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Francais 11e Livre Unique Chap7 Dernier jour condamne

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7
OBJEcTIFS
Le Dernier Jour
d’un condamné (1829),
de Victor Hugo
Lire et analyser un récit à visée argumentative.
REPÈRES
– Victor Hugo et la peine de mort
188
TEXTES
– La préface (extrait 1)
190
– L’incipit ou le début du récit (extrait 2)
192
– Écrire pour dénoncer (extrait 3)
194
– Une scène tragique (extrait 4)
196
– Le récit de la dernière heure (extrait 5)
198
–
201
OUTILS
DE LA LANGUE
EXPRESSION
ÉCRITE
ÉVALUATION
186
Leçon
Le récit à visée argumentative
– grAMMAire : valeurs du présent ; caractérisations ;
sujets et compléments de verbe ; ordre des actions ;
progression du texte ; types de phrases
202
– ortHogrAPHe : marques du pluriel ; dictée préparée
203
– conJugAison : conditionnel, subjonctif
203
– VocABuLAire, Figures de stYLe : suffixes ; vocabulaire de la justice ;
étymologie ; champs lexicaux ; figures de style : comparaison,
métaphore, personnification, antithèse…
204
– ActiVités d’écriture : écrire une page du journal du condamné ;
écrire une lettre ; rédiger une plaidoirie ; écrire un récit à visée
argumentative
205
– Le Dernier Jour d’un condamné (chapitre XXVI)
206
y
Vincent Van Gogh (1853-1890), La Ronde des prisonniers (Saint-Rémy, février 1890), d’après Gustave Doré,
huile sur toile, 80 x 64 cm (musée Pouchkine, Moscou, Russie).
LIRE L’IMAGE
Pour commencer
1. Identifiez l’auteur du tableau, son époque, la technique utilisée.
1. Citez des œuvres de Victor Hugo que vous
connaissez. À quels genres appartiennent-elles
(poésie, roman, théâtre…) ?
2. Quel lieu est représenté ? Que font les personnages ?
3. Décrivez la tenue et l’attitude des prisonniers.
Lequel se détache des autres ? de quelle manière ?
2. À quelle date la peine de mort a-t-elle été abolie en France ?
4. Comment l’impression d’enfermement est-elle
rendue ? Appuyez-vous sur la composition, le cadrage,
la perspective.
Le Dernier Jour D’un conDamné
187
Victor Hugo
et la peine de mort
REPÈRES
LITTéRAIRES
cHRONOLOGIE
1789
■
1823
■
1829
■
1830
1834
1853
■
■
■
1862
■
1942
■
1981
■
En France, le docteur Guillotin propose l’utilisation d’une
machine, la guillotine, pour exécuter les condamnés à mort.
Han d’Islande (roman racontant la dernière nuit
d’un condamné à mort), de V. Hugo.
Le Dernier Jour d’un condamné (parution anonyme),
de V. Hugo.
« Contre la peine de mort » (ode), de Lamartine (1790-1869).
Claude Gueux (roman), de V. Hugo.
Les Châtiments (recueil de poésies dirigées
contre Napoléon III), de V. Hugo.
Les Misérables (roman dénonçant l’injustice sociale),
de V. Hugo.
Le Conseil fédéral abolit la peine de mort pour les civils
(1992, pour les militaires)
En France, l’abolition de la peine de mort est votée par
le Parlement, sous l’impulsion du ministre de la Justice,
Robert Badinter.
Les débuts littéraires de Victor Hugo
Victor Hugo naît le 26 février 1802 à Besançon. Son
père, général d’Empire, fait carrière dans les armées de
Napoléon Ier. Après avoir commencé des études de droit,
Hugo se consacre rapidement à la littérature. À vingt ans,
il épouse Adèle Foucher, qui lui donnera quatre enfants.
Ses premières œuvres font de lui le chef de file des
écrivains romantiques : ce sont les romans Han d’Islande
(1823), Notre-Dame de Paris (1831), la préface de Cromwell (1827) qui fixe les règles d’un nouveau genre théâtral, les recueils de poésie lyrique Les Orientales (1829),
Les Feuilles d’automne (1831) et le drame Hernani (1830).
En 1848, il est élu député ; il intervient en faveur de
l’abolition de la peine de mort et de la suppression des
injustices sociales. Le 2 décembre 1851, lorsque Louis
Napoléon renverse la république parlementaire, instituant un régime d’autorité, Hugo est poursuivi comme
chef de l’opposition de gauche. Il s’exile dans les îles
Anglo-Normandes durant dix-huit ans. Il écrit Les Châtiments (1853), Les Contemplations (1856), La Légende des
siècles (1859-1883), Les Misérables (1862).
La vie privée, l’exil
En 1833, Hugo rencontre Juliette Drouet, comédienne,
qui sera, durant cinquante ans, sa compagne de tous les
instants.
En septembre 1843, il apprend dans un journal la mort
tragique de sa fille Léopoldine, qui s’est noyée accidentellement ; c’est la plus grande douleur de son existence.
Il se détourne de ses activités littéraires et s’adonne à la
politique : d’abord royaliste, il devient bonapartiste, puis
républicain libéral.
188
y
Léopold Flameng (1831-1911) et Bertall (1820-1882),
Victor Hugo à la Chambre des députés (1874), gravure
(maison de Victor Hugo, Paris).
Durant son exil, sa femme meurt (1868) tandis que sa
seconde fille, Adèle, perd la raison.
En 1870, éclate la guerre entre la France et la Prusse.
Napoléon, vaincu, se rend au roi de Prusse, l’Empire
tombe, la république est proclamée. Hugo rentre à Paris.
Les dernières années
En 1871, son fils Charles meurt subitement, lui laissant deux petits-enfants, Georges et Jeanne, pour qui il
écrira L’Art d’être grand-père, en 1877. En 1873, il perd
François-Victor, son dernier fils.
Il meurt le 22 mai 1885, deux ans après la mort de
Juliette. Ses obsèques sont nationales et son cercueil est
transporté au Panthéon (où sont enterrés les hommes
illustres en France).
Hugo et la peine de mort
Victor Hugo est confronté, très jeune, à la question de
la peine de mort. À l’âge de dix ans, il assiste, en Espagne,
au spectacle d’un homme conduit à l’échafaud sous les
hurlements de la foule. De là date son premier cri d’indignation contre la guillotine.
Par la suite, Hugo se trouve souvent sur le passage de
condamnés à mort : en 1820, sur le pont au Change, il
croise Louvel, assassin du duc de Berry ; en 1825, sur la
place de Grève, il aperçoit le visage hagard d’un condamné
montant sur la guillotine au milieu d’une foule en joie. Il
détourne la tête au moment de l’exécution. Puis, il assiste,
à la prison de Bicêtre, au ferrement (l’enchaînement) des
forçats et à leur départ pour le bagne ; une autre fois, il
est très impressionné lorsqu’il voit le bourreau en train
de graisser la guillotine pour l’exécution du soir.
La question de la peine de mort
Dans toute l’Europe, la pratique de la peine de mort
était courante : au Moyen Âge, le supplice utilisé dépendait de l’identité du criminel et de la nature du crime (le
noble était décapité au sabre, le roturier à la hache, le
voleur roué en place publique, le faux-monnayeur bouilli
vif, le domestique, voleur de son patron, pendu…). Pendant la Révolution, la décapitation était d’usage : c’est
par la guillotine que Louis XVI a été exécuté le 21 janvier
1793 – la guillotine fut introduite par le docteur Guillotin,
soucieux d’abréger les souffrances des condamnés.
Le débat sur la peine de mort émerge au xviiie siècle
avec les philosophes des Lumières (notamment Montesquieu et Voltaire). Dans les années 1830, la question de la
peine de mort agitait les esprits. Les abolitionnistes se
font entendre ; le poète Lamartine écrit l’ode « Contre la
peine de mort ».
C’est dans ce contexte que Hugo publie, en 1829,
Le Dernier Jour d’un condamné et, en 1834, Claude Gueux,
l’histoire d’un prisonnier condamné à mort pour avoir tué
le gardien de la prison.
y
Henri Meyer, La Guillotine préparée pour l’exécution
des assassins Doré et Berland, gravure parue dans Le Petit
Journal (août 1891).
Au cours du xixe et du xxe siècle, la peine capitale disparaît progressivement des pays d’Europe. En Suisse,
dès 1848, la Constitution fédérale proclame l’abolition de
la peine de mort pour les crimes politiques. En 1874, le
Conseil fédéral l’abolit totalement mais certains cantons
la rétablissent. La dernière exécution eut lieu à Sarnens
en 1940. Le Code pénal fédéral institue l’abolition définitive de la peine de mort en 1942 pour les civils et en 1992
pour les militaires. Aujourd’hui, plus de la moitié des pays
du monde ont aboli la peine de mort dans leur législation
ou dans les faits.
LIRE ET REPéRER
1. Quelle a été l’évolution politique de Hugo ?
2. Quelles sont ses œuvres qui traitent de la peine
de mort ?
3. D’où vient le mot guillotine ?
4. À partir de quel siècle le débat sur la peine de
mort s’est-il mis en place ?
5. À qui doit-on l’abolition de la peine de mort en
Suisse et en France ? en quelle année ?
Le Dernier Jour D’un conDamné
189
La préface
1. Qu’est-ce qu’une préface ?
2. Cherchez au moins un argument que vous pourriez opposer
à un partisan de la peine de mort.
PRéPAREZ VOTRE LEcTuRE
eXtrAit 1
« Pas de bourreau1 où le geôlier2 suffit »
En 1829, Hugo publie Le Dernier Jour d’un condamné sans nom d’auteur : le texte
est précédé d’une courte préface, reproduite dans les lignes 3 à 9. En 1832, Hugo l’intègre
dans une seconde préface, plus explicite, dont voici un extrait.
Victor Hugo
(1802-1885)
5
1. le bourreau :
la personne qui exécute
un prisonnier.
2. le geôlier :
le gardien de prison.
3. retrancher : enlever.
4. nuire : faire le mal.
5. des ménageries :
cages de fer où sont
enfermés des animaux.
6. le châtiment :
la punition.
7. ne lui sied :
ne lui convient.
8. criminalistes :
juristes spécialistes
dans le droit criminel.
9. réquisitoires :
discours prononcés
par le procureur pour
demander une peine.
10. parquets : groupes
de magistrats qui
représentent les intérêts
de la société (l’accusation).
11. supplices :
peines physiques données
par la justice à un
prisonnier, tortures.
12. édifier :
conduire à faire le bien.
13. partant :
par conséquent.
10
15
20
25
30
35
Il n’y avait en tête des premières éditions de cet ouvrage, publié d’abord sans
nom d’auteur, que les quelques lignes qu’on va lire :
« Il y a deux manières de se rendre compte de l’existence de ce livre. Ou il y a
eu, en effet, une liasse de papiers jaunes et inégaux, sur lesquels on a trouvé, enregistrées une à une, les dernières pensées d’un misérable ; ou il s’est rencontré un
homme, un rêveur, occupé à observer la nature au profit de l’art, un philosophe,
un poète, que sais-je ? dont cette idée a été la fantaisie, qui l’a prise ou plutôt s’est
laissé prendre par elle, et n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans un livre.
De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu’il voudra. » […]
Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire, d’abord :
– parce qu’il importe de retrancher3 de la communauté sociale un membre qui lui
a déjà nui et qui pourrait lui nuire4 encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison
perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper
d’une prison ; faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries5 ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit.
Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni
l’un ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment6 est au-dessus d’elle, la vengeance audessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied7. Elle ne doit pas « punir pour se
venger » ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule
des criminalistes8, nous la comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des
exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui
seraient tentés de les imiter ! – Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires9 des cinq cents parquets10 de France ne sont que des
variations plus ou moins sonores. Eh quoi ! nous nions d’abord qu’il y ait exemple.
Nous nions que le spectacle des supplices11 produise l’effet qu’on en attend. Loin
d’édifier12 le peuple, il le démoralise et ruine en lui toute sensibilité, partant13 toute
vertu. Les preuves abondent et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus
récent : au moment où nous écrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars,
dernier jour du carnaval. À Saint-Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de
l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le Mardi gras vous rit au nez.
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné (1829), extrait de la préface (1832).
190
LIRE ET ANALYSER
Le contrat de lecture
1. a. Quelles sont les deux hypothèses proposées par
l’auteur concernant les conditions d’écriture de l’œuvre
(l. 3 à 9) ?
b. Vers quelle lecture Victor Hugo veut-il orienter le lecteur ?
c. Quelle image de l’écrivain donne-t-il ?
2. Par quel pronom l’auteur s’implique-t-il dans la
seconde préface (l. 1-2 et l. 10 à 35) ? Quelle nouvelle
dimension donne-t-il à son œuvre ?
La stratégie argumentative (l. 10 à 35)
3. a. Quelles sont les deux thèses en présence ?
b. Qui le pronom vous (l. 13) désigne-t-il ? Quelle forme
Hugo choisit-il pour présenter les arguments des deux
parties ?
L’ESSENTIEL
4. a. Dans un tableau, mettez en regard les arguments
plaidant pour la peine de mort et ceux plaidant contre.
b. Identifiez la stratégie mise en œuvre par Hugo pour
répondre aux partisans de la peine de mort : types de
phrases, exemples, formules frappantes, raisonnement
par analogie (expliquez notamment l’analogie établie
avec les ménageries, l. 14-15).
La visée de l’auteur
5. corriger (l. 21), améliorer (l. 21), sensibilité (l. 29), vertu
(l. 30) : quelle vision des hommes et de la société ces
termes traduisent-ils ?
6. Par quels procédés Hugo donne-t-il à son propos une
valeur universelle ? Appuyez-vous sur les temps verbaux
et sur les déterminants utilisés.
La visée de la préface
w La préface est un texte dans lequel un écrivain
présente son livre au lecteur : il situe l’ouvrage dans
le contexte qui l’a vu naître et en précise les enjeux.
mort : aux arguments avancés pour justifier la peine
de mort, Hugo oppose des contre-arguments et des
exemples.
w La préface du Dernier Jour d’un condamné ins-
w La démonstration prend appui sur des valeurs humanistes : Hugo croit à la perfectibilité de l’homme.
crit le récit dans le cadre d’un débat sur la peine de
< Le Châtiment, représentation allégorique
d’un référendum pour le maintien de la
peine de mort, parue dans Le Petit Parisien,
supplément littéraire illustré (1907) (archives
F. Kunst & Geschichte, Berlin, Allemagne).
Le Dernier Jour D’un conDamné
191
L’incipit ou le début du récit
1. Cherchez cinq mots appartenant au champ lexical de la prison.
2. Quel est le sens du mot fers au pluriel ? Que signifient les
expressions mettre aux fers, être aux fers ?
PRéPAREZ VOTRE LEcTuRE
eXtrAit 2
« Condamné à mort ! »
Bicêtre1.
1. Bicêtre : hôpital-prison
parisien renfermant,
au début du xixe siècle,
à la fois des aliénés, des
prisonniers condamnés
à de lourdes peines,
des forçats en attente
de transfert au bagne.
2. arabesques : motifs
décoratifs faits de lignes,
de lettres et de feuillages.
3. chapes : capes.
4. cachot : cellule du
prisonnier.
5. la giberne : cartouchière
x
L. A. Humbert
de Molard (18001874), Louis Dodier,
intendant de L. A.
Humbert de Molard,
en prisonnier (vers
1847), stéréoscopie,
11,5 x 15,5 cm (musée
d’Orsay, Paris).
5
10
15
20
Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle,
toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !
Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais
un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute,
avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à
me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques2 cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes
filles, de splendides chapes3 d’évêques, des batailles gagnées, des théâtres pleins
de bruit et de lumières, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades
la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.
Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est
en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai
plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : – Condamné à mort !
Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre
de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec
moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace, quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit
voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on
m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot4, m’obsède éveillé,
épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans
mes rêves sous la forme d’un couteau.
Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi
25 par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve !
– Hé bien ! avant même que mes yeux lourds
aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour
voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible
réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et
30 suante de ma cellule, dans les rayons pâles de
ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la
toile de mes vêtements, sur la sombre figure du
soldat de garde dont la giberne5 reluit à travers
la grille du cachot, il me semble que déjà une
35 voix a murmuré à mon oreille : – Condamné
à mort !
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné
(1829), chapitre I.
192
< Robert Mols (1848-1903),
L’Exécution de Michel Campi,
assassin, à la Roquette,
le 30 avril 1884, huile sur bois
(musée Carnavalet, Paris).
LIRE ET ANALYSER
Le contexte, le narrateur
1. Dans quel lieu le narrateur se trouve-t-il ? Quelle
image en donne-t-il ? Citez des termes précis.
2. a. À quel moment de la journée le narrateur a-t-il
écrit ce texte ?
b. Combien de temps lui reste-t-il en principe à vivre ?
Référez-vous au titre du roman.
3. a. À quelle personne et à quel temps verbal le narrateur mène-t-il le récit ? Montrez qu’il y a concordance
entre le moment de l’écriture et le moment des faits.
b. À quelle forme d’écriture ce texte s’apparente-t-il ?
Quel est l’effet produit sur le lecteur ?
La structure du texte
4. a. Par quelle phrase le chapitre débute-t-il ? Identifiez
son type et le sentiment exprimé.
b. Combien de fois cette phrase est-elle répétée ? Montrez que le texte revient à son point de départ. En quoi la
structure circulaire du texte traduit-elle la situation du
condamné ?
5. Montrez que la condamnation constitue une rupture
L’ESSENTIEL
dans la vie du prisonnier. Appuyez-vous sur l’antithèse
(l. 4 à 15), les temps des verbes, les oppositions de
termes, les emplois du pluriel et du singulier…
L’état intérieur du condamné,
l’effet sur le lecteur
6. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en
prison dans une idée (l. 13-14) : quelle remarque faitesvous sur la construction de cette phrase (> Leçon 42,
p. 364) ? Comment définit-elle la souffrance du
condamné ?
7. Par quelle obsession le condamné est-il habité ?
Relevez les procédés qui traduisent son état intérieur :
vocabulaire, oxymore (l. 2-3), personnification et comparaisons (l. 16 à 23), rythme ternaire (succession de
trois mots ou expressions) et gradation (l. 13 à 15).
> Leçon 42, p. 364
8. De quoi le condamné voudrait-il se convaincre ?
Y parvient-il ?
9. Quel effet la lecture de ce chapitre produit-elle sur le
lecteur ?
L’incipit ou le début du récit
w L’incipit du Dernier Jour d’un condamné permet à
l’auteur de situer le contexte de l’action (le cachot ;
cinq semaines après la condamnation), de présenter
le personnage (le condamné), de mettre en place les
caractéristiques du récit : en donnant la parole au
condamné qui se livre dans un journal intime, l’auteur
choisit de jouer sur l’émotion pour dénoncer la peine
de mort.
w Le récit s’inscrit dans un temps tragique, compté,
borné par la condamnation à mort.
Le Dernier Jour D’un conDamné
193
Écrire pour dénoncer
1. Qu’est-ce qu’un journal intime ? À quel genre appartient-il ?
2. Qu’est-ce qu’une délibération ?
PRéPAREZ VOTRE LEcTuRE
eXtrAit 3
« Mais quoi écrire ? »
Le narrateur se rappelle le moment de son procès et l’émotion qui l’a saisi lors de
l’énoncé du verdict, puis son transfert du Palais de Justice à la prison de Bicêtre.
5
10
15
20
1. le judas : petite
ouverture pratiquée dans
la porte de la cellule qui
permet aux gardiens de
surveiller le prisonnier.
2. la matière : ici, le sujet.
3. tarir : vider.
4. distraira : détournera.
5. procès-verbal : compterendu écrit et officiel d’un
délit ou d’un crime.
6. agonisante : sur le point
de mourir.
7. formule expéditive :
formule courte et rapide.
8. un couteau triangulaire :
couteau de la guillotine.
194
25
30
35
Je me suis dit :
– Puisque j’ai le moyen d’écrire, pourquoi ne le ferais-je pas ? Mais quoi écrire ?
Pris entre quatre murailles de pierre nue et froide, sans liberté pour mes pas, sans
horizon pour mes yeux, pour unique distraction, machinalement occupé tout le
jour à suivre la marche lente de ce carré blanchâtre que le judas1 de ma porte
découpe vis-à-vis sur le mur sombre, et, comme je le disais tout à l’heure, seul
à seul avec une idée, une idée de crime et de châtiment, de meurtre et de mort !
Est-ce que je puis avoir quelque chose à dire, moi qui n’ai plus rien à faire dans ce
monde ? Et que trouverai-je dans ce cerveau flétri et vide qui vaille la peine d’être
écrit ?
Pourquoi non ? Si tout, autour de moi, est monotone et décoloré, n’y a-t-il pas
en moi une tempête, une lutte, une tragédie ? Cette idée fixe qui me possède ne se
présente-t-elle pas à moi à chaque heure, à chaque instant, sous une nouvelle forme,
toujours plus hideuse et plus ensanglantée à mesure que le terme approche ? Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire à moi-même tout ce que j’éprouve de violent et
d’inconnu dans la situation abandonnée où me voilà ? Certes, la matière2 est riche ;
et, si abrégée que soit ma vie, il y aura bien encore dans les angoisses, dans les terreurs, dans les tortures qui la rempliront de cette heure à la dernière, de quoi user
cette plume et tarir3 cet encrier. – D’ailleurs ces angoisses, le seul moyen d’en moins
souffrir, c’est de les observer, et les peindre m’en distraira4.
Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. Ce journal de mes
souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j’ai
la force de le mener jusqu’au moment où il me sera physiquement impossible
de continuer ; cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que
possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond
enseignement ? N’y aurait-il pas dans ce procès-verbal5 de la pensée agonisante6,
dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ?
Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère quand il s’agira
quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils
appellent la balance de la justice ! Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive7 d’un
arrêt de mort ! Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que
dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait
compté sur la vie, une âme qui ne s’est point disposée pour la mort ? Non. Ils ne
voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire8, et pensent
sans doute que pour le condamné il n’y a rien avant, rien après.
40
45
Ces feuilles les détromperont. Publiées peut-être un jour, elles arrêteront quelques moments leur esprit sur les souffrances de l’esprit ; car ce sont celles-là qu’ils
ne soupçonnent pas. Ils sont triomphants de pouvoir tuer sans presque faire souffrir le corps. Eh ! c’est bien de cela qu’il s’agit ! qu’est-ce que la douleur physique près
de la douleur morale ? Horreur et pitié, des lois faites ainsi ! Un jour viendra, et peutêtre ces mémoires, derniers confidents d’un misérable, y auront-ils contribué…
À moins qu’après ma mort le vent ne joue dans le préau avec ces morceaux de
papier souillés de boue, ou qu’ils n’aillent pourrir à la pluie, collés en étoiles à la
vitre cassée d’un guichetier.
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné (1829), chapitre VI.
LIRE ET ANALYSER
La délibération
1. a. Quelle question principale le narrateur se pose-t-il
dans les lignes 2 à 10 ?
b. Dans les lignes 11 à 37, relevez les connecteurs et
identifiez les types de phrases qui permettent au narrateur de construire progressivement une réponse.
c. En quoi le narrateur se livre-t-il à une délibération
intérieure ?
La visée du narrateur
2. a. Quel genre d’écrit le narrateur choisit-il ?
b. Quel en sera le contenu ?
L’ESSENTIEL
c. À qui s’adressera-t-il (l. 14 à 40) ? Montrez que la
visée du projet résidera aussi bien dans l’acte d’écriture
que l’acte de lecture.
d. Quelle sera la double visée du texte ?
3. Relevez les verbes au futur (l. 17 à 19 et l. 29 à 43). À
quels différents moments renvoient-ils ?
La visée de l’auteur
4. Quel est l’intérêt de mettre en scène un personnage
en train d’écrire l’œuvre dont il est le héros ? En quoi
le projet du condamné se confond-il avec celui de Hugo
(> Préface, p. 190) ?
Le journal, un artifice littéraire
w Le monologue délibératif permet de confronter
différents points de vue à propos d’une question que
l’on se pose à soi-même.
w Le journal du condamné a, pour le narrateur, une
double visée : exposer la souffrance pour la mettre à
distance et en témoigner auprès des juges afin de toucher leur sensibilité.
w En confiant au condamné les préoccupations qui
sont les siennes, Hugo crée un effet de miroir, une
mise en abyme, qui donne au récit une double visée
pour l’auteur : raconter une histoire pour émouvoir,
écrire un essai pour convaincre.
ExERcIcE d’écRITuRE
Pensez-vous que l’on puisse trouver refuge dans l’écriture ou dans une autre forme
d’art ? Vous rédigerez un paragraphe argumenté.
Consignes d’écriture :
• vous présenterez un ou deux arguments pour justifier votre propos ;
• vous développerez un exemple.
Le Dernier Jour D’un conDamné
195
Une scène tragique
1. Cherchez sur Internet des informations sur le bagne de Toulon.
2. Recherchez les différents sens du mot sabbat.
PRéPAREZ VOTRE LEcTuRE
eXtrAit 4
« La Grève1 est sœur de Toulon »
Durant sa détention à Bicêtre, le narrateur assiste, d’une fenêtre, au ferrement des
forçats avant leur départ pour le bagne de Toulon. L’opération consiste à leur poser un
collier de fer et à les relier les uns aux autres par une chaîne.
5
1. la Grève : place où
avaient lieu, à Paris, les
exécutions des condamnés
à mort (actuellement
place de l’Hôtel-de-Ville)
> p. 199.
2. les galériens : nom
donné aux forçats parce
qu’ils étaient condamnés,
jusqu’au xViiie siècle,
à ramer sur des galères.
3. la chiourme : ensemble
des forçats du bagne.
4. enclumes : masses de
fer sur lesquelles on forge
les métaux.
5. Le narrateur récapitule
les différentes épreuves
que les forçats subissent
avant de partir pour le
bagne.
6. cordons : files de forçats
attachés les uns aux
autres.
7. argot : langage familier,
populaire.
8. furibondes : furieuses.
9. baquet : cuve en bois.
10. pétrifié : incapable de
bouger, immobile comme
de la pierre.
11. rogné : décapité (terme
familier).
12. perclus : qui a de la
peine à bouger.
196
10
15
20
25
30
35
On fit asseoir les galériens2 dans la boue, sur les pavés inondés ; on leur essaya
les colliers ; puis deux forgerons de la chiourme3, armés d’enclumes4 portatives,
les leur rivèrent à froid à grands coups de masses de fer. C’est un moment affreux, où les plus hardis pâlissent. Chaque coup de marteau, asséné sur l’enclume
appuyée à leur dos, fait rebondir le menton du patient ; le moindre mouvement
d’avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix. […]
Ainsi5, après la visite des médecins, la visite des geôliers ; après la visite des
geôliers, le ferrage. Trois actes à ce spectacle.
Un rayon de soleil reparut. On eût dit qu’il mettait le feu à tous ces cerveaux.
Les forçats se levèrent à la fois, comme par un mouvement convulsif. Les cinq
cordons6 se rattachèrent par les mains, et tout à coup se formèrent en ronde immense autour de la branche de la lanterne. Ils tournaient à fatiguer les yeux. Ils
chantaient une chanson du bagne, une romance d’argot7, sur un air tantôt plaintif,
tantôt furieux et gai ; on entendait par intervalles des cris grêles, des éclats de rire
déchirés et haletants se mêler aux mystérieuses paroles ; puis des acclamations
furibondes8, et les chaînes qui s’entrechoquaient en cadence servaient d’orchestre
à ce chant plus rauque que leur bruit. Si je cherchais une image du sabbat, je ne
la voudrais ni meilleure ni pire.
On apporta dans le préau un large baquet9. Les gardes-chiourme rompirent la
danse des forçats à coups de bâton, et les conduisirent à ce baquet, dans lequel on
voyait nager je ne sais quelles herbes dans je ne sais quel liquide fumant et sale.
Ils mangèrent.
Puis, ayant mangé, ils jetèrent sur le pavé ce qui restait de leur soupe et de leur
pain bis, et se remirent à danser et à chanter. Il paraît qu’on leur laisse cette liberté
le jour du ferrage et la nuit qui le suit.
J’observais ce spectacle étrange avec une curiosité si avide, si palpitante, si
attentive, que je m’étais oublié moi-même. Un profond sentiment de pitié me
remuait jusqu’aux entrailles, et leurs rires me faisaient pleurer.
Tout à coup, à travers la rêverie profonde où j’étais tombé, je vis la ronde hurlante s’arrêter et se taire. Puis tous les yeux se tournèrent vers la fenêtre que j’occupais. – Le condamné ! le condamné ! crièrent-ils tous en me montrant du doigt ;
et les explosions de joie redoublèrent.
Je restai pétrifié10.
J’ignore d’où ils me connaissaient et comment ils m’avaient reconnu.
– Bonjour ! bonsoir ! me crièrent-ils avec leur ricanement atroce. Un des plus
jeunes, condamné aux galères perpétuelles, face luisante et plombée, me regarda
40
45
50
55
y Gabriel Cloquemin (xix
siècle), Les Forçats à Bicêtre :
le ferrement, aquarelle, (musée Carnavalet, Paris).
e
d’un air d’envie en disant : – Il est heureux ! il sera
rogné11 ! Adieu, camarade !
Je ne puis dire ce qui se passait en moi. J’étais leur
camarade en effet. La Grève est sœur de Toulon. J’étais
même placé plus bas qu’eux : ils me faisaient honneur.
Je frissonnai.
Oui, leur camarade ! et quelques jours plus tard,
j’aurais pu aussi, moi, être un spectacle pour eux.
J’étais demeuré à la fenêtre, immobile, perclus12,
paralysé. Mais, quand je vis les cinq cordons s’avancer,
se ruer vers moi avec des paroles d’une infernale cordialité ; quand j’entendis le tumultueux fracas de leurs
chaînes, de leurs clameurs, de leurs pas, au pied du
mur, il me sembla que cette nuée de démons escaladait
ma misérable cellule ; je poussai un cri, je me jetai sur
la porte d’une violence à la briser ; mais pas moyen de
fuir : les verrous étaient tirés en dehors. Je heurtai, j’appelai avec rage. Puis il me sembla entendre de plus près
encore les effrayantes voix des forçats. Je crus voir leurs
têtes hideuses paraître déjà au bord de ma fenêtre, je
poussai un second cri d’angoisse et je tombai évanoui.
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné (1829),
extrait du chapitre XIII.
LIRE ET ANALYSER
Le ferrement des forçats
L’état du narrateur
1. a. À quelle opération les forçats sont-ils soumis ?
Quelles humiliations subissent-ils ?
b. Pour quelle raison envient-ils le narrateur ?
4. Relevez des termes qui montrent l’évolution de l’état
intérieur du narrateur à partir de la ligne 29 jusqu’à la
crise finale.
Spectacle et jeux de regard
2. a. Où le narrateur se trouve-t-il pour regarder ?
b. Montrez qu’il présente cette scène comme un spectacle. Où est l’espace scénique ? Qui sont les acteurs ?
les spectateurs ? Quels sont les trois actes (l. 7-8) ?
c. À quel spectacle cette scène peut-elle faire penser ?
3. a. Quels sont les sentiments du narrateur (l. 26 à 28) ?
b. À partir de quel moment se produit-il une inversion
des rôles ? Prenez en compte les regards, la gestuelle,
les paroles.
c. De quoi le narrateur prend-il alors conscience ?
L’ESSENTIEL
5. Comment perd-il peu à peu le sens du réel ? Appuyezvous :
a. sur les illusions d’optique, les notations auditives ;
b. sur la métaphore du sabbat et la vision de l’enfer ;
c. sur les procédés qui marquent la progression de
l’irrationnel (rythme, répétitions et oxymore, l. 45 à 57).
La visée du passage
6. Quelles pratiques Hugo condamne-t-il ?
7. a. Expliquez : La Grève est sœur de Toulon (l. 40)
b. En quoi ce passage est-il tragique et annonciateur du
sort qui attend le condamné ?
Un spectacle tragique
w Le récit dénonce le sort des prisonniers en montrant leur terrible condition.
w La scène est présentée comme un spectacle tragi-
w Le condamné se retrouve lui-même objet de spectacle. Cette scène ressemble à une répétition générale
de ce qui l’attend ; elle préfigure sa mort prochaine.
que, avec son décor, ses acteurs, ses spectateurs.
Le Dernier Jour D’un conDamné
197
Le récit de la dernière heure
1. Observez le plan des lieux : vous situerez le Palais de Justice, le pont
au Change, le quai aux Fleurs et la place de Grève, afin de reconstituer
l’itinéraire du condamné.
2. Cherchez d’où vient le mot guillotine.
3. Quel roi fut guillotiné en France à la fin du XVIIIe siècle ?
PRéPAREZ VOTRE LEcTuRE
eXtrAit 5
« On est venu m’avertir qu’il était
temps »
Le condamné est sur le point d’être transféré de la Conciergerie à l’Hôtel de Ville,
devant la place de Grève. Il lui reste une heure avant son exécution.
5
10
15
20
25
1. une redingote : longue
veste croisée que portaient
les hommes au xixe siècle.
2. une chemise de batiste :
chemise en toile de lin
très fine.
198
30
Trois heures sonnaient, on est venu m’avertir qu’il était temps. J’ai tremblé,
comme si j’eusse pensé à autre chose depuis six heures, depuis six semaines,
depuis six mois. Cela m’a fait l’effet de quelque chose d’inattendu.
Ils m’ont fait traverser leurs corridors et descendre leurs escaliers. Ils m’ont
poussé entre deux guichets du rez-de-chaussée, salle sombre, étroite, voûtée, à
peine éclairée d’un jour de pluie et de brouillard. Une chaise était au milieu. Ils
m’ont dit de m’asseoir ; je me suis assis.
Il y avait près de la porte et le long des murs quelques personnes debout, outre
le prêtre et les gendarmes, et il y avait aussi trois hommes.
Le premier, le plus grand, le plus vieux, était gras et avait la face rouge. Il portait une redingote1 et un chapeau à trois cornes déformé. C’était lui.
C’était le bourreau, le valet de la guillotine. Les deux autres étaient ses valets,
à lui.
À peine assis, les deux autres se sont approchés de moi, par-derrière, comme
des chats ; puis tout à coup j’ai senti un froid d’acier dans mes cheveux, et les ciseaux ont grincé à mes oreilles.
Mes cheveux, coupés au hasard, tombaient par mèches sur mes épaules, et
l’homme en chapeau à trois cornes les époussetait doucement avec sa grosse
main.
Autour, on parlait à voix basse.
Il y avait un grand bruit au dehors, comme un frémissement qui ondulait
dans l’air. J’ai cru d’abord que c’était la rivière, mais, à des rires qui éclataient, j’ai
reconnu que c’était la foule.
Un jeune homme, près de la fenêtre, qui écrivait, avec un crayon, sur un portefeuille, a demandé à un des guichetiers comment s’appelait ce qu’on faisait là.
– La toilette du condamné, a répondu l’autre.
J’ai compris que cela serait demain dans le journal.
Tout à coup l’un des valets m’a enlevé ma veste, et l’autre a pris mes deux
mains qui pendaient, les a ramenées derrière mon dos, et j’ai senti les nœuds
d’une corde se rouler lentement autour de mes poignets rapprochés. En même
temps, l’autre détachait ma cravate. Ma chemise de batiste2, seul lambeau qui me
restât d’autrefois, l’a fait en quelque sorte hésiter un moment, puis il s’est mis à
en couper le col.
S
Île de la Cité
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ein
PARIS
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Place de Grève
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de Ville
(Place de l'Hôtel de Ville)
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Pont
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Saint-Michel
f
Notre-Dame
Pont
Rouge
(Pont Saint-Louis)
>
Plan de Paris (quartier
de l’île de la Cité), vers 1830.
35
40
45
50
55
3. bourgeonné :
boutonneux.
4. roide : raide.
0
200 m
Pont
au Double
À cette précaution horrible, au saisissement de l’acier qui touchait mon cou,
mes coudes ont tressailli, et j’ai laissé échapper un rugissement étouffé ; la main
de l’exécuteur a tremblé. – Monsieur, m’a-t-il dit, pardon ! Est-ce que je vous ai fait
mal ? – Ces bourreaux sont des hommes très doux.
La foule hurlait plus haut au dehors.
Le gros homme au visage bourgeonné3 m’a offert à respirer un mouchoir
imbibé de vinaigre. – Merci, lui ai-je dit de la voix la plus forte que j’ai pu, c’est
inutile ; je me trouve bien.
Alors l’un d’eux s’est baissé et m’a lié les deux pieds, au moyen d’une corde
fine et lâche, qui ne me laissait à faire que de petits pas. Cette corde est venue se
rattacher à celle de mes mains.
Puis le gros homme a jeté la veste sur mon dos, et a noué les manches ensemble sous mon menton. Ce qu’il y avait à faire là était fait.
Alors le prêtre s’est approché avec son crucifix. – Allons, mon fils ! m’a-t-il dit.
Les valets m’ont pris sous les aisselles ; je me suis levé, j’ai marché ; mes pas
étaient mous et fléchissaient comme si j’avais eu deux genoux à chaque jambe.
En ce moment la porte extérieure s’est ouverte à deux battants. Une clameur
furieuse, et l’air froid, et la lumière blanche, ont fait irruption jusqu’à moi dans
l’ombre. Du fond du sombre guichet, j’ai vu brusquement tout à la fois, à travers
la pluie, les mille têtes hurlantes du peuple entassées pêle-mêle sur la rampe du
grand escalier du Palais ; à droite, de plain-pied avec le seuil, un rang de chevaux
de gendarmes, dont la porte basse ne me découvrait que les pieds de devant et les
poitrails ; en face, un détachement de soldats en bataille ; à gauche, l’arrière d’une
charrette, auquel s’appuyait une roide4 échelle. Tableau hideux, bien encadré dans
une porte de prison.
Le Dernier Jour D’un conDamné
199
60
65
5. le pont au Change : pont
qui relie l’île de la Cité
à la rive droite de la Seine.
6. le piquet : petite
troupe de soldats ou de
gendarmes.
7. le quai aux Fleurs : quai
situé en face de l’Hôtel
de Ville, célèbre pour son
marché aux fleurs.
70
C’est pour ce moment redouté que j’avais gardé mon courage. J’ai fait trois
pas, et j’ai paru sur le seuil du guichet.
– Le voilà ! le voilà ! a crié la foule. Il sort ! enfin ! […]
La charrette et son cortège se sont mis en mouvement, comme poussés en
avant par un hurlement de la populace.
On a franchi la grille. Au moment où la charrette a tourné vers le pont au
Change5, la place a éclaté en bruits, du pavé aux toits, et les ponts et les quais ont
répondu à faire un tremblement de terre.
C’est là que le piquet6 qui attendait s’est rallié à l’escorte.
– Chapeaux bas ! chapeaux bas ! criaient mille bouches ensemble. – Comme
pour le roi.
Alors j’ai ri horriblement aussi, moi, et j’ai dit au prêtre : – Eux les chapeaux,
moi la tête.
On allait au pas.
Le quai aux Fleurs7 embaumait ; c’est jour de marché.
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné (1829), extrait du chapitre XLVIII.
LIRE ET ANALYSER
La structure dramatique
1. a. Résumez les différentes étapes du récit en vous
appuyant sur les organisateurs temporels.
b. Quels sont les différents lieux, personnages, actions
qui se succèdent ?
c. Quelle remarque faites-vous sur l’ordre des actions ?
d. Montrez que chacun de ces moments se présente
comme une anticipation de l’exécution.
2. Les indications temporelles (l. 1 à 3) se succèdent
comme un compte à rebours. En quoi cette scène estelle tragique ?
3. Montrez que les apparitions de la foule rythment le
passage et contribuent à la dramatisation.
Le personnage du condamné
4. a. Relevez les pronoms personnels qui désignent les
geôliers et le condamné dans les lignes 4 à 7.
b. Qui est en position d’agent (accomplissant l’action) ?
Qui est en position de patient (subissant l’action) ? Quelle
image le condamné donne-t-il de lui ?
L’ESSENTIEL
6. À quel moment le condamné fait-il preuve d’humour ?
Comment l’expliquez-vous ?
La visée du récit
7. Quelle image le narrateur donne-t-il :
a. du bourreau ? Appuyez-vous sur les lignes 10 à 46.
Est-elle conforme à ce que l’on pouvait attendre ?
b. de la foule ? Appuyez-vous, dans les lignes 50 à 69,
sur les expressions par lesquelles il la désigne et sur la
métaphore du spectacle (préparation de l’acteur avant
l’entrée en scène, attente des spectateurs, sortie des
coulisses, ouverture du rideau…).
8. En quoi cette image de la foule plaide-t-elle en faveur
de l’abolition de la peine de mort ?
9. À qui le condamné est-il comparé dans les dernières
lignes de l’extrait ? Montrez que cette comparaison revêt
un double sens (prenez en compte le contexte historique).
La dernière heure
w La marche vers le supplice du condamné constitue
un temps fort du récit comme de l’argumentation.
w Les rituels de la préparation du condamné en soulignent la solennité et l’atrocité.
200
5. a. Montrez que le condamné n’appréhende plus le
monde qu’à travers ses sensations. Lesquelles ?
b. Quel contraste y a-t-il entre ce qu’il perçoit du monde
extérieur et ce qu’il est en train de vivre ?
w Le comportement de la foule impatiente ruine
l’idée de l’exemplarité du châtiment, qui est perçu
comme un spectacle joyeux, contrastant avec la solitude et la terreur du condamné.
LEÇON
Le récit à visée argumentative
Le Dernier Jour d’un condamné se présente comme un
récit à visée argumentative : la narration est au service
d’une thèse, à savoir l’abolition de la peine de mort.
L’ARTIFICE DE LA PARUTION
ET LES CHOIX NARRATIFS
● Le Dernier Jour d’un condamné paraît en 1829, sans
nom d’auteur. Hugo voulait donner au lecteur l’illusion
qu’il se trouvait en présence d’un vrai journal tenu par
un condamné, à quelques heures de sa mort. En 1832,
Hugo ajoute une préface dans laquelle il revendique
l’ouvrage et en explicite la visée argumentative : un violent réquisitoire contre les exécutions capitales.
● La forme du journal intime fictif, et plus précisément du monologue intérieur, est novatrice en 1829.
Elle permet au lecteur de s’identifier au narrateur qui
livre, instant par instant, les angoisses qui l’assaillent à
quelques heures de son exécution. Cette identification
est favorisée par le fait que Victor Hugo ne dévoile pas la
nature du crime commis : il met en scène un condamné
quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime
quelconque (préface). Le refus de toute dimension anecdotique contribue à la force de l’argumentation.
LES REGISTRES TRAGIQUE
ET PATHÉTIQUE
● Le Dernier Jour d’un condamné repose sur une temporalité tragique. Le narrateur est soumis à un compte
à rebours : le journal s’ouvre sur le réveil, dans la nuit
précédant la mort, avec un cri : Condamné à mort ! Il s’arrête le lendemain à seize heures, heure de la mort par
la guillotine, avec ces derniers mots : QUATRE HEURES.
Aucune échappatoire n’est possible, ce qui est le propre
du tragique.
● Le passé est le temps du souvenir, empreint de la
nostalgie de ce qui n’est plus ; le présent figure le lieu
de la souffrance ; le futur, borné par la guillotine, est
envisagé avec horreur.
● La solitude du condamné est tragique : il ne trouve
aucun réconfort, ni dans la religion, ni auprès des gens
de justice (directeur de prison, geôliers…) qui ne manifestent aucun sentiment, aucune compassion, ni même
auprès de sa fille qui ne le reconnaît pas lorsqu’elle va
le voir. Le condamné est un exclu.
● Le texte revêt un registre pathétique par le sentiment
de compassion que suscite le condamné. Celui-ci traduit
sa souffrance et sa douleur par l’emploi de nombreuses
phrases exclamatives qui résonnent à travers le récit
comme des cris de désespoir. Le recours au pathétique
sert la stratégie argumentative : il met en valeur le supplice insupportable auquel est soumis le condamné.
L’ARGUMENTATION, LA VISÉE CRITIQUE
● À travers le récit, Hugo se livre à de sévères critiques
et dénonciations :
– il réfute les arguments des partisans de la peine de
mort. La peine de mort n’est pas dissuasive (les condamnés se succèdent dans les prisons) ; la mort par la guillotine est un acte barbare équivalant à un assassinat ;
– il dénonce la justice et l’univers carcéral. La justice
est injuste et inhumaine, elle tue et humilie les hommes, et fait le malheur de leurs proches ; la prison, l’infirmerie sont des lieux sinistres, des espaces de mort ;
quant au personnel de justice, il est indifférent ou d’une
gentillesse convenue ;
– il met en cause la société et le peuple. La société doit
éduquer les malheureux, faute de quoi ils se retrouveront en prison et sur l’échafaud. Le peuple se repaît du
spectacle de la guillotine, il se transforme en une foule
sauvage et avide de sang.
< Exécution de Fieschi, Pépin et Morey,
coupables d’un attentat contre Louis-Philippe,
le 17 février 1836 (xixe siècle), lithographie
(musée Carnavalet, Paris).
Le Dernier Jour D’un conDamné
201
OuTILS
dE LA LANGuE
Grammaire
1
IDENTIFIER LES VALEURS DU PRÉSENT
> Leçon 30, p. 330
Identifiez les valeurs du présent : énonciation, durée,
répétition, description, vérité générale, narration.
a. Or, voilà cinq semaines, six peut-être, je n’ose compter, que je suis dans ce cabanon de Bicêtre. b. Je suis
calme maintenant. c. Ah ! qu’une prison est quelque
chose d’infâme ! d. Tout autour de la cour, des bancs de
pierre s’adossent à la muraille. e. Tous les dimanches,
on me lâche dans le préau. f. Ma petite Marie ! Elle est
fraîche, elle est rose, elle est belle ! g. Les souvenirs de
ma jeunesse me reviennent un à un. h. Les souvenirs
me revenaient un à un : il y a une jeune fille dans le jardin. Elle s’appuie sur mon bras.
Phrases extraites ou adaptées
du Dernier Jour d’un condamné, de V. Hugo.
2
LES CARACTÉRISATIONS
> Leçons 11 et 14, p. 288 et p. 294
La caractérisation se fait par l’attribut ou par les
expansions du nom.
1. Relevez les caractérisations des mots en violet. Précisez leur classe et leur fonction grammaticale.
2. En quoi le lexique utilisé dans Le Dernier Jour d’un
condamné contribue-t-il à l’argumentation ?
a. Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait. b. Les jurés seuls paraissaient blêmes et abattus.
(Chap. II.) c. Deux ou trois portes basses vomirent […]
des nuées d’hommes hideux, hurlants et déguenillés.
C’étaient les forçats. (Chap. XIII.) d. L’Hôtel de Ville est un
édifice sinistre. (Chap. XXXVII.) e. Le trajet exécrable est
fait. La place est là, et au-dessous de la fenêtre l’horrible peuple qui aboie, et m’attend, et rit. (Chap. XLVIII.)
3
SUJETS ET COMPLÉMENTS DE VERBE
1. a. Relevez le sujet des verbes en violet. Donnez leur
classe grammaticale. À qui renvoient-ils ? Les désignations sont-elles précises ?
b. Quel verbe est impersonnel ? Combien a-t-il de
sujet(s) ? Avec quel sujet s’accorde-t-il ?
2. Relevez les compléments de verbe direct et indirect.
À qui renvoient-ils de façon dominante ?
3. Identifiez les agents et le patient.
4
L’ORDRE DES ACTIONS
Le narrateur du Dernier Jour d’un condamné restitue
la chronologie des actions.
1. Indiquez l’ordre des actions et dites lesquelles sont
simultanées.
2. Identifiez les procédés (juxtaposition, subordination,
coordination, phrase participiale, groupe nominal avec
préposition, temps verbaux).
a. Nous montâmes un escalier tournant en vis ; nous
passâmes un corridor, puis un autre, puis un troisième ;
puis une porte basse s’ouvrit. (Chap. II.) b. Quand ils [les
forçats] eurent revêtu les habits de route, on les mena à
l’autre coin du préau. c. Ainsi, après la visite des médecins, la visite des geôliers ; après la visite des geôliers, le
ferrage. (Chap. XIII.) d. Pendant que j’écrivais tout ceci, la
lampe a pâli. (Chap. XVIII.) e. Le boulevard franchi, la carriole s’est enfoncée au grand trot dans ces vieilles rues
tortueuses du faubourg Saint-Marceau. (Chap. XXII.)
5
LA PROGRESSION DU TEXTE
> Leçon 35, p. 342
1. Comment les phrases s’enchaînent-elles dans ces
extraits du Dernier Jour d’un condamné ? Appuyez-vous
sur les reprises et le(s) premier(s) mot(s) de chaque
phrase.
2. Quels sont les éléments que le narrateur met en
valeur, en position de thème ?
> Leçons 13 et 15, p. 292 et p. 296
L’agent est celui qui fait l’action, le patient celui qui
la subit ou sur qui elle porte.
5
À peine arrivé, des mains de fer s’emparèrent de moi.
On multiplia les précautions : point de couteau, point
de fourchette pour mes repas, la camisole de force, une
espèce de sac de toile à voilure, emprisonna mes bras ;
on répondait de ma vie. […] Il importait de me conserver
sain et sauf à la place de Grève. Les premiers jours on
me traita avec une douceur qui m’était horrible.
V. Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné, extrait du chap. V.
202
5
5
a. Un grand bruit me réveilla ; il faisait petit jour. Ce
bruit venait du dehors : mon lit était à côté de la fenêtre,
je me levai sur mon séant pour voir ce que c’était.
La fenêtre donnait sur la grande cour de Bicêtre. Cette
cour était pleine de monde. (Chap. XIV.)
b. Une espèce de monsieur, en habit noir, accompagné du directeur de la prison, s’est présenté et m’a
salué profondément. Cet homme avait sur le visage
quelque chose de la tristesse officielle des employés
des pompes funèbres. Il tenait un rouleau de papier à
la main. (Chap. XXI.)
6
LES TYPES DE PHRASES
POUR ARGUMENTER > Leçon 24, p. 316
Les types de phrases, en particulier l’interrogation
rhétorique (fausse question qui n’attend pas de
réponse), servent l’argumentation.
Montrez comment les types de phrases, notamment les
interrogations rhétoriques, contribuent à l’argumentation.
Hugo répond aux partisans de la peine de mort qui prétendent
que celle-ci sert d’exemple.
5
10
Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous
croyez faire un exemple quand vous égorgillez1 misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus
désert des boulevards extérieurs ? En Grève2, en plein
jour, passe encore ; mais à la barrière Saint-Jacques3 !
mais à huit heures du matin ! Qui est-ce qui passe là ?
Qui est-ce qui va là ? Qui est-ce qui sait que vous tuez
un homme là ? Qui est-ce qui se doute que vous faites
un exemple là ? Un exemple pour qui ? pour les arbres
du boulevard, apparemment.
Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions
publiques se font en tapinois4 ? Ne voyez-vous donc
pas que vous vous cachez ? que vous avez peur et
honte de votre œuvre ?
Orthographe
7
Écrivez au pluriel les mots et expressions suivantes.
– un barreau, un préau, un verrou, un bourreau, un porteclefs, un procès-verbal, un tribunal, un juge impartial,
un cachot glacial, un garde-malade, un garde-chasse, un
garde-manger.
8
DICTÉE PRÉPARÉE > Leçon 36, p. 344
Préparez la dictée en répondant aux questions.
Le prêtre vient voir le condamné.
5
10
V. Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné,
extrait de la préface.
1. égorgillez : égorgez lentement. 2. place de Grève.
3. une des portes de Paris. 4. en tapinois : en cachette.
MARQUES DU PLURIEL > Leçon 36, p. 344
15
– Mon fils, m’a-t-il dit, êtes-vous préparé ?
Je lui ai répondu d’une voix faible :
– Je ne suis pas préparé, mais je suis prêt.
Cependant ma vue s’est troublée, une sueur glacée
est sortie à la fois de tous mes membres, j’ai senti
mes tempes se gonfler, et j’avais les oreilles pleines de
bourdonnements.
Pendant que je vacillais sur ma chaise comme
endormi, le bon vieillard parlait. C’est du moins ce
qu’il m’a semblé, et je crois me souvenir que j’ai vu ses
lèvres remuer, ses mains s’agiter, ses yeux reluire.
La porte s’est rouverte une seconde fois. Le bruit
des verrous nous a arrachés, moi à ma stupeur, lui à
son discours. Une espèce de monsieur, en habit noir,
accompagné du directeur de la prison, s’est présenté,
et m’a salué profondément.
V. Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné,
extrait du chap. XXI.
1. Justifiez l’orthographe des participes passés. Vous
expliquerez l’accord des verbes pronominaux.
2. Justifiez l’emploi des verbes à l’infinitif.
3. verrous (l. 13) : révisez la règle du pluriel des mots
en -ou.
4. profondément (l. 16) : révisez la règle de graphie des
adverbes en -ment.
conjugaison
9
LE CONDITIONNEL
1. Écrivez les verbes au conditionnel présent.
2. Réécrivez les phrases a, b, d, e en remplaçant je par
nous.
a. Je (être) devenu fou si une impression brusque ne
m’eût réveillé à temps. b. Oh ! si je m’évadais, comme
je (courir) à travers champs. c. Non, il ne (falloir) pas
courir. d. La nuit tombée, je (reprendre) ma course.
e. J’(aller) à Vincennes.
y Condamné à mort et prêtre, gravure (1862).
Phrases extraites ou adaptées
du Dernier Jour d’un condamné, de Hugo.
Le Dernier Jour D’un conDamné
203
13 L’ÉTYMOLOGIE
1. Cherchez de quel mot latin est issu l’adjectif capital
dans l’expression peine capitale.
2. Donnez, à partir de la racine latine, le sens des mots
suivants.
a. capiteux. b. décapiter. c. un capitaine. d. la capitale
d’un pays. e. une lettre capitale. f. être vêtu de pied en
cap. g. un capital (pensez que la fortune s’évaluait en
têtes de bétail).
14 LES CHAMPS LEXICAUX
y Honoré Daumier (1808-1879), L’Avocat et son client
Relevez le champ lexical dominant. Quelle image le
narrateur donne-t-il de la prison ?
(xixe siècle), crayon et lavis sur papier, 15 x 16 cm
(collection privée).
10 LE SUBJONCTIF
Écrivez les verbes au subjonctif présent.
a. Qu’on (aller) chercher mon avocat. b. Le prêtre est
revenu. D’où vient que sa voix n’a rien qui m’(émouvoir) ?
c. C’est parmi tous ces hommes le seul qui (être) véritablement homme pour moi. d. Nous nions que le spectacle des supplices (produire) l’effet qu’on attend. e. Il faut
que ma petite fille (savoir) mon histoire.
Phrases extraites ou adaptées
du Dernier Jour d’un condamné, de V. Hugo.
Vocabulaire, figures de style
11 LES SUFFIXES
À l’aide des suffixes -ment et -tion, formez les noms à
partir des verbes suivants.
– châtier, exécuter, acquitter, inculper, abolir, condamner,
emprisonner, détenir, enfermer, réhabiliter, corrompre.
12 LE VOCABULAIRE DE LA JUSTICE
1. Donnez le sens des mots relatifs à la justice.
a. Le personnel : ministre de la Justice, procureur général, substitut du procureur, huissier, greffier, juge, juré.
b. Les cours et les tribunaux : tribunal de grande instance, cour d’appel, cour d’assises.
c. Le procès et le jugement : partie civile, réquisitoire,
verdict, pourvoi en cassation, peine incompressible.
2. Donnez le sens des mots plaidoirie et plaidoyer, que
l’on trouve dans la préface :
Le Dernier Jour d’un condamné n’est autre chose qu’un
plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. […] C’est la plaidoirie générale
et permanente pour tous les accusés présents et à venir.
(V. Hugo.)
204
5
Il était à peine jour, et la prison était pleine de bruit.
On entendait ouvrir et fermer les lourdes portes, grincer les verrous et les cadenas de fer, carillonner les
trousseaux de clefs entrechoqués à la ceinture des
geôliers, trembler les escaliers du haut en bas sous
des pas précipités, et des voix s’appeler et se répondre
des deux bouts des longs corridors.
V. Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné,
extrait du chap. XIII.
15 LES FIGURES DE STYLE > Leçon 42, p. 364
Identifiez les figures de style extraites du Dernier Jour
d’un condamné : comparaisons, métaphores, personnification, antithèse, oxymore, parallélisme, anaphore,
gradation.
a. La prison est une espèce d’être horrible, complet,
indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa
proie. (Chap. XX.)
b. Il y avait trois jours que mon procès était entamé ;
trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque
matin une nuée de spectateurs, qui venaient s’abattre
sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux
autour d’un cadavre. (Chap. II.)
c. Mon pourvoi sera rejeté, parce que tout est en
règle ; les témoins ont bien témoigné, les plaideurs ont
bien plaidé, les juges ont bien jugé. (Chap. XV.)
d. Moi, seul muet dans ce vacarme, seul immobile dans ce tumulte, étonné et attentif, j’écoutais.
(Chap. XIII.)
e. Je suis robuste de corps et d’esprit, constitué pour
une longue vie ; oui, tout cela est vrai, et cependant j’ai
une maladie, une maladie mortelle, une maladie faite de
la main des hommes. (Chap. XV.)
f. – Il va bien ! a dit une femme à côté des gendarmes.
Cet atroce éloge m’a donné du courage. (Chap. XLVIII.)
AcTIVITéS
d’écRITuRE
1
ÉCRIRE UNE PAGE DU JOURNAL
DU CONDAMNÉ
Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que
des semaines, j’étais un homme comme un autre homme
(> Extrait 2, p. 192).
Le narrateur du Dernier Jour d’un condamné se souvient
d’un moment heureux de son passé. Rédigez la page de
son journal dans laquelle il évoque ce moment, puis son
retour à la réalité.
Consignes d’écriture :
• respectez la situation d’énonciation du journal intime
(1re personne) ;
• employez l’antithèse pour souligner les oppositions
entre autrefois et maintenant ;
• utilisez un registre pathétique (> Leçon 47, p. 378).
2
ÉCRIRE UNE LETTRE
Vous faites partie de la foule qui a suivi le condamné
dans ses derniers déplacements jusqu’à la place de
Grève, où il a été conduit à la guillotine à quatre heures.
Vous ne partagez pas l’excitation ambiante et, à la fin
de la journée, vous écrivez une lettre à un ami pour lui
raconter ce que vous avez vu et ressenti.
Consignes d’écriture :
3
RÉDIGER UNE PLAIDOIRIE
Rédigez le discours de l’avocat de la défense qui plaide le
recours en grâce du condamné. Vous utiliserez les arguments de la préface (> Extrait 1, p. 190), ainsi que ceux
de Robert Badinter cités ci-dessous, dans la rubrique
« pour vous aider ».
Consignes d’écriture :
• utilisez une formule d’entrée ;
• exprimez-vous à la 1re personne (je / nous) ;
• ordonnez et reformulez les arguments pour les adapter à la plaidoirie ;
• utilisez quelques figures de style (adresses à l’auditoire, interrogations rhétoriques, anaphores, gradations…) ;
• terminez par une adresse aux jurés.
4
ÉCRIRE UN RÉCIT
À VISÉE ARGUMENTATIVE
Imaginez un récit à dimension argumentative, au service d’une cause que vous souhaitez défendre. Votre récit
doit inciter à adopter un comportement fondé sur des
valeurs (humaines, civiques…).
Consignes d’écriture :
• choisissez la cause que vous voulez défendre (respect
de l’environnement, méfaits du tabac, de la vitesse sur
la route, scolarisation des enfants dans le monde…) ;
• imaginez une histoire qui, telle une fable, porte en
elle une leçon : le récit doit inciter ou dissuader d’adopter tel ou tel comportement.
• respectez les codes de l’écriture épistolaire ;
• décrivez le condamné, imaginez ce qu’il ressent ;
• rendez compte de l’atmosphère qui règne dans la rue ;
• exprimez vos sentiments et émotions.
Quelques expressions
et citations pour vous aider
● Pour introduire le sujet n° 1 : J’ai fermé les yeux,
et j’ai mis les mains dessus, et j’ai tâché d’oublier le
présent dans le passé. Tandis que je rêve, les souvenirs
de mon enfance et de ma jeunesse me reviennent un à
un, doux, calmes, riants… (Le Dernier Jour d’un condamné,
chap. XXIII).
● Le souvenir et le retour à la réalité : Je me
revois… ; ce soir-là ; J’avais le paradis dans le cœur ;
Ma belle jeunesse ! Une heure vient de sonner, je ne
sais laquelle ; l’horrible réalité qui m’entoure ; la dalle
mouillée et suante de ma cellule (extraits du Dernier Jour
d’un condamné).
● Pour introduire et conclure une plaidoirie : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les jurés ;
C’est pourquoi, je vous demande, Mesdames et Messieurs les jurés, de…
● Exemple d’argument : Si vous condamnez à mort
mon client, vous ne condamnez pas seulement un
homme, mais aussi une famille entière !
● Expressions extraites du discours de Robert
Badinter à l’Assemblée nationale française le 17 septembre 1981 : la justice qui tue ; cette justice d’angoisse
et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la
refusons ; l’anti-justice ; la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité.
Le Dernier Jour D’un conDamné
205
éVALuATION
« Ô ma pauvre petite fille ! »
y
William Fettes
Douglas (1822-1891),
Ce n’est pas toujours
mai (1855), huile sur
panneau, 27,5 x 19,5 cm
(collection privée).
1. amphithéâtres : salles de
cours en gradins dans une
université. Les étudiants
en médecine y observent
la dissection de cadavres.
2. une bière : un cercueil.
3. Clamart : commune
(au sud-ouest de Paris)
où étaient enterrés les
condamnés à morts.
4. vile : méprisable.
5. cet autre homme
aux mains rouges :
le bourreau, chargé
d’exécuter le condamné.
6. se meut (du verbe
se mouvoir) : bouge.
206
25
30
35
Il est dix heures.
Ô ma pauvre petite fille ! encore six heures, et je serai mort !
je serai quelque chose d’immonde qui traînera sur la table
froide des amphithéâtres1 ; une tête qu’on moulera d’un côté,
5 un tronc qu’on disséquera de l’autre ; puis de ce qui restera on
en mettra plein une bière2, et le tout ira à Clamart3 !
Voilà ce qu’ils vont faire de ton père, ces hommes dont
aucun ne me hait, qui tous me plaignent et tous pourraient
me sauver. Ils vont me tuer. Comprends-tu cela, Marie ? me
10 tuer de sang-froid, en cérémonie, pour le bien de la chose ! Ah !
grand Dieu !
Pauvre petite ! ton père qui t’aimait tant, ton père qui baisait
ton petit cou blanc et parfumé, qui passait la main sans cesse
dans les boucles de tes cheveux comme sur de la soie, qui pre15 nait ton joli visage rond dans sa main, qui te faisait sauter sur
ses genoux, et le soir joignait tes deux petites mains pour prier
Dieu !
Qui est-ce qui te fera tout cela maintenant ? Qui est-ce qui
t’aimera ? Tous les enfants de ton âge auront des pères, excepté
20 toi. Comment te déshabitueras-tu, mon enfant, du jour de l’An,
des étrennes, des beaux joujoux, des bonbons et des baisers ?
– Comment te déshabitueras-tu, malheureuse orpheline, de
boire et de manger ?
Oh ! si ces jurés l’avaient vue, au moins, ma jolie petite Marie, ils auraient compris qu’il ne faut pas tuer le père d’un enfant de trois ans.
Et quand elle sera grande, si elle va jusque-là, que deviendra-t-elle ? Son père sera
un des souvenirs du peuple de Paris. Elle rougira de moi et de mon nom ; elle sera
méprisée, repoussée, vile4, à cause de moi, de moi qui l’aime de toutes les tendresses
de mon cœur. Ô ma petite Marie bien-aimée ! est-il bien vrai que tu auras honte et
horreur de moi ?
Misérable ! quel crime j’ai commis et quel crime je fais commettre à la société !
Oh ! est-il bien vrai que je vais mourir avant la fin du jour ? Est-il bien vrai que c’est
moi ? Ce bruit sourd de cris que j’entends au dehors, ce flot de peuple joyeux qui déjà
se hâte sur les quais, ces gendarmes qui s’apprêtent dans leurs casernes, ce prêtre en
robe noire, cet autre homme aux mains rouges5, c’est pour moi ! c’est moi qui vais
mourir ! moi, le même qui est ici, qui vit, qui se meut6, qui respire, qui est assis à
cette table, laquelle ressemble à une autre table, et pourrait bien être ailleurs ; moi,
enfin, ce moi que je touche et que je sens, et dont le vêtement fait les plis que voilà !
Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné (1829), chapitre XXVI.
Questions
Le narrateur et
le contexte spatio-temporel
32,5 points
5 POINTS
1. a. À quelle personne le narrateur mène-t-il le récit ?
0,5 POINT
b. À quel sous-genre de texte autobiographique ce texte
0,5 POINT
s’apparente-t-il ?
c. Relevez les indices de temps qui ponctuent le récit.
Les sentiments d’un condamné à mort
16,5 POINTS
8. a. Quelle image le condamné donne-t-il de son corps
(l. 2 à 6) ? Citez trois termes.
1,5 POINT
b. Quelle image cela donne-t-il de cette exécution ?
1 POINT
9. Relisez les lignes 7 à 11. Comment le condamné considère-t-il la peine de mort ? Relevez deux expressions.
1 POINT
10. Expliquez l’expression pour le bien de la chose (l. 10).
1 POINT
2 POINTS
2. a. Quel est le temps employé, lignes 2 à 6 ?
0,5 POINT
b. Quel moment tragique le narrateur anticipe-t-il ?
11. Quel argument le condamné oppose-t-il à la peine
de mort (l. 24-25) ?
1 POINT
11 POINTS
12. a. Relevez, lignes 31 à 38, l’opposition entre le condamné (pronoms, subordonnées relatives) et les acteurs
de sa mort (groupes nominaux).
3 POINTS
b. Expliquez l’expression quel crime je fais commettre à
la société (l. 31).
1 POINT
3. a. Relevez les phrases qu’emploie le narrateur pour
3,5 POINTS
s’adresser à sa fille.
b. Quel est le type de phrases dominant ?
0,5 POINT
13. Relevez, lignes 31 à 38, les phrases exclamatives et
les phrases interrogatives. Pour chacune d’elles, quel
est le type de sentiments exprimés (surprise, amour,
compassion, colère, désespoir, résignation ou regret) ?
0,5 POINT
c. Quel est l’effet de l’emploi de ce temps sur le lecteur ?
1 POINT
La petite fille du condamné
4. a. Relevez les temps dominants du quatrième au
1 POINT
sixième paragraphe (l. 12 à 25).
b. Quelle opposition cela marque-t-il ?
1 POINT
4 POINTS
14. Par quels procédés Victor Hugo dénonce-t-il la peine
de mort ? Citez-en au moins trois.
3 POINTS
5. Quels sentiments le narrateur éprouve-t-il envers sa
2,5 POINTS
fille ? Citez trois expressions.
6. a. Quel avenir le narrateur imagine-t-il pour sa fille ?
Réécriture
7,5 points
1 POINT
b. Quelles sont, selon lui, les futures réactions de Marie
1 POINT
à son égard, quand il aura été exécuté ?
7. En quoi ce passage est-il pathétique ?
0,5 POINT
Réécrivez au pluriel le passage des lignes 12 à 17
(Pauvre petite […] pour prier Dieu). Attention, la transformation concerne à la fois la petite et son père.
Le Dernier Jour D’un conDamné
207
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