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Résumé
Une pratique punitive routinisée : L’exclusion ponctuelle de cours comme questionnement de la
norme scolaire dans les collèges de la très grande pauvreté
L’enquête que nous avons menée dans trois collèges de l’éducation prioritaire renforcée s’inscrit dans
un des territoires les plus pauvres de France et d’Europe. L’exclusion ponctuelle de cours y constitue
une pratique qui s’est banalisée : la punition d’urgence qui devrait rester exceptionnelle y est devenue
la règle. Dans un contexte ségrégué socialement et ethniquement à l’extrême, l’écart social
exceptionnel entre les enseignant·es et leurs élèves bouleverse les relations pédagogiques et semble
devoir à la longue transformer en profondeur l’institution scolaire elle-même.
Cette thèse propose d’utiliser par analogie le cadre théorique et méthodologique de la sociologie de
la déviance appliqué à l’école de la très grande pauvreté afin de remettre au cœur de l’analyse les
processus de domination sociale et de violence symbolique. L’analyse repose sur une observation
participante menée auprès des personnels de ces établissements, dans les classes et dans les espaces
de vie scolaire pour analyser l’activité pédagogique et éducative qui se développe autour de cette
pratique de l’exclusion.
Dans ce contexte social et scolaire fortement dégradé, l’usage dans des proportions importantes et de
façon parfois systématisée de l’exclusion ponctuelle de cours, punition officiellement stigmatisée par
la hiérarchie de l’Éducation Nationale, exacerbe les conflits entre les personnels de direction, les
personnels de vie scolaire, les enseignants et les élèves. Son application quotidienne se situe dans les
faits aux antipodes des prescriptions, la mise à l’écart d’élèves catégorisés comme « inéducables »
devenant une routine punitive. La diversité des pratiques nous renseigne sur les représentations
qu’ont les personnels de leurs élèves, sur leurs croyances et sur la grande diversité des approches
normatives qu’ils mobilisent ou qu’elles mobilisent.
L’expérience de l’exclusion risque alors de transformer en profondeur l’institution scolaire. En
confrontant ses personnels à l’altérité sociale dans une situation extrêmement précaire elle les pousse-
à devenir, à leur corps défendant, des agents de la désignation sociale. En naturalisant les
comportements déviants elle participe à la construction des parcours de rupture de ses élèves les plus
exposés. Contrainte à cette logique de sélection sociale et scolaire qui l’oblige à mettre à l’écart
certains élèves, dans les collèges de la très grande pauvreté, l’école de la république pourrait ainsi
proposer malgré elle une éducation à la citoyenneté « sacrificielle » en contradiction avec ses valeurs,
dans laquelle la réussite des uns est fondée sur l’exclusion de la minorité déviante ainsi sacrifiée.