
Santé mentale au travail des soignants de psychiatrie: un détour réflexif…
RFAS - 2022 - N° 4 195
Introduction3
Les années de réformes et d’économies budgétaires du système hospitalier
français ont progressivement fragilisé l’hôpital public, notamment la psychiatrie,
rendue plus vulnérable à une crise comme celle du Covid-19. Si la «souffrance»
au travail a gagné l’ensemble des soignant·e·s (Holcman, 2018), plus particulière-
ment exposé·e·s aux facteurs de risques psychosociaux (RPS) dénis dans le rap-
port Gollac (2011), le phénomène semble plus marqué en psychiatrie publique où
les acteur·rice·s sont soumis·e·s à une forte adversité professionnelle et une forte
pression liées à différents facteurs, certains communs aux métiers de la santé,
d’autres plus spéciques à la discipline. Décrite comme une institution en «crise»
(Vincent, 2020), avec une pénurie de moyens, la psychiatrie publique apparaît
comme un pan du système sanitaire laissé à l’abandon questionnant le sens de la
mission des personnels.
En effet, elle doit faire face à une demande croissante de soins, accrue par la
crise psychosociale générée par la pandémie de Covid-19, déjà difcile à absorber
dans un contexte de tension des effectifs sous l’effet conjugué d’un problème de
démographie médicale et soignante, de désaffection de la discipline et de désertion
de l’hôpital. Elle doit aussi répondre à des exigences contradictoires, en termes
sécuritaireset de respect des droits des patient·e·s. En témoigne un récent décret
relatif à l’isolement et à la contention dans les pratiques de soins sous contrainte
en psychiatrie4. Légalement autorisées, ces mesures coercitives en hausse sont
de plus en plus réglementées an d’en limiter l’usage à des circonstances excep-
tionnelles dans le respect des droits des patient·e·s, avec des procédures jugées
inapplicables par beaucoup de psychiatres, non sans interroger leur engagement
à l’hôpital (Catinchi, 2021).
Ces évolutions mettent fortement à l’épreuve la psychiatrie publique dont les
services sont identiés parmi les services de santé les plus touchés par les atteintes
aux personnes et aux biens (Terrenoir et Barat, 2019), et les soignant·e·s, plus
exposé·e·s au mal-être (Caudron, 2016) et à l’épuisement professionnel (Estryn-
Behar et al., 2011). Sans compter que les pratiques d’isolement et de contention
les soumettent potentiellement à de fortes exigences émotionnelles, des traumas
(Bigwood et Crowe, 2008; Bonner et al., 2002) et des blessures physiques dans
le cas de la contention mécanique (Corneau et al., 2017). Pourtant l’impact des
pratiques de soins sur la santé mentale au travail des soignant·e·s de psychiatrie
reste peu étudié, notamment en France.
C’est tout l’enjeu de la recherche RPSY qui est d’explorer les liens et les méca-
nismes en jeu entre pratiques de soins/usage de la contrainte (isolement, conten-
tion), RPS et santé mentale au travail des soignant·e·s de psychiatrie adulte de sec-
teur. Portée par le groupement de coopération sanitaire et le Centre collaborateur
3. Les auteurs remercient Françoise Askevis-Leherpeux pour sa relecture attentive de cet article et ses conseils
avisés.
4. Décretn° 2021-537 du 30 avril 2021 relatif à la procédure applicable devant le juge des libertés et de la
détention en matière d'isolement et de contentionmis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans
consentement.