quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle Quelle exploration minière pour le XXI ème siècle ? Daniel Normand (1) , Etienne Wilhelm (2) A l’aube du XXIème siècle qui voit le développement de l’économie mondiale dominé par les “High Tech.”peu consommatrices de métaux, on est en droit de s’interroger sur le rôle que les matières premières métalliques peuvent encore jouer dans l’avenir. En effet, malgré une croissance constante de la consommation et donc de la production, les prix des principaux métaux sont au plus bas. Est-il nécessaire dans ces conditions de rechercher ces matières premières,d’autant que leurs réserves connues à ce jour permettent largement, au rythme actuel de la production, de couvrir les besoins pendant les prochaines décennies (cf. tableau 1) ? En corollaire, y a-t-il encore un avenir pour les géologues miniers qui viennent de faire l’objet de licenciements massifs au Canada et en Australie (on cite le chiffre de 2 000 géologues australiens mis à pied), à la suite de restructurations massives dans l’industrie extractive. Pour un jeune français, y a-t-il un avenir dans ce secteur où peu d’entreprises de notre pays sont présentes? Devant la stagnation des cours des métaux et la baisse constante de sa rentabilité, l’industrie minière mondiale a en effet été obligée de réaliser de substantiels gains de productivité passant, en général par la fermeture de mines dont l’économie n’était plus assurée et, en particulier, bien souvent par une augmentation des teneurs exploitées. Il s’esquisse ainsi, très schématiquement, de nouveaux objectifs à l’exploration : rechercher des gisements plus rentables, donc, soit plus riches, soit plus gros, soit les deux à la fois, et l’on touche là au rêve et quelquefois à la réalité du “company maker”, objectif, souvent chimérique, de toute société minière. Cette évolution est déjà largement rentrée dans les faits, car, pour prendre l’exemple de l’or, l’objectif minimum assigné par les principaux groupes miniers à leurs équipes d’exploration est passé d’un million d’onces (1 oz = 31,1 g) à quelques millions d’onces durant ces cinq dernières années. On ne peut non plus exclure, sur le plus long terme, une remise à niveau durable des prix permettant à l’industrie de financer les multiples contraintes que le monde moderne attend qu’elle affronte et résolve. Une relance de l’exploration est ainsi justifiée, et ce d’autant plus rapidement qu’il faut au minimum dix ans pour passer d’un indice à la découverte d’un gisement... Après avoir fait le point sur l’évolution de la production minière, les réserves, l’exploration et ses techniques, et les relations de l’industrie minière avec l’environnement, on examinera leurs répercussions sur le devenir de la profession de géologue minier en France. Introduction Au cours du XXème siècle, la croissance de l’économie mondiale a été pour l’essentiel étroitement associée au développement de l’industrie lourde: industrie de l’acier, de l’aluminium et des ferro-alliages (Fe, Ni, Mo, Mn, Co, V, W) et à l’utilisation des métaux de base (Cu, Pb, Zn, Sn ), pour la production des biens d’équipement.La plupart de ces métaux,ont vu leur production croître régulièrement, parallèlement aux résultats positifs de l’exploration et à la croissance mondiale. Ils ont suivi, voire anticipé la demande également grâce à des gains substantiels de productivité dans les mines. Rétrospectivement,on constate que l’économie mondiale suit des cycles plus ou moins longs,marqués par des périodes de forte croissance suivies de périodes de récession. La figure métaux 1991 1992 1993 1994 1995 Fer contenu en milliard de tonnes Aluminium en millions de tonnes* Cuivre en millions de tonnes* Zinc en millions de tonnes* Plomb en millions de tonnes* Cobalt en milliers de tonnes Titane en millions de tonnes de dioxide Nickel en millions de tonnes* Etain en milliers de tonnes de concentrés* Or en tonnes* 0,95 15,1 7,45 7,23 2,39 19,5 3,3 0,92 134 2160 0,92 14,9 7,62 7,24 2,3 17,9 3,64 0,88 115 2233 0,93 15,1 7,7 6,76 1,99 13,8 3,73 0,89 130 2290 0,96 14,4 7,68 6,73 2 14,8 3,83 0,87 109 2278 1,03 14,6 8,26 6,98 2 16,8 3,88 1,01 131 2273 1996 1997 1,02 15,5 9,15 7,22 2,16 20,9 4,1 1,05 138 2357 1,05 16,1 9,44 7,34 2,09 21,4 4,26 1,07 141,9 2480 croissance réserves connues en 1997 1998 sur 8 ans tonnes années 1,06 16,4 10,1 7,31 2,2 26,3 1,11 136,6 2555 11,50 % 8,60 % 35,50 % 1,10 % -9,20 % 34,80 % 30,30 % 20,60 % 1,90 % 18,20 % 65 milliards de tonnes 61,3 4 milliards de tonnes 2400 300 millions de tonnes 29,7 140 millions de tonnes 19,1 68 millions de tonnes 30,9 4 millions de tonnes 152 310 millions de tonnes 72,7 47 millions de tonnes 42,3 7 millions de tonnes 51,2 51 000 tonnes 19,9 Données extraites de Minerals Handbook (production mondiale), de Mining magazine et de Minerals and Metals (production EMEC - Established Market Economy Countries) * Correspond aux productions EMEC 76 Tableau 1 : Production des principaux métaux de 1991 à 1998 1. Retraité, Directeur Géographique, BRGM et La Source (Groupe Normandy), 49 boulevard Saint-Germain - 75005 Paris 2. Retraité, Directeur d’Exploration, BRGM et La Source (Groupe Normandy), 449 rue Basse - 45590 Saint Cyr en Val Géologues n°124 quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle 1 présente l’évolution “globalisée”des prix des substances nonénergétiques depuis 1980. Elle illustre la baisse régulière des cours, ou au mieux leur stagnation en valeur corrigée à partir de 1996, amorçant ainsi une phase de repli qui ne semble pas encore s’inverser actuellement malgré la reprise récente des cours de certains métaux comme le nickel. Non-Energy Commodity Price Index (US $) (1990 = 100) 130 110 90 70 50 30 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 Figure 1 : Variations des prix des substances non énergétiques (1988-1998) Source : World Bank Evolution de la production minière (1991-1998) Nous avons repris, dans le tableau 1, les chiffres de production de quelques-unes des principales matières premières, hors énergie et engrais, mais incluant un minéral industriel, l’oxyde de titane, bon indicateur de l’activité industrielle et du bâtiment (peintures). Figure de même sur ce tableau, et pour chaque substance, l’évolution de la production durant les huit années prises en compte, ainsi que les réserves connues en 1997. Ces données sont extraites des statistiques des compilations annuelles de Mining Journal (Metals and Minerals et Mining Annual Review) et du Minerals Handbook de 1998 publié par Stocktom Press. Des imperfections demeurent. Elles sont liées à la nature des chiffres pris en compte qui sont, selon les cas, soit la totalité de la production mondiale soit celle des pays à économie de marché (EMEC -Established Market Economy Countries) qui fait abstraction d’une partie de la production des pays de l’Est. Ce tableau fait ressortir:une régression de l’étain, une stabilité du plomb et du zinc, une légère augmentation, de l’ordre de 1 à 2%, du fer, de l’aluminium,du nickel et une progression plus importante,de 2 à 4%, du cuivre, du titane, du cobalt et de l’or. Ces taux de progression de l’industrie extractive sont inférieurs à ceux de la croissance mondiale. En effet, le recyclage des métaux contribue à une part croissante des besoins de consommation; d’autre part, les progrès technologiques réalisés permettent à l’industrie de transformation d’utiliser moins de matière première pour produire des biens d’équipement similaires. L’exemple de l’allègement des voitures, par l’utilisation d’aciers ou d’alliages de meilleure qualité, est bien connu. Enfin, une partie de plus en plus importante de la croissance mondiale, en particulier aux Etats-Unis, en Euro- pe et au Japon, est le fait de secteurs économiques à plus faible consommation unitaire de métaux, puisqu’il s’agit du secteur des services, voire, très récemment, de la “nouvelle économie”(si ce terme a un sens!). La production minière, très dépendante de la santé de l’économie,peut être fortement perturbée en cas de récession, comme cela s’est vu récemment avec la crise asiatique de 1997. L’augmentation des stocks engendre une baisse parfois très rapide des cours.Ce phénomène est clairement mis en évidence par le diagramme relatif au zinc avec l’excellente corrélation entre la croissance du stock et la baisse des cours de 1993 à 1997 (Figure 2). Il y a similarité pour le cuivre. La surproduction de ce métal devrait se poursuivre encore quelques temps puisque, d’ici 2001, le différentiel de production entre l’ouverture de nouveaux gisements et la fermeture de mines les moins rentables serait positif et de l’ordre de 1,8Mt - Metals and Minerals (1998). USD/Lb LME Zn Avg Monthly Price vs Month End Inventory MetalPrices.Com MT x 10,000 1.00 140 .90 120 .80 100 Price .70 Thru 10/99 80 .60 60 .50 40 .40 20 Inventory .30 0 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Figure 2 : Variations des prix (price) du zinc et des stocks (inventory) de 1989 à 1999 Quelles leçons pour l’avenir ? A priori, la croissance actuellement observée aux USA et en Europe reste soutenue et aucun indice économique ne justifie une poursuite de la baisse des cours telle qu’elle est apparue, durant la dernière décade pour le cuivre, le nickel, le zinc et l’or (Figures 3 et 4). Si la tendance générale s’est maintenue à la baisse en 1999, les dernières statistiques de fin 1999 et début 2000 indiquent une certaine remontée des cours. Cela est bien marqué en particulier pour le nickel dont le redressement du prix est lié à l’augmentation de 5 %, en 1999,de la consommation d’acier inoxydable.Selon les experts, cette tendance devrait se poursuivre, ce qui est encourageant car l’acier inoxydable, très largement utilisé dans l’industrie, est considéré refléter l’évolution de l’activité économique. Cette remontée apporte une lueur d’espoir pour une reprise des cours des autres métaux. Pour les pondéreux, comme le fer, l’évolution des prix est plus difficile à appréhender. Ceux-ci sont en effet définis dans le cadre de contrats à long terme entre les compagnies productrices et les aciéries consommatrices. Les données Géologues n°124 77 quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle La rentabilité de l’industrie minière face aux autres secteurs 7 150 6 130 4 90 3 70 US Dollars (Ni) US cts (Cu, Zn) 5 110 2 50 1 30 0 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Cu: cts/lb Zn: cts/lb Ni: $/lb Figure 3 : Variations annuelles des cours de Cu, Zn, Ni (1988-1998) 450 Un autre facteur pousse l’industrie minière à réformer ses structures : la baisse tendancielle de sa rentabilité. La figure5 montre que la rentabilité de l’industrie minière, prise globalement, a été de 5% depuis 1975. Cependant, si l’on observe une période plus récente, on voit que la rentabilité est proche de zéro sur les derniers quinze ans. Tout se passe comme si les gains de productivité, générés par la découverte et l’exploitation de gisements plus riches (impliquant, à techniques constantes, une baisse du prix de revient de l’unité de métal produite) et par des techniques de production plus performantes dans les mines et dans les usines métallurgiques, finissaient par se retourner contre l’industrie en induisant des baisses de cours encore plus importantes en tendance, et donc des chutes de bénéfices plus rapides que les gains de productivité. World Extraction Industries Index – real US$ terms 700 400 US dollars 600 8% Compound growth rates World Index 7% 500 6% 400 350 5% 300 4% 200 300 100 0 Dec-75 Dec-76 Dec-77 Dec-78 Dec-79 Dec-80 Dec-81 Dec-82 Dec-83 Dec-84 Dec-85 Dec-86 Dec-87 Dec-88 Dec-89 Dec-90 Dec-91 Dec-92 Dec-93 Dec-94 Dec-95 Dec-96 Dec-97 Dec-98 Dec-99 Au : US$/oz 250 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Figure 4 : Variations annuelles des cours de l’or (1988-1998) disponibles indiquent néanmoins une lente érosion des cours à la production (9 à 16 %) et une baisse allant jusqu’à 35 % des prix de certains aciers en raison de la crise asiatique. Ainsi, malgré une résorption progressive de cette crise et malgré les bonnes performances des économies américaines et européennes, on ne voit pas encore d’inversion franche du cycle. Ceci n’est pas uniquement dû à l’existence de surcapacités de production ou à l’importance des stocks, mais semble également lié à une certaine inquiétude sur les capacités de l’industrie japonaise à retrouver une pleine croissance et à adapter, en particulier, ses structures sociales à la mondialisation de l’économie.Cependant,la situation actuelle peut évoluer très rapidement et “le bout du tunnel” pourrait être proche avec une demande accrue, à court terme, pour certains métaux. 78 Géologues n°124 Figure 5 : Le taux de rentabilité de l’industrie minière de 1975 à 1999 a été de 5 % par an Source : Data Stream World Extractive Industries Index Face à cette situation,l’industrie n’a pu répondre à ce jour que par des gains techniques.Cependant,alors que l’on atteint maintenant des niveaux moyens de rendement du capital qui sont très faibles, on peut se demander si cette attitude peut se poursuivre sans changements fondamentaux. Au même moment, en effet, le monde financier a des opportunités de placements dont les rendements sont bien supérieurs à ceux offerts par l’industrie extractive.On peut faire l’hypothèse qu’il va se détourner du soutien aux besoins en capital de l’industrie minière.Faute de financements,celle-ci cesserait de développer les nouveaux projets et une grave crise d’approvisionnement justifierait enfin un repositionnement des cours significativement et durablement à la hausse. En d’autres termes,il paraît difficile d’admettre que,structurellement, une industrie aussi fondamentale survive de cycle économique en cycle économique en étant le jouet de forces dont la résultante ne permet ni le maintien des quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle capacités ni la résolution des nouvelles contraintes liées à l’environnement et à la vie des communautés humaines attenantes au site minier. L’inconnue reste quand et comment les “forces du marché” intégreront cette nécessité. Pour le court terme on peut malheureusement supposer que “l’émergence des e-compagnies” et l’attrait que leur portent les financiers va accélérer le mouvement en détournant ces derniers plus vite encore de l’industrie minière. Une industrie revenant à des niveaux normaux de rentabilité considérerait évidemment l’exploration d’un œil différent. Qu’observe -t-on actuellement ? Toute baisse du cours des métaux entraîne une baisse des marges brutes et réduit les capacités d’investissement des compagnies minières. L’expérience montre que le phénomène affecte, en premier lieu, leurs budgets d’exploration. Ceuxci diminuent d’autant plus vite que la crise perdure. Selon une étude de “Metals Economic Group”, les montants globaux alloués à l’exploration, qui étaient de 5100 millions de dollars US en 1997, seraient passés à 3500 millions en 1998 et à 2700 millions de dollars US en 1999.Cela correspond à une réduction moyenne de près de 50% des budgets, réduction qui aurait toutefois été moins importante pour les métaux de base que pour l’or. Ces compressions budgétaires ont pour corollaire une suspension des opérations à hauts risques comme les prospections dites “stratégiques”(prospections régionales, “grass-root”, “greenfield”...) et une focalisation des recherches dans l’environnement géographique des mines (“around the mines”,“brownfield”...) où la rentabilité de chaque dollar investi est en général meilleure. Pour les grandes sociétés minières, ces réductions budgétaires se traduisent en outre par des restructurations, voire des changements de stratégie pouvant aller jusqu’à un arrêt de l’activité directe d’exploration (par exemple, Billiton a allégé son département Exploration de 200 personnes en 1999 pour développer une stratégie d’alliances avec des juniors). Les difficultés des “juniors”pour accéder au marché boursier, initiées en grande partie par les retombées du scandale de la société Bre-X, ont limité leurs sources de financement et par voie de conséquence leurs activités sur le terrain. Si les sociétés les plus vulnérables ont disparu, sont en sommeil ou ont valorisées comme coquilles juridiques par certains promoteurs de “e-commerce”, celles qui disposent de bons actifs vont privilégier des accords de financement avec les grands groupes en contrepartie d’une prise de contrôle en cas de découverte. La conclusion d’accords précoces entre grands groupes et “juniors” et un recours plus systématique à la sous-traitance offrent donc une voie de survie aux sociétés spécialisées. miniers en raison de la dispersion de leurs équipes, devrait se généraliser à l’avenir. Dans ce cadre, les grandes sociétés minières ne garderaient qu’une équipe dirigeante restreinte en vue de définir les stratégies et les objectifs, d’évaluer les indices et les prospects et de prendre les décisions d’investissement. Les travaux seraient, eux, confiés à des équipes de plus en plus spécialisées: campagne de géochimie ou de géophysique stratégique ou de détail, cartographie de détail, expertises structurales, pétrographiques ou minéralogiques, suivi de sondages, évaluation des ressources et des réserves, pré-faisabilité, études environnementales, etc. Plus globalement, la conclusion d’accords entre grands groupes miniers et juniors a toujours existé mais semble se généraliser. Ceci fonctionne comme une sous-traitance globale, et donne sa chance à l’esprit d’entreprise et au “ flair”des géologues d’exploration qui sont tentés par ce jeu à haut risque. Parallèlement, la mondialisation de l’industrie minière pousse à la privatisation des dernières entreprises minières d’Etat et favorise le regroupement des sociétés sous le contrôle de quelques très grands groupes. En effet, les années 60 et 70 avaient vu, principalement dans les pays émergents, une vague de nationalisations à l’image de celle des pays de l’Est après la seconde guerre mondiale. Ces systèmes ont montré leurs limites avec des exploitations en perte,une mauvaise gestion (l’Etat privilégiant,paradoxalement,le court terme par rapport au long terme), l’impossibilité de licencier des “fonctionnaires”lors de l’épuisement des réserves et donc de fermer des mines ou des exploitations déficitaires. De nombreux Etats ont donc cherché à mettre leurs ressources minières sur le marché avec des succès mitigés, soit parce que les gisements étaient en voie d’épuisement soit parce que les prix demandés étaient trop élevés (groupe C.V.G. d’aluminium vénézuélien ou mines de cuivre de Zambie). De même, dans un souci de rationalisation des productions et d’amélioration des productivités à tous les niveaux et devant les énormes besoins en capitaux pour mettre les gisements géants de demain en production (de 500 à plus de 2000 millions de dollars pour les grands gisements de cuivre), des regroupements, fusions ou prises de contrôle se multiplient : rachat de Billiton par Gencor, suivi par le regroupement des activités Or de Gencor avec celles de Gold Fields of South Africa, fusion possible d’Alcan-Alusuisse-Pechiney, fusions d’Asarco-Cyprus-Amax-Phelps Dodge, d’Anglo-De Beers ou de Nippon Mining et LG Metals en Corée du Sud, négociations entre Alcoa et Reynolds Metals, etc. Cette tendance semble devoir se poursuivre. En effet, l’appel à la sous-traitance, qui peut apparaître comme une perte d’expérience et de savoir-faire des groupes 79 Géologues n°124 quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle Exploration Quels seront les types de gisements de demain ? Il n’y a pas vraiment eu, sur le plan gîtologique et typologique,de découverte majeure ces dernières décennies depuis l’individualisation, plus particulièrement dans le domaine de l’or, des processus épithermaux de concentration en ambiance volcanique. Cela ouvre encore de larges perspectives de prospection de concentrations aurifères disséminées à gros tonnage dans toutes les chaînes volcaniques récentes à actuelles. La compréhension de ces processus est d’ailleurs largement héritée des connaissances acquises sur les systèmes porphyriques à cuivre et/ou or. Les progrès à attendre dans l’exploration de ces gisements, qu’ils soient épithermaux ou porphyriques, viendront principalement d’une lecture plus fine,même à un stade précoce, des altérations associées, en termes de zonalité, de chimisme des fluides, d’ouverture et de fracturation, de réactivité de la roche hôte, etc... La probabilité d’une mise en évidence de nouveaux types de gisements répondant aux critères économiques d’aujourd’hui et de demain, à savoir très gros tonnages se prêtant à une mécanisation intensive, ou encore teneurs élevées ou exceptionnelles permettant de très bas coûts de production, semble limitée tant pour l’or que pour les métaux de base. Le géologue continuera donc à s’intéresser en priorité aux “porphyry”(à cuivre et or),aux épithermaux,aux “shear-zones” et naturellement,aux gîtes d’altération dont l’importance économique est majeure pour Al, Fe, Ni-Co, Au, etc. Cette vision typologique schématique serait incomplète s’il n’était fait mention des concentrations volcano-sédimentaires et des “SEDEX” (Zn, Pb-Cu [?]), caractérisées par des minéralisations à granulométrie très fine,auxquelles les progrès en matière de broyage,permettant d’obtenir des mailles de libération de plus en plus fines,vont redonner de l’intérêt,compte tenu de l’importance des ressources potentielles de ce type de minerai. 80 D’une manière plus générale, il est en effet probable que les gisements de demain seront plus tributaires de l’évolution et des progrès qui seront faits dans le traitement des minerais que de ceux réalisés dans les connaissances gîtologiques. Rappelons à ce propos que ce sont les avancées technologiques au niveau métallurgique (lixiviation à haute pression) qui ont relancé l’intérêt des investisseurs pour les gisements de nickel oxydés latéritiques. Ceux-ci auraient désormais autant d’importance que les gisements sulfurés sous réserve de pouvoir apprécier sur le long terme les coûts de cette nouvelle technique. De même, les possibilités de pouvoir traiter par attaque acide les oxydés de zinc confère une nouvelle cote économique à certaines ressources déjà reconnues. Il est possible que d’autres techniques, comme par exemple la lixiviation bactérienne des minerais ou des concentrés, permettent de poursuivre, sur le long terme, le progrès technologique et donc d’accéder, dans des conditions économiques, à de nouvelles ressources en métaux. Géologues n°124 Où portera l’effort d’exploration ? Durant ces dernières années, les budgets consacrés à l’exploration ont été investis par ordre de priorité décroissant en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, puis en Australie, en Afrique et enfin en Asie du Sud Est et dans le Pacifique. Ces investissements tiennent naturellement compte, en premier lieu, de la fertilité géologique d’une région ou d’un pays, eu égard à la substance et au modèle typologique recherché, mais intègrent de plus en plus la notion de “risque pays”. Celle-ci prendra de plus en plus d’importance à l’avenir, compte tenu de la “course” vers les gisements géants avec, en corollaire, l’accroissement souvent très significatif des capitaux à mobiliser au moment de la mise en exploitation. Notons à ce propos la grande timidité des sociétés minières à investir en Afrique (à l’exception de l’Afrique du Sud (s.l.), même dans des pays “miniers”tels le Congo ou la Zambie ou encore la mise en sommeil récente de la quasi-totalité des projets en Indonésie, à la suite des changements politiques qui viennent d’intervenir dans ce pays. De quels outils le géologue disposera-t-il ? Là encore il n’y a pas de révolution en perspective. Les recherches méthodologiques s’orientent avant tout vers la mise au point d’outils de prospection les moins coûteux possibles, qu’ils soient satellitaires, géophysiques, géochimiques voire technologiques comme les sondages,permettant d’avoir accès aux concentrations non affleurantes, situées, pour fixer les idées, dans la tranche des premiers cent mètres. En effet si les régions affleurantes ou sub-affleurantes des zones tempérées à semi-désertiques semblent avoir fait l’objet d’une prospection sinon quasi exhaustive du moins systématique, en raison de leur faible couverture pédologique, l’exploration reste confrontée à un défi majeur en ce qui concerne la mise en œuvre de techniques efficaces adaptées aux régions à forte altération climatique ou à couverture allochtone (régions intertropicales et nordiques).Il n’est ainsi pas déraisonnable de penser que les découvertes majeures de demain seront faites prioritairement dans ces régions, à la fois à la faveur d’avancées technologiques des outils et d’une compréhension accrue de leur histoire géomorphologique et altérologique. L’imagerie satellitaire est désormais utilisée en routine en association avec les traitements de données de type SIG (Système d’Information Géographique). Cette démarche nécessaire et utile, très prisée par les “juniors”pour mettre en valeur un dossier, ne peut aucunement remplacer les observations de terrain qui devront reprendre leurs lettres de noblesse. Géophysique. L’acquisition de données en géophysique aéroportée (techniques magnétiques, radiométriques et électromagnétiques à pouvoir pénétrant accru...) devient de plus en plus systématique avant toute prospection d’envergure sur le terrain. Le traitement informatique des signaux en temps réel, combiné à l’utilisation du GPS en vol et sur le terrain, conduit à une meilleure définition et surtout à une loca- quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle lisation plus précise des cibles. Ces technologies vont se généraliser par suite d’un abaissement des coûts et d’un pouvoir de résolution amélioré. Géochimie. La géochimie multi-élémentaire est désormais utilisée de façon systématique tant en reconnaissance régionale qu’en prospection tactique en raison de la baisse continuelle des coûts d’analyse comparée aux coûts des prélèvements.La mise en œuvre de cette technique,couplée à une cartographie détaillée des faciès d’altération superficielle (“regolith mapping”),a conduit à de nombreuses découvertes, principalement de concentrations aurifères, durant les décennies passées. Si son efficacité est maintenant couramment admise comme, par exemple, dans les régions à couverture latéritique à dominante autochtone, le dépistage d’un signal anomal par échantillonnage superficiel de formation de recouvrement allochtone reste encore, pour l’essentiel, du domaine méthodologique. Cette approche, faisant exclusivement appel aux dispersions ioniques détectées à l’aide d’attaques sélectives des échantillons (Metal Mobil Ions Technics - MMIT) est appelée, si la compréhension des mécanismes qui régissent ces transferts progresse,à un développement prometteur. Sondages. Ils restent in fine l’outil indispensable pour localiser un gisement. La baisse de leurs coûts demeure en conséquence un objectif prioritaire. La méthode dite de “circulation inverse”permet de multiplier des sondages de qualité avec des récupérations correctes jusqu’à plus de 150 m de profondeur. Grâce aux augmentations de pression des compresseurs et aux améliorations apportées aux outils, il est également possible, maintenant, d’obtenir d’excellentes récupérations sous le niveau hydrostatique. Avec des coûts de 3 à 5 fois moins élevés que ceux des sondages carottés, la méthode est désormais systématiquement utilisée en première phase de reconnaissance. Elle est susceptible de remplacer pro-parte le sondage carotté, même en phase d’évaluation des ressources. En ce qui concerne ces derniers, une amélioration, qui pourrait être équivalente à celle apportée par le “wire-line”, vient d’être proposée par une compagnie australienne (DHT Technologies) au travers du système “Retractabit”. Celui-ci permet de remplacer les couronnes diamantées sans avoir à remonter le train de tiges, d’où un gain de temps et des économies considérables. A noter aussi le développement de carottiers orientables, par des entreprises norvégiennes et suédoises, qui permettent de recouper des corps minéralisés sous un angle particulier. Les contraintes environnementales Les lobbies écologistes refusent globalement les ouvertures de mines en expliquant qu’elles dégradent sites et paysages et provoquent des pollutions mal contrôlées, etc. Il est vrai que les “friches minières” n’ont rien à envier aux “friches industrielles”et que nos Anciens ne se préoccupaient guère de l’état du paysage lors de l’abandon d’un gisement. Il est un fait qu’une mine à ciel ouvert -tout comme le développement d’une ville nouvelle ou d’une autoroute- modifie le paysage. D’un autre côté, les efforts qui ont été faits par exemple dans le Nord de la France,pour réhabiliter les sites de charbonnages montrent que le paysage peut être remodelé et que d’un terril on peut faire une piste de ski utilisable toute l’année! De même,la plupart des rejets chimiques sont aujourd’hui contrôlables. Quoi qu’il en soit, il est très vraisemblable que la grande carrière de Carmaux ne serait désormais plus acceptée. Après quelques hésitations qui ont nui à son image, l’industrie minière a pris conscience de la nécessité d’aborder sérieusement les problèmes liés à l’environnement.Plus aucune société ne prendra désormais le risque de lancer des travaux d’exploration significatifs sans être sûre de pouvoir réhabiliter les sites en cas de résultats négatifs. Pour ce faire,ces sociétés se sont adjoint les services de professionnels de l’Environnement qui interviennent très précocement pour éviter des dommages coûteux. Désormais toute étude de faisabilité en vue de mettre un gisement en exploitation comporte une étude environnementale qui prend en compte l’ensemble des paramètres régissant l’écosystème local : réseau hydrographique, qualité de l’air et conditions météorologiques, chimisme des sols en vue de la préparation des plans de restauration,impacts socio-économiques sur la population locale... etc. Les mesures déjà en vigueur risquent de se renforcer et il est à craindre qu’il soit de plus en plus difficile et de plus en plus long d’obtenir les autorisations nécessaires à l’ouverture d’un gisement, quel que soit le pays concerné. Ces difficultés vont influer de plus en plus sur l’économie d’un projet minier et il n’est pas exclu qu’à l’avenir certaines grandes carrières, sous la pression écologique et si les paramètres économiques le permettent,seront remplacées par des exploitations souterraines. Sur le long terme, il n’est probablement pas déraisonnable de penser que la difficulté à ouvrir de grandes carrières pèsera sur le marché avec en conséquence des niveaux de prix durablement plus élevés pour les économies consommatrices. Le devenir minier en France : les hommes, leur formation Parmi les quelques sociétés minières (exploitants de substances métalliques et minéraux industriels, hors exploitants de granulats et autres pondéreux) encore actives en France, seules quatre ont des tailles significatives: Eramet, Cogema, DAM et Imetal. Il s’agit de sociétés intégrées qui vont de l’exploitation à la production de produits finis de haut de gamme.Si les deux premières sont spécialisées dans les métaux, la troisième a limité ses activités aux minéraux industriels.D’une manière générale,leurs budgets d’exploration ne sont pas très importants. La filière métallurgique reste active avec des fondeurs comme Metaleurop, en particulier pour le plomb, le Géologues n°124 81 quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle Comptoir Lyon-Allemand-Louyot pour le raffinage de l’or. En revanche,le BRGM,dont l’activité d’exploration était significative jusqu’à ces dernières années, a arrêté ses investissements dans ce domaine. Par ailleurs, l’Europe est le siège de grands groupes miniers comme RTZ,Anglo et Billiton en Angleterre (les deux dernières ont déplacé leur siège d’Afrique du Sud en Europe tout récemment), Boliden en Suède, Outokumpu en Finlande. Signalons de même le rôle primordial joué par la Bourse de Londres dans le développement de l’activité de nombreuses sociétés minières de taille plus restreinte. Ainsi,même si le nombre de ses mines est en diminution, l’Europe continue à jouer un rôle conséquent au niveau mondial dans le domaine minier, tant par le poids de son industrie extractive que par celui de ses industries manufacturières associées. L’épuisement des gisements et les contraintes écologiques expliquent toutefois que la plupart des centres de production de ces sociétés soient localisés hors d’Europe, soit dans des pays à ancienne culture minière, soit dans des pays émergents où le développement s’appuie encore sur l’activité minière. C’est pourquoi, même si la situation de l’industrie minière reste difficile, il existe néanmoins des besoins en savoir-faire dans de grands groupes ou plus vraisemblablement dans les nombreuses sociétés de sous-traitance qui voient actuellement le jour, voire, pour les candidats à la création d’entreprise, dans des sociétés juniors. Sans entrer dans le détail des filières de formation, la France fait preuve, en ce qui concerne l’activité minière de parent pauvre: la seule école de géologie, à Nancy ne forme pour l’industrie minière qu’un nombre limité d’ingénieurs, faute de débouchés; les Ecoles des Mines dispensent, à quelques très rares exceptions, des formations polyvalentes sans référence à la mine; les Universités, pour répondre aux besoins de l’industrie et assurer des débouchés à leurs étudiants, se sont plutôt spécialisées dans l’hydrogéologie, la géotechnique, l’Environnement, etc., au détriment de la mine. Les étudiants géologues qui souhaitent s’orienter vers l’industrie minière se trouvent donc confrontés à deux difficultés : trouver une filière de formation adaptée et s’assurer un débouché. 82 Concernant leur formation,les étudiants les plus motivés devront envisager de terminer leurs études dans des universités américaines,canadiennes ou australiennes où il leur sera possible de trouver non seulement des formations pratiques bien adaptées mais également des stages ou des embauches temporaires dans les campagnes de prospection des groupes miniers. Ceci nécessite une expatriation, au moins momentanée. Ce phénomène n’est pas nouveau. Dans le passé, ceux qui s’orientaient vers le métier de géologue minier (“economic geologist” en anglais) s’expatriaient souvent, mais dans le Géologues n°124 cadre de sociétés françaises. La nouveauté est que cela risque maintenant de se produire dès le cycle terminal des études universitaires, et que la vie professionnelle risque de se passer dans un contexte social et juridique totalement étranger. Profitons-en pour rappeler que les candidats doivent être prêts à une grande mobilité et accepter, comme leurs “anciens” des conditions de vie sinon difficiles,du moins rustiques. Les gisements se trouvent en effet loin des villes et, comme le notait déjà Agricola, plutôt en montagnes qu’en plaines... Cet aspect plutôt sombre de l’avenir des jeunes géologues miniers doit être quelque peu tempéré par la possible relance, à court ou moyen terme, de la demande lorsque l’industrie extractive sortira de sa crise actuelle et que le monde économique reconnaîtra qu’il a besoin de métaux. L’histoire a montré que ces inversions de cycle sont en général brutales et il faut souhaiter que la profession soit encore suffisamment dynamique pour répondre positivement à cette demande,à la fois dans le domaine de l’exploration et de la mine,mais également dans celui des nouveaux métiers créés par les contraintes d’environnement: extraction minimisant les pollutions, réhabilitation des sites, connaissance plus fine des gîtes permettant des exploitations plus performantes et moins consommatrice d’énergie, etc. En guise de conclusion,il faut admettre que le tableau que nous venons de dresser sur l’activité minière est plutôt en demi-teinte. En effet, celle-ci a dû faire face, au cours de la décennie passée, à une forte érosion des cours des matières premières et à une compétition avec des secteurs plus rentables,au regard des besoins en capitaux,à la suite de la mondialisation de l’économie ; elle a de même dû adapter son outil de production a des contraintes environnementales de plus en plus astreignantes. Ce double défi, qui reste d’actualité,a pu être relevé pour l’essentiel par une augmentation des teneurs de coupure,par un accroissement des capacités de production (mines géantes) et d’investissements (regroupements, rachats, etc.) et par la fermeture accélérée des unités les moins rentables. Pour l’heure, bien que l’industrie extractive ait perdu beaucoup de son attrait auprès des principales places boursières face à la montée en puissance et aux performances, peut-être plus volatiles, de la nouvelle économie, il n’en reste pas moins qu’elle est et restera encore pour de très nombreuses années un passage obligé pour alimenter les industries de transformation, grosses consommatrices de matières premières et contribuera, pour une part non négligeable, in fine, au développement économique et social des populations de nombreux pays. Les “nouvelles économies”,aux besoins limités en matières premières, ne pourront être à elles seules le moteur du développement mondial.Il y aura donc toujours des besoins en géologues pour renouveler les ressources en métaux, probablement en nombre plus restreint que par le passé, compte tenu des restructurations en cours dans les grands groupes miniers. quelques grands enjeux des sciences de la terre au xxième siècle Dans les quelques années à venir, le géologue voulant faire carrière dans la mine devra saisir les opportunités d’emploi. Elles ne manqueront pas de se présenter à la faveur d’une remontée des cours, difficile à positionner dans la temps mais inéluctable, soit directement auprès des sociétés d’exploitation soit des sociétés spécialisées qui se sont multipliées ou qui sont encore à créer. Les auteurs tiennent à remercier A. Liger, Billiton International Development Limited pour sa relecture du manuscrit et ses remarques pertinentes. 83 Géologues n°124