L'évolution de l'Algérie depuis l'indépendance

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L'évolution de l'Algérie depuis l'indépendance
Julien Rocherieux
Dans Sud/NordSud/Nord 2001/1 (n2001/1 (noo 14) 14), pages 27 à 50
Éditions ÉrèsÉrès
ISSN 1265-2067
ISBN 2865868648
DOI 10.3917/sn.014.0027
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Julien Rocherieux
L’évolution de l’Algérie
depuis l’indépendance
INTRODUCTION
Le 3 juillet 1962, l’Algérie indépendante ferme dans la joie la douloureuse
«parenthèse » de la colonisation. Tout reste à faire : sortir de l’état colonial, de cette
économie extravertie conçue uniquement par rapport à la métropole et en fonction
du million d’Européens qui y vivent, bâtir un État, ou, pour reprendre l’heureuse
expression de Benjamin Stora, « inventer » une Algérie qui, tant géographiquement
que culturellement, ne semble s’imposer que dans les esprits.
Nul doute que l’histoire de l’Algérie depuis l’indépendance est avant tout l’his-
toire de l’émergence d’une « identité algérienne », qui emprunte tout à la fois aux
modèles républicain, islamique et nationaliste. Devant les contradictions et les
doutes, la synthèse se révèle des plus difficiles pour le régime autoritaire qui parvient
rapidement au pouvoir. Après trente ans de cette transition menée par le FLN, la crise
actuelle que connaît l’ancienne colonie française témoigne de son échec. Se fondant
sur le mensonge d’un « peuple unanime » et revendiquant l’héritage exclusif du com-
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bat pour l’indépendance, le FLN ne parviendra pas à pallier cette absence de légitimité
démocratique ou même à cacher l’ombre tutélaire et omniprésente de l’état-major.
Octobre 1988 marquera la fin d’une époque lorsque le régime vacille et semble
se libéraliser. Quatre ans plus tard, l’interruption du processus électoral à cause de la
trop forte poussée du FIS referme cette courte parenthèse pour plonger l’Algérie dans
une guerre civile larvée. Mais où va l’Algérie ? Comment comprendre cette histoire
que nombre d’historiens qualifient de « cyclique », croyant revivre une seconde fois
cette guerre d’indépendance qui marque si profondément l’identité algérienne ? Il ne
fait en tout cas aucun doute que cette crise place l’Algérie face aux choix qui furent
les siens depuis 1962.
«L
INDÉPENDANCE CONFISQUÉE » (FERHAT ABBAS)
L’été 1962 ou la prise du pouvoir par le FLN
Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962. Le 26 septembre suivant, Ben
Bella prend le pouvoir avec l’appui de l’armée. Entre ces deux dates, l’unité de la
nation algérienne semble sérieusement menacée. La population, dans la misère la plus
totale, assiste désolée et inquiète aux « batailles » que se livrent les anciens chefs du
FLN.
La proclamation de l’indépendance
Le 1er juillet 1962, un référendum entérine, à une écrasante majorité, les accords
consacrant l’accession de l’Algérie à l’indépendance. Le GPRA, formé à Tunis en 1958
et conduit par Ben Khedda, s’installe triomphalement à Alger dès le 3 juillet. Le pays
est en liesse, la population célèbre la victoire des maquisards dans une joie qui, très
tôt, s’accompagne de l’inquiétude des lendemains. La guerre civile menace le pays dès
lors que diverses forces politiques prétendent au pouvoir : le GPRA bien sûr, mais aussi
«l’armée des frontières », forte de 31 000 hommes stationnés au Maroc et en Tunisie,
le CNRA ensuite, organe suprême de la révolution et enfin les chefs des wilayas refu-
sant toute soumission à l’état-major général.
La situation sociale est tout aussi préoccupante que la situation politique. La
guerre d’indépendance a totalement désorganisé le pays, qui, déjà, se vide de ses
forces les plus productives : techniciens, cadres, fonctionnaires, médecins… Cette
perte est considérable dans un pays où seulement 10 % des enfants d’âge scolaire vont
à l’école. L’économie est totalement déséquilibrée : le secteur industriel ne représente
que 27 % de la production globale, la majorité de la population se consacre soit à un
artisanat local déjà déclinant, soit à l’agriculture traditionnelle, incapable d’assurer la
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subsistance des populations locales. Dans les centres urbains, le chômage sévit et les
bidonvilles se multiplient.
La division des vainqueurs
Dès la proclamation de l’indépendance, les structures de l’État colonial s’effon-
drent. Le « wilayisme », ce régionalisme condamné pendant la guerre, sévit plus que
jamais, tout comme le clientélisme. La lutte entre les clans s’exacerbe. Le PPA, issu du
Mouvement national algérien de Messali Hadj, est interdit dès le 1er juillet, alors que
les maquis messalistes du Sud saharien de Si Abdallah Selmi sont éliminés par
l’« armée des frontières », qui fait son entrée sur le territoire algérien.
À l’intérieur du FLN, le rapport de force s’enclenche en juin 1962, lors du
congrès du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) réuni à Tripoli.
Ahmed Ben Bella, dont le prestige et l’influence ne cessent de croître, met en ques-
tion la légitimité du GPRA. C’est lors de ce congrès que le FLN affirme ses principes
idéologiques. « La Révolution démocratique populaire doit être menée par la pay-
sannerie, les travailleurs et les intellectuels révolutionnaires. » Nul doute que ce pro-
gramme d’inspiration marxiste pose les bases du socialisme algérien. Une révolution
agraire et la « socialisation des moyens de production » sont annoncées, tout comme
la promotion de la culture nationale arabo-islamique. Le consensus idéologique rela-
tif autour de ces valeurs ne parviendra pas cependant à créer une base suffisante pour
éviter les luttes de clan.
Le 22 juillet, Ahmed Ben Bella, entouré de Mohamed Khider et de Houari
Boumediene, chef d’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN), annonce la
constitution du « bureau politique ». Alors que des chefs historiques comme
Mohamed Boudiaf ou Krim Belkacem s’insurgent contre ce coup de force institu-
tionnel rapidement qualifié de « fasciste », les premiers affrontements ensanglantent
le pays. Le « groupe de Tlemcen », alliance du FLN et de l’armée, scelle l’avenir du
pays et présente le vrai visage du futur pouvoir. Cette période d’anarchie favorise de
nombreux « règlements de comptes » qui aboutissent à l’exécution de nombreux har-
kis ou d’Européens.
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Le peuple algérien, cette masse d’affamés et d’analphabètes, ces hommes et ces femmes plon-
gés pendant des siècles dans l’obscurité la plus effarante ont tenu contre les chars et les avions,
contre le napalm et les services psychologiques, mais surtout contre la corruption et le lavage de
cerveau, contre les traîtres et les armées « nationales » du général Bellounis. Ce peuple a tenu mal-
gré les faibles, les hésitants, les apprentis dictateurs. Ce peuple a tenu parce que pendant sept ans,
sa lutte lui a ouvert des domaines dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre
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