Renan antisémite ou philosémite 07 23

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Renan plus philosémite qu’antisémite
Si nombreux sont ceux qui ont classé Renan dans le camp des antisémites (notamment Léon
Poliakov, Édouard Saïd, Djamel Kouloughli, P. A. Taguieff), non moins nombreux [sont] ceux
qui le situent dans le camp opposé (notamment Laudyce Rétat
1
, Perrine Simon-Nahum, Shlomo
Sand)
2
.
Le philosémitisme de Renan apparaît dans nombre de ses prises de position :
L’histoire du peuple juif est une des plus belles qu’il y ait, et je ne regrette pas d’y avoir consacré ma vie.
Mais que ce soit une histoire absolument sans tâche, je suis loin de le prétendre ; […]. De même, parce
qu’on trouve que le peuple juif a été l’apparition peut-être la plus extraordinaire de l’histoire, on n’est pas
obligé pour cela de nier qu’il ne se trouve dans sa longue vie de peuple des faits regrettables […] La race
israélite a rendu au monde les plus grands services
3
.
Les déclamations contre le judaïsme sont une des choses les plus sottes de notre temps. De la part des
philosophes qui séparent l’État de la religion, c'est un non-sens ; de la part des chrétiens, c'est une
ingratitude sans nom
4
.
Les ennemis du judaïsme, regardez-y de près, vous verrez que ce sont en général des ennemis de l'esprit
moderne
5
.
Si l’historien spécialiste de l’antisémitisme Léon Poliakov
6
, le critique de l’orientalisme
Edward Said
7
et Pierre André Taguieff accusent Renan d’antisémitisme, c’est en référence
d’abord à son « mythe linguistique aryen
8
». Notons qu’« aryen » n’a chez Renan que le sens
purement linguistique d’« indo-européen »
9
on reviendra ci-dessous sur la supériorité
attribuée par Renan aux langues indo-européennes. C’est ensuite, notamment chez Poliakov, en
raison de sa germanophilie Renan était en effet un grand admirateur des philosophes et des
romantiques allemands, mais germanophilie n’implique pas, surtout au XIXe siècle,
antisémitisme. Renan dira ainsi à plusieurs reprises que « ceux qui ont conservé [après la guerre
1
On lira en particulier Laudyce Rétat, « À propos du prétendu racisme de Renan », Études renaniennes, N°103, décembre
1997. pp. 113-115, https://www.persee.fr/doc/renan_0046-2659_1997_num_103_1_1526, une réponse à l’article de Djamel
Kouloughli, « Ernest Renan : un Antisémitisme savant », cité plus loin. Laudyce Rétat, professeur de littérature française à
l'Université de Lyon-II, a consacré la plus grande partie de ses travaux à Renan et à l'histoire des idées philosophiques et
religieuses au XIXe siècle. Elle est la Secrétaire générale de la Société des Études renaniennes.
2
D’après Maurice Gasnier, « Ernest Renan acteur et symbole de la lutte contre l’antisémitisme », Renan en Orient, Presses
universitaires de Rennes, 2022, https://books.openedition.org/pur/160164?lang=fr. Maurice Gasnier, docteur ès-lettres en
1923, est auteur de la thèse La destinée posthume de Renan de 1892 à 1923 : essai sur une réception idéologique.
3
E. Renan, « Le judaïsme comme race et comme religion », in Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Flammarion, 2011, pp. 79-
111, conférence prononcée au Cercle Saint-Simon le 27 Janvier 1883.
4
Renan, Lettre à Émile Berr, 1890.
5
Conférence de Renan à la Société historique, le 27 janvier 1883. Cette conférence présentait, selon Damien Guillaume, une
réfutation limpide (même si implicite) du mouvement antisémite allemand. » (Damien Guillaume est l’auteur d’une thèse à
l’EHESS intitulée « Les débuts de “l'agitation antisémitique” en France dans une perspective européenne, Contribution à
l'histoire de l'antisémitisme. », soutenue le 18/12/2019).
6
Léon Poliakov, Le mythe aryen, essai sur les sources du racisme et des nationalismes, Calmann Lévy, 1972. Léon Poliakov,
(1910-1997) est un historien français, pionnier de l'histoire de la Shoah et spécialiste de l'étude de l'antisémitisme. Poliakov
accuse d’ailleurs d’antisémitisme pour les mêmes raisons Max Müller, philologue et orientaliste allemand, l'un des fondateurs
des études indiennes et de la mythologie comparée.
7
Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, 1980
8
P. A. Taguieff : « le mythe aryen, qui a pu se développer à partir de la mise en évidence, par la philologie historique, de deux
grandes familles de langues, indo-européennes d’une part, sémitiques de l’autre. Ernest Renan en a été le théoricien en
France […] », in « Quand on pensait le monde en termes de races, Entretien avec Pierre-André Taguieff », L’Histoire, n° 214,
octobre 1997
9
Renan : « la division des Sémites et des Indo-Européens [...] a été créée par la philologie et non par la physiologie. » De
l’Origine du langage, Œuvres complètes, p. 102.
de 1870] le meilleur de l’esprit germanique [qui représentait pour lui le meilleur de l’esprit
humain], que ceux qui ont conservé le meilleur de l’esprit germanique, ce sont les Juifs
10
. »
Le linguiste franco-algérien Djamel Kouloughli développe quant à lui un exposé détaillé du
comparatisme renanien entre langues sémitiques et langues indo-européennes
11
. Renan
développe en effet la thèse, reprise et développée au début du XXe siècle par les linguistes Sapir
et Whorf et qui est débattue encore aujourd’hui
12
, selon laquelle « langue et pensée sont dans
un rapport d’étroite interdépendance entre elles, mais aussi avec tous les autres éléments de la
vie sociale et culturelle des peuples qui les parlent », autrement dit « la langue, la psychologie,
le système cognitif, les conceptions artistiques, politiques et religieuses, tout cela est en étroite
interdépendance
13
. » Et Renan constate que les langues sémitiques sont « presque dénuées de
syntaxe, sans construction savante, privées de ces conjonctions variées qui établissent entre les
membres de la pensée des relations si délicates » ce qui relève plus du fait que de
l’interprétation. Il en déduit – ce qui relève ici de l’interprétation que « l’abstraction [leur] est
inconnue et la métaphysique impossible », qu’elles sont par conséquent « anti-philosophiques
et anti-scientifiques », dépourvues de « cette finesse de sentiment moral qui semble être surtout
l’apanage des races germaniques et celtiques », plus douées pour la religion et le fanatisme que
pour l’idéalisme et le pluralisme. Si les Évangiles renferment pour lui la quintessence de la
vertu, il qualifie en revanche le Talmud de « méchant livre », et il conclut :
La race sémitique, comparée à la race indo-européenne, représente réellement une combinaison inférieure
de la nature humaine
14
.
La victoire du christianisme ne fut assurée que quand il brisa complètement son enveloppe juive, quand
il redevint ce qu’il avait été dans la haute conscience de son fondateur, une création dégagée des entraves
étroites de l’esprit sémitique
15
.
Renan est par là parfaitement représentatif du sentiment de supériorité de la civilisation
occidentale moderne qui prévalait dans le monde occidental au XIXe siècle et qui perdura
durant au moins toute la première moitié du XXe siècle.
Mais, d’une part, Renan conteste avec vigueur toute définition biologique de la race : « Jamais
Renan n'a recouru à aucun critère anatomique ni physiologique pour définir ce que le XIX'
siècle désignait du nom de race
16
. » S’il recourt souvent au mot race comme le font également
Hugo, Michelet, Jules Ferrey , c’est toujours dans un sens culturel, religieux, civilisationnel,
car la notion ne relève pour lui d’aucun déterminisme biologique : « au point de vue des
sciences historiques, dit-il, cinq choses constituent l'apanage d'une race et donnent droit de
parler d'elle comme d'une individualité dans l'espèce humaine : une langue à part, une littérature
10
Henry Laurens. « Renan. Le refus du surnaturel, le génie des races et la religion du cœur », Dieu au Collège de France, Paris,
Collège de France, 2023
11
Djamel Kouloughli, « Ernest Renan : un Antisémitisme savant », Histoire Épistémologie Langage, tome 29, fascicule 2,
2007. Le naturalisme linguistique et ses désordres. pp. 91-112. Djamel Eddine Kouloughli (1947-2013) était un linguiste
franco-algérien, spécialisé dans la phonologie et la tradition grammaticale de l'arabe.
12
Cf. par exemple Régis Meyran, « Edward Sapir et Benjamin L. Whorf. La langue est une vision du monde », Nicolas Journet
éd., Les Grands Penseurs du langage. Auxerre, Éditions Sciences Humaines, « Petite bibliothèque », 2019, p. 55-58. Notons
que Régis Meyran est coordinateur scientifique de la Plateforme internationale sur le racisme et l’antisémitisme.
13
Djamel Kouloughli, op. cit.
14
Renan, Histoire générale des langues sémitiques, Paris, Imprimerie impériale,1855.
15
Renan, « De la part des peuples sémitiques dans l’histoire de la civilisation » (1862), texte qui constitue le Discours inaugural,
délivré le 23 février 1862, du cours de langue hébraïque chaldaïque et syriaque au Collège de France.
16
Laudyce Rétat, « Quand Renan dénonçait les crimes contre l'humanité », Commentaire 2000/1, n°89, pages 131 à 140.
L’auteur ajoute : « Ce portrait de race du Sémite originel, Renan l'encadre dans une double analogie : un paysage, le désert,
et une langue, nue, rythmique, faite pour l'hymne et pour l'adoration (même et surtout lorsque, comme dans Job, adoration et
blasphème se confondent en hymne). »
empreinte d'une physionomie particulière, une religion, une histoire, une civilisation », et plus
loin : « les races sont des moules d'éducation morale plus qu'une affaire de sang
17
», et
encore : « l'histoire humaine diffère essentiellement de la zoologie
18
». Ainsi déclare-t-il dans
Qu’est-ce qu’une nation ? : « Les plus nobles pays, l’Angleterre, la France, l’Italie, sont ceux
le sang est le plus mêlé. » La race est en outre pour lui une notion évolutive au cours de
l’histoire : « la race, pour nous autres historiens, est quelque chose qui se fait et qui se défait
[…] Le fait de race est immense à l’origine […] il arrive à s’effacer complètement […] je
conçois pour l’avenir une humanité homogène, où tous les ruisseaux originaires se fondront en
un grand fleuve
19
. » Si « la race » indo-européenne est porteuse de la raison, elle est aussi
légataire de l'universalisme et de la miséricorde développés, eux, par les sémites
20
. Shlomo
Sand explique
21
comment Renan, dans sa conférence « Judaïsme comme race et comme
religion
22
» cherche à démontrer que les Juifs ne constituent pas un groupe humain issu d'une
origine commune, ce qui lui permet de réfuter l'idée d’une conception biologique. Aryens et
Sémites, ces « deux grandes races nobles venues de l'Imaüs
23
», ces « deux voix indissociables
de l'humanité, l'appel à Dieu, l'appel à l'Homme, l'expression du croire et celle du savoir
24
»,
sont ensemble, dit-il, « destinées à conquérir le monde et à ramener l’espèce humaine à
l’unité
25
», autrement dit à absorber les autres races, qu’il qualifie d’« inférieures ». « Non
seulement les Juifs ont apporté la révélation du Dieu unique, le plus grand progrès spirituel de
l'humanité selon Renan, mais encore, en sauvegardant le texte hébreu de la Bible, les rabbins
tout au long du Moyen Âge ont façonné pour la pensée critique le puissant levier qui, au-de
même de la Réforme, devait susciter l'exégèse des temps modernes
26
. »
D’autre part, il ne faut pas confondre ce sentiment de supériorité, réel on l’a dit chez Renan
comme dans toute la société occidentale de son époque, et l’antisémitisme, c’est-à-dire une
animosité contre les juifs, même si l’un est évidemment de nature à nourrir l’autre.
L’antisémitisme était d’ailleurs virulent dans l’Europe du XIXe siècle ; il était véhiculé en
particulier par la revue des Jésuites La Civiltà Cattolica, qui « publia des centaines d’articles
contre les juifs entre 1881 et 1903 et de nombreux comptes rendus de livres antijudaïques et
antisémites jusqu’en 1914, [… accusant] les juifs [d’être] à l’origine de tous les maux, […] la
17
Renan, Œuvres complètes en 10 vol., éd. Psichari, 1947-61, p. 553-571.
18
Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? discours a prononcé, le 11 mars 1882, à la Sorbonne
19
Renan, Essais de morale et de critique, in Œuvres complètes, vol. X, p. 203.
20
Si la spécificité de la primauté grecque donnée à la raison est peu contestable, l’universalisme est quant à lui plus facilement
attribuable à la philosophie grecque, au droit romain et au catholicisme qu’au judaïsme (cf. par exemple François Jullien, De
l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Paris, Fayard, 2008). En ce qui concerne en revanche
la miséricorde, « la Grèce n'eut [selon Renan] qu'une lacune mais cette lacune fut considérable. Elle méprisa les humbles et
n'éprouva pas le besoin d'un Dieu juste. » (Renan, Histoire Du Peuple d’Israël, t. 1, Préface). Laudyce Rétat évoque en revanche
« l’enthousiasme de Renan pour le prophétisme hébreu, fondateur de la conscience morale, sa consonance avec l'énergie
spirituelle du Juif, moteur de l'histoire, héros de justice. » De fait, si « Homère et le théâtre grec célèbrent la miséricorde et la
compassion […,] Platon, Aristote et les stoïciens ont cependant estique c’était non des vertus, mais des faiblesses,
pardonnables seulement chez les vieillards et les enfants. Ces philosophes encouragent la pitié envers tout être humain, mais
ils méprisent les sentiments de compassion, parce que plus l’émotion est forte, plus l’âme est troublée et moins l’intelligence
et la volonté gouvernent le comportement. » (Roch A. Kereszty, « La miséricorde », Communio n°243 Janvier - Février 2016
- Page n° 75). Si les Grecs avaient bien une déesse de la pitié, de la compassion et de la miséricorde, Eléos, elle était célébrée
seulement à Athènes.
21
Shlomo Sand, De la nation et du peuple juif chez Renan, Ed. Les liens qui libèrent, 2010.
22
Conférence de Renan à la Société historique, le 27 janvier 1883.
23
Renan, Histoire générale des langues sémitiques, op. cit.
24
Laudyce Rétat, « À propos du prétendu racisme de Renan », op. cit.
25
Renan, L’origine du langage [1848], Paris, Michel Lévy, 1858, p. 232-233. Ces deux ouvrages, L’origine du langage et
Histoire générale des langues sémitiques, ont préparé Renan à construire « le monument qui devait occuper toute sa vie »,
L’Histoire des origines du christianisme, (1863-1883) et « son nécessaire complément, L’Histoire du peuple d’Israël (1887-
1893), d’après Jean Gaulmier, article « Ernest Renan », Encyclopaedia Universalis, 1985.
26
Laudyce Rétat, « Quand Renan dénonçait les crimes contre l'humanité », op. cit. L’auteur ajoute : « Renan définit une double
dette [de l’Occident] : envers nos pères spirituels, les Juifs, envers nos “ancêtres naturels”, les peuples de l'Inde, relayés par la
Grèce et par Rome. »
pieuvre qui étouffait le monde moderne
27
», et qui « demandait d’exclure les juifs de France,
d’Allemagne et d’Italie
28
». Renan, quant à lui, « refuse à toute “supériorité” le droit d'humilier
une conscience. […T]oute conscience est pour lui “sacrée” et ses droits sont
imprescriptibles
29
». Laudyce Rétat propose de distinguer « les présupposés raciaux », dont
relève typiquement le sentiment de supériorité occidental auquel Renan participait, et « la
pensée raciste », qui véhicule un sentiment non seulement de supériorité, mais aussi d’hostilité
et de vindicte, elles totalement absentes chez Renan.
Renan, qui dénonce l’esclavage des Noirs comme « abominable
30
», prend aussi la défense des
Juifs. À titre d’exemple, dès 1848 il s’élève contre l’enlèvement des enfants juifs par l’Église
(dont l’exemple le plus fameux sera dix ans plus tard l’affaire Mortara
31
) :
Le droit de la famille, assurément, celui-l'Église de ces dernières années l'a passablement exploité
contre l'enseignement de l'État. Pour enlever la jeunesse à l'éducation publique, qui n'était pas de son goût,
elle réclamait avec un libéralisme vraiment édifiant les droits de la famille sur l'enfant. Mais savez-vous
comment elle les a respectés sur l'éducation religieuse ? Elle a établi, en pratique sinon en principe, le
droit d'enlever l'enfant à sa famille quand celle-ci n'était point orthodoxe (...). Plusieurs théologiens
accordent au prince le droit de faire baptiser de force les enfants des juifs et des infidèles, et la raison
qu'ils en apportent est évidente : le prince a le droit d'empêcher son père d'assassiner son fils. Or, en le
retenant dans l'infidélité, il fait pis que l'assassiner. Tous au moins conviennent que l'enfant, gagné à
l'orthodoxie par quelque captation que ce soit, sort par là de la domination de ses parents...
32
En 1858, il dénonce « le crime contre l’humanité [il est semble-t-il le premier à utiliser cette
expression] que commettait le Moyen Âge quand il persécutait les Juifs
33
. »
Comme on l’a déjà évoqué au début de cet article, il combat les calomnies colportées à l’égard
des Juifs, par exemple dans cette lettre de 1882 au rabbin Léopold Lipschitz en réponse à
l’invitation par l’Assemblée de rabbins de fournir des témoignages sur les accusations de
meurtre portées par les chrétiens contre les Juifs
34
:
Entre toutes les calomnies qui ont servi d’aliment à la haine et au fanatisme, celle qui attribue aux Juifs
des meurtres destinés à fournir la matière de festins sanglants est assurément la plus absurde. Un des traits
caractéristiques de la religion israélite est l’interdiction de faire servir le sang à la nourriture de l’homme.
Cette précaution, excellente à une certaine époque, pour inspirer le respect de la vie, a été conservée par
le judaïsme avec un scrupule extrême, même à des époques et dans des états de civilisation où elle n’est
plus qu’une gêne. Et l’on veut que l’israélite zélé, qui mourrait de faim et souffrirait le martyre plutôt que
de manger un morceau de viande qui n’a pas été saigné à blanc, se repaisse de sang dans un festin
religieux ! Cela est monstrueux d’ineptie. Je suis persuadé que pas un seul des récits que l’on fait sur de
prétendues pâques sanglantes n’a de fondement réel. Non seulement, si un pareil crime s’était produit, il
faudrait dire que le misérable qui s’en serait rendu coupable aurait manqué à toutes les prescriptions du
judaïsme, mais je vais plus loin : je crois que le crime en question n’a pas été commis une seule fois.
L’imagination humaine n’est pas très variée en fait de calomnies. La fable de repas mystérieux, arrosés
de sang humain, a été la machine de guerre inventée dans tous les temps contre ceux qu’un préjugé
aveugle a voulu perdre. Cette calomnie fut la cause de déplorables persécutions contre le christianisme.
Assurément l’agape chrétienne ne fut jamais souillée par une telle abomination. La pâque juive en est tout
27
Riccardo Calimani, « Juifs et chrétiens aujourd’hui », Le préjugé antijuif, sous la direction de Riccardo Calimani. Paris,
Tallandier, « Texto », 2009, p. 289-312
28
Georges Zimra, « Le mystère du sang », Topique, 2010/4 (n° 113), p. 43-56.
29
Laudyce Rétat, « À propos du prétendu racisme de Renan », op. cit.
30
Renan, Dialogues philososphiques, Œuvres complètes, I, 556.
31
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Mortara
32
Renan, « Du libéralisme clérical », La liberté de penser, mai 1848, p. 523-524. Cité par Le Monde, « Quand des enfants
deviennent des enjeux », 01/08/1987.
33
Renan, « Les traductions de la Bible », Journal des débats, 8 déc. 1858, recueilli dans Nouvelles Études d'histoire religieuse,
1884, Œuvres complètes, éd. H. Psichari, Calmann-Lévy, 1947- 1961, t. 7, p. 823.
34
Leopold Lipschitz, Christliche Zeugnisse Gegen die Blutbeschuldigung der Juden, Walther & Apolant, 1882
aussi innocente. Il serait digne du christianisme d’empêcher qu’on n’exploite contre d’autres le mensonge
odieux dont il a lui-même si injustement souffert
35
.
« Dans la dernière partie de sa vie, commente Maurice Gasnier, [quand il] a su quels drames
vivait la population juive d’Europe centrale et de Russie, [il] a usé de son influence pour y
remédier
36
» :
Renan fut l’auteur, au début de la Troisième République, de plusieurs articles qui, grâce à son autorité
incontestée de philologue libéral, devaient servir la cause de l’anti-antisémitisme, c’est-à-dire la lutte
contre l’antisémitisme montant à la suite de La France juive d’Édouard Drumont (1886). Ainsi Renan
proposait-il d’identifier les ennemis du judaïsme et ceux de l’esprit moderne, c’est-à-dire de la science,
de la laïcité et de la République
37
.
Renan avait personnellement des amis juifs engagés, comme le philologue allemand Jacob
Bernays, fondateur du Séminaire théologique juif de Breslau
38
. Il devint d’ailleurs la cible des
antisémites tels Henri Desportes, Jules Soury
39
, et Édouard Drumont qui « s'en prit violemment
à Renan en tant qu'ami des Juifs et les associa dans sa hargne comme apostats” et
“déicides”
40
. » Et, selon Peter Schöttler, « tous les antidreyfusards étaient en même temps des
adversaires de Renan
41
. »
Jean-Pierre Castel
14/07/2023
35
Renan, lettre ouverte adressée à Monsieur Léopold Lipschitz, version française parue dans La Revue des études juives, tome
VI, 1882, Paris, à la librairie A. Durlacher, t. VI, 1882, p. 155
36
Maurice Gasnier, op. cit.
37
Antoine Compagnon, « Chapitre II. Antisémitisme ou antimodernisme, de Renan à Bloy », Les antimodernes. De Joseph de
Maistre à Roland Barthes, sous la direction de Antoine Compagnon. Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2016, p. 232-262.
38
Cf. Julien Weill, « Jacob Bernays et Ernest Renan », Revue des études juives, tome 95, n°189, juillet-septembre 1933. pp.
76-81.
39
Maurice Gasnier, op. cit.
40
Laudyce Rétat, « Quand Renan dénonçait les crimes contre l'humanité », op. cit.
41
Peter Schöttler, op. cit. Rappelons que l’affaire Dreyfus éclata en 1894, deux ans après la mort de Renan.
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