Le narrateur se décrit comme « une bête d'entre elles toutes ». Il donne
comme preuves les réactions des animaux qu'il croise. Ainsi, les lézards et
les renards ne fuient pas devant lui : « moi que les renards acceptent ; et
puis d'un coup ils savent qui je suis et ils passent doucement ». Les
mésanges viennent même à lui : « moi qui sais parler la langue des
mésanges, et les voilà dans l'escalier des branches, jusque sur la terre,
jusqu'à mes pieds ». Il estime être parvenu à faire partie intégrante de la
nature comme le souligne l'énumération, « par ce grand poids de collines,
de genévriers, de thym, d'air sauvage, d'herbes, de ciel, de vent, de pluie
que j'ai en moi ». C'est la raison pour laquelle la réaction de la hase le
surprend et l'afflige. Alors qu'il veut la réconforter, lui témoigner sa pitié
face aux « sauvages » corbeaux, la hase est terrorisée. Il interprète sa
réaction comme une incompréhension de l'animal : « la bête mourait de
peur sous ma pitié incomprise ». Les manifestations de sa pitié, ses paroles,
ses caresses, ont l'effet inverse de leur intention : « ma main qui caressait
était plus cruelle que le bec du freux ». Il fait de cette expérience le symbole
de la « grande barrière » qui sépare l'homme de l'animal, frontière dressée
par la violence ancestrale de l'homme envers les animaux : « il en a fallu de
nos méchancetés entassées pendant des siècles pour la rendre aussi
solide ». La peur suscitée par la cruauté humaine, devenue atavique, définit
donc, selon Jean Giono, la relation de l'animal et de l'homme.
Cette « grande barrière » est toujours présente. Elle est maintenue par ceux
qui considèrent, dans la tradition cartésienne, que l'homme est supérieur
par ses capacités rationnelles et émotionnelles et que l'animal n'est que
pur instinct, qu'il n'éprouve aucune émotion. L'homme peut ainsi l'utiliser
comme machine à produire ce dont il a besoin : nourriture, objets. Il peut
en faire l'objet de ses loisirs en l'enfermant dans des zoos ou des cirques.
Cependant, ce rapport entre l'homme et l'animal est fortement dénoncé.
La philosophe Élisabeth de Fontenay, affirme ainsi que l'animal est le
paradigme de la victime : victime directe de l'homme par l'élevage intensif,
le braconnage, victime indirecte de la déforestation et de la pollution, qui
anéantissent son espace vital. La disparition d'espèces animales continue à
s'accélérer. Des partis politiques se sont constitués autour de cette
thématique et des lois ont été prises, en France, notamment pour interdire
les animaux sauvages dans les cirques. La souffrance animale est
désormais reconnue. Les artistes tentent également de nous sensibiliser à
cette question. Dans Le Testament à l'anglaise, Jonathan Coe dénonce les
conditions de vie des porcs dans les grandes structures d'élevage. Le
film Gorilles dans la brume raconte le combat de Dian Fossey contre le
braconnage des gorilles au Rwanda.
La « grande barrière » de Giono est également révélatrice de notre rapport
anthropomorphique aux animaux. En effet, le narrateur qualifie les
corbeaux de « vieux sauvages ». Il détourne l'adjectif de son sens premier
pour souligner leur cruauté alors qu'il s'agit de leur mode alimentaire. En
outre, quand il tente d'apaiser la hase, il le fait avec des moyens de
communication propres à l'homme : la parole et les caresses. Alors qu'il
parvient à rentrer dans l'altérité des mésanges, il ne considère pas la hase