Le phénomène du téléphone portable et la relation du jeune avec ses parents. D’après une mini-enquête parmi quelques jeunes de l’Afrique Centrale Equatoriale. (Juillet 2012) Par Alphonse Owoudou, salésien de Don Bosco Le Congrès international des Jeunes, organisé pendant cet été (2012) par les Filles de MarieAuxiliatrice de la province AEC, a rassemblé plus d'une soixantaine d'animateurs des différents pays de la province (sous-région CEMAC). Puisque le thème principal dudit Congrès allait se développer sur « La Communication, secret du bonheur en famille », du 13 au 19 juillet 2012 à Yaoundé, nous avons cru bon d'organiser à l’avance un petit sondage parmi certains des jeunes inscrits à ce rendez-vous de la Famille salésienne. Les lignes qui suivent présentent brièvement le projet de cette recherche sur le terrain et les résultats auxquels nous sommes parvenus. Certains des thèmes choisis pour les formations confiées à des Salésiens et Salésiennes touchaient une gamme variée de perspectives telles que « La Communication, un moyen pour rendre la famille heureuse » (Fr Tegue Paul, sdb), « La Communication, un moyen pour gérer le bien familial » (Sr Eleonora, fma), « Renaitre de nouveau pour mieux communiquer » (Sr Claire, fma), et dans notre cas, « Les moyens de communication préférés des jeunes » (P. Alphonse, sdb). D'emblée, nous avons considéré la perspective générale qui sous-tendait ce thème, laquelle suggérait, des points de vue anthropologique, sociologique et pédagogique, que les interlocuteurs principaux des adolescents et des jeunes sont les membres de la famille (Bretherton, 1985). Une telle hypothèse rompt naturellement avec le processus de satellisation, qui veut que l'adolescence, surtout, soit une phase de rupture et, apparemment, d'opposition systématique à l'échelle de valeurs des adultes et des institutions autoritaires (Marcia, 1966). Cet avis, bien répandu dans la psychologie du développement, ne fait cependant pas l'unanimité dans les sciences de l'éducation, puisque la plupart des adolescents, dans les études sur l'attachement aux parents et aux pairs, maintiennent leurs parents comme « figures principales d'attachement » (Holmes, 1995, 82 ; Allen et al., 1998, 1414-1416), bien qu'il y ait une tendance à reproduire cet attachement dans les relations paritaires (Blyth & Traeger, 1988). Pour ne pas nous éloigner de l'expérience de la communication, nous avons cru nécessaire d'exploiter la perspective des auteurs Armsden et Greenberg, qui étudient les relations interpersonnelles précisément sous trois (3) angles : la confiance, la communication, et la frustration, habituellement traduite par le terme approximatif d'aliénation (Armsden & Greenberg, 1987). Pour étudier les variances et les corrélations de cette relation parents-enfants vis-à-vis de l'utilisation des moyens de Communication, nous avons supposé que le moyen le plus utilisé par les jeunes était le téléphone portable, dont les dimensions, les fonctions et la valeur symbolique favorisent l'impact aussi bien sur la personnalité que sur la phénoménologie globale des utilisateurs en général, et des jeunes en particulier. Nous nous sommes ainsi demandé, non pas si l'usage du cellulaire (téléphone portable) empêchait de communiquer en famille, mais quelle était son incidence sur la qualité des relations du jeune avec ses parents (Atger, 2006). Pour plus de précision, il nous fallait tenir compte de la vision que le jeune a lui-même de l’outil (moyen de communication), des dépenses que son usage implique, de la conscience de la dépendance liée à son utilisation abusive et irréfléchie, du contrôle parental y relatif, etc. Cela permet ensuite d’esquisser la réflexion par rapport à d’autres moyens de communication comme la télévision, la radio, et l’internet. Ces questionnements et ces possibles angles d'étude nous ont donc suggéré l'adaptation de trois modules : le premier consistait en une fiche personnelle ; les deux autres étaient des questionnaires. Nous avons adopté, pour évaluer la relation avec les parents, l'IPPA (Inventory of Parent and Peer Attachment) dans sa version française (Bouvard, 2008, 83), et notre adaptation française de l'Attitude Towards Cell Phones (Soyoung et al., 2009). A cause du temps limité pour la distribution des questionnaires dans les présences FMA de la province, le nombre de questionnaires effectivement compilés au début du Congrès nous a semblé peu significatif. Nous avons donc tergiversé quant à effectuer les calculs et utiliser les données obtenues, pour deux raisons simples. D’abord parce qu’il y a des critères objectifs peu P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 1/8 négociables de représentativité de l'échantillon par rapport à la population cible. En outre, les calculs mêmes, à travers les logiciels d'analyse de données, sont rendus impossibles en-deçà d'un certain nombre de sujets. Nous avons cependant décidé de procéder à l'élaboration des données, malgré le maigre nombre de 25 participants, selon la répartition qui va suivre. Une fois obtenus ces résultats récoltés dans différents fichiers Excel par les FMA, nous avons transféré ces données sur SPSS (version 20) pour opérer principalement trois ensembles de calculs : ceux de la description de l'échantillon – les fameuses « tendances centrales » - à partir de la fiche personnelle anonyme, ceux de la variance connue sous le sigle ANOVA (analysis of variance) afin d'obtenir la différence entre les caractéristiques de l'échantillon, et enfin la matrice corrélationnelle, afin d'observer justement l'interaction parmi 11 variables. Nous parlons ici de 11 variables dans la mesure où l'IPPA comprend la Confiance, la Communication et l'Aliénation vis-à-vis des parents (nous avons conjugué les versions maternelle et paternelle du questionnaire original) ; quant au test sur le cellulaire, on distingue habituellement 8 variables: la Recherche de la modernité, l'Epargne, la Sécurité ou Protection/Surveillance, la Dépendance/Addiction, la Réticence ou conscience des aspects négatifs, l'usage de différentes Fonctions, la Recherche des informations et les Interactions sociales (Soyoung et al., 2009, 725-726). Parmi les 25 jeunes ayant participé à cette mini-recherche, nous avons eu 11 garçons (44%) et 14 filles (56%). 14 d'entre eux avaient entre 19 et 21 ans (56%) ; 6 avaient entre 16 et 18 ans (24%) ; 4 avaient entre 22 et 25 ans (16%) et 1 de 26 ans ou plus (4%). 56% des sujets étaient de Malabo (Guinée Equatoriale, 14 jeunes), 20% d'Oyem (Gabon, 5 jeunes) et 24% de Yaoundé (Cameroun, 6 jeunes). 1 jeune n'a pas déclaré son niveau scolaire ; 2 (8%) signalaient le CEP(E) comme dernier diplôme obtenu, 6 avaient le BEPC (24%) ; 11 avaient le BAC (44%), 1 avait le niveau Licence/BTS (4%) et 4 d'autres types de formation. Nous avons demandé aux jeunes qui payait le crédit de leur téléphone : pour 7 jeunes (28%) le papa, pour 5 jeunes (20%) la maman, pour 2 jeunes (8%) les grands-frères et sœurs, et 22 jeunes (88%) assuraient eux-mêmes leurs recharges. Réponses nulles pour « les grands-parents » et « les ami(e)s ». Au-delà de ces données descriptives, nous avons obtenu ce qui suit, comme résultat de l'analyse de la variance (ANOVA). En tout premier lieu, comme comparaison selon le critère du genre (sexe), nous obtenons ce tableau 1. Tableau 1 : Analyse de la variance selon le Genre (N=25) 9 8 modernité économie protection addiction réticence fonctions trouv infos interperso ConfiancP CommP AlienatP 7 6 5 4 3 2 1 Garçons Filles A ce niveau, nous observons ce qui suit. (1) Les garçons sont plus attentifs à la nouveauté (modernité), probablement à cause de leur esprit compétitif et leur tendance à la rivalité. (2) Ils constatent cependant qu’il faut faire attention aux dépenses. (3) Garçons et filles voient dans le portable un instrument de Protection et de Sécurité, même si par cette excuse certains pensent aussi que les parents essaient de les P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 2/8 contrôler : « T’es où ? ». (4) Les filles considèrent, un peu plus clairement que les garçons, qu’un attachement compulsif au cellulaire peut rentrer parmi les soi-disant « nouvelles pathologies ». (5) Ce qui précède porte donc certaines filles à se méfier du cellulaire, ou à décider facilement qu’il est nuisible, néfaste, sinon inutile. (6) Les filles cherchent et trouvent davantage d’informations grâce au cellulaire; par contre, les garçons exploitent ou valorisent davantage les fonctions et la fonctionnalité du cellulaire (cf. ouverture à la modernité et à l’efficacité) et son importance dans l’établissement et le maintien des rapports interpersonnels. Le second résultat concerne l'incidence de la tranche d'âge sur ces 11 variables en jeu. Ici, nous obtenons : Tableau 2 : Analyse de la variance selon l’âge des jeunes (N=25) 10 modernité économie protection addiction réticence fonctions trouv infos interperso ConfiancP CommP AlienatP 9 8 7 6 5 4 3 16-18ans 19-21ans 22-25ans 26ans+ Selon ce tableau, qu’est-ce que l’âge apporte à l’expérience de la relation jeunes-cellulaire-famille ? (1) Même si le sujet le plus grand s’est montré le plus sensible à la modernité du téléphone (6,9/10), les champions, d’après le nombre, sont du groupe majoritaire, autrement dit les 19-21 ans (M=5,5/10). (2) Cette distinction du/de la plus grande (26ans+) se remarque dans presque toutes les réponses, sauf dans 3 aspects : la réticence au téléphone, la préférence du téléphone pour chercher des informations, et le niveau d’aliénation et de conflictualité. (2) Si les 19-21 ans sont plus attentifs à la mode(rnité), ils sont aussi assez sensibles, comme les plus jeunes d’ailleurs, à ne pas trop dépenser, et à rassurer les parents au téléphone si ceux-ci se préoccupent. N’oublions pas qu’en Afrique centrale, les jeunes de cet âge (19-21 ans) sont dans une phase de transition (entre baccalauréat et université – formation supérieure ou recherche de concours/embauche). (3) Les jeunes de 22-25ans considèrent davantage que le téléphone sert à téléphoner. Ils sont aussi ceux qui prêtent davantage attention aux inconvénients, aux effets néfastes du téléphone portable (cf. Réticence). (4) Au contraire, les 19-21 ans exploitent toutes les fonctions des Smartphones, et peuvent ainsi se servir du portable comme un moteur de recherche : de musique, d’informations, de nouvelles, d’images, etc. (5) Les 22-25 ans démontrent une relation légèrement problématique envers les parents ; ils ont le niveau le plus bas pour la Confiance aux parents, ainsi qu’un niveau bas en Communication avec les figures parentales. Pourtant ils ont le niveau le plus faible pour les problèmes/conflits avec les parents (cf. Aliénation). Il s’agit donc d’un âge d’affirmation de soi (voir niveau bas de protection, de réticence et d’addiction), qui passe habituellement par une certaine distanciation d’avec les parents hyperprotecteurs ou dictateurs. Ce n’est pas un conflit ouvert. On parle P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 3/8 habituellement, dans ce cas, de « désatellisation », en psychologie du développement (Ausubel, 1949). (6) Après les plus grands, ce sont les plus jeunes qui obtiennent le profil relationnel le plus intéressant. Confiance (+), Communication (+) et Aliénation (+ ou -), même si l’idéal serait une Aliénation moindre grâce à la qualité de l’expérience filiale. Mais il s’agit de jeunes à l’âge de l’émancipation, ce qui suppose donc un certain détachement, une certaine « aliénation », qui ne compromet probablement en rien la Confiance (M=7,6/10) et la Communication dans la famille (M=7/10). Tableau 3 : Analyse de la variance en fonction de ceux avec qui le jeune vit (N=25) Au sujet de l'incidence des personnes avec qui le jeune habite, il ressort que : (1) Ceux qui habitent avec les grands-parents ou avec les parents sont moins ouverts à la modernité que ceux qui vivent avec frères, sœurs ou ami(e)s. (2) L’inverse se produit, par contre, en ce qui concerne la sensibilité aux dépenses et à l’épargne dans les choix et dans la consommation. (2) On dirait que ceux et celles qui ont des frères (famille nombreuse) perçoivent davantage le cellulaire comme un des moyens de contrôle parental. Le score le plus élevé semble effectivement lié au nombre d’enfants, ensuite à la présence des parents, puis des grands-parents. Ces derniers semblent presque toujours à la fois conservateurs et flexibles. Entre amis, la perception du contrôle est faible, comme l’amitié suppose habituellement plus de liberté que les liens de sang. (3) Exactement dans l’ordre que nous avons vu pour le contrôle, nous voyons apparaitre la perception de l’Addiction-Dépendance. On contrôle parce qu’il y a excès, ou alors l’excès provient du fait qu’on n’en peut plus d’être contrôlé. (4) Le score le plus élevé concerne l’usage du cellulaire pour les interactions sociales. On pourrait donc dire que les jeunes de cet échantillon utilisent ce moyen de communication précisément pour communiquer avec d’autres personnes, de la famille ou de leur milieu social. Quant au test sur l’attachement aux parents, (5) ce qui vient d’être dit sur les relations interpersonnelles se voit aussi dans la moyenne de la Confiance (sur 10) et de la Communication, surtout vis-à-vis des parents et des frères et sœurs, puis des grands-parents et enfin des ami(e)s. Ces jeunes semblent donc placer leurs relations familiales avant les relations amicales. Cela importe, en passant, dans la construction de leurs compétences sociales (solidarité, empathie, sens d’appartenance, ouverture aux autres, etc.). (6) Mais ces scores en Confiance et Communication n’empêchent pas qu’il existe des désaccords et même des conflits (cf. Aliénation). Ces conflits ont lieu avant tout avec les plus « proches », autrement dit avec les frères et sœurs (M=6.2/10). C’est là que chaque enfant et chaque jeune apprennent l’amitié et la rivalité, les conflits et les réconciliations, bref, les compétences sociales. Après les frères et sœurs, les conflits P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 4/8 émergent vis-à-vis des « vieux », même si nous avons trouvé, à leur égard, un bon niveau de Confiance/Communication. Enfin, les jeunes se distinguent par une conflictualité mineure vis-à-vis des parents : par respect, par peur, ou simplement parce que la relation parents-enfants est positive ? En ce qui concerne le nombre de personnes à la maison, nous avons obtenu les variations illustrées par le Tableau 4. Ce tableau indique que : (1) Les familles les moins nombreuses se permettent plus facilement de rester au pas de la modernité. A partir de 6 personnes (autrement dit dans la moitié des familles), on préfère quand même faire attention et ne pas bondir sur toutes les nouveautés. (2) Justement, à ce propos, pour le critère économique, les familles les plus nombreuses (14 personnes) ont 10/10 pour l’Economie. Il est étonnant que les familles les plus petites (2 ou 3 personnes) aussi suivent ce critère à 93% et 80%. Pour quelle raison ? Selon l'un des jeunes de la Guinée, pendant la discussion de ces résultats, « les familles nombreuses épargnent pour joindre les deux bouts. Par contre, une famille de deux personnes est peut-être synonyme de famille monoparentale, ce qui n'est pas toujours commode en termes de revenus, en supposant que ce parent 'single' en ait un pour assurer les besoins du fils ou de la fille en pleine adolescence ». Tableau 4 : Analyse de la variance en fonction de ceux qui vivent avec le jeune (N=25) Ceci n'exclut évidemment pas que certaines familles réduites et relativement aisées adoptent un modus Nb de person. Mod Eco Prot Addic Retic Fonct Infos RelSoc ConfP ComP AlienP 2 6,9 9,3 8,3 7,5 5,6 8,0 6,0 9,3 7,6 8,4 4,0 3 6,7 8,0 8,3 8,3 7,0 5,3 7,3 8,7 7,8 7,4 4,5 4 7,1 6,7 8,8 9,0 6,0 3,5 8,0 9,3 7,0 6,0 7,0 5 5,2 6,9 6,6 6,1 5,9 5,3 7,1 8,2 7,0 5,8 4,8 6 5,7 7,9 7,8 7,6 5,5 6,6 7,1 9,0 7,1 6,3 5,5 7 4,1 5,5 5,4 5,6 4,9 5,0 5,5 6,2 7,1 6,3 4,8 8 5,8 8,0 8,0 8,0 7,6 6,5 5,5 8,0 8,0 7,1 6,0 12 4,7 7,7 7,5 7,0 7,6 5,5 7,0 8,3 6,7 6,2 6,0 14 5,3 10,0 7,3 4,5 6,0 4,5 8,0 10,0 7,2 7,1 4,3 vivendi plutôt onéreux. (3) Les familles moins nombreuses (de 2 à 4 personnes) tendent à se servir du portable comme moyen de contrôle ou de sécurité. Cela vaut aussi pour certaines familles nombreuses, entre 8 et 14 personnes, pour les raisons déjà observées quant au nombre d’enfants que certains parents doivent « maitriser ». Entre 5 et 7 personnes, le contrôle est modéré. (4) Il existe une certaine réticence envers le téléphone dans les familles peu nombreuses et dans les plus nombreuses, probablement, dans les 2 cas, pour des motifs économiques, ou psychoaffectifs. (5) Décidément, les familles réduites et les plus nombreuses se ressemblent sous d'autres aspects encore ; il est vrai que le profil général indiquait un lien important entre les relations interpersonnelles et l’usage du téléphone, mais les deux scores les plus élevés reviennent respectivement à la famille la plus nombreuse (14 personnes, 10/10 pour relations interpersonnelles) et aux familles les plus petites (2 et 4 personnes ; 9,3/10). (6) La moyenne dans la qualité des rapports parents-jeunes est bonne et constante dans les familles de moins de 8 personnes. Un léger affaiblissement de la Confiance se dessine au-delà de ce nombre. (7) Il existe une plus grande variabilité dans la Communication entre les jeunes et leurs parents. Si nous comprenons qu’un jeune communique davantage avec un parent s’ils sont seuls à la maison (M=8,4/10), il faut remarquer que le niveau de Communication demeure positif, quoique modéré, dans les six familles comprenant 5 personnes (probablement 2 parents et 3 fils/filles). Le nombre de personnes dans une maison est-il un obstacle pour bien communiquer, pour s’entendre et se faire confiance ? Pas vraiment. Si la situation est positive dans les foyers de 2 ou 3 personnes (pour l’Aliénation, M < 5/10), on retrouve pratiquement le même score dans les familles qui ont 7 et 14 personnes. Les familles les plus « difficiles », en ce qui concerne la Communication et P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 5/8 l’harmonie (score renversé de l’Aliénation), sont ici les familles avec 4 personnes (2 parents, et 2 enfants ; deux camps ? ou incapacité parentale à résoudre la rivalité fraternelle ?) et les trois familles qui comprenaient entre 8 et 12 personnes. Le nombre de personnes (famille africaine), tout compte fait, ne semble pas une excuse valable pour se faire la guerre ou pour s’ignorer mutuellement. Voyons enfin la relation (réciproque) entre les différentes variables relatives à l'usage du cellulaire et à l'attachement aux parents (Confiance, Communication et Aliénation). A titre de rappel, on parle de « corrélation positive » quand deux variables sont liées, de telle façon que si la première augmente, la seconde augmente aussi ; et si l’une diminue, l’autre se réduit également (Leech et al., 2005; Marques de Sà, 2003). Par exemple, on dit souvent que la marginalisation des jeunes, dans les banlieues, est en corrélation positive avec la criminalité et l'insécurité. Tableau 4 : Matrice corrélationnelle des onze variables en examen (N=25) A B C C Pearson 1 Significatif Economie C Pearson 1 .51** Significatif ,009 .60** .66** Protection C Pearson 1 Significatif ,002 ,000 .80** .44* .69** Addiction C Pearson Significatif ,000 ,027 ,000 .47* Réticence C Pearson Significatif ,019 Fonctions C Pearson Significatif .60** .54** .59** Chercher les infos C Pearson Significatif ,001 ,005 ,002 .58** .62** .79** Interpersonnel C Pearson Significatif ,003 ,001 ,000 ConfianceP C Pearson Significatif CommunicationP C Pearson Significatif AliénationP C Pearson Significatif **. Corrélation significative au niveau 0.01 (2-tailed). D E F G H I J K Modernité 1 .43* ,033 1 1 .46* ,020 .53** ,006 1 .46* ,022 .69** ,000 1 1 .51** ,010 1 .45* ,023 1 *. Corrélation significative au niveau 0.05 (2-tailed). Dans notre cas, il faudrait d'autres élaborations mathématiques (régression multiple, path analysis, etc.) pour déterminer si certaines corrélations qui émergent ici peuvent anticiper une valeur de causalité unidirectionnelle (par exemple, que l'Aliénation est à l'origine de l'Addiction, etc.). La nature de cette analyse permet simplement de constater, d’après les réponses fournies par les jeunes, qu’il existe quelques corrélations intéressantes. Dans ce tableau, la première ligne avec les codes alphabétiques reproduit ainsi les mêmes variables alignées verticalement. A = Modernité, B=Economie, etc. P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 6/8 De cette matrice, nous relevons ce qui suit. (1) R =.80 entre Recherche de modernité et Addiction ; ce qui veut dire que plus on s’évertue à suivre la mode (téléphone, et probablement d'autres domaines), plus on tend à en être esclave ou dépendant(e). Cela va de soi. (2) La corrélation entre Economie et Addiction est acceptable mais faible (.44) ; l’Addiction exige de dépenser souvent, de consommer, de céder à la tentation. Elle est également en faible corrélation avec la Réticence (.43) et la Recherche des informations (.46). On pourrait entendre ici que celui/celle qui est réticent(e) conserve une certaine liberté par rapport à la tentation d'abuser ; par ailleurs, la Recherche d’informations à travers le cellulaire ne peut aller de pair avec l’Addiction que si elle est compulsive, autrement dit, si le jeune étudiant/élève tombe dans le piège d'une autre forme de « pathologie » qui concerne les interminables téléchargements juste pour l'accumulation de matériel (fichiers textuels ou multimédia). (3) On constate une bonne corrélation entre Economie et Protection/Sécurité (.66), même si l'on peut aisément supposer que cette « Protection » soit une cause ou alors un effet de l’Addiction/Dépendance (r=.69) ; si tel est le cas, ladite Protection – qui va alors de pair avec la « surveillance » - devient ipso facto discutable du point de vue psychoaffectif et pédagogique. Mais comme elle est aussi en corrélation positive avec les Interactions sociales (r=.79), on peut comprendre que malgré le contrôle parental, les jeunes établissent des relations interpersonnelles significatives, tout au moins par téléphone – si leurs déplacements sont contrôlés/limités au nom de cette tendance (hyper)protectrice de certains parents. (4) Signalons enfin deux constats qui concernent l’Addiction/Dépendance. Elle est en corrélation positive avec l’Aliénation et en même temps avec les Interactions sociales. Or, l’Aliénation est synonyme de mauvaise qualité des interactions (micro)sociales. On pourrait donc supposer qu’il ne suffit pas d’avoir des personnes « au bout du fil » pour que la Communication soit positive et satisfaisante pour les jeunes. Ces communications peuvent d’ailleurs contribuer précisément à la frustration, à la colère et à la déception/désillusion ou au désenchantement, bref, à l’émergence de maints déclencheurs qui débouchent parfois sur une ou plusieurs formes de dépendance (de l’internet, de l’alcool, du sexe, du travail, des jeux de hasard, des jeux périlleux, de la fuite dans l’univers/multivers virtuel des réseaux sociaux, etc.). Conclusion Au risque de nous répéter, nous étions conscients qu’une recherche substantielle et strictement scientifique exige une revue de la littérature suffisamment éclairante, une problématique et des hypothèses pertinentes, des outils dont la fiabilité et la validité soient vérifiées. Cette vérification cherche alors, par exemple, à calculer l'alpha de Cronbach et/ou l'analyse factorielle. Or, la seule envergure de l'échantillon concerné par cette esquisse quasi-scientifique a été si modeste qu'une telle élaboration s'est avérée superflue. Il serait donc souhaitable qu’après cet essai fort intéressant à plus d’un égard, pour un travail plus sérieux du point de vue scientifique et pour une finalité psychopédagogique fiable, un autre point de départ garantisse les conditions d'une recherche plus systématique dans l'échantillonnage et la validation des instruments, par exemple, à travers un pré-test et un item analysis adéquat. Ce qui a été réalisé suffit simplement pour constater combien l'expérience des jeunes en chair et en os est un indicateur suffisant pour un certain nombre de paradigmes de la psychologie interpersonnelle, sans laisser de nous rappeler, toutes réserves maintenues, les valeurs identitaire et instrumentale que recèle le cellulaire en particulier, comme les moyens d'expression (post)modernes en général. Comme l'écrivent les deux auteurs de l'opuscule « Plus jamais seul », le cellulaire peut promettre bien plus qu'il ne nous offre en réalité, ou simplement nous introduire dans l'illusion d'être devenus maitres du temps et de l'espace, alors même qu'il laisse les (jeunes) utilisateurs dans une solitude et une vulnérabilité qui ne disent pas leur nom (Benasayag & Del Rey, 2006). Inutile, cependant, de diaboliser cet instrument, ni tous ces moyens de communication auxquels nos jeunes s’abreuvent, ou qu’ils manient eux-mêmes à merveille. Si pour certains ces moyens et leurs gadgets sont effectivement, hélas, des « extensions » pathologiques du Moi et des idoles postmodernes – parfois même des obstacles à la communication authentique -, pour plusieurs ils aident à jeter des ponts interpersonnels vers les ami(e)s et les parents (Meszaros, 2004), à P. Owoudou : « Le phénomène du portable et la relation du jeune avec ses parents» (Ydé, Juillet 2012) Page 7/8 s'informer et à rester vraiment connectés. L’un des enjeux, pour l’éducateur, demeure alors celui d’aider le jeune à découvrir et conserver ses priorités développementales et ses compétences sociales dans la vie réelle, afin de mettre adéquatement les « moyens » technologiques au service de telles compétences, au service de son bien-être, de sa dignité et de sa liberté, dans son milieu social. Un grand merci à Sr Vera Cruz (fma), à toutes les FMA et à tous les jeunes qui ont participé à cette minirecherche et à la discussion de ses résultats pendant le Forum de Yaoundé (Juillet 2012). Références bibliographiques ALLEN J. P. - C. MOORE - G. KUPERMINC & K. BELL, Attachment and adolescent psychosocial functioning, in « Child Development » 69 (1998) 5, 1406-1419. ARMSDEN G. C. & M. T. 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