subsistance des populations locales. Dans les centres urbains, le chômage sévit et les
bidonvilles se multiplient.
La division des vainqueurs
Dès la proclamation de l’indépendance, les structures de l’État colonial s’effon-
drent. Le « wilayisme », ce régionalisme condamné pendant la guerre, sévit plus que
jamais, tout comme le clientélisme. La lutte entre les clans s’exacerbe. Le PPA, issu du
Mouvement national algérien de Messali Hadj, est interdit dès le 1er juillet, alors que
les maquis messalistes du Sud saharien de Si Abdallah Selmi sont éliminés par
l’« armée des frontières », qui fait son entrée sur le territoire algérien.
À l’intérieur du FLN, le rapport de force s’enclenche en juin 1962, lors du
congrès du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) réuni à Tripoli.
Ahmed Ben Bella, dont le prestige et l’influence ne cessent de croître, met en ques-
tion la légitimité du GPRA. C’est lors de ce congrès que le FLN affirme ses principes
idéologiques. « La Révolution démocratique populaire doit être menée par la pay-
sannerie, les travailleurs et les intellectuels révolutionnaires. » Nul doute que ce pro-
gramme d’inspiration marxiste pose les bases du socialisme algérien. Une révolution
agraire et la « socialisation des moyens de production » sont annoncées, tout comme
la promotion de la culture nationale arabo-islamique. Le consensus idéologique rela-
tif autour de ces valeurs ne parviendra pas cependant à créer une base suffisante pour
éviter les luttes de clan.
Le 22 juillet, Ahmed Ben Bella, entouré de Mohamed Khider et de Houari
Boumediene, chef d’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN), annonce la
constitution du « bureau politique ». Alors que des chefs historiques comme
Mohamed Boudiaf ou Krim Belkacem s’insurgent contre ce coup de force institu-
tionnel rapidement qualifié de « fasciste », les premiers affrontements ensanglantent
le pays. Le « groupe de Tlemcen », alliance du FLN et de l’armée, scelle l’avenir du
pays et présente le vrai visage du futur pouvoir. Cette période d’anarchie favorise de
nombreux « règlements de comptes » qui aboutissent à l’exécution de nombreux har-
kis ou d’Européens.
L’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance 29
Le peuple algérien, cette masse d’affamés et d’analphabètes, ces hommes et ces femmes plon-
gés pendant des siècles dans l’obscurité la plus effarante ont tenu contre les chars et les avions,
contre le napalm et les services psychologiques, mais surtout contre la corruption et le lavage de
cerveau, contre les traîtres et les armées « nationales » du général Bellounis. Ce peuple a tenu mal-
gré les faibles, les hésitants, les apprentis dictateurs. Ce peuple a tenu parce que pendant sept ans,
sa lutte lui a ouvert des domaines dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre
© Érès | Téléchargé le 03/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.98.156.176)
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