznick nous dit que les objectifs étaient vagues et
laissaient une marge d’interprétation. La TVA n’avait pas de mandat spécifique à mettre en oeuvre. Selznick constate
que dans la mise en oeuvre ces objectifs sont édulcorés et donc toute la portée novatrice de ces politiques d’aide au
développement est remise en question (écart à la règle).
Survie de l’organisation comme fin en soi → adaptation à l’environnement comme contrainte →
déplacement de buts → capture d’agence : ce que Selznick démontre est que l’organisation a besoin d’être
reconnue par ses interlocuteurs sur le plan local. C’est un corps étranger mandaté par l’administration fédérale qui
vient changer les choses sur le terrain local. Les autorités fédérales sont loin, la préoccupation de légitimité envers
l’État fédéral est faible (Kiser). Sur le plan local il faut être légitime auprès des acteurs importants, ici les grands
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agriculteurs. Ces derniers ont plutôt intérêt à ce que la TVA ne soit pas trop interventionniste. La TVA a besoin de cette
légitimité locale, elle s’ajuste donc aux préférences des acteurs locaux (adaptation à l’environnement). C’est ce qu’on a
appelé la capture d’agent, elle est capturée par les agents qu’elle devrait plutôt réguler. La TVA a donc des
préoccupations qui font passer à l’arrière-plan sa déférence par rapport à l’autorité qui l’a mandaté.
Explication du comportement de la TVA : on ne peut pas expliquer ce comportement à travers la théorie du
principal-agent car la TVA aurait un comportement opportuniste en voulant la paix sur le plan local sacrifie les objectifs
pour laquelle elle a été mandatée. Pourtant, on a un acteur qui sur le plan local n’a pas vraiment le choix. Il a un tel
besoin de reconnaissance locale et cette reconnaissance passe par des compromis et la remise en question des
objectifs initiaux que la TVA n’avait pas vraiment d’alternatives. Selznick met l’accent sur le besoin de légitimation de
l’organisation. Ce besoin prime sur le plan local que celui envers l’autorité fédérale. La conclusion de Selznick est que
progressivement, grâce à cet ancrage local, la TVA se crée une légitimité locale, au prix du sacrifice des objectifs pour
lesquelles elle était mandatée. De plus, la déférence de la TVA envers les acteurs locaux implique son émancipation
par rapport à l’autorité fédérale.
Déplacement des buts : l’idée est donc que lorsqu’une institution se constitue, sa survie organisationnelle devient
son objectif premier. Cette survie peut impliquer des concessions, des compromis par rapport aux objectifs initiaux. Il y
a donc un déplacement des buts entre ceux définis par la loi et ceux mis en pratique par l’organisation. Cela permet
de comprendre pourquoi la mise en oeuvre des politiques publiques ne se passe pas comme prévu. Les organisations
sont dans des écosystèmes qui sont différents de ceux de la prise de décision.
Centre de sociologie des organisations (FR) : les chercheurs de ce centre avaient fait des séjours aux USA et
étaient en contact avec les études de sociologie des organisations. Cette étude est plus micro que celle de Selznick,
plus accès sur les interactions interindividuelles qui représentent des organisations.
Jean-Pierre Worms (1966), « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail : dans chaque département
français il y a un préfet qui représente le gouvernement central dans le département en question. Le préfet est l’agent
du pouvoir central et le ministre est le principal. On retrouve trois systèmes d’actions :
-
P-A 1 - État central - préfet : une première relation entre principal et agent est la relation entre l’État central et le
préfet. Le gouvernement central délègue son autorité sur le plan départemental.
-
P-A 2 - Électeurs - maires : une deuxième relation a priori différente est entre les maires et les électeurs.
-
A-A (non prévu : «transactions à la frontière») - Préfet - maires : Worms se focalise sur les relations entre les
préfets avec les maires, les notables locaux. Le préfet est en interactions avec ces maires et Worms nous dit que
dans ces interactions, il y a des attentes. Les électeurs s’attendent à ce que leurs élus expriment leurs préférences
auprès de ces représentants du pouvoir central, qui attendent des préfets qu’ils appliquent les objectifs de l’État
central. Ces attentes ne sont pas toujours les mêmes. Il y a potentiellement une source de conflit.
Zone de conflits potentiels : les préférences ne sont pas nécessairement les mêmes de tous les côtés. Ces conflits
potentiels peuvent être désamorcés selon Worms par des accommodements locaux, comme ce que l’on a vu avec la
TVA. Le préfet et les maires entrent en interaction et on pourrait imaginer que chacun veuille imposer sa voix. Worms
nous montre qu’en réalité, à la fois le préfet que les maires ont des comportements inattendus qui ne correspondent
pas aux attentes développées par leurs principaux respectifs. Le préfet, à force d’interagir avec les notables (maires),
commence à être sensible à leurs préférences et s’identifier à ces doléances. Il va transmettre ces mêmes doléances
vers le centre, changeant son rôle sur le terrain et devenant ainsi notable. Les maires connaissent un processus
analogue et finissent par tenter de convaincre leurs électeurs du bien-fondé des volontés du gouvernement et du
pouvoir central. Les interactions sur le terrain amènent les acteurs à changer de rôle, et ce via des interactions
inattendues. En terme de rôles sociaux, les acteurs endossent des rôles qui ne correspondent pas à ceux qui leur
étaient initialement attribués.
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8. AU CONFLUENT ENTRE SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES
Lipsky, Michael (1980). Street-level Bureaucracy; Dilemmas of the Individual in Public Services, Russell Sage Foundation
Importance des scènes locales et des acteurs locaux dans la mise en oeuvre : les scènes locales sont
importantes pour les mises en oeuvre de politiques publiques. Il y a un décalage entre les scènes de prises de
décisions et celles de la mise en oeuvre. De plus, il y a donc un besoin pour les metteurs en oeuvre de se donner de la
légitimité, notamment auprès des scènes locales. La théorie du principal-agent nous dit que l’enjeu est l’alignement de
l’enjeu du principal sur celui du principal, bien que le principal peut avoir des préférences différentes. Ce qu’on voit
avec le besoin de légitimité locale est que les agents doivent aussi aligner leurs préférences sur les groupes cibles. Sur
le terrain, les acteurs ont une certaine marge de manoeuvre, une certaine discrétion. Mêmes les acteurs tout en bas de
l’échelle administrative ont des ressources, mais ils ont également des contraintes, gérer leurs rapports avec le public
cible.
Street-level Bureaucracy (bureaucratie de guichet) - (Linpsky) : les acteurs individuels ont un rôle importance,
cela peut être des enseignants, des policiers, des juges, des travailleurs sociaux, etc. On se demande dans ces
recherches quelles sont les logiques d’actions de ces acteurs. Comment vont-elles utiliser leurs marges de manoeuvre
pour s’adapter à leurs environnements ? L’idée est celle du coping.
Marge discrétionnaire par rapport à la règle (ressource) et adaptation aux contraintes de l’environnement
(coping, shortcuts) : Le coping correspond à se débrouiller avec les contraintes de l’environnement et ce en
mobilisant les ressources qu’ils ont à disposition. Ce qu’ils peuvent faire c’est établir des priorités. Ces derniers vont
varier selon les lieux, les acteurs, etc. Pour gérer ces difficultés, les acteurs locaux édictent eux-mêmes des catégories.
Par rapport à des cas complexes, ils vont mettre en place des shortcuts, des manières standardisées de régler des
problèmes qui diffèrent selon les lieux. On retrouve par exemple l’écrémage des cas (creaming), tous les cas individuels
qu’ils doivent gérer ne sont pas de la même difficulté et donc les metteurs en oeuvre traitent en priorités les cas les
plus simples et laisse de côté les cas les plus compliqués. Même tout en bas de la hiérarchie les metteurs en oeuvre
ont une certaine marge de manoeuvre et l’utilise pour s’adapter aux difficultés de leurs environnements, qui souvent
n’ont pas été anticipées par la législation.
Exemple - empathie avec les administrés car : certains auteurs sont arrivés à la conclusion qu’au vu de la
difficulté pour les acteurs locaux, ils deviennent plus cyniques et laissent de cotés les dossiers difficiles. D’autres
travaux ont montré que les acteurs locaux développent de l’empathie. Cela peut avoir un impact dans la mise en
oeuvre puisque cela n’a pas été anticipé.
-
Confiance nécessaire - logic of consequences : c’est l’exemple de la TVA ; elle a besoin du soutien des
acteurs locaux, notamment les plus importants. Elle aligne donc ses préférences à celles de la population sur le
terrain (capture d’agence). On est dans la logique des conséquences, des acteurs qui calculent leurs intérêts à être
soutenu par leurs environnements. Le raisonnement des fonctionnaires de guichets est qu’ils ont besoin de la
confiance de leurs administrés, que des conflits ne sont pas dans leurs intérêts.
-
Compassion - logic of appropriateness : les metteurs en oeuvre commencent à éprouver de la compassion
pour des populations qui sont souvent dans des situations difficiles. On est dans une logique normative et de
convenance sur ce qu’il est bon de faire ; pas d’appliquer la législation à la lettre mais tenir compte des besoins des
administrés.
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D. REGARD EN RETOUR : L’ÉVALUATION
Formalisée versus sauvage (par les profanes) : l'évaluation est un processus formalisé, lorsque les décideurs se
penchent sur des décisions pour évaluer leurs effets. Ils peuvent le faire eux-mêmes (commission parlementaire) ou
mandater des experts. Cela a été le cas en Suisse concernant les mesures d’accompagnements sur la libre circulation
de la main-d’oeuvre européenne pour éviter le dumping salarial. Le SECO a trouvé des travaux d'économistes sur le
sujet mais ils étaient trop précis et ne permettaient pas une vision globale. Les partis politiques débattent sur ces
questions, tout comme les groupes d’intérêts, tout le monde, etc. Ils le font sur la base de leurs propres grilles
idéologique. L’idée de l’évaluation formalisée est de mettre en place une expertise. Parfois il est difficile pour les
experts de créer du savoir utile et parfois ce savoir est instrumentalisé par les décideurs.
Exemple - sunset legislation : c’est l’idée d’une législation provisoire qu’on prend une décision pour une période
déterminée et on ne reproduit cette décision qu’une fois soumise à évaluation à la fin. Il y a aussi des projets-pilotes.
En Suisse on dit que le fédéralisme sert souvent à cela, les cantons sont lieux d’expérimentations. La décision fédérale
intervient après une évaluation positive des expériences cantonales.
Pas seulement après mise en oeuvre (ex post) mais concomitante et ex ante (études d’impact) : dans le
schéma séquentiel, l’évaluation intervient après la mise en oeuvre. L’évaluation est vue comme l’évaluation de la mise
en oeuvre et va peut-être montrer que les choses ne se sont pas passées comme prévu. C’est donc en principe une
démarche ex post. C’est schématique, d’autant plus avec le développement de l’évaluation concomitante où on
évalue dès qu’on décide. Les évaluations ex ante sont possibles, c’est par exemple le cas des messages du Conseil
fédéral qui font des études d’impact. On essaye d’anticiper et de prévoir les effets, on réfléchit en termes de scénarios.
Cela peut donc être un moyen de persuasion.
Lien étroit avec les questions de mise en oeuvre (rappel des trois E) : effectivité, efficacité, efficience. Évaluer
l’effectivité d’une politique publique correspond à évaluer si elle est mise en oeuvre ou non. Pour l’efficacité c’est si elle
atteint ses buts et s’il y a des effets pervers. L’efficience est le rapport avec les coûts, est-ce qu’ils sont appropriés ?
Est-ce que cela mobilise d’autres types de ressources comme la mise en place de structure organisationnelle ? Cela
peut être au sens large, notamment en termes de pertes de légitimités.
Débats autour de la démarche d’évaluation : la démarche d’évaluation des politiques publiques est controversée.
L’idée est qu’on produit un savoir expert sur une politique publique qui devrait désamorcer des conflits, des
oppositions, etc., et donc dépolitiser les controverses. Cependant, ce savoir expert est lui-même discutable. La
démarche d’évaluation consiste à trouver des causalités.
Établissement de causalités outputs → outcomes délicats (démarche expérimentale : projet-pilote et
diffusion) : l’évaluation met en rapport des outputs et des outcomes, des résultats ou des états de la société qui sont
censés être les résultats de l’action publique. Pourtant, ce lien n’est pas toujours facile à démontrer et sujet à
controverse. Dans la démarche scientifique on procède de manière hypothético-déductive, l’hypothèse de relation
entre deux variables qu’on essaie de prouver. L’évaluation a donc aussi ses limites. Elle est censée produire de la
valeur ajoutée, montrer la pertinence des politiques publiques mais c’est une démarche qui est empreinte d’incertitude.
1. FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
Complexité des problèmes, des causalités, des formes de l’action publique : l’analyse des politiques publiques
s’est développée parce qu’il y avait de plus en plus d’actions publiques, la sphère de l’activité étatique s’est
développée et ce de plus dans un cadre complexe. Il y a une incertitude sur les causalités et donc il y a un besoin de
savoir expert. On retrouve aux USA le développement d’écoles de gouvernement.
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Réformes administratives : le changement de fonctionnement de l’administration a également eu un impact sur le
développement de l’évaluation des politiques publiques. Il y a eu de nombreuses réformes administratives, on a parlé
de new public management, de modernité administrative, etc. Ces réformes ont été mises en oeuvre de manière
différente selon les différents pays mais ont en communs plusieurs choses. Les États s’inspirent d’un corpus de
réformes commun mais les accommodent à leurs pays. On leur demande de mettre l’accent sur les résultats
substantiels.
Accent sur les résultats substantiels vs légalité procédurale (Bezès, souci de soi): le point commun est qu’on
a besoin de remplacer le besoin de légalité procédural par un accent sur les résultats. Si on reprend la bureaucratie
weberienne, cela repose sur une hiérarchie et donc on s’intéresse à savoir si l’action de la bureaucratie est en
conformité avec les normes. De plus en plus on s’est rendu compte qu’il fallait aussi s’intéresser aux substances, aux
résultats, si les politiques publiques avaient les résultats attendus (bien que sujet à controverse). Les réformes
consistent donc à demander à l’administration de moins suivre les procédures mais de produire des résultats. On
demande à l’administration d’avoir plus de marge de manoeuvre, en distinguant les chefs et la tâche de pilotage et
l’administration le ramage. Cet accent sur les résultats amène à développer une réflexion sur comment faire au mieux.
Bezès parle du développement du souci de soi de l’Etat, l’Etat se préoccupe de plus en plus de savoir s’il fait bien.
Mais variations comparatives (Jacob) : on s’est rendu compte que l’évaluation des politiques publiques se
développe dans les systèmes bureaucratiques mais se développement est relativement inégal. Cela dépend des
acteurs, des structures, des institutions, etc.
2. ÉVOLUTION DE L’ÉVALUATION
Évolution de l’évaluation : l’évaluation des politiques publiques telle qu’on la mène aujourd’hui n’est plus la même
qu’auparavant. On retrouve par exemple le fait qu’on ne fait plus uniquement des évaluations ex post. L’évaluation est
utilisée, mais c’est un savoir qui est destiné aux décideurs. Comment ce savoir est-il utilisé par les décideurs ? On peut
avoir une vision pessimiste et penser qu’ils l’instrumentalisent.
Tendances top down (point de vue imputé au législateur alors qu’objectifs souvent ambigus et
contradictoires) : l’évaluation des politiques publiques se faisait au début selon une logique top-down et donc
l’évaluateur se met dans la peau du décideur et s’interroge sur les effets déployés et s’ils correspondent aux objectifs
du décideur. Progressivement on s’est rendu compte que c’était une vision limitée. Il y a notamment le fait que lorsqu’il
s’agit de mettre en oeuvre des politiques sur le terrain les objectifs des législations ne sont pas toujours très précis
(capacités cognitives limitées, coalitions de causes) et que même s’ils sont précis sur le papier on n’est pas forcement
en mesure d’évaluer leur réalisation. Par ailleurs, la mise en oeuvre d’une politique publique révèle des éléments
inattendus, notamment des points de vue qui n’étaient pas nécessairement manifestes au moment de la prise de
décision. Il y a une démarche d’apprentissage qui implique de se mettre plus à l’écoute des publics cibles
(fonctionnaires de guichets).
Évaluation pluraliste (participative) : on essaye désormais d’intégrer plusieurs points de vue dans l'évaluation
d’une politique publique, pas uniquement les décideurs mais tous les acteurs dont le point de vue est légitime. Ce
n’est pas un exercice évident et cela implique parfois des controverses. Dans le cas de la politique de la drogue
étudiée par Kugler on peut se demander si le point de vue des nimby est légitime d’être intégré dans l'évaluation. C’est
ce qui a été fait car les décideurs ont pensé que cela était nécessaire.
Points de vue des «stakeholders» : un stakeholder est quelqu’un qui détient un enjeu, qui est considéré comme un
acteur qui a des intérêts légitimes dans une politique publique. Cela peut être parce qu’il est particulièrement affecté,
comme avec les nimbystes. L’idée est donc d’élargir les points de vue sur l’évaluation en ne restant plus uniquement
du point de vue des décideurs en essayant de voir ce que ces politiques apportent ou défavorise. Pour entendre ces
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points de vue il faut organiser des consultations, l’évaluateur fait donc plus un travail d’écoute et de mise en rapport
des différents points de vue.
3. DEUX DIMENSIONS DES USAGES DE L'ÉVALUATION
Usage de l’évaluation : l’évaluation est donc un savoir expert par des personnes qui peuvent l’analyser à l’usage des
décideurs. Il convient de se poser la question de ce que font les décideurs de ce savoir. On a vu dans le cas des
politiques européennes qu’il y a des variations selon les pays d’usage de ces directives. Il y a deux types d’usages de
ces évaluations.
1 - Prescriptions → cogitation (puzzling/problem solving) : l’idée est que parler de la conduite des politiques
publiques en termes de puzzling véhicule l’image de décideurs qui sont confrontés à des problèmes publics qu’ils
essayent de résoudre, ils réfléchissent donc dessus et sur les solutions les plus adéquates pour les résoudre. On parle
donc d’acteurs qui font preuve de réflexivité dans le puzzling.
État réflexif, apprentissage : cela implique que dans cette image de réflexion l’évaluation est une aide à la décision.
L’idée est que les décideurs confrontés à des énigmes (pourquoi n’a pas eu les effets attendus) et les évaluations sont
des facteurs d’apprentissage qui les aident dans cette activité de résolution du problème. Cela rejoint plusieurs types
de travaux qui mettent tous l’accent sur le fait que les décideurs se préoccupent de trouver des solutions les plus
techniquement appropriées, dont les hypothèses causales sont correctes. Il y a des travaux sur la montée en
puissance de l’État réflexif. Des sociologues du droit on montré que l’État réfléchit notamment par rapport à des
situations de complexités.
«Evidence-based policy» : concernant l’evidence based policy, l’idée est que l’on peut choisir des politiques
publiques, prendre des décisions, etc. sans être avant tout animés par nos croyances et nos idéologies. L’idée est que
la décision politique doit reposer sur des preuves empiriques (evidence) sur l’efficacité de cette mesure. D’autres
travaux sans cette vision normative on se pose également la question des preuves empiriques dans la prise de
décision. On décide donc en connaissance de cause et avoir en sa possession des évaluations fait partie de cette
evidence base.
2 - Politics/power game → interaction sociale : controverses sur critères, statut des recommandations, usage
stratégique et tentatives d’instrumentalisation. L’évaluation peut être une ressource ou au contraire un poids dans le
jeu politique. Si on est en faveur d’une mesure, le décideur politique sera probablement content d’avoir une évaluation
favorable pour appuyer ses propos et vice-versa. L’évaluation est donc une arme stratégique qui peut être utilisée pour
des objectifs politiques pour soutenir ou pour contester. C’est notamment pour cette raison que l’administration a des
experts de prédilections. Il y a donc un usage politique de l’évaluation. Les acteurs politiques vont donc aussi essayer
de l’instrumentalisé en fonction de leurs buts, utilisés à des fins stratégiques. Dès lors, il va aussi y avoir des
controverses sur l’évaluation. Ce sont également des controverses stratégiques.
Issue de l'évaluation dépend de : qu’est-ce qui prédomine entre le puzzling et le power game ? Deux variables
importantes peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
‣ Rapport expertise - politique : le type de rapport entre les expertes et les politiques (science et politique, savoir et
pouvoir). On a a priori affaire à deux systèmes d’actions différents, l’homme politique recherche le pouvoir tandis que le
scientifique cherche la vérité. L’évaluation est à l’interface entre le savoir et le pouvoir. On peut dire que si dans la
culture politique du pays il y a une forte valorisation de l’expertise, très probablement qu’on se trouve du côté puzzling,
une sorte de déférence envers l’évaluation et des réticentes à l’instrumentaliser. Dans d’autres pays il n’y a pas ou peu
cette expertise autonome et il y a une politisation assez forte de la science et dans ces cas-là les usages stratégiques
de l’évaluation vont prévaloir.
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‣ Degré de politisation des enjeux : plus un enjeu politique est saillant et est fortement politisé, moins il y a de
place pour les démarches réflexives car elles impliquent de l’incertitude. On peut avoir des usages différents de
l’évaluation mais cela reste un savoir sur les politiques publiques qui est destiné à l’usage des décideurs et dont cet
usage peut être variable.
4. TERMINAISON COMME SUITE DE L’ÉVALUATION ?
Terminaison difficile malgré évaluation et possible sans évaluation
Retour au schéma séquentiel : une politique publique est née, elle émerge. Selon la vision balistique simple elle
émerge quand il y a un problème. La politique publique a aussi une fin, la terminaison. L’analyse séquentielle fait un lien
entre l’évaluation et la terminaison car l’évaluation est la suite d’une mise en oeuvre et l’argument implicite est que si
l’évaluation conclut à l'inefficacité ou montre les effets pervers d’une politique publique, cette dernière est supprimée.
Cependant, il n’y a pas de lien direct entre l’évaluation et la terminaison, ce n’est pas une suite logique.
1 - Évaluation n’est pas une condition suffisante : terminaison intervient rarement car coûts de transaction élevés
→ incrémentalisme («path dependency», «policy as its own cause»). Une évaluation négative ne va pas
nécessairement conduire à la fin d’une politique publique en dépit de la démarche réflexive, la rationalité des acteurs,
etc. Cela s’explique parce que terminer une politique publique peut être coûteux pour le décideur, notamment en
termes de légitimité et pas nécessairement en termes économiques. Souvent dans les systèmes politiques il y a des
acteurs qui veulent la poursuite du statu quo. Ils peuvent apposer leur veto mais les décideurs politiques ont
également peur du risque de sanction. C’est notamment ce qu’a montré l’approche de la path dependency en
démontrant que les politiques publiques génèrent des groupes de bénéficiaires, qu’ils soient légitimes ou non. Ces
derniers vont se battre pour la continuation de la politique en question. Les décideurs politiques doivent souvent
composer avec ce genre de groupe. L'interaction sociale l’emporte ici sur l’évaluation (powering).
2 - Évaluation n’est pas une condition nécessaire : choix de terminaison idéologique (croyances, évaluation
«sauvage») versus résultats de démarche rationaliste. On peut supprimer une politique publique même sans évaluation
négative car les choix d’arrêter des politiques sont souvent des choix qui ne sont pas d’evidence based. Les décideurs
raisonnent en fonction de leurs croyances.
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3 | LENTILLES CONCEPTUELLES : LE CHANGEMENT DANS LES POLITIQUES
PUBLIQUES
En quoi le fait de porter des lunettes conceptuelles particulières nous fait voir les choses d’une manière
précise et non d’une autre ?
1. TROIS LENTILLES POUR L’ANALYSE DE LA DÉCISION SELON ALLISON
« Each conceptual framework consists of a cluster of assumptions and categories that influence what the analyst finds
puzzling, how he formulates his question, where he looks for evidence, and how he produces an answer » (Allison)
Graham Allison, Philip Zelikow - Essence of Decision : Explaining the Cuban Missile Crisis : Allison analyse la
réponse américaine à l'installation par l’URSS de missiles à Cuba en 1962. Traditionnellement, on a analysé cette crise
avec le paradigme dominant de l’époque, le réalisme. Les Soviétiques ont installé ces missiles, l’administration US a
réagi avec un blocus maritime et cette réponse a amené l’URSS à retirer leurs missiles. Cela a été interprété par
comme un succès. Le paradigme réaliste est un paradigme où l’on considère que les acteurs agissent rationnellement
et ces acteurs sont les États, et ils sont unitaires. Chaque État a ses intérêts. Pour Allison c’est une manière de voir les
choses, mais ce n’est pas la seule. Pour Allison, chaque cadre conceptuel consiste en un ensemble de postulats, qui
influencent les questions de recherches, les formulations de ces questions, les travaux de recherches, mais aussi la
manière d’analyser et de répondre à la question de recherche posée. Alison prend l’exemple de la crise des missiles
de Cuba pour contester le paradigme réaliste en montrant qu’il y a d’autres manières d’analyser.
Modèle 1 de l’acteur rationnel - États unitaires ont des comportements rationnels pour maximiser leurs
intérêts : c’est le paradigme réaliste. Pour l’analyse de politiques publiques considérée l’État comme acteurs unitaire
ne représente pas un point de départ. Il y a deux autres lentilles conceptuelles qui permettent de voir des choses
différentes, des bouts différents de la réalité politique. Les modèles 2 et 3 ont pour point commun d’ouvrir la boîte
noire du système de décision, ce qui s’est passé aux USA dans l’administration. Dès lors, on se rend compte que
l’État n’est plus un acteur homogène, unitaire, et ce que les approches 2 et 3 ont en communs.
Modèle 2 du comportement organisationnel : routines des organisations impliquées leur permettent de prendre
des décisions dans des conditions de stress sans perdre de temps dans la recherche de solutions et l’évaluation
d’alternatives. Ce modèle se focalise sur les différents acteurs de l’administration et notamment les différentes
composantes du système de défense (marine, aviation, pentagone, etc.). Ce que ce modèle cherche à expliquer est
comment chacune de ces organisations se débrouille pour trouver des réponses à la crise. On est dans une sorte
d’institutionnalisme sociologique (anachronisme) et chaque organisation développe ses propres routines. En situation
de crises on manque de temps, on est dans une condition de stress et les enjeux sont importants. Le modèle
organisationnel nous dit que face à cela les organisations essayent d’utiliser leurs manières de faire habituelles à cette
nouvelle situation critique. Pour reprendre Daubry, on peut parler d’une régression vers les habitus, parce qu’on n’a
guère mieux. Alison nous dit qu’il y a une sorte de compétition démocratique sur quelles solutions va l’emporter. C’est
finalement celle de la marine, qui avait déjà un plan de blocus naval de Cuba mais pas comme réponse à l’installation
de missiles. Cela désagrège l’Etat comme acteur unitaire et démystifie la conduite rationnelle des acteurs.
Modèle 3 de ‘governmental politics’ - luttes d’influences et marchandages internes : ce modèle désagrège
aussi le système de décision américain mais met plutôt l’accent sur d’autres types de conflits internes, sur le jeu
politique, sur le contexte politique. Il y avait des conflits au sein de l’administration américaine entre les colombes et les
faucons, selon les manières d’agir voulues. De plus, on est en période préélectorale pour les mids-terms elections.
Pour Alison, d’après le modèle 3, c’est la compétition entre acteurs politiques qui compte, les tentatives de
marchandages, etc.
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Modèle 2 et 3 plus complexes que 1 - importance des relations entre entités bureaucratiques, ainsi
qu’entre administration et politique : les deux modèles sont plus complexes que le modèle réaliste, avec dans le
modèle 2 un focus sur les acteurs administratifs alors que dans le modèle 3 on a un focus sur les acteurs politiques,
aussi dans leurs relations avec l’administration.
A. LA ‘PATH DEPENDENCY’ : LE CHANGEMENT CONTRARIÉ PAR L’INERTIE
1. OUVRAGES AVEC DES PRÉOCCUPATIONS ANALOGUES
Rappel incrémentalisme : cette approche se situe dans la continuité d’autres approches qui sont arrivées à des
résultats analogues. Pour prendre des décisions il faut faire des coalitions, et ce notamment avec des acteurs qui ne
sont pas d’accord et donc les changements se font uniquement à la marge.
Coalitions distributives et scléroses institutionnelles (Mancur Olson, 1983) : il nous parle du problème du free
riding et de la logique de l’action collective qui selon lui est une tentative pour éviter le problème du free riding. Dans
Grandeur et décadence des nations, Olsen part de l’idée que les groupes qui se mobilisent les plus facilement sont les
groupes étroits et donc l’État est donc davantage à leur écoute ce qui est paradoxal et peut poser problème du point
de vue démocratique. Olsen nous dit que ces groupes d’intérêts étroits se comportent à leur tour comme des freerider collectifs. Ils essayent d'engranger les bénéfices de l’action des politiques publiques et ces bénéfices doivent
souvent être financés qui vont être endossés par les intérêts les plus larges qui ne sont pas arrivés à se mobiliser. Ils
externalisent les coûts vers les secteurs les moins organisés qui représentent les intérêts les plus larges. C’est pour
cette raison qu’Olsen parle de coalition distributive, ils recherchent des rentes de par leurs proximités avec les acteurs
décisionnels et distribuent ces coûts aux groupes les moins organisés.
Sclérose institutionnelle : il n’y a pas encore la perspective historique mais Olsen nous dit que plus ces groupes
s’enracinent, plus le temps passe, plus ils consolident leurs positions et deviennent plus puissant, plus en mesure de
bloquer des changements qui leur sont défavorables. Le système démocratique pose donc problème car il signifie la
liberté d’association, mais plus cette dernière est ancienne, plus il y a eu de temps et d’espace pour que ces coalitions
distributives les utilisent. Le système devient de plus en plus sclérosé, rigide. Cela a un impact négatif sur la croissance
car des ressources qui pourraient être attribuées à des activités stimulant la croissance sont déviées vers ces groupes
étroits. Les élites programmatiques sont celles qui formulent des programmes souvent à l’origine des réformes n’ont
pas de place dans cette approche. Cette approche a pu être critiquée, notamment car il surestime le pouvoir de
captation de ces groupes mais elle n’est pas pour autant totalement dénuée de pertinence.
Exemple en Suisse avec le choc pétrolier : le choc pétrolier des années 70 a affecté la Suisse est s’est traduite par
une perte d’emplois mais pas par une augmentation du niveau de chômage. À cette époque les groupes d’intérêts
économiques étaient très influents et la plupart des politiques économiques et sociales étaient formulées lors des
négociations entre patronats et les syndicats puis ratifiées par les autorités (système corporatif). Les syndicats ont géré
la crise en ayant une politique de protection de la main d’oeuvre indigène. Ces derniers étaient plus fortement
syndiqués que les autres, c’était leur clientèle qu’ils ont donc défendue (coalition distributive). Les autres ont donc dû
quitter le pays, ce qui a permis d’exporter le chômage. Pour Olsen, plus on est dans un système où il y a de la liberté
d’association, plus les coalitions distributives ont eu le temps de s’organiser et acquérir des positions de veto.
Rose et Davies (1994) - Inheritance in Public Policy, Change without choice in Britain : le système politique
britannique est traditionnellement réputé comme favorable au changement car il n’a pas vraiment de lieu de veto.
C’est le prototype de la démocratie majoritaire sans fragmentation du pouvoir où le Premier ministre peut faire grosso
modo ce qu’il veut avec une majorité disciplinée au parlement. Pour Immergut, ce type de système est perméable au
changement. C’est un des cas les moins susceptibles de présenter des oppositions aux changements. Cependant, il
ne faut pas surestimer le changement en matière de politiques publiques et ce pour trois raisons.
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Impulsion par l’administration, concertation avec groupes d’intérêts, concurrence électorale se joue au
centre d’un électorat peu polarisé : (1) l'administration a de l’expertise et donc a souvent un input important et elle
reste même si les gouvernements changent. (2) Quelque soit la couleur du gouvernement il y a des groupes d’intérêts
importants avec lesquels il faut composer. Ces groupes sont aussi relativement durable. (3) La concurrence électorale
se joue au centre. C’est un système bipolaire et donc au lieu de compromis on a des alternatives claires. Pour Rose et
Davies, certes le système est bipolaire, mais cela ne clarifie pas les choix politiques car une grande part de l'électorat
était à l’époque majoritairement au centre. Chaque parti a une partie de la population qui lui est acquise mais l’enjeu
de la victoire de l’élection consiste en la conquête de l'électorat modéré, ce qui amène chacun à modérer ses
positions, à converger vers le centre. Même dans un système où il n’y a pas de contraintes de veto il y a d’autres
contraintes qui empêchent les changements d’envergures.
2. ‘VETO POINTS’ ET ‘VETO PLAYERS’ (PRÉOCCUPATIONS ANALOGUES)
Comparatif retranchement USA-UK (USA : ‘divided government’) (King, Wood) : c’est une comparaison des
politiques néolibérales dans les années 1980 entre les USA et la GB avec Reagan et Tatcher. Les deux ont connu une
«révolution néolibérale» dans la mesure ou des gouvernements néolibéraux arrivent au pouvoir. Ces deux pays sont
donc a priori similaires, notamment du point de vue de la coloration idéologique des gouvernements de l’époque mais
aussi du type d’économie capitaliste. On peut s’attendre à ce que les outputs en termes de politique publique soit
similaires mais cela n’a pas été le cas. La GB est allée plus loin dans la production de politiques néolibérales que les
USA même s’il ne faut pas surestimer l’ampleur des réformes (Rose et Davies) et que la mise en oeuvre a divergé des
projets de décideurs. Cependant, la force d’inertie n’est pas la même dans les deux systèmes politiques et elle est
plus importante aux USA car les structures des gouvernements n’étaient pas les mêmes.
USA - divided government : les USA sont fédéralistes alors que la GB était très centralisée. L’État fédéral a donc
moins de compétences qu’un État unitaire. La deuxième raison est qu’à l’époque on a un gouvernement divisé. C’est
une volonté de la Constitution car pour Madison c’est un bon moyen d’empêcher le risque de tyrannie de la majorité.
Les pères fondateurs n’ont pas anticipé le pouvoir de blocage de cette fragmentation. Cela implique un président
d’une couleur politique et d’un Congrès d’une autre couleur. La troisième raison est que traditionnellement les partis
américains étaient assez hétérogènes et peu disciplinés. L’administration américaine, en cas de gouvernements
divisés, devait donc être acquise à la cause également.
Veto points vs veto players (Tsebelis) : on retrouve donc toute une série de contraintes que Tatcher n’avait pas. Il y
a donc des facteurs d’inertie différents dans les systèmes politiques qui ont une double nature. Il y a les lieux de veto
qui sont des lieux institutionnels (parlement, peuple, etc.). Il y a également les veto players, des acteurs politiques au
sens large (groupe d’intérêts) qui utilisent le veto et ce aussi de manière stratégique avec des menaces de veto. Ils
exploitent les opportunités institutionnelles offertes par les lieux de veto (window of opportunity). La force d’inertie est
importante s’il y a deux conditions, si les v.p. sont cohésifs.
Plus les v.p. sont cohésifs, plus l’écart de préférences entre eux est grand, plus le changement sera difficile
(Tsebelis) : si le parti d’opposition est homogène, la force d’inertie est plus grande. La cohésion des veto players
implique une plus grande force d’inertie. La deuxième variable est que plus l’écart de préférence est grand, plus le
changement sera difficile. C’est une situation ou l’on a des acteurs politiques qui ont les uns par rapport aux autres
des possibilités de lieux de veto qui sont cohésifs et idéologiquement éloignés les uns des autres. Par exemple, les
rapports entre Conseil national et Conseil des États, même s’ils sont élus de manières différentes, les écarts de
préférences ont longtemps été faibles car les deux chambres avaient une majorité du centre-droite qui donnait le ton.
Aujourd’hui on peut voir que c’est en train de changer car le CN a une majorité de droite plus concentrée et l’écart de
préférence avec le CE est plus important. Cela ne conduit pas encore à un blocage.
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3. RAISONNEMENT SUR LES COÛTS DU CHANGEMENT ET LA FORCE DE L’INERTIE INSPIRÉE DE
L’ÉCONOMIE
Inspiration de l’économie : les travaux sur la path dependency sont inspirés de l’économie et de l’idée que le
changement représente des coûts. Si on veut changer une technologie on a investi dans la technologie précédente. Si
on change de technologie les investissements sont rendus caducs. Ces coûts sont dissuasifs et doivent être intégrés
dans les discussions sur le changement. La conséquence est que les solutions qui pourraient être techniquement plus
adaptées ne sont pas toujours celles qui sont appliquées.
Exemple du clavier QWERY : l’exemple classique est le clavier QWERTY car avant qu’il y ait des ordinateurs, et
qu’on tapait certaines lettres sur une machine à écrire les touches se bloquaient. La disposition QWERTY permet de
réduire ce risque, c’était donc rationnel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui mais on a conservé le même clavier. C’est dû
au fait que les coûts du changement étaient difficiles. L’idée du coût du changement est centrale dans la path
dependency mais le raisonnement économique n’est qu’une partie ou une variante des raisonnements de cette
approche.
Application à la politique sociale - empreinte des origines et limites convergences des modèles nationaux :
les approches de la path dependency ont d’abord été développées par rapport aux politiques sociales puis ont été
généralisé aux politiques publiques en général. L’idée est celle de l’empreinte des origines durant des décennies. Pour
les politiques sociales est se sont développé vers la fin du 19e siècle. L’argument de la path dependency est que ce
qui s’est passé à l’origine a conduit à des chemins différents qui persistent encore aujourd’hui.
Three Worlds of Welfare Capitalism (Andersen) : il nous parle de trois mondes et dit qu’on peut typologiser les
politiques sociales dans les États développés en trois grandes catégories. Le premier type d’État social est largement
répandu en Europe et est sectorisé selon les individus, fragmenté et repose sur le modèle du male breader model où
l’homme travaille. Le deuxième type d’État social est l’État social libéral, lui aussi n’est pas mis en place par la gauche
et est un État social minimal qu’on retrouve aux USA et en Grande-Bretagne. Le troisième est celui où la socialdémocratie était forte dans les pays du nord de l’Europe ou il est très peu fragmenté. On peut imaginer que des
changements plus récents affectent ces trajectoires, comme par exemple la globalisation. On sait que l’une de ses
conséquences est le renforcement du capital au détriment du travail et donc l’hypothèse qui a été étudiée est que la
globalisation va affecter ces formes d’États sociaux vers un État social minimal. Pourtant, les États sociaux qui
correspondaient à des modèles autres n’ont pas convergé vers le modèle minimal même s’il y a eu des réformes allant
dans ce sens. Les trajectoires ne convergent pas et l’approche de la path dependency essaye de comprendre
pourquoi.
1 - ‘Stickiness’ (adhérence) institutionnelle : cette approche considère les politiques sociales établies comme
étant presque des institutions et déployant ainsi une force d’inertie qui se manifeste dans le phénomène de
l’adhérence.
2 - ‘Lock-in’ (verrouillage) des choix : c’est le fait que les choix sont locked in dans les décisions passées, les
décisions passées contraignent les décisions futures. Au moment de l’introduction des politiques sociales on est dans
un changement de cap et l’approche sur la path dependency ne cherche pas à expliquer les moments de ruptures, les
considère comme exogènes à son modèle et cherche à expliquer la persistance des politiques publiques.
3 - ‘Increasing returns’ et auto-renforcement : la dynamique d’auto-renforcement ou le feedback positif
correspond au fait que plus on a quelque chose plus ou est demandeur.
Il y a une légitimation croissante d’une
politique publique par le fait que plus une politique publique se développe dans le temps, plus le retour sur
investissement est élevé (increasing returns).
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La durée accroît la dépendance au sentier : plus une politique se déploie dans le temps, plus sa légitimité s’ancre.
Plus on s’est engagé dans une voie, plus il est difficile de bifurquer ou de faire marche arrière. On a reproché à
l’approche de la path dependency de ne pas s’intéresser suffisamment aux changements.
4. NI HISTORIQUE, NI SOCIOLOGIQUE, NI RATIONAL CHOICE
1 - Ni historique - cumul explication sociologique et choix rationnel sur les limites du changement
(contraction des possibles) : le poids de l’histoire est déterminant et on peut considérer que la path dependency
illustre le néoinstitutionnalisme historique, soit les approches qui considèrent que les institutions ont un impact sur nos
comportements. L’approche de la path dependency considère que ce sont les politiques publiques qui jouent ce rôle,
qui sont fortement instituées et qui empêchent le changement. Il n’y a pas d’explications claires des mécanismes qui
empêchent le changement dans le néoinstitutionnalisme historique mais une explication qui selon les cas emprunte au
néoinstitutionnalisme sociologique ou encore du choix rationnel. L’institutionnalisme sociologique met l’accent sur la
logique de convenance plutôt que des conséquences. L’institutionnalisme du rational choice prend en compte les
calculs des acteurs selon des incitations positives ou négatives.
2 - Ni sociologique, rationalité limitée - taken-for-grantedness, the habitual path et limites dissonance
(logique de convenance) : comment le néoinstitutionnalisme sociologique explique qu’à mesure qu’une politique
publique évolue dans l’histoire, il y a de moins en moins de possibilités de changements. Il a des explications qui
reposent sur le taken-for-grantedness ou la naturalisation. Quand on baigne dans un environnement culturel il y a une
logique d’habituation et on ne va pas imagine d’alternatives (limites du pensable). Pour les politiques sociales en
Europe, elles sont restées principalement nationales car il est difficile de faire en sorte que tous les États membres se
mettent d’accord sur des politiques sociales. Ce phénomène d’habituation naturalise ce que l’on connaît et contracte
les possibles.
The habitual path et limites dissonance : on adhère à des valeurs suivant des organisations qui nous socialisent.
La norme d’égalité par exemple est plus présente dans le modèle social-démocrate que dans le modèle libéral. On a
un mécanisme de réduction de la dissonance qui se met en place. Cela veut dire que les individus ne sont pas
facilement perméables à des messages qui s’opposent à leurs valeurs. Même si des rapports d’experts montrent que
tel système est plus efficace que l’autre, on va avoir tendance à discréditer les rapports qui ne vont pas dans le sens
de nos valeurs. La socialisation à des valeurs réduit le changement.
3- Ni rational choice - ‘constituencies’ de bénéficiaires calculateurs (biais négatif selon la ‘prospect theory’
dans le domaine des ‘behavioural economics’) : Dans l’approche de la path dependency on a des explications qui
sont plus économiques et l’argument est que les acteurs calculent, que ce soit les producteurs de politiques publiques
que les acteurs cibles. Chacun de ses acteurs calcule sur les coûts et les bénéfices de son action. Or les calculs des
acteurs sont favorables à l’inertie. C’est dû au fait que les politiques publiques génèrent des bénéficiaires qui peuvent
être des groupes très différents et qui s’ils sont rationnels ne vont pas souscrire à des changements qui portent
atteinte à leurs bénéfices. Ces groupes de bénéficiaires sont solidement établis et sont un rempart contre le
changement. Les décideurs intègrent ce risque dans leurs calculs.
Biais négatif par rapport au changement (inspiré de la prospect theory en économie) : les acteurs se
focalisent surtout sur les pertes relatives par rapport au statu quo plutôt que sur les gains futurs et sont prêts à prendre
plus de risques en cas de pertes perçues. Lorsque les acteurs sont confrontés à un risque de perte et à une possibilité
de gain notre choix décisionnel est avant tout influencé par le risque de perte que la possibilité de perte. Si les
bénéficiaires voient un risque de perte ils vont agir, surmonter le problème de free riding. Même si un changement de
politique publique promet des gains il est possible que cela passe au deuxième plan par rapport aux appréhensions
des individus. On est dans un mécanisme de type calcul avec une anticipation des risques où ils accordent plus de
poids à la perte.
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Logique des conséquences et des calculs des décideurs (policy influence politics) : les décideurs calculent à
leurs tours et ajustent leurs décisions suivant ce principe. Les politiques publiques influencent donc les rapports de
force politique. On retrouve une politique publique qui crée des cercles de bénéficiaires et ces derniers pèsent sur les
politiques publiques. Les politiques publiques configurent aussi le jeu politique et les rapports de force. On a reproché
au tenant de cette approche de surestimer la force d’inertie des politiques publiques mais il est vrai que les approches
de la path dependency ne disent pas qu’il n’y a pas de changement mais que cela peut arriver en cas de
circonstances exceptionnelles.
5. POSSIBILITÉ DE CHANGEMENTS DE GRANDES AMPLEURS ?
Oui, si ‘critical junctures’ (Dobry) en général dut à des chocs exogènes : les tenants de l’approche de la path
dependency disent que des bifurcations importantes peuvent avoir lieu mais des conjonctures critiques (Dobry)
peuvent arriver et créer un environnement propice au changement. Dobry n’est pas un spécialiste des politiques
publiques mais il travaille sur les crises de régimes politiques et montre comment est ce qu’on arrive à ses
conjonctures critiques. Il explique qu’on fait souvent l’erreur de penser qu’un régime repose avant tout sur sa légitimité
envers ses gouvernés et que c’est une variable parmi d’autres. Ce qui importe également est la légitimité croisée entre
des niveaux micros (ex. maires-préfets) à l’intérieur des sphères gouvernantes. Il y a cependant des moments où ces
rapports politiques deviennent imprévisibles.
Study of critical junctures (Capoccia, Giovanni et Kelemen) : la path dependency ne dit pas rien sur le
changement en politiques publiques mais qu’il opère dans des conditions très restrictives, ce que certains appellent
des conjonctures critiques. C’est une variable exogène par rapport à l’approche de la path dependency. Ces
conjonctures sont des exceptions, des épisodes courts.
« relatively short periods of time during which there is a substantially heightened probability that agents’ choices will
affect the outcome of interest »
1 - «the duration of the juncture must be brief relative to the duration of the path-dependent process it instigates».
2 - «the probability that agents choices will affect the outcome of interest must be high relative to that probability before
and after the juncture».
Rôle des variables exogènes - critical junctures (Collier) : dans la path dependency il y a un fort déterminisme ce
qui permet de remonter aux origines de ces empreintes à travers le choix d’une voie à suivre jusqu’à un siècle plus tôt.
Cependant, ce qui s’est passé aux origines ne relève pas du déterminisme. La théorie du path dependency n’exclut
pas qu’il ait des ruptures importantes mais les conditions pour que cela se passe sont très exigeantes. En principe, il y
a une très grande force d’inertie mais il peut tout de même y avoir des changements importants. Ces conditions sont
par exemple des conjonctures sociétales critiques qui remettent en question ce qui a été fait jusque-là.
Exemple d’un changement de sentier - Bismarck : acculé par les forces sociales-démocrates, il a été obligé de
céder du terrain. Les changements sont donc possibles mais il faut des conditions exigeantes que sont les situations
de conjoncture critique dans laquelle la pression au changement est très forte. Souvent ces conjonctures critiques font
intervenir des variable exogènes. Tout dépend du niveau, c’est-à-dire que si on observe une politique publique précise,
un changement de gouvernement est une variable exogène par exemple. Si on pense en termes de pays, une variable
exogène est tout ce qui se passe en dehors du pays. Jamous parle des jeunes médecins et du professeur réputé, la
variable exogène. La path dependency considère donc le changement mais dans des conditions très précises.
6. LOGIQUE CUMULATIVE DU CHANGEMENT INCRÉMENTAL
Effets de lentille (niveau d’analyse et temporalité) : plus on se focalise sur un secteur des politiques publiques,
moins on sera enclin à penser que les changements ne valent rien. Plus on monte en généralités, plus on pense que
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les changements ne valent rien. La question de la temporalité implique que le changement incrémental tous les deux
ans n’est pas important mais la somme de ses changements au bout de vingt ans peut être importante.
Exemple du secret bancaire : il y a quelques années les gens disaient que le secret bancaire n’était en aucun cas
négociable. Aujourd’hui on remarque tout de même des changements incrémentaux qui font que très probablement,
au final, il ne restera pas grand-chose, à force de concessions. Cet exemple montre que des changements
incrémentaux, mineurs les uns par rapport aux autres, peuvent tout de même conduire à d’importants changements.
Réductionnisme des visions dichotomiques du changement :
7. APPROCHE QUI REND MIEUX COMPTE DE LA STABILITÉ QUE DU CHANGEMENT
«Self-undermining feedback effects» (versus autorenforcement) endogène qui érodent la base du soutien
en faveur de la politique publique : (perdants imprévus, anomalies et discrédits, apprentissage à partir d’expérience
alternative positive, etc.).
Changements de préférences (conversions) et des rapports de force :
8. TYPOLOGIE DES CHANGEMENTS INSTITUTIONNELS (STREECK, THELEN)
Streeck & Thelen : les deux auteurs travaillent sur le changement des institutions mais on peut extrapoler cela aux
politiques publiques, d’autant plus que la path dependency considère que les politiques publiques deviennent des
institutions.
Des éléments ‘dormants’ d’une politique (par exemple des instruments inutilisés) sont
Displacement
Conversion
redécouverts et deviennent des ressources pour les acteurs désireux de faire paraître comme
incrémental un changement important, qui en font une utilisation imprévue.
Utilisation d’une institution ou d’une politique pour des fins nouvelles. Cela peut impliquer la
réinterprétation ou le redéploiement.
Adjonction à un système existant et importance croissante d’éléments répondant à une logique
Layering
Drift
Exhaustion
différente (ex. fonds de pension privés superposés à un système de retraite public). Au lieu de
supprimer une politique publique on ajoute quelque chose.
Perte de fonctionnalité progressive d’un système en raison de changements contextuels (ex.
changements de profil des populations concernées).
Disparition graduelle d’un système en raison d’échecs ou anomalies.
Différents types de changements : dans tous les cas, sauf le dernier, on continue avec la politique publique. Elle
n’est pas supprimée mais d’une manière ou d’une autre elle n’est plus la même.
B. THÉORIE DU CHANGEMENT NON INCRÉMENTAL : ‘PUNCTUATED EQUILIBRIUM’
1. TRAVAUX ANTÉRIEURS
Jones et Baumgartner - The politics of attention, how government prioritizes problems : c’est un modèle qui
a l’origine est américain, développé par Jones et Baumgartner. Dans cette approche, l’attention est un concept central
et on essaye d’expliquer ce qui arrive dans la longue durée mais ce sans penser qu’il y a un déterminisme de la force
d’inertie. L’idée est qu’en matière de politique publique le plus souvent on a des situations d’équilibres, des situations
statiques. Ces situations d’équilibres sont ponctuées d’épisodes de changements. La différente avec la path
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dependency est que cette dernière s’intéresse à l’absence de changement et n’a pas de vision claire de ce qui se
passe en période de conjoncture critique.
Longues périodes de stabilité, «policy monopolies» : ces longues périodes de stabilités peuvent être appelées
des périodes de monopoles en politiques publiques. L’approche par les réseaux elle pense que dans chaque politique
publique il y a un réseau d’acteur qui la contrôle, qui détermine les choix. Ces réseaux d’acteurs peuvent varier selon
les domaines de politiques publiques. Un exemple peut être une étude des années 1970 qui montre qu’en Suisse les
groupes d’intérêts ont un rôle important dans les prises de décisions. L’étude a été répliquée et aujourd’hui les partis
politiques sont des acteurs forts. Il y a donc eu un changement de réseau.
Verrouillage par iron triangles et subgovernments : dans les premiers travaux américains dans les années 70 on
a parlé de triangles de fer qui contrairement à l’issue network il y a peu d’acteurs, le processus est verrouillé par un
nombre limité d’acteurs (vs fluidité). Il y a trois types d’acteurs qui comptent, les politiciens (les membres du Congrès
et les spécialistes de tels ou tels domaines), les représentants des groupes d’intérêt et pour finir les cadres de
l’administration. On a donc un nombre d’acteurs peu élevé et des acteurs qui ont des préférences proches, si bien
qu’ils verrouillent le système, ils ont le monopole sur la décision. Ils les verrouillent parfois tellement qu’on parle de
sous-gouvernement, c’est-à-dire qu’un secteur de politiques publiques et de fait du ressort d’un réseau particulier
d’acteurs et pas tellement du gouvernement au sens formel du terme. Les travaux punctuated equilibrium prennent
appui sur ces travaux antérieurs.
Déséquilibrées par de courts épisodes de discontinuités et changements non linéaires (policy ponctuations
abruptes) : ces périodes de stabilités sont ponctuées par des moments de déséquilibres, de changement abrupt.
C’est le constat sur les modes de changements en matière de politiques publiques selon la punctuated equilibrium.
Punctuated incrementalism adapté de la biologie de l’évolution (David Prindle) : dans de longues périodes de
stabilité ce n’est pas qu’il n’y a pas du tout de changement mais des adaptations incrémentales, mineures. Ce n’est
pas ici un cumul des changements incrémentaux mais un changement abrupt. Vis-à-vis de l’approche référentielle
(Muller), en politiques publiques il y a souvent un référentiel dominant mais on voit deux types de changements. Il peut
y avoir des changements dans le référentiel et changement de référentiel. L’incrémentalisme c’est lorsqu’il y a des
changements dans le référentiel (ou dans le paradigme), les ponctuations sont les changements de référentiel.
Policy paradigms (Hall) : tant dans le domaine scientifique que celui de la conduite des politiques publiques on se
pose des questions, on développe des hypothèses causales et ces dernières dérivent de ce qu’on appelle dans le
domaine scientifique de nos paradigmes qui conditionnent nos lentilles conceptuelles. Tout comme il y a des
paradigmes scientifiques, il y a des paradigmes de politiques publiques.
La structure des révolutions scientifiques - Kuhn : Kuhn travaille sur l’histoire et la sociologie des sciences et la
vision idéalisée des sciences consiste à penser que l’activité scientifique est un domaine où on est de manière
permanente d’approximation de la vérité et un processus de changement permanent. Pour Kuhn, dans le domaine
scientifique, on retrouve de longues périodes durant lesquels il y a un paradigme dominant, ponctué de courtes
périodes de conflits paradigmatiques suite auxquels s’impose un nouveau paradigme dominant. Il y a des anomalies
qui se confrontent au paradigme dominant, le paradigme n’arrive plus à expliquer la réalité de manière crédible. Une
lutte s’engage entre l’ancien et le nouveau, les partisans du renouvellement sont souvent de jeunes générations de
scientifiques, moins socialisées au paradigme dominant et qui veulent peut-être aussi se différencier, etc. Il faut
distinguer deux types de périodes dans l'activité scientifique, la période de science normale où il y a un paradigme
dominant et ces longues périodes sont ponctuées de la science extraordinaire où on remet en question le paradigme
dominant. Ce sont des périodes limitées dans le temps. Le résultat est l’imposition d’un nouveau paradigme et le
«cycle» recommence. Cette vision a été reprise pour les paradigmes de politiques publiques et ressemble à ce que
disent les tenants de l’approche de l’équilibre ponctué pour le changement.
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2. COMMENT SE PASSE LE CHANGEMENT SELON L’ÉQUILIBRE PONCTUÉ
Comparaison path dependency : on ne se posait pas la question du moteur du changement, on dit que cela peut
changer mais on ne dit pas comment cela change. Ici on a une explication du changement et de plus cette théorie met
l’accent sur une variable particulière, l’attention des acteurs.
Attention comme ressource rare («bottleneck of attention», scarcity of agenda space) : il y différents acteurs
qui sont attentifs, les politiciens et les citoyens. Le premier postulat de cette approche est que l’attention est une
ressource rare. On ne peut pas concentrer son attention sur plusieurs choses à la fois facilement, les acteurs ont des
quantités limitées d’attention (bottleneck of attention). Ces travaux sont inspirés des travaux de mise sur agenda,
même s’ils sont plus généraux. Cependant dans un agenda politique on a plusieurs enjeux sur les politiques publiques
mais il n’y en a pas un nombre illimité, l’espace d’attention est relativement restreint.
Les décideurs ignorent pendant longtemps les signaux du problème (rationalité limitée, disproportionate
information processus) : cela implique que les acteurs ignorent un certain nombre de choses, ne prête pas attention
à des anomalies jusqu’au moment où celui-ci grandit (accident, focusing event, etc.). C’est d’autant plus le cas si les
acteurs qui sont les acteurs pertinents d’un système décisionnel sont un triangle de fer et que donc ils pensent tous la
même chose, que ce qui est hétérodoxe leurs paraient insensés, ils peuvent être confrontés à de mauvaises surprises.
Les policy monopolies également impliquent une pensée unique qui n’est pas ouverte à l’apprentissage. Il y a une
rationalité limitée qui permet de faire le tri parmi le flux d’information. On ignore des problèmes, on fonctionne selon
des mécanismes de rationalités limités. Par exemple on fonctionne à la dissonance cognitive, qui consiste à ignorer les
messages qui ne sont pas conformes à nos systèmes de valeurs car ils bousculent trop notre système de valeurs.
Potentiel pour «attention shift» et «issue expansion» : parce que cela se passe comme cela, il y a toujours un
potentiel pour déplacer l’attention car il y a des manières de voir le monde, de problématiser le monde qui pourraient
être pertinentes mais qui sont ignorées. Il y a aussi un potentiel pour étendre la manière dont on envisage les politiques
publiques. Il y a une conception dominante car l’attention est limitée mais il reste des alternatives possibles.
Nombreuses tentatives (mais réussite peu fréquente) de subversion du monopole par entrepreneurs
politiques : des groupes d’intérêts, des acteurs politiques, etc. tentent d’inverser le monopole mais ces tentatives ne
réussissent que rarement car le réseau d’acteurs contrôle assez bien le système décisionnel, car il n’y a pas de
pannes flagrantes, etc. On a quand même des acteurs dans le système qui essaye de remettre en question le
monopole et ce de différentes manières.
Via expansion des enjeux hors du sous-système (rôles des médias) et les «venue shopping» (vision
pluraliste) : dans cette vision on voit le système décisionnel comme verrouillé. Ceux qui veulent développer des
problématisations alternatives n’ont pas beaucoup de chance d’entrer dans le système décisionnel. Ils vont donc avoir
des stratégies d’outsiders et essayer d'alerter l’opinion publique. Ils vont essayer de saisir tous les endroits possibles
où ils peuvent être influents (venue shopping). L’idée est qu’on a beau avoir un système dans lequel il y a un triangle de
fer ou un sous-gouvernement, le système politique dans son ensemble est relativement pluraliste, et donc plusieurs
forums où les acteurs peuvent se poser la question si c’est utile d’intervenir. On fait du shopping dans ces endroits,
choisir celui ou il y a plus de chance pour que la problématisation différente résonne. Il y a donc à la fois un monopole
mais aussi des acteurs qui remettent en question ce monopole et ce avec diverses stratégies. Ils n’y arrivent
généralement pas mais il peut arrive que s’opère un déverrouillage.
Déverrouillage (image redéfinition, expansion versus rétrécissement des possibles) et policy punctuation
de courte durée, diffusion de nouveaux cadrages et problématisation des enjeux (auto-renforcement et
feedback positif, path shift car disproportionate update, cascade car mimétisme, herding effect, policy
bubbles ou car opportunisme (bandwagon effect).
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Déverrouillage - image redéfinition, expansion versus rétrécissement des possibles et policy ponctuation
de courte durée : les moments de déverrouillage sont des moments de courte durée ou on redéfini les problèmes,
les manières de voir. Ce sont des phases d’ouvertures ou l’attention se déplace vers de nouvelles problématisations.
Cela montre comment on peut basculer de paradigme car on a toujours des formes de cadrage qui pourrait apparaître
à l’ordre du jour mais qui sont longtemps oubliées mais il y a des entrepreneurs politiques qui vont remettre en
question du cadrage dominant.
Diffusion de nouveaux cadrages et problématisations des enjeux (auto-renforcement et feedback positif) :
comment s’impose le nouveau paradigme ? Kuhn nous montre qu’il y a une phase d'effervescence qui est suivie par
une nouvelle phase de science routinière avec le nouveau paradigme. Ici on n’est plus du tout dans une logique de
path dependency, notamment par rapport aux mécanismes de feedback. Il s’agit des réactions que suscitent les
outputs du système politique, comment les politiques publiques transforment leurs environnements. Pour la path
dependency il y a toujours des mécanismes de feedback qui vont dans le sens de la stabilité et donc lorsqu’il est
question de s’éloigner des origines, la décision finale sera plutôt de ne pas s’éloigner. L’approche de l’équilibre
ponctué nous dit que non, dans un premier temps ces mécanismes cessent de fonctionner et on a quelque chose qui
ressemble à du path shift. Les mécanismes de stabilisation cessent de fonctionner et il n’y a plus de path dependency
mais du path shifting. Le deuxième élément est qu’une fois qu’il y a eu le changement de trajectoire, se remettent en
place de nouveaux mécanismes de stabilité, qui ressemblent à ceux de la path dependency mais qui se passe après
une rupture.
Path shift : il y a une théorie de l’explication de l'engouement croissant pour le nouveau paradigme. Il y a une
adhésion croissante au nouveau paradigme de sorte qu’il devient de plus en plus hégémonique. Il y a plusieurs types
de mécanismes, il y a le disproportionate update ou on met à jour des croyances de manière disproportionnée mais
aussi des phénomènes de diffusion des nouveaux paradigmes. Beaucoup de travaux se sont posé la question de ces
diffusions. Les récentes réformes de l’administration publique se sont diffusées. C’est donc une approche davantage
orientée vers le changement et qui montre la dynamique d’institutionnalisation du changement.
Disproportionate update, cascade car mimétisme, herding effect, policy bubbles : le nouvel équilibre s’établit
à travers des mécanismes d’auto-renforcement. Il y a par exemple la mise à jour disproportionné quand des politiques
publiques qui se heurtent à des problèmes et qui donc doivent légèrement changer de cap mais les décideurs vont
beaucoup plus loin dans le changement que ce qui aurait été nécessaire. Les acteurs ne se comportent donc pas de
manière totalement rationnelle. D’autres phénomènes conduisent à la solidification de nouvelles politiques, ce sont les
phénomènes de cascade ou de mimétisme. Il y a toute une littérature sur la diffusion des politiques publiques alors
l’idée que les décideurs s’observent mutuellement. Le phénomène de diffusion est proche du phénomène de mode, le
succès des politiques publiques procède aussi par des mécanismes de diffusion. On parle d’effet troupeau (herding
effect) ou encore de bulle de politiques publiques comme les bulles financières. Une politique publique peut être portée
par des individus du même bord idéologiques. Dès lors un nouvel équilibre s’instaure sans que les manières procèdent
des manières rationnelles.
Ou par opportunisme - bandwagon effet : c’est un concept qui à l’origine vient de la littérature sur la lutte
partisane. C’est l’effet du wagon de queue. L’idée est qu’un parti politique a une position x et il se rend compte que
l’opinion publique va dans un autre sens et comprend qu’il ne doit pas rater le train pour ne pas perdre de l’électorat.
Du coup au dernier moment il change son point de vue pour l’adapter à ce qu’il pense être dominant. C’est quelque
chose qu’on a pu observer en Suisse lors de référendum que tel ou tel parti soutient, alors qu’au parlement il a voté
pour cette loi. Que ce soit parce qu’on est stratège ou stupidement fasciné par les succès des autres, il y a des
phénomènes de mimétisme qui mène à un nouvel équilibre.
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Nouvelle période d’équilibre et de changement incrémental : on retrouve une période d'effervescence puis un
nouveau paradigme qui s’impose, qui suscite de plus en plus d’engouement puis finit par devenir dominant, jusqu’à ce
qu’il soit lui aussi remis en cause.
C. L’APPROCHE DES COURANTS MULTIPLES : LA PLACE DE LA CONTINGENCE
Agenda, alternatives and public policies (Kingdon, 1984) : Kingdon est un auteur américain dont l’ouvrage est à
l’origine une théorie du changement en politiques publiques qui s’inspire du cas américain mais qui a des prétentions
explicatives plus larges. L’approche de Kingdon prétend aussi à l’origine expliquer la mise sur l’agenda qui explique
comment l’agenda change mais elle est devenue progressivement une théorie du changement, notamment en matière
de décision. Cela contraste avec une approche de la path dependency car cette dernière est très déterministe. Ici ce
n’est pas du tout le cas, l’accent est mis sur les phénomènes de contingences, de hasard. On peut parler de hasard
tempéré ou exploité par un type d’acteur particulier mais l’approche met l’accent sur le fait que le changement est un
phénomène contingent.
S’inspire de «poubelle», «anarchie organisée» : la poubelle est l’idée qu’il y a une poubelle et qu’un peu à l’aveugle
les décideurs puisent dedans des problèmes et les font coexister entre eux. Une autre référence est le concept
d’anarchie organisée. Kingdon nous dit que les décisions sont souvent prises par des organisations mais que les
organisations sont souvent des anarchies organisées. Cela veut dire que dans une organisation il y a à la fois des
phénomènes d’organisation mais aussi une certaine anarchie. Il y a donc beaucoup de hasard. Par exemple des idées
flottent dans la «policy primeval soup». il y a une soupe dans laquelle flotte des idées sur quelles sont les bonnes
décisions, ce qu’il faut faire ou ne pas faire et les acteurs se servent de manière aléatoire.
Accent sur la contingence, l'ambiguïté et l’indétermination des processus («fuzzy») : les processus de
décisions sont donc imprégnés de contingence, ambiguë, et les processus sont indéterminés.
Questions de sens et d’interprétation : est-ce que les acteurs pensent que c’est possible ou non, est-ce qu’on
pense qu’il y a une fenêtre d’opportunité. Cette vision met l’accent sur l’incertitude et l’imprévisibilité.
1. TROIS COURANTS INDÉPENDANTS (TEMPORALITÉS DIFFÉRENTES)
Trois courants : Kingdon nous dit que dans la conduite des politiques publiques il y a trois courants, trois domaines
dans lesquels ils se passent des choses et il y a des changements. De plus, ces courants sont indépendants les uns
des autres. Ce qui se passe dans le deuxième courant n’est pas influencé par les autres courants.
1 - Problem stream - perception (indicateurs, «focusing events») de situations jugées en écart par rapport à
l’état désiré : précédemment nous avons vu que la manière dont on définit un problème va déterminer ce qui se
passe par la suite. Ici ce n’est pas le cas, on a des débats sur ce qui pose un problème. Il y a toute une série de
situations que les uns et les autres jugent comme en situation d’écart par rapport à ce qu’on voudrait avoir. Il y a donc
une sphère des problèmes.
2 - Policy stream - proposition de solutions disponibles (action et inaction), jugées idéologiquement
acceptables, faisables techniquement et avec les ressources à disposition : c’est le marché des solutions qui
est indépendant du marché des problèmes. Il y a différentes alternatives parmi les solutions, agir ou ne pas agir, et
parmi toutes les solutions ne sont pas acceptables ou praticables. Il y a donc un courant de solution plus ou moins
faisable techniquement. Le courant des problèmes et des solutions sont indépendants.
3 - Political stream - «national mood», rapports de force au gouvernement et au parlement, campagnes de
groupes de causes : c’est le courant du jeu politique, c’est-à-dire qu’il y a des partis politiques et des groupes qui
défendent des causes et qui font campagne pour ou contre ces causes, un gouvernement qui peut être plus ou moins
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favorable à telle ou telle solution et peut aussi changer mais aussi l’humeur nationale (national mood). C’est tout ce qui
relève du jeu politique et des rapports de forces politiques.
Fenêtre d’opportunité : ces trois courants coexistent mais évoluent de manière indépendante les unes des autres.
Cela étant il y a quelques rares moments où les trois courants convergent. Ces moments-là sont ce que Kingdom
appelle les fenêtres d’opportunités. Cela veut dire qu’il y a un problème, une solution qui paraît adéquate et un rapport
de force au gouvernement qui va dans ce sens, une opinion publique qui va dans ce sens, etc. C’est donc rare, ces
fenêtres s’ouvrent et de referment très rapidement. Les possibilités de changements sont furtives. Tout comme
l'approche de la path dependency ou l’équilibre ponctué, le changement n’est pas la règle mais ce n’est ni bloqué ni
bloqué pendant un moment puis un changement brusque, on ne sait juste pas.
Rôle crucial des entrepreneurs politiques (stratèges qui nécessitent des accès institutionnels et des
ressources) et du «timing» : la convergence des trois courants est une condition nécessaire mais pas une condition
suffisante. Les autres approches vues précédemment ne parlent pas beaucoup du rôle des acteurs politiques. Il y a un
rôle crucial des entrepreneurs politiques, qui peuvent être n’importe quel type d’acteurs. Ce qui compte pour définir
l’entrepreneur politique ce n’est pas tellement son statut mais ce qu’il fait. C’est d’abord quelqu’un qui voit les
moments où s’ouvre la fenêtre d’opportunité, un feeling avec le moment où le changement est possible et qui saisit
cette opportunité. C’est un acteur stratège qui force un peu le hasard.
Les entrepreneurs politiques saisissent (ce qu’ils perçoivent comme) des fenêtres d’opportunité rares et
furtives propices au changement (conjonction/couple des trois courants) : la deuxième dimension de
l’entrepreneur politique stratégique est qu’il ne se contente pas de voir les fenêtres mais fait aussi un travail de
définition des fenêtres des définitions, construit un discours crédible sur le fait que c’est le moment.
E. APPROCHES COGNITIVES DU CHANGEMENT - RÉFÉRENTIEL ET MÉDIATEUR
Approche cognitive du changement : cette approche a été développée à Grenoble par Bruno Jobert et Pierre
Muller. Ces deux chercheurs travaillaient sous la direction de Lucien Nizard qui était un haut fonctionnaire du
commissariat français et qui pensait qu’il ne fallait pas planifier l’économie de manière autoritaire mais plutôt souple.
Nizard voulait changer les comportements des acteurs dans la société, avait une volonté de modernisation. Les
politiques publiques visent justement à produire un effet en changeant les comportements.
Vision néomarxiste : Nizard était néomarxiste et considérait qu’il y avait d’un côté la base constituée par l’activité
économique et un rapport socioéconomique des rapports de production et de l’autre la superstructure composée par
les idées. Gramsci considérait que la superstructure pouvait être le moteur du changement. Il y aurait deux types
d’intellectuels, les intellectuels organiques qui défendent le système en place et les intellectuels révolutionnaires qui
tentent de changer le système. Les luttes d’idées comptent donc pour le changement. Ces auteurs se caractérisent
par la mise en avant du rôle des idées, pas la lutte des classes.
Sectorisation de la société (Durkheim, Weber, Bourdieu, Luhman, théories de la différenciation, sociologie
des professions) : une société est sectorisée quand elle est fortement différenciée avec des logiques propres à
chaque secteur. Un secteur est un domaine de la vie sociale dont l’incarnation est souvent la profession. Les luttes
entre les secteurs comptent et les conflits sectoriels sont des conflits importants, mais il ne s’agit pas de conflits de
classes. Le rôle de l’État est d’intervenir pour gérer ces conflits sectoriels. Luhman s’est intéressé à la sectorisation de
la société mais en construisant une théorie de la différenciation sociale, c’est-à-dire qu’il explique que les sociétés
connaissent des mécanismes de différenciations, elles sont des plus en plus différenciées. Par exemple les sociétés
sont de plus en plus spécialisées. Pour revenir à la sectorisation de la société, Jobert et Muller partent justement de
l’idée que nos sociétés sont fortement sectorisées. Une manifestation de la sectorisation est que chaque secteur va
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avoir tendanciellement son propre référentiel, sa propre vision du monde. Luhman parle de codage, ce qui est proche
de l’idée de référentiel.
Deux dimensions - cognitives et normative (identitaire) du référentiel (Jobert & Muller) : il y a les valeurs, la
croyance dans la liberté individuelle et dans la justice sociale et les normes, l’État doit intervenir pour réduire les
inégalités dans la société. Les valeurs et les normes font partie de l’aspect normatif, c’est qu’il est bon de faire et ce
qu’il est bon ne pas faire. Les algorithmes sont les hypothèses causales. Par exemple si l’Europe arrive à produire un
avion moyen-courrier qui fait concurrence au Boeing des États-Unis, cela va renforcer la position de l’Europe dans
l’arène des rapports de force internationaux. Les images sont les personnes qui incarnent le référentiel. Par exemple,
Margaret Tatcher est l’image du renouveau du libéralisme.
Algorithmes et images font partie de l’aspect cognitif : il y a des pressions aux changements dans les politiques
sectorielles (référentiels sectoriels) qui viennent du référentiel global. Jobert et Muller n’expliquent pas pourquoi le
référentiel global change mais leur but est de comprendre le changement des politiques publiques, ils se focalisent sur
la compréhension du changement de référentiel sectoriel. Ce sont pour eux les médiateurs qui sont à l’origine des
changements sectoriels, ceux qui en gros vont faire que le secteur bouge. Ces médiateurs ont deux propriétés
intéressantes, ils sont internes au secteur et sont donc plus proches des acteurs du secteur (légitimité interne) et la
deuxième propriété est qu’ils sont l’interface entre le sectoriel et le global. Cela veut dire qu’ils sont capables
d’importer le nouveau référentiel global dans le secteur en traduisant les intentions globales en termes sectoriels.
Analogie paradigme scientifique dominant (T. Kuhn) : les politiques publiques sont orientées par des manières de
voir le monde qui peuvent être appelées référentielle ou paradigme. Cela vient du domaine des sciences, il y a la
science normale, celle d’une période de routine. Cette longue période alterne avec des périodes de révolution de
science extraordinaire. Un paradigme scientifique dominant contient des croyances d’ordre métaphysique. Les notions
de référentiels et de paradigme peuvent être vues comme des notions synonymes.
Deux dimensions cognitives et normatives : la dimension cognitive est le fait que le référentiel véhicule une
certaine connaissance du monde. La dimension normative se greffe sur la dimension cognitive. Il n’est pas seulement
question de comment le monde est mais de comment il doit être, c’est une vision prescriptive.
F. APPROCHES COGNITIVES DU CHANGEMENT : «ADVOCACY COALITION FRAMEWORK»
Approches cognitives du changement : cette approche ressemble en partie à celle du référentiel. Sabatier est
l’inspirateur de cette approche d’origine américaine et a beaucoup travaillé sur les politiques d’environnement aux
États-Unis puis de nombreux chercheurs ont travaillé sur d’autres politiques en appliquant le même cadre conceptuel.
Le framework (cadre d’analyse) met l’accent sur les coalitions de cause, dont l’accent est mis sur les acteurs qui
défendent une cause.
Coalition de cause (politiciens, représentants d’intérêts, membres de l’administration, experts,
journalistes) : les trois premiers, politiciens, représentants d’intérêts et membres de l’administration forment le triangle
de fer mais dans cette approche ils sont en conflits. Il y a également les experts qui ne sont pas neutres et les
journalistes qui tentent de stabiliser l’opinion publique selon une coalition précise. Sabatier parle de colle qui cimente
les coalitions et il ne s’agit pas d’un intérêt commun (choix rationnel) mais de croyances communes. Il se situe donc en
opposition avec l’approche par le choix rationnel. Pour Papadopoulos cela se discute car selon lui l’intérêt n’est pas
absent. Sabatier dit que même la définition des intérêts relève d’une croyance et donc le rôle central est dévolu aux
croyances.
Policy subsystem - environ 10 ans, 2 à 5 coalitions en conflit dans le cadre de contentious/adversal
politics : le monde est sectorisé en sous-systèmes de politiques publiques et le policy subsystem est l’un des
domaines particuliers des politiques publiques. Il s’agit de sectorisation des activités de l’État mais ce n’est pas le
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même type de sectorisation que dans l’approche par le référentiel. Quand on veut étudier un sous-système de
politique publique, Sabatier pense qu’il faut l’étudier sur environ dix ans et dans chaque sous-système on retrouve un
petit nombre de coalitions d’acteurs en conflits. C’est donc contraire à l’approche des référentiels qui suppose un
référentiel dominant et non pas un petit nombre de coalitions.
Rationalité limitée : on ne retrouve pas exemple le Devil shift qui est un mécanisme de renforcement du in-group via
la diabolisation de l’ennemi.
Coalitions cimentées par croyances communes qui se coordonnent en faveur de politiques conformes à
celles-ci (deep core beliefs, policy core, secondary aspects) : le deep core belief est une croyance faisant partie
du noyau profond qui ressemble aux croyances métaphysiques (égalité). Le policy core se déduit du deep core belief,
c’est-à-dire que c’est un certain nombre de croyances fondamentales autour de la politique dont on s’occupe (plutôt
libérale ou plutôt interventionniste). Concernant le secondary aspects, il ne s’agit pas des aspects centraux du noyau
mais plutôt d’instruments par exemple.
Changements plus difficiles «core» (coalitions moins cohésives que sur aspects secondaires) : Sabatier a
une théorie du changement qui consiste à dire qu’à mesure qu’on passe des aspects plus secondaires aux aspects
plus profonds, le changement devient de plus en plus difficile. Plus il faut accepter des changements qui touchent à
l’identité (selon une approche par le référentiel), plus cela sera difficile. Les changements vont principalement
concernés les secondary aspects que les deep core beliefs. Lorsque le paradigme rencontre des anomalies car
certains questionnements ne peuvent pas avoir de réponse satisfaisante, cela rend le paradigme vulnérable. Il est donc
remis en question et remplacé par un nouveau paradigme.
Autres visions du changement (Lakatos) : il nous dit que cela ne se passe pas vraiment comme ceci car un
paradigme a des mécanismes de défense. Il est composé d’un noyau et d’une ceinture protectrice que sont des
hypothèses secondaires qu’il est possible de laisser tomber. Cette ceinture permet d’encaisser les coups sans se faire
trop mal. Pour Sabatier une coalition va plus facilement accepter des changements au niveau des secondary aspects.
Voir aussi le paradigm shift de Hall - changement selon 3 ordres : changement de premier ordre avec l’utilisation
et la finalité des instruments, de deuxième ordre avec le choix des instruments et de troisième ordre avec les objectifs.
Sabatier dit alors que le changement est plus facile à la périphérie des systèmes de croyances, c’est-à-dire dans des
aspects secondaires que dans des aspects de fond. Le système de croyances change donc surtout à la périphérie.
Deux mécanismes de modification des relations entre coalitions :
1 - Rapports de forces entre coalitions : notamment un affaiblissement de la coalition dominante par la perte de
crédibilité ou la conversion d’acteurs suite à des chocs internes (anomalies, échecs) ou à des perturbations externes
(élections, changements structurels, dans l’opinion publique). Il est donc question d’un changement du rapport de
force qui fait que cela change le système global. Mais qu’est-ce qui peut faire changer ces rapports de force ?
Marginalisation d’une coalition - exemple de la politique de la drogue : une coalition devient plus faible, moins
hégémonique. Par exemple, face au problème du SIDA la coalition prohibitionniste ne peut plus tenir le même discours
car il faut gérer le problème de la pandémie. Selon Muller, il s’agit d’un discours qui perd progressivement de sa
crédibilité, c’est l’affaiblissement d’une coalition.
Conversion des préférences des acteurs : dans le cas de figure de la marginalisation il y a un changement des
rapports de force. Ici c’est lorsqu’une des deux coalitions se convertit. Par exemple Hall a montré comment la socialedémocratie s’est convertie. Ce n’est pas une victoire de la droite mais la gauche qui s’est convertie à droite car ses
programmes de gauches ne fonctionnaient pas.
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2 - Compromis et apprentissage entre coalitions : il y a le rôle des policy brokers, des membres de
l’administration, des experts, etc. C’est par exemple une redéfinition ou de nouvelles perceptions des intérêts des
acteurs. Cependant cela se fait dans des conditions restrictives, le niveau du conflit n’est pas très élevé. Cet
apprentissage se fait essentiellement via les modérés de chaque coalition et souvent ces modérés sont principalement
les acteurs membres de l’administration.
Exemple de Maja Jeghen - politiciens de droites versus experts consultants : il y a deux types d’acteurs qui
ont servi de policy brokers et qui ne font pas partir de l’administration. Il y a les politiciens de droite, principalement des
libéraux radicaux qui avaient des préoccupations environnementales parce qu’ils étaient plus entendus par les autres
du parti qu’un écologiste. Ce sont donc des gens à qui on fait confiance puisqu’ils avaient les mêmes préférences
politiques. Le deuxième type d’acteur correspond aux experts consultants qui sont plutôt favorables à la coalition
environnementale mais qui, de par leur statut d’expert, disposaient d’une légitimité et crédibilité plus générale. Donc
les acteurs de la coalition pro-économique se sont en partie convertis à des valeurs écologiques en recevant le
message produit par ces experts.
G. CONCLUSION : CONCURRENCE OU COMPLÉMENTARITÉ DES APPROCHES ?
Différentes approches : les lentilles conceptuelles peuvent amener des choses différentes selon les approches. Ici
nous avons vu les différentes manières de voir le changement. On est donc face à des paradigmes concurrents mais
qui ne sont pas exclusifs. Pour analyse une politique publique il peut être utile de recours à plus d’un seul paradigme
car chacun va éclairé des facettes différentes des politiques publiques. On peut parler d'éclectisme analytique. Cela ne
veut pas dire que toutes les approches ne sont pas compatibles.
Discussion des trois I - idées versus intérêt, vide institutionnel ? Si on reprend l’idée des coalitions de cause, on
voit que des facteurs différents jouent et ce à des moments différents et pour des raisons différentes. Il y a un débat
important dans l’analyse des politiques publiques sur les trois I, c’est-à-dire quels sont les facteurs déterminants qui
pèsent dans la conduite des politiques publiques. Les approches stratégiques mettent l’accent sur les intérêts comme
avec Allison et la crise des missiles à Cuba. D’autres pensent que les intérêts comptent car ils sont construits, que ce
sont les chocs d’idées qui mènent au changement dans les politiques publiques.
Daniel Kübler, Politique de la drogue dans les villes suisses entre ordre et santé. Analyse des conflits de
mise en œuvre :
Coalition 1 prohibitionniste dominante - Idées : le comportement de cette coalition s’explique facilement par son
système de croyances, c’est un point de vue sur ce qu’est une bonne société. Ils voient la société comme bien si c’est
une société sans drogue. Ils ont une croyance normative et dans leurs hypothèses causales le meilleur moyen pour
atteindre cet idéal moral c’est une politique répressive. On voit ici la force des idées. L’approche par les coalitions de
causes nous dit que ce qui cimente une coalition c’est un système de croyances communes
Evénement externe - VIH/SIDA : c’est un choc, une anomalie car la politique de répression ne permet pas de lutter
contre l’épidémie. On peut dire que c’est un focusing event sur lequel les acteurs se polarisent, que c’est une
conjoncture critique, etc. mais la conséquence est qu’une nouvelle coalition gagne la bataille des idées.
Coalition 2 de réduction des risques - Idées : elle met en place une politique de gestion du phénomène de la
drogue qui permet en même temps de lutter contre l’épidémie. Elle est portée largement par l’administration, légitimée
par des acteurs internationaux, etc. On est donc toujours dans les idées. Jusqu’ici l’explication par les idées est
suffisante.
Mise en oeuvre - impact décentralisation : finalement la deuxième coalition gagne et doit donc mettre en oeuvre
des mesures locales, on parle de dimension spatiale et donc de politiques qui ont des incidences spatiales. La mise en
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oeuvre en Suisse est décentralisée, elle se fait au niveau des cantons et des communes. La mise en oeuvre voulue par
la coalition de réduction des risques rencontre des oppositions sur le terrain et notamment suscite l’émergence d’une
troisième coalition, la coalition de voisinage.
Coalition 3 de voisinage - Intérêts : ces mesures génèrent des coûts concentrés avec des bénéfices diffus. Cela
crée donc une troisième coalition, celle du voisinage. Elle est largement motivée par l’intérêt, elle ne réfléchit par sur ce
qu’est une bonne société ou comment bien gérer le problème de la drogue mais s’inquiète de la dégradation de ses
possessions matérielles. Certes ils ont des idées mais l’intérêt matériel est un facteur explicatif plus puissance.
Nouvelle coalition de la comptabilité urbaine : la coalition prohibitionniste est isolée. En effet il y a eu une alliance
provisoire sur le plan local entre la 1 et la 3 mais la coalition 2 a gagné sur le plan local en faisant perdre à la coalition
du voisinage sa raison d’être. Ils ont réduit l’importance de la coalition de voisinage en prenant en compte ses
inquiétudes et ont davantage veillé aux questions de sécurités. L’administration a mis en place des forums de
délibération, des lieux de dialogues avec les opposants qui ont permis à l’administration de devenir sensible aux
aspects mis en avant par la coalition de voisinage. Les médiateurs (brokers) n’étaient donc pas des individus mais des
lieux de discussions. Il est donc question d’un processus d’apprentissage. On retrouve donc une quatrième coalition
de comptabilité urbaine.
H. LA PÉRÉQUATION FINANCIÈRE
1. INTRODUCTION ET CONCPT CLÉS
1.1. TRANSFERTS VERTICAUX :
États fédéraux versus unitaires : ce qui différencie les États fédéraux et les Etats unitaires est que dans le premier il
y a une double étaticité versus un pouvoir centralisé.
Vertical Fiscal Imbalance - déséquilibre fiscal vertical : il y a un État central qui donne des revenus aux cantons
pour remplir les lacunes qui restent, même s’ils ont leurs propres revenus. C’est ce qu’on appelle le gap-filling. Cela
implique des questions différentes.
Questions suivantes : questions des compétences de taxation, questions des compétences/obligation de dépenses
(spending power), littérature du fédéralisme fiscale.
Transferts - plusieurs formes : transferts conditionnels ou inconditionnels, «shared taxes», impôts partagés,
péréquation verticale. Endettement, dépendance de transferts, questions de contrôle et problèmes avec «moral
hazard».
Questions de départ : à quoi sert une péréquation financière ? «Faut-il» une péréquation financière ? Pourquoi ? Estce qu’il y a une différence entre pays unitaires et pays fédéraux concernant cela ?
1.2. PÉRÉQUATION FINANCIÈRE (TRANSFERTS HORIZONTAUX) :
PRT - Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les
cantons : adopté en 2004 c’est un changement constitutionnel large.
À quoi sert la péréquation financière ? Si on assume d’abord une homogénéité économique dans les cantons, on
sait qu’il y a une disparité entre les cantons, une hétérogénéité «naturelle» dans tous les pays. S’il y a une certaine
concentration des richesses dans certaines parties de l’État comment organiser les distributions pour les cantons ? Si
on assume qu’il y a une redistribution par tête, en Suisse il y a des cantons qui sont plus peuplés que les autres, etc.
Généralement il y a une redistribution même négative, c’est-à-dire que les cantons les plus peuplés reçoivent plus
d’argents. Il y avait justement ce problème avant la réforme de la péréquation financière.
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Pourquoi faut-il une péréquation financière ? Et s’il y a une hétérogénéité économique ? L’État va-t-il distribuer
des transferts verticaux par population dans les cantons ? Conséquences ? Exemples ou il n’y a pas de péréquation
financière ? Alternative théorique : forces du marché ?
Raisons non solidaires : il y a pratiquement naturellement des régions qui sont économiquement différent (régions
urbaines/rurales ; spécialisation économique ; présence des ressources ; etc.) La capacité fiscale est différente, ce qui
influence le niveau des services publics. Mais aussi ; certains facteurs compliquent les choses compliquent les choses
comme les coûts plus élevés (pour certains services) dans des régions par exemple rurales, alpines, forestières et pour
des régions ou il y a plus des personnes au chômage, personnes âgées, enfants, etc. Il y a un choix de la qualité des
services publics.
Solidarité - equity versus equalization : ce n’est pas seulement lié aux questions d’identités. Est-ce que tous les
États membres sont capables d’offrir le même niveau des services publics ?
Equalization : principe que les Etats doivent avoir entièrement les mêmes capacités fiscales.
Equity : une péréquation qui garantit un minimum de ressources fiscales par rapport à la moyenne. Suisse versus
Allemagne.
Fiscal capacity versus fiscal need : (1) calcul par la capacité fiscale (ressources), d’habitude par PIB par habitant ou
par revenus fiscaux, c’est le standard. (2) Calcul par la compensation des charges, plus compliqué, par exemple
élèves, personnes âgées ou au chômage, lits occupés dans les hôpitaux, régions urbaines, régions rurales, etc. Les
cas typiques sont l’Australie et l’Espagne. C’est le cas même marginalement en Suisse.
Élément vertical en péréquation : deux types, vertical (paternal), horizontal (fraternal) ou les deux.
2. CONFLITS
Effet contre les conflits : en principe une péréquation financière devrait aider à diminuer des conflits mais une
péréquation peut générer au moins deux types de conflits : (1) en tant que région qui paye trop, exemple Catalogne,
Québec ; (2) ou en tant que région qui ne reçoit pas assez, exemple Länder de l’ancien RDA, Brême, Belgique.
Les paradoxes de l’inefficience : pour les États membres avec beaucoup de ressources, une grande partie de
chaque CHF gagné en plus doit être donnée aux autres, par exemple un gain de 0.10CHF. Pour les États membres
avec peu de ressources, chaque CHF gagné en plus élimine une partie des transferts et le remplace, par exemple un
gain de 0.10CHF.
États-Unis, une exception : les États-Unis est la seule fédération qui n’a pas une péréquation financière formelle
mais ils ont néanmoins un système complexe de transferts/grants.
Thèse sur les conflits : comment les péréquations financières peuvent prévenir ou même causer des conflits
(statique) ? Quelles sont les facteurs qui contribuent à des réformes positives (dynamique) ? Recherche sur 6 études
de cas, ici quelques éléments choisis.
Dépendance au sentier : changements ? Beaucoup d’exemples, résultats significatifs.
Canada : éléments particuliers, restent dans les négociations, caps, floors, 10 provinces standard, ressources
naturelles.
États-Unis : essai d’introduire des transferts non conditionnels en 1972, plus des 1000 grants (presque tous
conditionnels).
Alternatives : alternatives pour concevoir le changement des théories néo-institutionnalisme historique ?
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Conclusion NIH : les deux théories sont corroborés, les deux théories ne s’excluent pas, cutting edge research,
contribution de l’ordre des modes of changes.
3. ÉTUDE DE CAS EN SUISSE
Péréquation des ressources (fiscal capacity) : minimum 85% de la moyenne (equity)
Compensations des charges (fiscal needs) : (1) charges géo-topographiques, (2) charges sociodémographiques,
structure de la population (pauvreté, structure d’âge, intégration des étrangers), (3) charges sociodémographiques,
villes/centres.
Dispositions transitoires : jusqu’à 2036
Péréquation horizontale et verticale.
Répartition des tâches (péréquation au sens large) : environ 40% des tâches partagées étaient séparées, fonds
de distribution/subvention réduite d’environ 35 à 3.
Pourquoi un avantage comparatif ? Ce n’est pas un choix ou une préférence de taxation (personnes et
entreprises). Il y a des facteurs qui leur permettent d’avoir des taux de taxation plus basse. Les charges sont plus
basses. Les petits cantons qui ont moins de population et moins de terrain problématique. Bonne connexion aux
infrastructures comme aéroport.
Confirmation de l’hypothèse : résultats de régression entre les taux de charges sociodémographiques de pauvreté,
de structure d’âge et d’intégration des étrangers. Lien avec charges sociodémographiques émanant des villes-centres.
Compétition le problème ? D’un côté la compétition elle-même marche comme elle est censé fonctionner et de
l’autre la PRT fonctionne comme elle était conçue. Mais la combinaison des deux a causé le conflit récent en Suisse.
Petits cantons avec des avantages comparatifs > compétition fiscale > concentration de capacité fiscale >
RPT > conflit
Solutions politiques ? Solidarité plus faible si compétition plus forte (USA), solidarité plus forte si compétition plus
faible. Les solutions politiques en deux directions possibles. Pour les deux directions il y a plusieurs solutions
techniques.
Encore quelques considérations : rôle des fédéralismes duales, rôles des idées/philosophies/valeurs, rôle de la
transparence.
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