Francis Guibal
à travers laquelle s'opère le passage d'une violence destructrice à
une (contre-)violence sacrée qui « se montre sous un jour pacifica-
teur » et « répand autour d'elle les bienfaits du sacrifice7 » offert à
la divinité et accepté par elle : celui qui menaçait de détruire la
communauté devient le principe de sa reconstruction.
Réel ou imaginaire, ce sacrifice religieux joue le rôle d'un événe-
ment fondateur : il a sauvé la communauté en mettant fin à la crise
qui la menaçait. Encore faut-il, cependant, que cette réconciliation
inaugurale s'inscrive dans la durée de la vie historique. Les mythes
vont y contribuer en rappelant et en ravivant le souvenir de ce qui
s'est passé à l'origine. Et les rites, surtout, vont répéter et réactiver
sous la forme pratique du culte cette mise à mort salvatrice qui « a
refait, contre la victime émissaire et autour d'elle, l'unité perdue dans
la violence réciproque » (VS, 138). L'ordre social et culturel, avec ses
institutions symboliques, ne cesse de renaître de cette répétition
pratique qui interdit de retomber dans la crise en prenant pour
guide le geste salvateur : « Pour comprendre la culture humaine, il
faut admettre que l'endiguement des forces mimétiques par les
interdits, leur canalisation džins des directions rituelles, peut seul
étendre et perpétuer l'effet réconciliateur de la victime8 » sacrifiée.
Fondé sur le sacrifice, se maintenant par des mythes qui le
rappellent et des rites qui l'actualisent, le religieux, au sens
archaïque que lui donne Girard, apparaît éminemment ambigu.
On peut mettre à son crédit, d'un côté, un effort toujours repris pour
surmonter les divisions qui menacent la communauté en faisant
appel à un principe de réconciliation qui n'est pas à la mesure de
la fragilité humaine ; c'est sa fonction positive que de « contenir le
déchaînement de la violence » ( QCCh , 109-110) en recourant au
sacrifice fondateur de culture pacifiée. Mais l'autre face du sacré
religieux est que, s'il « protège les hommes » contre eux-mêmes et
contre leur violence, il le fait seulement « tant que son fondement
ultime n'est pas dévoilé » (FS, 192). Son emprise est liée à la
méconnaissance de la violence sacrificielle qu'il met en œuvre : pour
que cela fonctionne, « il faut que la glorification de la victime
s'effectue sur la base même de la persécution. Il faut que les crimes
imaginés par les persécuteurs soient tenus pour véridiques9 » et que
7. R. Girard, la Violence et le sacrée op. cit., p. 61 ; il y a donc un double visage de la
violence, mais « les hommes ne pénètrent pas le secret de cette dualité » (ibid.) énigmatique.
8. Id., Des choses cachées depuis la fondation du monde (désormais CCFM), Paris, Grasset,
1978, p. 40-41, qui ajoute : « Le religieux n'est rien d'autre que cet immense effort pour main-
tenir la paix » à travers la (contre-)violence sacrificielle.
9. Id., le Bouc émissaire (désormais BE), Paris, Grasset, 1982, p. 277.
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