Perfusion pulmonaire par soustraction en angioscanner pour le diagnostic d’embolie pulmonaire(EP) Simon Coat1, Brieg Dissaux1, Julien Ognard1,2, Jean-Christophe Gentric1,3, Karim Haioun4, Pierre-Yves Le Roux3,5, Michel Nonent1,3 1. Service de Radiologie, Hôpital de la Cavale Blanche, CHRU de Brest 2. LaTIM (Laboratoire de Traitement de l’Information Médicale, Inserm UMR 1101) 3. GETBO (Groupe d’Etude de la Thrombose de Bretagne Occidentale, EA 3878) 4. Canon MedicalSystemsFrance, CT division 5. Service de Médecine Nucléaire, CHRU de Brest Introduction • Les stratégies diagnostiques de l’embolie pulmonaire (EP) reposent sur la probabilité clinique, le dosage des D-dimères et les examens d’imagerie • Les techniques d’imagerie validées pour le diagnostic d’EP sont la scintigraphie planaire et l’angioscanner, rendant presque toujours inutile le recours à l’angiographie pulmonaire • Chacune de ces deux techniques présentent des inconvénients, rendant utiles leur amélioration Introduction • La tomoscintigraphie permet d’améliorer les performances diagnostiques de la scintigraphie en permettant l’absence de superposition, une meilleure localisation et une meilleure caractérisation des lésions • L’angioscanner est beaucoup plus souvent conclusif que la scintigraphie mais est plus irradiant et, contrairement à elle, n’apportait pas jusqu’à récemment de renseignement sur la perfusion pulmonaire Bajc M et al : EANM guidelines for ventilation/perfusion scintigraphy : Part 1. Pulmonary imaging with ventilation/perfusion single photon emission tomography. European Journal of Nuclear Medicine and Molecular Imaging 2009;36:1356-1370 Le Roux PY et al : Pulmonary scintigraphy for the Diagnosis of Acute Pulmonary Embolism : a survey of cirrent practices in Australia, Canada, and France. Journal of Nuclear Medicine : official publication, Society of Nuclear Medicine 2009;50:1999-2007 Tomoscintigraphie pulmonaire Ventilation Perfusion Embolie pulmonaire avec atteinte perfusionnelle estimée à environ 35 % Perfusion pulmonaire et angioscanner • L’angioscanner simple énergie est un examen de routine pour le diagnostic d’EP, simple et robuste, mais uniquement morphologique • De nouvelles techniques d’angioscanner utilisant la double énergie(DECT) et la soustraction sont désormais disponibles • Ces nouvelles techniques cherchent à analyser l’état perfusionnel du poumon en une acquisition en effectuant une Cartographie d’IODE (iodine map) – Ces techniques améliorent-elles les performances diagnostiques? Perfusion pulmonaire et angioscanner • Plusieurs études ont montré l’intérêt de l’étude de la perfusion pulmonaire en scanner dans l’HTAP post-embolique, notamment l’étude de Tamura qui utilisait la soustraction • Peut-on étendre l’intérêt de ces techniques au diagnostic d’embolie pulmonaire aiguë et comment? Tamura M et al : Diagnostic accuracy of lung subtraction iodine mapping CT for the evaluation of pulmonary perfusion in patients with chronic thromboembolic pulmonary hypertension: correlation with perfusion SPECT/CT. International Journal of Cardiology 2017;36:1356-1370 ETUDE MORPHOLOGIQUE ET DE LA PERFUSION DOUBLE ENERGIE OU SOUSTRACTION ? Imagerie d’iode ( iodine maps) • Répartition de la concentration locale en iode après injection de contraste • Soit en double énergie (dual energy CT, DECT) • Soit par soustraction (acquisition sans et avec injection) en une apnée ou en deux apnées. • Hypothèse : l’étude la perfusion augmenterait la sensibilité de détection des EP distales +++ Lu GM et al : Dual-energy computed tomography i n pulmonary embolism. Br J Radiol 2010; 83: 707-718 Thieme SF et al : Dual Energy CT lung perfusion imaging–correlation with SPECT/CT. Eur J Radiol 2012; 81:360-365 Tamura M et al : Diagnostic accuracy of lung subtraction iodine mapping CT for the evaluation of pulmonary perfusion in patients with chronic thromboembolic pulmonary hypertension : correlation with perfusion SPECT/CT. Int J Cardiol 2017; 36: 1356-1370 Imagerie de perfusion ou cartographie de l’iode ? • On parle de « perfusion » pulmonaire, mais il s’agit plutôt d’une « photo » du poumon à un instant T au temps artériel pulmonaire. • C’est donc en réalité une cartographie de l’iode à un instant T de l’acquisition et qui reflète le volume de la microcirculation. • Elle diffère de la médecine nucléaire qui utilise des macro-agrégats, s’arrêtant aux artérioles pulmonaires. Hutt A, Giordano J, Faivre JB, Rémy J, Rémy-Jardin M. Comment je fais un scanner double énergie pour embolie pulmonaire aiguë. Journal d’Imagerie Diagnostique et Interventionnelle (JIDI) 2018; 1: 88-91 DECT vs Soustraction L’avantage de la soustraction serait l’exploitation possible de tout le signal de l’Iode. La rapport Contraste sur Bruit (CNR) serait jusqu’à 3,3 fois supérieur à une acquisition comparable en double énergie, qui est limitée par la différence d’atténuation et donc de densités Hounsfield entre les deux acquisitions aux deux kilovoltages. Cet avantage théorique reste toutefois à démontrer sur des études cliniques (note perso). Source : Toshiba/Canon Medical Systems Corporation & Pr M Prokop DECT vs Soustraction • La soustraction exploite l’intégralité du signal de l’iode. • De récentes études démontrent un meilleur contraste et une meilleure discrimination des détails inférieurs à 10mm de la technique par soustraction par rapport à la DECT. • Le rapport signal/bruit (RSB) des deux techniques (DECT et soustraction) est comparable avec peut-être un RSB meilleur de la soustraction pour les lobes supérieurs. Grob D et al. Pulmonary embolism-induced perfusion defects on iodine maps : quantitative comparison of dual-energy CT and subtraction CT. Communication ECR 2018 Baerends E et al. Comparing dual energy CT and subtraction CT on a phantom: which one provides the best contrast in iodine maps for subcentimetre details? European Radiology 2018; May 28 (epub ahead of print) Scanner double énergie (Hutt, JIDI 2018) • Son intérêt est double : choix d’images en basse énergie pour optimiser l’atténuation de l’iode et mieux voir les caillots et étude de la captation iodée pour obtenir une image de « perfusion » pulmonaire THROMBUS DEFECTS DE PERFUSION Images tirées de l’article : Hutt A, Giordano J, Faivre JB, Rémy J, Rémy-Jardin M. Comment je fais un scanner double énergie pour embolie pulmonaire aiguë. Journal d’Imagerie Diagnostique et Interventionnelle (JIDI) 2018; 1: 88-91 Technique de la soustraction • 2 acquisitions: – La 1ère non injectée (masque) – Suivi d’une 2ème injectée exactement comme un scanner « simple » énergie • 50cc de produit de contraste en double canon pour l’injection. A la différence de la double énergie, il n’est pas possible en soustraction de trop diminuer le volume injecté. Meier (2016) a pu montrer que la réalisation d’un angioscanner de bonne qualité était possible en double énergie en injectant 6 g d’Iode (soit 15 ml d’un contraste à 400 mg I/ml) mais cette étude considérait uniquement l’analyse morphologique et non la perfusion. • Même kilovoltage pour les deux acquisitions (100 kV) Meier A et al : Dual Energy CT Pulmonary Angiography with 6g Iodine-A Propensity Score-Matched Study. PLoS ONE 2016; 11(12): e0167214 Soustraction M. Brink, A. Verschoor, Y. Heijdra, C. Schaefer, M. Prokop . Subtraction techniques enable single-energy iodine mapping of pulmonary perfusion: An educational exhibit. ECR 2014 Technique de la soustraction • La technique de soustraction pulmonaire isole le signal de l’iode et affiche le résultat sous la forme d’une superposition de couleurs. • Reconstruction automatique des cartographies d’iode, en MPR épais 5mm dans les trois plans. • Reconstructions lues de manière qualitative, en l’absence d’outil actuellement disponible (ou fiable) de calcul volumétrique des défects de perfusion. Soustraction-cartographie couleur Technique de la soustraction • En une apnée, ou en 2 apnées entre les 2 acquisitions • Nécessité d’un algorithme performant de recalage 3D élastique, développé par Canon (Toshiba), permettant de compenser les mouvements entres les deux acquisitions (compensation des mouvements respiratoires avec une erreur résiduelle de moins d’1 mm, Grob 2018) • Actuellement, réalisation de 2 apnées systématiquement car plus adaptée en pratique courante chez des patients ayant souvent des difficultés respiratoires Grob D et al. Subtraction CT of the lungs : accuracy of motion correction software. Communication ECR 2018 Paramètres de qualité • Energie des photons X. 100 kV semble être le meilleur compromis pour un bon contraste et une bonne finesse pour l’étude du parenchyme pulmonaire. Dans notre expérience une acquisition à 80 kV ne permet pas d’obtenir une qualité reproductible. • Le meilleur temps d’injection semble être le moment où les veines pulmonaires commencent à être opacifiées. En fonction de l ’état général du patient (fréquence cardiaque, respiratoire) la reproductibilité peut toutefois être mise en défaut. LA SOUSTRACTION EN IMAGES… CANON (TOSHIBA) AQUILION ONE, HÔPITAL DE LA CAVALE BLANCHE CHRU DE BREST EP aiguë proximale Autre exemple d’embolie pulmonaire, avec thrombus proximal gauche (flèche), et des défects de perfusion bien visibles dans le territoire de plusieurs segmentaires gauches sur la cartographie d’iode (étoiles) EP aiguë segmentaire Thrombus visible dans les segmentaires du lobe moyen (flèche), avec hypoperfusion d’aval visible sur la cartographie d’iode HTAP post-embolique : la mosaïque perfusionnelle Artère de taille normale Hypoperfusion d’aval bien visible Aspect en arbre mort, artère de petit calibre séquellaire Exemple chez un patient ayant une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) postembolique connue. Interprétation des défects • L’interprétation de l’imagerie d’iode requière une attention particulière car elle est soumise à de nombreux facteurs pouvant générer des « pseudo-défects » ou des défects réels mais liés à une autre cause qu’une EP – Gradient antéro-postérieur – Artefacts de durcissement du faisceau (beam hardening) et artefacts d’atténuation photonique (photon starvation) aux apex – Artefacts de mouvement notamment près du cœur et du diaphragme – Redistribution vasculaire (« poumon cardiaque ») – Défects en rapport avec une bronchopathie chronique – Shunt systémico-pulmonaire modifiant la perfusion locale Gradient antéro-postérieur • La répartition de l’iode dans les poumons n’est pas uniforme, notamment en raison d’un arbre vasculaire à dominance plutôt postérieure qu’antérieure et plutôt inférieure que supérieure (en conditions normales) • D’où notamment un gradient de « perfusion » antéro-postérieur Artefacts Pseudo-défects liés à des artefacts de durcissement du faisceau dus au produit de contraste concentré dans les veines brachiocéphaliques et cave supérieure. Redistribution vasculaire vers les sommets stade 1 du « poumon cardiaque »(insuffisance cardiaque gauche) La redistribution est clairement visible sur l’imagerie de «perfusion » Impact des pathologies bronchiques sur la perfusion pulmonaire L’atteinte des voies aériennes dans de nombreuses pathologies comme la BPCO, s’accompagne d’une inflammation avec épaississement et production de mucus, et peut entraîner une vasoconstriction reflexe des artérioles dans le territoire incriminé. Il en résulte un territoire moins vascularisé pouvant se voir sur une cartographie d’iode. Emphysème Dans l’emphysème évolué, on retrouve logiquement un retentissement sur la cartographie d’iode, par raréfaction de la trame parenchymateuse et vasculaire Défect Perfusionnel Cartographie d’iode montrant des zones d’hypoperfusion avec une prédominance en base droite Défect Perfusionnel (suite) Même patient. Les images natives, de qualité moyenne, ne retrouvent pas de thrombus dans les artères pulmonaires. Epanchement pleural et troubles ventilatoires en base droite. Pas d’explication claire au défect de perfusion (bronchopneumopathie probable) . BPCO Patient de 60 bronchopathe, épaississement des parois bronchiques. Pas de défect endoluminal visible dans les artères bronchiques. Aspect de poumon en « mosaïque » en fenêtre parenchymateuse . En imagerie d’iode, on retrouve la même sémiologie. BPCO (suite) Même patient, en coupes coronales ET QUAND LES ARTÈRES BRONCHIQUES S’EN MÊLENT ?… Suspicion d’EP (cancer BP connu, LID) Qu’en pensez-vous ? Interprétation : EP récente base droite Même patient, Image d’iode en soustraction : compatible avec un défect perfusionnel en base droite (+ KBP en situation paramédiane) : EP confirmée ? Mais…shunt systémico-pulmonaire intratumoral générant un artéfact de flux …et temps plus tardif montrant l’opacification des branches basales Il est conclu à l’absence D’EMBOLIE PULMONAIRE (mais un shunt systémicopulmonaire antérograde de « suppléance » est aussi possible dans une authentique EP et il modifiera la perfusion d’aval) MAIS AU FAIT, AI-JE VRAIMENT BESOIN DE LA SOUSTRACTION?… …La soustraction versus image native « travaillée » Valeur ajoutée de la soustraction ? Image de cartographie d’iode par méthode de soustraction Acquisition native, non soustraite, filtre mou, minMIP 5mm, en serrant la fenêtre = superposition des défects. Les zones d’oligémie sont visibles en minMIP. Dans ce cas, la soustraction n’apporte pas d’information supplémentaire bien qu’elle semble montrer les zones d’hypoperfusion avec plus de contraste Apport de la soustraction, évaluation • Plusieurs pistes possibles: – Etude de la perfusion pulmonaire dans les pathologies chroniques des artères pulmonaires : HTAP, CPC-PE, sténose pulmonaire... La cartographie de l’iode peut-elle faire aussi bien qu’une scintigraphie pulmonaire? – Apport de la perfusion pulmonaire dans le diagnostic de l’EP aiguë : peut-on améliorer, grâce à la perfusion, la performance de l’angioscanner pour le diagnostic des EP distales ? – Calcul de la volumétrie des défects de perfusion permettant d’établir un index de sévérité de l’EP à partir d’une imagerie de perfusion. Un calcul fiable de la volumétrie suppose un examen d’excellente qualité avec une délimitation nette des défects de perfusion, ce qui n’est pas toujours le cas. Apport de la soustraction, études • Etude de Tamura sur la corrélation entre le perfusion SPECT et la soustraction dans le CPC post-EP. L’étude conclut que c’est une bonne technique pour l’évaluation de la perfusion pulmonaire au niveau segmentaire dans cette pathologie, avec une précision plus importante par rapport à un simple angioscanner. Cependant, l’étude de noninfériorité par rapport au SPECT n’a pas été réalisée. • Etude en cours: PASEP (Brest). Etude monocentrique comparant la soustraction pulmonaire en TDM à la tomoscintigraphie pour la recherche d’embolie pulmonaire: les défects de perfusion sont ils superposables ? • Les études sur cette technique de soustraction vont dépendre également de la qualité d’injection des angioscanners : une acquisition plus tardive avec une opacification de l’aorte, donc des artères bronchiques, va-t-elle par exemple fausser le résultat ? Tamura M et al : Diagnostic accuracy of lung subtraction iodine mapping CT for the evaluation of pulmonary perfusion in patients with chronic thromboembolic pulmonary hypertension: correlation with perfusion SPECT/CT. International Journal of Cardiology 2017;36:1356-1370 Conclusion L’étude de la « perfusion » pulmonaire en soustraction peut être considérée plus comme une étude de la distribution parenchymographique de l’iode à un temps T. Le résultat est dépendant de nombreux paramètres, certains techniques et d’autres liés au patient, rendant pour l’instant l’analyse souvent difficile. Ces nouvelles techniques d’imagerie de cartographie d’iode du poumon doivent faire l’objet d’une évaluation pour démontrer leur pertinence et leur gain diagnostique dans l’EP aiguë, en complément de l’analyse morphologique habituelle, et leur éventuelle possibilité de quantification des défects perfusionnels.