Chap. I : Produit scalaire - Espaces préhilbertien et euclidien (1) ENSA Marrakech S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 1 / 24 Introduction Forme bilinéaire Définition Soit E un R-espace vectoriel. On appelle forme bilinéaire sur E toute application ϕ : E × E −→ R (u, v) 7−→ ϕ(u, v) vérifiant les propriétés suivantes : 1 Pour tout a, u, v ∈ E, l’application E −→ R, y 7−→ ϕ(a, y) est linéaire, i.e., ∀(u, v) ∈ E × E, ∀λ ∈ R, ϕ(a, u + λv) = ϕ(a, u) + λϕ(a, v) 2 linéarité à droite Pour tout b ∈ E, l’application E −→ R, x 7−→ ϕ(x, b) est linéaire, i.e., ∀(u, v) ∈ E × E, ∀λ ∈ R, ϕ(u + λv, b) = ϕ(u, b) + λϕ(v, b) S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III linéarité à gauche 2 / 24 Introduction Autrement dit, pour tous a ∈ E et b ∈ E, les applications y 7−→ ϕ(a, y) et x 7−→ ϕ(x, b) sont des formes linéaires, d’où le terme « forme ». Exemple 1 Pour E = R, l’application (x, y) 7−→ xy est une forme bilinéaire sur E. 2 Pour E = Rn , l’application ϕ : E × E −→ R n X (x, y) 7−→ xi yi i=1 est une forme bilinéaire sur E. 3 Soit E = Mn (R), on pose : ∀A, B ∈ Mn (R), ϕ(A, B) = tr(AB). Alors ϕ est une forme bilinéaire sur E. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 3 / 24 Introduction 3 Soit E = C([0, 1]) le R-espace vectoriel des applications continues de [0, 1] dans R. L’application ϕ : E × E −→ R Z 1 (u, v) 7−→ u(t)v(t)dt 0 est une forme bilinéaire sur E. Définition Soit E un R-espace vectoriel. Soit ϕ une forme bilinéaire sur E. On dit que : ϕ est symétrique si ∀(u, v) ∈ E 2 , ϕ(u, v) = ϕ(v, u) ϕ est positive si ∀u ∈ E, ϕ(u, u) > 0 ϕ est définie si ∀u ∈ E, S. B. (www.ensa.ac.ma) ϕ(u, u) = 0 ⇒ u = 0. Algèbre III 4 / 24 Introduction Produit scalire Définition (Produit scalaire réel) On appelle produit scalaire réel sur E, toute forme bilinéaire symétrique et définie positive, i.e. toute application ϕ : E × E → R telle que 1 ∀x ∈ E, ϕx : y 7→ ϕ(x, y) est linéaire E2, linéarité à droite 2 ∀(x, y) ∈ 3 ∀x ∈ E, ϕ(x, x) > 0 positive 4 ∀x ∈ E, ϕ(x, x) = 0 =⇒ x = 0 définie. symétrie ϕ(x, y) = ϕ(y, x) Définition (Espace préhilbertien réel, espace euclidien) E muni du produit scalaire ϕ est appelé un espace préhilbertien réel. Si E est un espace préhilbertien réel de dimension finie, on dit que E est un espace euclidien. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 5 / 24 Introduction Notations Le produit scalaire scalaire ϕ(x, y) de deux vecteurs x et y est noté hx , yi, ou encore x · y, hx | yi, (x | y) . . . Remarque 1 La linéarité à droite et la symétrie impliquent la linéarité à gauche. 2 Si l’un des vecteurs est nul, le produit scalaire est nul. 3 Le caractère « défini positif » du produit scalaire peut s’établir en montrant que ∀x ∈ E, hx , xi > 0 et hx , xi = 0 =⇒ x = 0 4 Si F est un R-sous-espace vectoriel de E, tout produit scalaire réel sur E induit un produit scalaire réel sur F . S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 6 / 24 Introduction Exemples fondamontaux Produits scalaires canoniques sur Rn et Mn,p (R) 1 Produit scalaire canonique sur Rn : il est défini par ∀x = (x1 , . . . , xn ), ∀y = (y1 , . . . , yn ), hx , yi = n X x k yk k=1 2 Produit scalaire canonique sur Mn,1 (R) : il est défini par 2 ∀(X, Y ) ∈ Mn,1 (R) , hX , Y i = tXY = n X xk yk k=1 3 Produit scalaire canonique sur Mn,p (R) : il est défini par X 2 ∀(A, B) ∈ Mn,p (R) , hA , Bi = tr(tAB) = ai,j bi,j i,j S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 7 / 24 Introduction Nous retrouvons ici les produits scalaires usuels auxquels nous sommes habitués dans le plans R2 et l’espace R3 en coordonnées de vecteurs. Par exemple dans R2 , pour ~u = (x, y) et ~v = (x0 , y 0 ), ~u · ~v = xx0 + yy 0 . Remarque De nombreux produits scalaires peuvent sur un même espace vectoriel. Par exister 2 1 exemple l’application (X, Y ) 7−→ t X Y = 2x1 y1 + x1 y2 + x2 y1 + 3x2 y2 est un 1 3 produit scalaire sur R2 distinct du produit scalaire canonique. 1 2 3 Symétrie et bilinéarité évidentes. 2 : Positive : pour tout X = (x1 , x2 ) ∈ R 2x1 + x2 tX 2 1 X = x = 2x21 + 2x1 x1 + 3y 2 = x21 + 2x22 + (x1 + x2 )2 > 0 1 x2 1 3 x1 + 3x2 2 1 t Définie : si X X = 0, alors comme x21 , x22 et (x1 + x2 )2 sont positifs : 1 2 x1 = x2 = x1 + x2 = 0, donc : X = (0, 0). S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 8 / 24 Introduction Exemple Soit x0 , . . . , xn ∈ R distincts. L’application (P, Q) 7−→ scalaire sur Rn [X]. En effet. 1 3 k=0 P (xk ) Q (xk ) est un produit Symétrie et bilinéarité : Symétrie évidente, donc la linéarité par rapport à la première variable suffit. Pour tous P, Q, R ∈ Rn [X] et λ, µ ∈ R : n n n X X X (λP + µQ) (xk ) R (xk ) = λ P (xk ) R (xk ) + µ Q (xk ) R (xk ) k=0 2 Pn k=0 k=0 Pn 2 Positivité : Pour tout P ∈ Rn [X] : k=0 P (xk ) > 0. P Définie : Si nk=0 P (xk )2 = 0, alors comme on somme des réels positifs : P (xk ) = 0 pour tout k ∈ J0, nK, i.e. x0 , . . . , xn sont des racines de P. Le polynôme P de degré inférieur ou égal à n possède ainsi n + 1 racines distinctes, donc est nul. L’espace Rn [X] muni de ce produit scalaire est un espace euclidien. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 9 / 24 Introduction Produits scalaires sur R[X] Produits scalaires sur l’espace des polynômes à coefficients réels ; si I est un intervalle et w une fonction continue sur I et à valeurs réelles (strictement) positives, telle que, pour tout entier n, t 7→ tn w(t) soit intégrable sur I, l’application Z 2 (P, Q) ∈ R[X] 7→ hP , Qi = P (t)Q(t)w(t) dt I est un produit scalaire. Les cas classiques sont R1 1 I = [−1, 1], w(t) = 1 et hP , Qi = −1 P (t)Q(t) dt (Legendre) R 1 1 dt 2 I = ]−1, 1[, w(t) = √1−t et hP , Qi = −1 P (t)Q(t) √1−t (Chebychev) 2 2 R +∞ 3 I = [0, +∞[, w(t) = e−t et hP , Qi = 0 P (t)Q(t)e−t dt (Laguerre) R 2 2 +∞ 4 I = ]−∞, +∞[, w(t) = e−t et hP , Qi = −∞ P (t)Q(t)e−t dt (Hermite) S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 10 / 24 Introduction Produit scalaire sur l’espace des fonctions continues 1 Produit scalaire sur l’espace des fonctions continues sur le segment [a, b] et à valeurs réelles : Z b 2 ∀(f, g) ∈ C([a, b], R) , hf , gi = f (t)g(t) dt a 2 Produit scalaire sur l’espace des fonctions continues, 2π-périodiques sur R et à valeurs réelles : Z π 2 1 ∀(f, g) ∈ C2π (R) , hf , gi = f (t)g(t) dt 2π −π 3 Produit scalaire sur l’espace des fonctions continues et de carré intégrable sur l’intervalle I, et à valeurs réelles : Z 2 ∀(f, g) ∈ L2 (I, R) , hf , gi = f (t)g(t) dt I S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 11 / 24 Introduction Exemple Soient a, b ∈ R avec : a < b. scalaire sur C([a, b], R). Démonstration L’application (f, g) −→ Rb a f (t)g(t)dt est un produit Symétrie et bilinéarité évidentes. Rb Définie postive : pour tout f ∈ C([a, b], R) : a f (t)2 dt > 0 Rb et si : a f (t)2 dt = 0, t 7→ f (t)2 étant continue et positive ⇒ f (t)2 = 0 ∀t ∈ [a, b], donc : f = 0. Attention ! Muni du produit scalaire défini ci-dessus, C([a, b], R) n’est pas un espace euclidein car ce n’est pas un R-espace vectoriel de dimension finie. C’est seulement un espace préhilbertien réel. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 12 / 24 Introduction Norme et distance associée à un produit scalaire réel E désigne un espace préhilbertien réel dont le produit scalaire est noté h , i. Définition (Norme et distance associée) On appelle norme associée au produit scalaire h , i l’application k · k : E → R+ définie par : p ∀x ∈ E, kxk = hx , xi La distance associée au produit scalaire est définie par : p ∀(x, y) ∈ E 2 , d(x, y) = ky − xk = h(y − x) , (y − x)i Dans la suite on va démontrer que k · k vérifie effectivement les propriétés d’une norme, c’est-à-dire : séparation, homogénéité et inégalité triangulaire. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 13 / 24 Introduction Proposition p x 7→ kxk = hx , xi est une application de E sur [0, +∞[ qui vérifie 1 ∀x ∈ E, kxk = 0 ⇐⇒ x = 0 2 ∀(λ, x) ∈ R × E, kλxk = |λ| kxk axiome de séparation ; axiome d’homogénéité. Démonstration. 0 = kxk2 = hx , xi ⇐⇒ x = 0 ; p p kλxk = hλx , λxi = λ2 hx , xi = |λ|hx , xi L’inégalité triangulaire sera démontrée dans la suite. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 14 / 24 Introduction Proposition (Règles de calcul ) Soit E un espace préhilbertien réel. Alors pour x, y ∈ E : i) Identités remarquables : kx + yk2 = kxk2 + 2hx , yi + kyk2 kx − yk2 = kxk2 − 2hx , yi + kyk2 kxk2 − kyk2 = hx + y , x − yi. ii) Identités de polarisation : 1 1 hx, yi = (kx + yk2 − kyk2 − kxk2 ) = (kx + yk2 − kx − yk2 ). 2 4 iii) Identité du parallélogramme : kx + yk2 + kx − yk2 = 2(kxk2 + kyk2 ). S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 15 / 24 Introduction Démonstration. Utilisons la linéarité à droite et à gauche, et la symétrie du produit scalaire kx + yk2 = hx + y , x + yi = hx , xi + hx , yi + hy , xi + hy , yi = kxk2 + 2hx , yi + kyk2 En changeant y en −y, on obtient kx − yk2 = kxk2 − 2hx , yi + kyk2 Il suffit d’additionner les deux formules pour obtenir le résultat annoncé. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 16 / 24 Introduction La deuxième égalité s’interprète dans la plan par Corollaire (Egalité du parallélogramme) La somme des carrés des longueurs des côtés d’un parallélogramme est égale au double de la somme des carrés des longueurs des diagonales. x−y x y x+ y y x Remarque L’égalité du parallélogramme caractérise les normes euclidiennes, i.e. les normes qui sont associées à un produit scalaire (réel). S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 17 / 24 Introduction Inégalité de Cauchy-Schwarz Théorème (Inégalité de Cauchy-Schwarz) Soit E un espace préhilbertein réel. Pour tout x et y de E, on a |hx , yi| 6 kxk kyk L’égalité a lieu si, et seulement si la famille (x, y) est liée. Autrement x et y sont colinéaires. Preuve: Si kxk = 0, x est le vecteur nul, l’inégalité, qui devient une égalité dans ce cas, est vérifiée, et la famille (x = 0, y) est une famille liée. Si kxk = 6 0, on pose, pour λ ∈ R, T (λ) = kλx + yk2 = λ2 kxk2 + 2λhx , yi + kyk2 . S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 18 / 24 Introduction T (λ) est un trinôme du second degré, que l’on écrit sous sa forme canonique hx , yi 2 kxk2 kyk2 − hx , yi2 + 0 6 T (λ) = kxk2 λ + kxk2 kxk2 ,yi En donnant la valeur particulière λ0 = − hx , on obtient l’inégalité annoncée. kxk2 Dans le cas de l’égalité de Cauchy-Schwarz, on a hx , yi 2 T (λ) = kxk2 λ + kxk2 ,yi Donnant à λ la valeur particulière λ0 = − hx , on obtient 0 = T (λ0 ) = kλ0 x + yk2 , kxk2 soit λ0 x + y = 0 et la famille (x, y) est une famille liée. Réciproquement, si la famille (x, y) est une famille liée, par exemple y = µx, alors |hx , yi| = |hx , µxi| = |µ|hx , xi = |µ| kxk2 = kxk kµxk = kxk kyk ~ S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 19 / 24 Introduction Exemple Voici quelques exemples d’application de l’inégalité de Schwarz : 1 cas de Rn : n n n X 1 X 1 X 2 2 |hx , yi| = | xk yk | 6 kxk kyk = x2k yk2 k=1 2 k=1 cas de Mn,1 (R) : |hX , Y i| = |tXY n n n 1 X 1 X 1 t 1 X 2 2 2 t 2 2 |=| xk yk | 6 XX = xk yk2 YY k=1 3 k=1 k=1 k=1 cas de Mn,p (R) : |hA , Bi| = |tr(tAB)| X 1 1 X 2 12 X 2 12 t t 2 =| ai,j bi,j | 6 tr( AA) tr( BB) 2 = ai,j bi,j i,j S. B. (www.ensa.ac.ma) i,j Algèbre III i,j 20 / 24 Introduction 4 cas de C([a, b], R) : b Z |hf , gi| = f (t)g(t) dt 6 a 5 Z 2 12 f (t) dt a b g(t) 2 dt 1 2 a cas de L2 (I, R) : Z |hf , gi| = f (t)g(t) dt 6 Z I 6 b Z I f (t) 2 dt 1 Z 2 g(t) 2 1 2 dt I cas de R[X] : Z |hP , Qi| = P (t)Q(t)w(t) dt 6 I Par exemple : R +∞ S. B. (www.ensa.ac.ma) −∞ 1 2 2 P (t) w(t) dt Z I 2 P (t)Q(t)e−t dt 6 R +∞ −∞ Algèbre III Z 1 2 2 Q(t) w(t) dt I 2 2 12 R +∞ 2 −t2 21 P (t) e−t dt Q(t) e dt −∞ 21 / 24 Introduction Écart angulaire entre deux vecteurs L’inégalité de Cauchy-Schwarz montre que, pour deux vecteurs non nuls x et y de E, −1 6 hx , yi 61 kxk kyk Un réel que l’on écrit cos θ, pour un θ unique du segment [0, π], i.e. θ = arccos ce qui donne la définition suivante. hx ,yi kxk kyk ; Définition (Écart angulaire entre deux vecteurs) Si x et y sont deux vecteurs non nuls d’un espace préhilbertien réel, il existe un unique θ ∈ [0, π] tel que hx , yi = kxk kyk cos θ θ est appelé l’angle (non orienté) entre x et y ; cet angle est défini à π près. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 22 / 24 Introduction Proposition (Inégalité de Minkowski) On a l’inégalité, dite de Minkowski, ∀(x, y) ∈ E 2 , kx + yk 6 kxk + kyk Démonstration. Développons kx + yk2 et utilisons l’inégalité de Schwarz : 2 kx + yk2 = kxk2 + 2hx , yi + kyk2 6 kxk2 + 2kxk kyk + kyk2 = kxk + kyk Corollaire x 7→ kxk = p hx , xi est une norme sur E. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 23 / 24 Introduction Remarque Cette norme est appelée norme hilbertienne si E est de dimension quelconque, norme euclidienne si E est de dimension finie. E muni de cette norme est un espace vectoriel normé. Si de plus (E, k · k) est complet, i.e. toute suite de Cauchy de E est convergente, on dit que (E, k · k) est un espace de Hilbert, qu’on note aussi par (E, h· , ·i). De manière plus générale, on sait que tout espace normé (sur R ou C) de dimension finie est complet, donc tout espace euclidien est un espace de Hilbert. David Hilbert (1862-1943) Mathématicien allemand, considéré comme l’un des plus grands mathématiciens de tous les temps et le dernier à maîtriser, à défaut de connaître, presque toutes les mathématiques connues à son époque. Il a aussi influencé toute la physique du 20ème siècle, à travers la mécanique quantique notamment, par ses travaux sur les équations aux dérivées partielles et la relativité générale. S. B. (www.ensa.ac.ma) Algèbre III 24 / 24