Militarite des sapeurs-pompiers de Paris: Heritage historique ou necessite operationnelle? 1 par Ie chef de bataillon Paul Jean-Marie Vilbe « Pourquoi ce regime special et presque unique d'une unite militaire chargeede l'exeCtltiond'ttn servicecivil? Comment en est-on arrive a cette organisation mixte qui, depuis plus de cent cinquante ans, a fait sespreuves, a tel point que chaquefois que l'on a tente de la modifier, on a dii y revenir? »2 E clairer les debacs porcam sur l'idencice milicaire du flambeau porce par Ie corps des sapeurs-pompiers de Paris ne semble pas, de prime abord, aller de soi. En effer, comment une unice, en marge des aurres armees, pourraic-elle jus cement aider a en definir l'identice I Pourcant, dans Ie debac relacif a la milicacice des gendarmes, les references au scacuc milicaire des sapeurs-pompiers de Paris, SOnt recurrentes ec explicices. Ainsi, Ie 29 occobre 2008, Michele AlliocMarie, miniscre de l'imerieur, insiscaic sur Ie faic que la bcigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) se crouve «sous l'aucorice du prefec de police sans qu'a aucun moment son scacuc milicaire ne soic conteSCe ». Nocre propos vise donc, a cravers l'hiscoire ec les specificices des «soldacs du feu» parisiens, a apporcec un eclairage hiscorique ec original sur ce qui fonde ec juscifie l'idemice milicaire. « La BSPP est aujourd'hui une unite militaire de sapeurs-pompiers, une unite militaire pour des raisons historiques. Napoleon 1" institua un corps militaire specifique, Ie bataillon des sapeurs-pompiers de Paris, pour assurer la protection de la capitale contre lesfeux (deeret imperial du 18 septembre 1811). »3 Le dimanche 1ec juillec 1810, Ie prince de Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche a Paris, donne en sa residence un bal en l'honneur du mariage de Napoleon avec l'archiduchesse de Habsbourg-Lorraine, fille de l'empereur d'Aucriche. Alors que Napoleon viem d'ouvrir Ie bal avec la jeune 1. Le terme a d'abord ete employe par Marie-Anne Paveau qui Ie dHinit comme "I'ensemble des marqueurs (professionnels, juridiques, sociaux, ideologiques, culturels, corporels) attaches au statut militaire, qui est selon nous autant un metier qu'un mode d'etre' (Paveau MA (1997), • Paroles de militaires: Les libres refiexions sur la defense dans la revue Armees d'aujourd'hui (1986-96)" in Mots, Les langages politiques, n° 51, p. 59). II est redefini par Andre Thieblemont comme elant" I'ensemble des phenomenes culturels originaux qui marquent, signa lent et differencient Ie corps militaire: I'espace et I'architecture, les techniques y compris les techniques du corps, I'esthetique, les modes d'organisation, les temporalites, les logiques de pensee et d'action, les modes et manifestations de sociabilite, les rapports hierarchiques, les ideologies au mythologies, les rites, signes et symboles. II (Thieblemont A. (2004), " Ie metier de sous-officier dans I'armee de terre aujourd'hui II, Paris,C2SD. 2. General Besson,commandant Ie regiment de sapeurs-pompiers de Paris de 1952 1963, in ARNAUD, lieutenant-colonel, Pompiers de Paris, Paris, 1985. 3. Projet de loi de finances pour 2009 : Securite civile a imperatrice Marie-Louise, un feu eclate dans la salle de reception, qui s'embrase. La princesse de Schwarzenberg meurt bn11ee vive, tandis que l'imperatrice echappe de peu aux f1ammes. Napoleon, qui a assiste aux operations d'extinction, ordonne une commission d'enquete. Cette derniere met a jour de nombreuses lacunes et negligences. Le commandant Le Doux, chef du corps de pompiers civils, etait a la campagne et n'avait designe qu'un service minimal de huit pompiers. Les operations de secours ont ete menees sans methode, ni organisation, ni moyens. Napoleon l'a lui-meme cons tate. Cet incendie revele les carences d'un corps de pompiers civils, qui, n'etant pas militaires, attachent peu d'importance a la discipline et a l'execution des ordres4 Napoleon ne peut leur laisser assurer plus long temps la securite de sa capitale contre l'incendie. Ainsi, Ie 18 septembre 1811, un decret imperial institue Ie bataillon de sapeurspompiers de Paris, place a la fois sous les ordres du prefet de police et sous l'autorite du ministre de l'interieur mais soumis aux regles militaires. Le nouvel uniforme est celui du genie avec les epaulettes jaunes de l'infanterie. Les reglements en vigueur SOnt ceux de l'infanterie. «L'innovation operee offrait des avantages manifestes du double point de vue de la discipline et de l'exactitude dans Ie service ,,5 Un statut militaire regulierement menace mais toujours maintenu Par la suite, la Resrauration maintient et renforce l'organisation militaire du bataillon. Au cours des revolutions de 1830 et 1848, Ie bataillon est menace par I'indiscipline. Quelques sapeurs rejoignent meme la cause populaire et participent a l'insurrection, mais la majorite des soldats du feu restent fideles a leurs devoirs. Pour s'assurer d'une inde- fectible fidelite, un decret de 1850 place Ie bataillon sous I'autorite directe du ministre de la guerre pour tout ce qui releve du recrutement, de l'administration, du commandement et de la discipline. Les nouvelles recrues doivent effectuer un «noviciat» de deux ans dans un corps de l'armee afin d'evaluer leur moralite et leur discipline. II est important de noter que ce renforcement de la militarisation du corps a ete demande par Ie conseil municipal de Paris. Ainsi, des les origines, il s'agit de disposer d'un corps dont Ie statut militaire garantit la parfaite fiabilite, y compris lors des troubles insurrectionnels. Cependant, cette militarite demeure regulierement remise en cause. Ainsi, en 1881, dans Le feu Paris et en Amerique6, Ie Colonel Paris, commandant alors Ie regimene7, developpe un argumentaire justifiant Ie maintien de ce statut: «Les partisans d'un service d'incendie civil Paris ne contestentpas la necessite d' une tres forte discipline dans Ie corps des sapeurs-pompiers; ils pretendent seulement qu'elle peut exister sans l' organisation militaire. {. .. } Ces sapeurs-pompiers {. . .} seraient, affirme-t-on, aussi disciplines et aussi bons s'ils etaient civils. ( .. .) ». Afin de demontrer la necessite d'une discipline inflexible, synonyme d'efficacite operationnelle, il revient sur les carences organisationnelles qui ont ete a I'origine, dans une autre grande ville de France, d'un feu de theatre aux consequences dramatiques. II stigmatise ainsi les defauts d'organisation et de discipline, camme sources de defaillances: «L'organisation du service des pompiers dans les theatres de __ 8 est on ne peut plus difectueuse, attendu que ce qui s'est passe Ie jour de l'incendie {. . .} est la reproduction exacte de ce qui se passe quotidiennement. Le jour de l'incendie, les boyaux des reservoirs, qui doivent etre developpes sur la scene la fin de chaque representation n'avaient pas ete difaits. Les factionnaires n'etaient pas places sur la scene, comme Ie reglement l'exige. Aucun des a a a 4. Ces elements, issus du proci5-verbal de la commission d'enquete sont rapportes par Ie LCL ARNAUD, op. cite. 5. LCL ARNAUD, op. cite, p. 85. 6. PARIS, colonel, Le feu iJ Paris et en Amerique, Paris, 1881. 7. Le regiment est devenu bataillon en 1867. 8. Le nom de la ville designee est volontairement occulte. pompiers ne se trouvait dans Ie poste,. ils etaient tom quatre dans Iefoyer des artistes, un d'entre eux dormait. { ... }. Le rapporteu~ a conclu la revocation du caporal et des hommes de garde qui, a-t-il dit "ont failli leurs devoirs et n'ont fait preuve ni de courage, ni de sang-froid, ni de devouement. " Les pompiers incrimines ont donne des explications desquelles il resttlte qu'ils ignoraient absolument ce qu'ils auraient dtt savoir. {. . .} a a Pour avoir manque de courage.' de sang-froid.' .' de devouement.'.'.' Au regiment de sapeurs-pompiers de Paris, ce caporal et ces sapeurs eussent ete traduits devant un conseil de guerre pour abandon de leur poste et lacheti en presence de I'ennemi. »JO. Au-delii du style emphatique, Ie colonel Paris montre avant tout qu'un sratut et une organisation militaire SOnt mieux a meme de creer les conditions d'une discipline infaillible. Pourtant, la militarite du regiment disparalt au cours de la seconde guerre mondiale. Pendant l'occupation, Ie regiment reintegre, en effet, Ie ministere de l'interieur. Mais des la liberation les desagrements de cerre perre de statut militaire se font jour, notamment en termes d'effectifs. En 1953, Ie regiment est de nouveau place SOliSl'autorite du ministre de la Defense et reintegre l'arme de l'infanterie. En 1965, il quirre l'infanterie pour etre incorpore a l'arme du genie. Enfin, en 1967, Ie regiment devient la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Mis a parr l'intermede 1943-1953, la militarite des sapeurs-pompiers de Paris sera tOujours maintenue car elle est vue tant l'interieur du corps qu'au niveau de la ville de Paris et des plus hauts echelons politiques comme la garantie d'un service liable et efficace. Elle permet, en effet, a travets les specilicites du statut militaire de beneficier d'une unite a la physionomie particuliere. a car cette zone represente.' 1/10' de la population franfaise (a ces habitants, il faut ajouter les Franciliens qui viennent travailler chaque jour dans la capitale et les 35 millions de touristes annuels), 1/3 de la richesse nationale avec de multiples entreprises de services et des sieges sociaux, ainsi que Ie centre de commandenzent politique et administratif de la France et Ie lieu de concentration de toutes les representations etrangeres. »11. Peu de capi tales concentrent autant de pouvoirs, richesses et population que Paris, heritiere d'un centralisme jacobin. La defense de ces interets politiques et economiques justifie a elle celle la presence d'une unite parriculiere dont la disponibilite soit sans faille. Un statut militaire au service d'une disponibilite operationnelle Au cours de la greve des pompiers britanniques fin 2002 et debut 2003, la ville de Londres a vu son niveau de securite face aux risques d'incendie singulierement dectOltre, au point qu'il fallut fermer cerraines stations de metro et distribuer des conseils de prudence aux Londoniens. Les armees ont ete requises pour assumer les missions des pompiers a travers tOut Ie pays. Malheureusement, trois deces lors d'incendies survenus pendant cette periode ont ete atrribues a la greve. Ces evenements ont renforce, si besoin etait, la necessite de disposer d'un service d'urgence permanent au sein de la ville de Paris. Une specificite liee une zone d'operations particuliere Outre que les sapeurs-pompiers de Paris, de parr leur statut militaire, ne peuvent pretendre a la greve, la permanence de leur reponse operationnelle se retrouve egalement sur intervention. Ainsi, dans l'accomplissement de leur mission, ils ne disposent ni de droit de rerrait ni du «droit de se retirer". En effet, si l'arrete du 15 mars 2001 portant sur l'exercice du droit de retrait dans la Comme l'explique Ie general commandant la Brigade, «c'est la specificite de cette zone d'intervention qui jmtifie avant tout Ie maintien du statut militaire des sapeurs-pompiers de Paris 9. Le colonel Paris cite Ie rapport du conseil de discipline. 10. Paris, Colonel, Le Feu iJ Paris et en Amerique, Paris. 1881. (pp. 194 - 196). 11. Projet de loi de finances pour 2009: Securite civile a fonction publique tettitotiale ne permet pas aux sapeurs-pompiers civils de l'invoquer lors de missions operationnelles, ces derniers disposenr cependanr du «droit de se retirer face a une situation qui menace gravemenr et immediatemenr leur securite» 12. Ce droit est rappele dans differenrs reglemenrs operationnels et leur permet, dans certains cas de refuser d'executer une mission. Au conrraire, Ie principe de prevalence de la mission est rappele dans Ie code d'honneur des sapeurspompiers de Paris: «article 1 : j'accomplis la mission re(;ue jusqu'au bour »l3. Dans ce cadre operationnel, c'est notamment la notion de sauvetage - sauver une personne en danger immediat au peril de sa vie - qui est sanctuarisee a la BSPP. Enfin, cette discipline militaire permet aux sapeurs-pompiers de Paris d'accepter des peri odes de sollici tations operationnelles anormalement elevees. Ce fur notammenr Ie cas lors des emeures urbaines de 2005. Un statut militaire au service d'une efficacite operationnelle «Le statut militaire de la BSPP constitue un avantage incontestable en termes de disponibilite operationnelle des personnels. Le taux de disponibilite des sapeurs-pompiers de la capitale, mettre en parallele avec l'intense activite operationnelle qui y est constatee, est tres elevepar rapport celui constate dans les SDIS de taille comparable. 2000 hommes sont prets partir en intervention en permanence» 14. Au moment OU l'Assemblee nationale s'inrerroge sur Ie cout des sapeurs-pompiers1S, la BSPP fait figure de bon eleve, grace, notammenr, a son statut militaire. Illui permet, en effet, de disposer de sapeurs-pompiers plus experimenres, car ils sonr plus souvent de garde et effectuenr plus d'inrervenrions. Selon Ie rapport parlemenraire du 16 octobre 2008, «les sapeurs-pompiers professionnels effectuent en moyenne 95 gardes de 24 heures par an, ce qui leur permet d'etre hors de leur lieu de travail 270 jours par an». A contrario, Ie projet de loi de finances pour 2009 souligne que «les sapeurs-pom- a a a piers de Paris sont au travail 150 jours par an. Les periodes de garde sont de 48 h ou de 72 h (a la difference des SDIS OU l'application de la legislation sur l'amenagement et la reduction du temps de travail a amene des systemes de garde de 24 h dont 16 h de travail effectif). Ainsi, Ie temps de travail des sapeurs-pompiers de Paris est en moyenne de 3320 heures par an contre 2880 heures dans les SDIS de premiere categorie. » Cette presence operationnelle per met au sapeur-pompier de Paris d'acquerir une experience operationnelle incomparable, puisqu'il est de service plus souvent et que la BSPP, dont les effectifs ne representenr que 3 % des pompiers de France, realise 13 % des interventions. Enfin, ce statut mili taire permet de beneficier de soldats du feu remarquablement jeunes. Cette jeunesse est garanrie par Ie biais de contrats qui permettent a la BSPP d' obtenir une moyenne d'age de 28 ans conrre une moyenne d'age des sapeurs-pompiers civils s'elevant a 37 ans. Cette jeunesse est synonyme de dynamisme, sportivite et resilience, qualites indispensables sur intervenrion. En conrrepartie de la precarite liee aces conrrats a duree determinee, les sapeurs-pompiers de Paris disposent, com me tour militaire sous conrrat, de compensations financieres. C' est notamment Ie cas a travers Ie dispositif de «retraite a jouissance immediate », qui leur permet de reprendre une activite dans Ie civil en cumulanr celle-ci avec Ie traitemenr de leur pension. Ainsi, l'experience acquise a travers une plus forte sollicitation operationnelle couplee a une jeunesse incompatable permet une efficacite operationnelle accrue. Cette performance repose egalemenr sur de solides valeurs. 12. GENOVESE Marc, Droit applique aux services d'incendie et de secaurs, ENSOSP,2007. 13. Ce code d'honneur est reproduit dans ROYAL, colonel, L'ethique du soldat fran,ais, Paris, 2008, p. 108. 14. Projet de loi de finances pour 2009: Securite civile 15. Un debat parlementaire sur ce theme a eu lieu Ie 8 decembre 2009, suite au Rapport de la Mission d'evaluation et de contrale de la commission des Finances (MECj concernant Ie financement des services departementaux d'incendie et de secours (5015), Assemblee nation ale, 16 octobre 2008. Un statut militaire au service d'un esprit de corps particulier Inscrites dans Ie Code d'honneur du sapeur-pompier de Paris, les valeurs du sapeur-pompier de Paris sont celles de tout corps militaire, notamment Ie respect absolu de la mission, la discipline, Ie devouement, la rigueur, la solidatite et Ie respect des traditions. En complement de ce code d'honneur, les soldats du feu parisiens se referent a l' « ethique du sapeur-pompier de Paris» 16 et celebrent leurs morts une fois par semaine au cours du ceremonial des «morts au feu». Cet esprit de corps permet de sacraliser la notion de sauvetage et a travers la fierte d'appattenit une unite d'elite, il entretient Ie culte de l'excellence dans l'accomplissement de la mission. 11permet, en definitive, a chaque sapeur-pompier de Paris de refuser tout laxisme, contraire a 1'honneur de leurs corps. C'est d'ailleurs pour s'assurer de cette rigueur militaire, que Napoleon a dote la BSPP d'un statlit specifique. a Alors que la militarite des gendarmes trouve sont expression concrete dans leur Saint-Cyrien, stagiaire Ie CEN VILBE a servi de la 17' promotion a la brigade du CIO ({Marechal envoi sur Ie theatre afghan, il importe de rappeler que la BSPP defend des bases militaires contre Ie risque d'incendie au Kosovo et au Liban. Si ce statut militaire, souvent remis en cause, a survecu pendant presque deux siecles c'est qu'il permet a la BSPP, premiere structure de secours en Europe, d' offrir une reponse operationnelle a la hauteur d'une zone d'action specifique. La militarite est donc la source d'une efficacite operationnelle accrue et la garantie d'une disponibilite indefectible. Dans un contexte de rationalisation drastique des depenses, la BSPP presente un cout de revient largement inferieur a celui des sapeurs-pompiers civils. Si les arguments operationnels et politiques developpes precedemmenr n'etaient pas suffisants, la BSPP, qui fetera ses 200 ans en 2011, a su prolonger l' espetance de vie de sa militarite par la gestion tigoureuse de son budget17• 16. Egalement reproduit dans I'ouvrage du colonel Royal, p.l08. 17. Le depute GINESTA. auteur du Rapport parlementaire du 16 octobre 2008 sur Ie financement des SOlS salue cette bonne gestion: .Votre rapporteur regrette que cette presentation n'indique pas les efforts entrepris par la brigade de sapeurs pompiers de Paris pour rationaliser la depense et maitriser les couts de sapeurs-pompiers n. de Paris de 2001 a 2008. II est aujourd'hui Lyautey». 73-J