Patrick Chamoiseau tend l’oreille, toujours : c’est un penseur
qui écoute plus qu’il ne parle et un homme encore plein
d’étonnements. C’est cela, peut-être, qui nous marque le plus
lorsque nous le rencontrons an de préparer cet entretien, dans
un café, tandis que l’hiver renfrogne les visages au dehors.
L’écrivain martiniquais est de passage pour présenter son dernier
ouvrage, La Matière de l’absence1. Solaire, il prend le temps des questions et
celui des réponses. On pourrait le croire lesté de toutes les mémoires qu’il
porte, transporte et décortique de romans en contes, essais et recherches –
c’est tout le contraire. La barque, comme la marche, est légère...
Chamoiseau naît en 1953, à Fort-de-France, sept années après qu’Aimé
Césaire, le poète-député – « Un nègre se disant d’Afrique allait administrer
la Ville... et communiste en plus2 ! » –, réussit à transformer la Martinique, la
Guadeloupe, la Guyane et la Réunion en « départements français d’outre-
mer ». Il a deux ans quand, à 3 000 kilomètres de là, une certaine Rosa Parks
refuse de céder sa place dans un bus des États-Unis d’Amérique. En 1959,
Fort-de-France s’embrase, le jour de Noël, à partir d’un accrochage entre
deux automobilistes. Répression. La Guadeloupe, île voisine d’une centaine
de kilomètres, enquille en 1967 lorsqu’un propriétaire européen lâche son
chien sur un cordonnier en situation de handicap. Répression féroce – on
compte alors des centaines de morts et de disparus... Et la France, à 7 000
kilomètres de l’archipel, reste silencieuse, tandis qu’elle perd l’Indochine et
continue, en Algérie, de s’accrocher à son empire.
Les réexions et les expériences du jeune Chamoiseau rencontrent celles
de son époque : le mouvement de la négritude3, né dans l’entre-deux-guerres,
continue de nourrir les penseurs africains et antillais, fournissant de nouvelles
« Dominé, je résiste. Cette domination me relie aux
peuples par la facette la plus tragique. »
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1. « Il faut imaginer cette aube de nos humanités : l’hominidé qui soudain prend conscience
qu’un de ses semblables est mort. Voilà notre toute première origine ! » La Matière de
l’absence, Éditions du Seuil, 2016.
2. Texaco, Gallimard, 1992.
3. La négritude est un mouvement littéraire fondé dans les années 1930 par des penseurs noirs
de la Caraïbe et de l’Afrique tels qu’Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor ou Léon-Gontran
Damas. Ils portaient en étendard une volonté ferme de rendre sa dignité et ses valeurs au
« monde noir d’Afrique, mais encore d’Asie et d’Océanie sans oublier les Noirs de la diaspora
américaine ».
© Éditions Aden | Téléchargé le 06/05/2023 sur www.cairn.info via Nanjing University (IP: 218.94.142.97)
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