Centemeri en prenant l’exemple de Seveso, la catastrophe met au centre de l’attention le
rapport singulier qu’un individu particulier développe avec ce qui l’environne, et qui ne
saurait être simplement dilué dans le discours du « nous ».
La pensée du care a récemment cherché à intégrer cette dimension : en réfléchissant à
la dimension globale et politique du care Voir l’essai de J. Tronto, « L’indifférence des
privilégiés », dans P. Paperman et P. Molinier (dir.), Contre l’indifférence des privilégiés,
Paris, Payot & Rivages, 2013., en affrontant directement la question de la catastrophe A.
Lovell, S. Pandolfo, V. Das et S. Laugier (dir.), Face aux désastres. Une conversation à
quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives, Paris, Editions
Ithaque, 2013., ou en envisageant l’extension du care à l’environnement au sens
large Sandra Laugier (dir.), Tous vulnérables, Paris, Payot, 2012.. Actuellement, un
certain nombre de recherches collectives ont repris à leur compte l’ambition de proposer
un questionnement sur le nouveau sens pris par le care lorsqu’il faut affronter une perte
radicale de toute protection de la vie humaine.
Les situations de désastre qui ont marqué la dernière décennie ont bien montré les
limites de ce concept de risque et ont mis en évidence l’intérêt d’autres ressources pour
penser et prendre en compte les besoins de l’humain vulnérable : l’idée de care (Gilligan,
Tronto) et celle des capacités (Sen, Nussbaum), concepts que Raison Publique a
largement contribué à faire découvrir et problématiser, et qui ont transformé les
approches de la vulnérabilité, de l’éthique et de la politique.
Une anthropologie de la vulnérabilité extrême est en train de naître (voir ici Lovell,
Laugier), qui n’a plus pour centre de gravité les relations sociales entre caregiver/receiver
mais la fragilité que chacun ressent quand il s’efforce, au quotidien, d’incarner sa
subjectivité et d’explorer les manières d’être humain, fragilité radicale qui émerge d’autant
plus quand c’est le monde ordinaire et l’ensemble du monde social et naturel qui est
menacé pour les personnes concernées par une catastrophe ou engagée dans un conflit.
Ces situations invitent aussi à se demander s’il n’y a pas lieu de reconnaître des atteintes
irréversibles, devant lesquelles le care se trouve mis en échec, du moins en demeure
d’inventer de nouvelles formes de relations caring (voir ici Centemeri). De façon
concomitante, ces situations nous invitent à reconsidérer ce que nous concevons comme
des formes humaines de vie. C’est ce sentiment aigu de la fragilité et de la vulnérabilité
de la vie humaine qui est également au cœur de l’approche des capabilités, et qui en fait
une ressource au moment de chercher à définir une pensée de la justice dans des
circonstances qu’il est tentant de rejeter dans l’exceptionalisme de l’extraordinaire.
Rien ne révèle mieux cette tragédie de l’ordinaire que les désastres collectifs
extraordinaires où la vulnérabilité foncière des êtres humains est mise à nu. La Nouvelle-
Orléans ravagée par Katrina, la région de Fukushima par le séisme puis l’accident
nucléaire, et d’autres circonstances… sont les théâtres paradoxaux où, dans la détresse
et le dénuement, s’inventent de nouvelles manières d’exister et de s’exprimer, et des
formes inédites d’attention à l’autre. Face à la catastrophe, à la contingence et à
l’inattendu, dans l’urgence et devant l’incertitude, comment dessiner les limites du care,
du « périmètre » de ce dont il doit y avoir « care » ? Comment retrouver un sens politique
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