PART DE LA FONCTION PUBLIQUE DANS L’INEFFICACITE DE NOTRE ENSEIGNEMENT PUBLIC Mustapha HMIMOU Comme en matière de gestion et d’administration des affaires, pour résoudre tout dysfonctionnement dans le secteur public il faut en dégager la ou les causes déterminantes À ne jamais confondre avec les causes secondaires dont l’impact est partiel et circonstancié. Or les multiples rapports d’évaluation nationaux se focalisent surtout sur celles-ci. Nous en citons ici en guise d’exemples celles signalées dans cet extrait du rapport de l’INESEF quand il dit : « Les faibles performances scolaires des élèves, sont tributaires de plusieurs facteurs différenciateurs comme l’accès au préscolaire, les conditions d’apprentissage, la qualité de l’encadrement, l’usage des TIC et le niveau socioculturel de la famille».. Et comme en médecine, qui se trompe de diagnostic se trompe nécessairement de remède. C’est ce qui explique depuis longtemps les multiples échecs des réformes de notre système éducatif. Pour la même raison, la Vision Stratégique de Réforme 2015-2030, mise en œuvre depuis voilà huit ans, est assez mal partie selon le récent rapport d’évaluation et de suivi du CSEFP. Le bon diagnostic reste donc tributaire de la découverte et mise en évidence de ou des causes déterminantes de l’inefficacité, à savoir celles dont l’impact négatif est total en toute circonstance. Dans notre ouvrage POUR UN SYSTEME D’ENSEIGNEMENT EFFICACE ET PERFORMANT nous avons pu dégager, preuve à l’appui, deux facteurs qui affectent l’efficacité de l’école publique ainsi que celle de l’enseignement post-primaire d’une manière totale et quelque soient les circonstances. Il s’agit donc des fameux facteurs déterminants, non pas négligés ou ignorés, parce que cela suppose qu’ils sont connus, mais de facteurs plutôt insoupçonnés. Il s’agit tout d’abord de la FONCTION PUBLIQUE, dite aussi et souvent ADMINISTRATION PUBLIQUE. Et il s’agit ensuite de ce qu’il convient de qualifier de MASSIFICATION DES EFFECTIFS DE L’ENSEIGNEMENT GENERAL POST-PRIMAIRE. Voyons dans cet article ce qu’il en est au juste du premier facteur et d’une esquisse de la solution proposée, quitte à faire de même pour le second dans le prochain article. Oui, la fonction publique. Et c’est la Cour des Comptes, qui à bon escient, a mis le doigt sur ce premier facteur déterminant de l’inefficacité de notre système éducatif public. Elle lui a consacrée un rapport entier intitulé FONCTION UBLIQUE. Elle y signale en substance que les fonctionnaires ne sont responsables que de l’exécution des taches qui leur sont confiées, sans nul égard aux résultats qui en résultent. Elle dit en substance : «La responsabilité est une valeur centrale du service public que consacre l’article 17 du Statut Général de la Fonction Publique qui dispose que : «Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées» ». 1 Or il y a une sacrée différence entre être responsable de la simple exécution d’une tâche et être responsable du résultat qui en découle. Quand, par exemple, vous faites réparer votre voiture vous ne payez le mécanicien qu’après avoir vérifié le résultat de la tâche exécutée. C’est qu’inconsciemment vous savez que la simple exécution de la tâche n’aboutit pas nécessairement au bon résultat escompté. Et voilà ce qu’il doit en être selon l’article 156 de la constitution de notre pays : « Les services publics sont à l’écoute de leurs usagers et assurent le suivi de leurs observations, propositions et doléances. Ils rendent compte de la gestion des deniers publics conformément à la législation en vigueur et sont soumis, à cet égard, aux obligations de contrôle et d’évaluation ». Cependant voilà ce qu’il en est dans les faits selon le même rapport de la Cour des Comptes quand il dit : «Si la Constitution définit ainsi le service public, cet idéal ne correspond, cependant, pas à la réalité en ce sens que l’image de l’Administration marocaine chez l’opinion publique n’est pas toujours à la hauteur des valeurs qu’elle est supposée véhiculer». Par Administration il faut entendre ici fonction publique. Mais il n’y a nullement lieu de s’en étonner quand on sait que la tradition dans celle-ci garantit ce fameux privilège de l’article 17 du SGFP précité. Il s’en suit tout naturellement un rapport de forces déséquilibré en faveur du prestataire du service public et au détriment du citoyen-usager ayant droit. C’est ce que le rapport de la Cour des Comptes constate et signale en ces termes : «L’usager du service public reste démuni devant la complexité des procédures et sa relation à l’Administration est vécue comme un rapport de forces qui lui est défavorable en ce sens que l’Administration ne se trouve pas dans l’obligation de rendre compte … Les usagers du service public (citoyens et entreprises) trouvent que les mécanismes de recours ou de plaintes à l’encontre de l’Administration publique sont lourds, peu fiables et peu efficaces et ce, à cause de l’absence de sanctions en cas de manquement des fonctionnaires à leurs missions ou à l’éthique». Ainsi selon sa nature intrinsèque l’Administration publique ne peut donc être aussi efficace pour gérer les divers services publics et satisfaire les intérêts des citoyens-usagers ayants droit que ne l’est par exemple l’administration de la société anonyme au profit de ses actionnaires. La Cour des Comptes le confirme à très juste titre quand elle parle de la raison pour laquelle l’Etat, par souci de rentabiliser ses investissements, ne confie jamais à l’Administration publique la gestion des services publics à caractère marchand qui sont payants. Elle dit en l’occurrence : «En général, la création d’un EEP [Etablissement et Entreprise Publics] est décidée pour répondre à des situations où l’Administration s’avère inadéquate ou incapable d’accomplir certaines de ses missions dans des conditions d’efficacité et d’efficience». Pourtant l’Etat le fait volontiers et partout dans le monde, quand il s’agit du service public censé satisfaire les intérêts légitimes et prépayés des citoyens. Et le même rapport de la Cour des Comptes persiste et signe pour dire que la nature 2 du statut de la fonction publique est inadaptée aux besoins de gestion moderne du capital humain d’un établissement public stratégique avec des obligations de performance et de résultat. Il le dit quand il critique le statut du personnel de l’Office National Des Aéroports (l’ONDA) en tant qu’entreprise publique à caractère marchand. Il le dit en ces termes : « Le personnel de l’ONDA est régi par un statut semblable à celui appliqué dans la fonction publique (sic). Il s’écarte fortement des pratiques en vigueur dans le secteur. Les procédures de recrutement, de rémunération, d’évaluation et de motivation sont inadaptées aux besoins de gestion moderne du capital humain d’un établissement public stratégique avec des obligations de performance et de résultat et qui est en concurrence avec d’autres opérateurs pour l’attrait de cadres de qualité». Quid alors de tous les services publics prépayés par la société de gré ou de force et dus aux intérêts légitimes des citoyens ? Méritent-ils d’être livrés à la gestion de la même Administration publique qui n’est pas ainsi digne de confiance de l’Etat pour qu’il lui confie la gestion des services publics payants ? Ne méritent-ils pas aussi d’être confiés à des systèmes de gestion qui doivent nécessairement être efficaces, efficients et performants ? Le système éducatif en l’occurrence, ne mérite-t-il pas d’être également considéré comme un secteur public hautement stratégique avec des obligations de performance et de résultat, pour confier aussi sa gestion à des établissements publics dont le statut du personnel est différent de celui de la fonction publique ? Voilà ce qu’en dit la Banque Mondiale : « La responsabilisation des décideurs envers les citoyens peut faire en sorte que l’éducation serve mieux les objectifs les plus larges de la société ». Il en est de même chez nous au Maroc bien sûr, quand par exemple l’ancien ministre de l’éducation national monsieur Saïd Amzazi parle de “redevabilité sociale” et dit en substance : «Toutes les actions menées dans l’objectif d’améliorer le système d’éducation primaire ne sauraient engendrer un impact suffisant si l’on n’y intègre pas une approche “redevabilité sociale”». L’objectif de gouvernance est bien là, mais l’outil de gestion auquel on fait souvent référence n’est pas de nature à rendre l’organisation du système efficace, et sans quoi, les citoyens en même temps contribuables et usagers s’en trouvent doublement perdants, tout comme celui qui paie d’avance le beurre, puis se retrouve sans beurre ni l’argent du beurre. Sauf qu’il n’est pas question ici de beurre, mais de l’intérêt général stratégique qui concerne la valorisation du capital humain, l’intérêt général du pays et les deniers publics qui le financent. Quid alors de la solution proposée dans notre ouvrage ? Les moyens sérieux et efficaces pour obtenir la gouvernance escomptée pour l’ensemble des services publics sont plutôt ceux visés par ce passage du message royal quand il dit : «L’impératif d’une gestion efficiente des ressources et la satisfaction nécessaire des exigences du développement global posent avec acuité la question fondamentale de l’efficacité de l’Administration publique et des établissements de l’Etat.». Et le même message royal d’ajouter : «De plus, ce grand chantier de réforme nécessite l’amélioration des structures organisationnelles, le développement des méthodes de gestion, la moralisation du service public et le perfectionnement du cadre juridique. Pour cela, il est souhaitable et utile de s’inspirer du modèle managérial du 3 secteur privé, ainsi que des meilleures pratiques internationales dans ce Domaine ». Et tel est justement l’objet de la réforme proposée dans notre ouvrage pour notre système éducatif. A l’inverse de la santé publique par exemple, l’évaluation du rendement de l’enseignement public, de par sa nature, est quantifiable à la fin de chaque année scolaire. Son évaluation périodique est donc possible. Et elle permet ainsi la fameuse gestion axée plutôt sur les résultats et les performances tant espérés. Il s’agit là d’une aubaine à saisir pour sortir enfin notre système éducatif de sa crise endémique. La solution est donc assez simple. Il ne s’agit pas de réinventer la roue. Les matériaux de la rénovation existent déjà. De quoi s’agit-il au juste ? Nous proposons dans notre ouvrage de retirer à la fonction publique la gestion des trois cycles de l’enseignement fondamental pour la confier à trois nouveaux OFFICES de service public à l’instar de l’Office de la Formation Professionnelle et d’y intégrer complètement celui-ci pour des raisons que nous développerons dans l’article prochain. L’on aura alors une nouvelle architecture du système d’enseignement représentée par les deux structures suivantes : L’enseignement fondamental Structure pédagogique proposée L’enseignement supérieur Le marché du travail L’Enseignement Général Qualifiant l’Enseignement Technique Qualifiant l’Enseignement Professionnel Qualifiant L’Enseignement Général Collégial l’Enseignement Technique Collégial l’Enseignement Professionnel Collégial L’enseignement primaire L’enseignement fondamental Structure institutionnelle proposée L’enseignement supérieur L’Office Le marché du travail de l’Enseignement Général Qualifiant L’Office L’Office de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle de l’Enseignement Général Collégial [version nouvelle de l’OFPPT] L’Office de l’Enseignement primaire A l’inverse de l’administration publique, il s’agit d’OFFICES dont le rendement sera soumis à l’évaluation à la fin de chaque année scolaire et dont le personnel assumera pleinement ses résultats pour être récompensé ou sanctionné en conséquence. Ladite évaluation se fera par les résultats des examens de fin d’études de chacun des trois cycles. Et afin de ne pas être juge et partie pour ce faire, comme c’est le cas de nos jours avec l’administration publique, c’est le cycle suivant qui s’en occupe exclusivement et exhaustivement. A titre d’exemple, c’est l’enseignent supérieur qui s’occupera ainsi des examens des 4 différents types de baccalauréat. Ce ne sera pas impossible, car l’effectif des candidats sera réduit des deux tiers par rapport à aujourd’hui, grâce à l’orientation précoce et systématique que nous développerons l’article prochain. Et tout le personnel de l’office du secondaire qualifiant assumera la responsabilité des résultats de l’ensemble des examens des différents types de bac, à l’échelle national pour son directeur général, à l’échelle régionale par chacun des directeurs provinciaux, et à l’échelle locale par le personnel enseignant de chaque lycée en plus du reste de son personnel dont la mission a un rapport direct ou indirect avec son rendement. Ainsi nul n’y échappera au fameux principe de la reddition des comptes à la fin de chaque année scolaire. Et comme l’office n’est pas responsable des établissements privés, les résultats de ceux-ci seront pris en compte à part dans un classement par ordre de mérite de l’ensemble des établissements publics comme privés, afin d’éclairer les parents des élèves de ceux-ci sur leur efficacité et n’en subsistera ainsi dans le marché que les établissements les plus performants. De la même manière, chacun des offices restant sera responsable à la fin de chaque année scolaire des résultats des examens de fin d’études du cycle qu’il gère. Examens dont s’occupera toujours exclusivement et exhaustivement l’office du cycle suivant, qui à coup sûr n’aura nullement intérêt à se montrer complaisant vis-à-vis de quiconque. Et comme il se doit tout son personnel sera chaque année scolaire soumis à la fameuse reddition des comptes tant espérée pour le plus grand bien des apprenants, de leurs parents, de l’économie, des deniers publics et de l’avenir socio-économique du pays. Une foule de questions doit se bousculer dans la tète du lecteur. Qu’il soit rassuré, car nous les avons prises en compte et y avons répondu dans notre ouvrage, dont la version arabe est déjà éditée et publiée. Reste cependant l’orientation tardive et aléatoire des élèves des collèges et des lycées qui se traduit par une massification des effectifs de l’enseignement général postprimaire et qui constitue le second facteur déterminant de l’inefficacité du reste du système éducatif. Qu’en est-il au juste ? tel est l’objet de l’article prochain. Source : POUR UN SYSTEME D’ENSEIGNEMENT PERFORMANT. Version française de notre ouvrage déjà publié : EFFICACE ET مقترح حل أزمة التعليم بالمغرب بتحديث هندسته التنظيمية Pour une meilleure illustration de notre proposition de réforme nous invitons le le lecteur à voir ce DIAPORAMA. 5