ISBN : 978-2-3828-4398-7. Dépôt légal : juin 2022. © Éditions des Équateurs / Humensis, 2022. 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris. [email protected] www.editionsdesequateurs.fr Sommaire Introduction La guerre. Sa permanence, ses mille visages 1 Chronos et Athéna. Le facteur temporel dans les questions stratégiques 2 Gagner la guerre avant la guerre, c’est d’abord préparer les chefs 3 La guerre cognitive : agir sur le cerveau de l’adversaire 4 Les technologies nouvelles et émergentes changent-elles la donne pour les petites puissances ? 5 Les « libérateurs » : comment la « galaxie Prigojine » raconte la chevauchée du groupe Wagner au Sahel ? 6 Qu’est-ce qu’une action clandestine réussie ? 7 Les réfugiés peuvent-ils être utilisés comme armes ? Un défi pour l’occident 8 La mobilisation des militaires dans la crise sanitaire. Les risques d’une armée « à tout faire » 9 Amplitude et subtilité du droit international humanitaire dans la guerre en Ukraine Introduction La guerre. Sa permanence, ses mille visages JULIAN FERNANDEZ, JEAN-BAPTISTE JEANGÈNE VILMER et JUSTIN MASSIE La situation en Ukraine et la perspective d’une déflagration totale sur le continent européen ont sans doute signé la fin de l’innocence de ceux pensant la guerre définitivement marginalisée par la culture et disqualifiée par le droit. Le réveil n’en est que plus dur. L’agression russe et le « choc de la guerre », discutés dans la première livraison de cette collection{1}, ont ainsi d’autant plus marqué les esprits que la conflictualité majeure était devenue une sorte d’impensé dans bon nombre de régimes libéraux. Le terme même était refoulé. On ne parlait plus de guerre mais de crises, d’interventions ou d’opérations ponctuelles, toutes dites « sous le seuil » de la guerre. La fin de la conscription, la dissuasion nucléaire, les dividendes de la paix post-guerre froide, l’éthos propre à la démocratie se sont conjugués pour désensibiliser quelque peu les citoyens, les distancier de la chose militaire, leur faire oublier l’ombre permanente de la guerre dans le monde tel qu’il est. Hier comme aujourd’hui pourtant, dans une société interétatique où les intérêts de chacun sont souvent opposés, où l’absence de Léviathan encourage la méfiance comme le self-help et où les dirigeants sont parfois animés par de tristes passions, le recours au canon demeure toujours une option. Ultima ratio regum. Pour reprendre Raymond Aron, la guerre est bien « de tous les temps historiques et de toutes les civilisations. Avec des haches ou des canons, des flèches ou des balles, des explosifs chimiques ou des réactions en chaîne atomiques, de près et de loin, isolément ou en masse, au hasard ou selon une méthode rigoureuse, les hommes se sont entre-tués, mettant en œuvre les instruments que la coutume et le savoir des collectivités leur offraient{2} ». Bref, on connaît la formule, seuls les morts ont vu la fin de la guerre. La permanence du phénomène ne saurait cependant masquer la variété de ses modalités. On ne fait plus tout à fait la guerre comme autrefois. Ainsi que le note Louis Gautier, « il n’y a pas grand-chose de semblable entre le raid d’une tribu nomade contre une peuplade sédentaire, le siège de Troie décrit par Homère, une campagne du maréchal de Saxe, les batailles napoléoniennes, la poursuite de la guerre à outrance et l’affirmation de la guerre totale dans la première partie du XXe siècle, la longue guerre du Vietnam de 1955 à 1975, la chasse aux talibans dans les grottes de Tora Bora en 2001 ou encore les combats de ville en Irak et en Syrie entre 2014 et 2020. Et pourtant, le sens commun reconnaît qu’il existe entre tous ces événements disparates une parenté{3} ». La nature de la guerre reste la même, un acte de violence destiné à contraindre autrui et à le soumettre à une volonté. Mais ses grandes caractéristiques varient en fonction des acteurs impliqués, des techniques disponibles, du milieu et des buts poursuivis. Aujourd’hui, si la conflictualité dite « non internationale » domine, opposant principalement des forces régulières à des insurgés dont nombre de groupes armés terroristes, la conflictualité « internationale », État contre État, se renouvelle. Les guerres majeures n’ont pas été définitivement exclues de l’histoire. À cet égard, on discerne sans peine une militarisation renouvelée de nombre de régimes, un retour à des politiques particulièrement agressives sur différents théâtres (Europe de l’Est, espace « indo-pacifique », Moyen-Orient, bande sahélo-saharienne, etc.). Dans une phase de recomposition stratégique, beaucoup de grands testent la volonté et les capacités du rival, sans craindre d’aller à l’incident. Il ne s’agit plus seulement de conquérir des territoires mais de remporter des combats parfois loin du champ de bataille : dans les opinions, dans les représentations, dans les discours. Et par des canaux où l’action clandestine et le recours à des proxies complètent comme jamais les opérations conventionnelles. Les rapports au temps et à l’espace s’en trouvent bouleversés. Dans cette redéfinition du grand jeu politique entre États-Unis, Europe, Chine et Russie, le triptyque « compétition, contestation et affrontement{4} » gagne tous les domaines et brouille les frontières traditionnelles entre paix et guerre. Une forme de « guerre avant la guerre » envahit la plupart des relations interétatiques, qu’elles soient juridiques, économiques, industrielles ou culturelles. Au surplus, les opportunités offertes par l’irruption de nouveaux milieux comme le numérique contribuent à l’essor du non-cinétique dans les luttes d’influences entre grandes puissances. Dans ces conditions, et alors que la contestation cède de plus en plus à l’affrontement, la nécessité de comprendre les mille visages de la guerre apparaît plus grande que jamais. Cet ouvrage propose en ce sens d’apporter quelques éclairages bienvenus sur les formes les plus contemporaines de la conflictualité : la guerre par la temporalité, la formation, la cognition, la technologie, la désinformation, la clandestinité, les réfugiés, le virus et le droit. Fidèle à l’esprit de cette collection, il est constitué d’une sélection de contributions publiées sur la plateforme d’analyse Le Rubicon (LeRubicon.org) – et révisées pour l’occasion. Le volume donne la parole à de nombreux experts d’horizons et de nationalités différents afin de croiser les regards et les expertises. Le tout se veut toujours accessible au plus grand nombre, pluriel et éclairé par diverses infographies. En vous souhaitant une bonne lecture, Julian Fernandez, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Justin Massie, codirecteurs du Rubicon 1 Chronos et Athéna. Le facteur temporel dans les questions stratégiques OLIVIER SCHMITT {5} Article publié le 22 décembre 2021 dans Le Rubicon , mis à jour le 26 avril 2022. Comment penser le temps dans les études stratégiques et militaires ? Au niveau tactique, le facteur temporel est souvent associé à deux phénomènes. Il peut renvoyer premièrement au Kairos grec{6}, c’est-à-dire le temps de l’opportunité à saisir grâce au coup d’œil du chef militaire, et deuxièmement au tempo{7}, à savoir la capacité de contrôler le rythme de l’action militaire et de l’imposer à l’adversaire. Le général Yakovleff, dans son Tactique théorique{8}, ajoute deux autres phénomènes : la séquence et la durée (la première étant liée à l’opportunité et la seconde liée au tempo). Au niveau stratégique, les principales conceptualisations du temps sont le fait de l’amiral Wylie{9}, qui identifie deux types de stratégie : séquentielle et cumulative. La stratégie séquentielle (parfois confondue avec une stratégie d’annihilation) consiste en une série de différentes étapes, chacune dépendant de la précédente pour son exécution. La stratégie cumulative (parfois assimilée à une stratégie d’épuisement) consiste en une multitude d’actions indépendantes, mais dont les effets s’additionnent pour aboutir au résultat souhaité. Enfin, la réflexion opérative la plus célèbre est certainement celle de John Boyd et de sa boucle OODA (pour Observe – Orient – Decide – Act). Influencé par les théories à la mode pendant les années 1960, Boyd perçoit l’adversaire comme un « système adaptatif complexe » qu’il s’agit de dégrader : ainsi, le belligérant qui s’adapte le plus rapidement et le mieux à la situation conflictuelle sera plus résilient, et finira donc par l’emporter{10}. Comme on le voit, peu d’auteurs ont finalement tenté de prendre le temps au sérieux dans leurs analyses stratégiques et militaires{11}, même si des réflexions émergent sur les spécificités du cyberespace dans son rapport au temps{12}. La stratégie est fondamentalement de l’action dans le temps et l’espace, et Colin Gray rappelle à raison que « le temps est le grand facilitateur de la stratégie{13} ». Toutefois, la relation au temps est sousthéorisée dans le canon stratégique classique{14}, notamment en comparaison avec d’autres facteurs comme la géographie ou la technologie. En particulier, les principaux auteurs ne prennent pas en considération le fait que la gestion du temps est fondamentalement de nature politique, ce qui la lie structurellement à la stratégie, et que la perception du temps est déterminée par les contextes socioculturels. Or, prendre au sérieux la dimension politique du temps et la relativité de sa perception enrichit la compréhension de certains enjeux stratégiques contemporains{15}. Cet article propose ainsi quelques pistes, non exhaustives, pour mieux intégrer la dimension temporelle dans l’analyse stratégique. Le temps et la politique La signification accordée au temps est un enjeu fondamentalement politique. Le discours politique est, substantiellement, un récit (souvent mythifié) sur le passé d’une communauté politique{16}, un récit sur son futur désirable, et sur le lien entre le passé et le futur à travers le temps. Les exemples de tentative de contrôle politique sur le temps afin d’asseoir le pouvoir et la légitimité d’un régime sont donc nombreux : pensons aux enjeux et affrontements lors du passage du calendrier julien au calendrier grégorien en Europe{17}, au fantasme eschatologique nazi de bâtir un « Reich de mille ans{18} » ou à la tentative jacobine de créer un « calendrier républicain » censé marquer la rupture avec l’ancien régime. Les décideurs politiques définissent parfois consciemment leur action en fonction de la manière dont ils se représentent et perçoivent l’impact du temps sur la société, ce que l’historien François Hartog nomme les « régimes d’historicité{19} ». En s’appuyant sur ce concept de Hartog, l’historien Christopher Clark a ainsi montré que divers dirigeants allemands avaient une perception différente du rythme du temps, avec des conséquences sur leurs choix politiques{20}. Si le contrôle du temps est un enjeu fondamentalement politique, quelles en sont les conséquences stratégiques éventuelles ? On peut en citer au moins deux. La première renvoie à la perception des trajectoires d’une communauté politique donnée. La stabilité stratégique n’est pas seulement affaire de rapport de force à un instant T, elle dépend également de la manière dont les dirigeants imaginent le destin de leur pays. Par exemple, le discours politique chinois actuel est profondément marqué par l’idée selon laquelle la Chine a été une « superpuissance interrompue » par l’irruption brutale des États occidentaux comme puissances dominantes en Asie à la suite de la Révolution industrielle, mais dont la trajectoire « naturelle » est de revenir au sommet de la hiérarchie mondiale dont elle a été brièvement (et injustement) détrônée{21}. Ce discours correspond d’ailleurs à une vision asiatique du temps comme cyclique{22}, mais pourrait aussi être la source d’une trop grande confiance en sa trajectoire et être cause de conflit à la suite d’une mauvaise estimation des rapports de force{23}. En revanche, la perception occidentale du temps est fondamentalement marquée par la compréhension chrétienne{24}. Celle-ci voit le passé comme annonciateur du présent{25} et non plus comme modèle à imiter : Jésus vient pour accomplir la loi ou les prophètes (Mt 5 :17), et non plus ériger la tradition comme modèle indépassable (ce qui est la conception du temps dans le monde antique, chez les Juifs, comme chez les Grecs ou les Romains){26}. Simultanément, la conception chrétienne du temps conçoit le futur comme apocalyptique (au sens littéral), mais dont l’ombre portée s’étend au présent{27}. La survenue de l’apocalypse est indéterminée{28}, mais il faut s’y préparer et donc garder une vigilance constante aux signes{29} : « prenez garde, chassez le sommeil, car vous ne savez pas quand c’est l’instant » (Marc 13 :33). Cette tension entre un passé annonciateur (et non plus modèle) et un futur profondément différent, mais dont on doit entrevoir les signes influence certainement l’obsession occidentale pour l’analyse de son déclin éventuel{30}, qu’il s’agit de gérer avec plus ou moins de succès{31}. De même, la mode actuelle pour le discours de « l’innovation » est révélatrice des angoisses contemporaines face à un déclin de la place de l’Occident dans le système international. Le discours de « l’innovation » perçoit en effet le temps comme mécanisme corrupteur : innover, c’est ce qu’il faut faire pour que rien ne change face à une érosion progressive et une apocalypse finale dont les signes sont déjà présents{32}. Dans ce contexte, l’analyse des trajectoires des adversaires peut être influencée par une conception du temps spécifique, conduisant parfois à des erreurs d’analyse. David Edelstein montre ainsi la tendance des États occidentaux à privilégier la coopération de court terme avec des puissances émergentes afin de bénéficier d’avantages immédiats (notamment mercantiles), quitte à regretter ces coopérations à moyen terme une fois la rivalité stratégique confirmée{33}. Finalement, on voit ainsi que la perception des trajectoires, qui font le lien entre le passé, le présent et le futur d’une communauté politique, n’est pas seulement affaire de rapports de puissance, mais aussi de discours renvoyant à des conceptions du temps spécifiques. La deuxième conséquence stratégique de la signification politique accordée au temps renvoie aux perceptions. En premier lieu, les adversaires peuvent parfois être rhétoriquement renvoyés à une époque passée, afin de signifier l’inadéquation temporelle de certains comportements. Par exemple, lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry avait déclaré : « on ne se comporte pas au e e XXI siècle comme on se comportait au XIX siècle, en envahissant un autre pays sur la base d’un prétexte complètement fallacieux{34} » (Kerry luimême avait voté la guerre d’Irak en 2003 avant de regretter son vote un an plus tard et de faire campagne pour le retrait des troupes américaines). La rivalité stratégique est ici réduite à une divergence temporelle dans l’emploi de moyens légitimes sur la scène internationale, ce qui constitue un moyen commode d’occulter la nature profondément politique (et contemporaine) des désaccords. De même, les mouvements djihadistes sont régulièrement qualifiés de « barbares » dans le discours politicien{35}, ce qui les renvoie évidemment à une temporalité archaïque (renvoi facilité par la manière dont les mouvements djihadistes eux-mêmes fantasment les premiers siècles de l’Islam), mais risque de sous-estimer la dimension fondamentalement politique et révolutionnaire de leurs actions{36}. Les perceptions temporelles peuvent également être instrumentalisées afin de gagner en influence au sein du système international. Par exemple, le régime politique russe a depuis une petite dizaine d’années développé de manière stratégique{37} un discours politique orienté autour de valeurs soi-disant « conservatrices » et ouvertement opposées au « progrès{38} », qui lui permet de développer une attraction{39} auprès d’une partie des audiences occidentales friandes de ce type de discours{40}, voire de développer de réels réseaux d’influence{41}. Une autre dimension des perceptions temporelles renvoie aux conflits d’interprétation dans l’emploi de la force. Par exemple, le droit international prévoit une distinction nette, et donc binaire, entre le temps de paix et le temps de guerre (qualifié de « conflit armé » dans le langage juridique){42}. Surtout, le passage du « seuil » du temps de guerre a des conséquences politiques et juridiques majeures, mais aussi stratégiques : il devient possible pour un État d’utiliser un certain nombre de moyens prohibés en temps de paix. La conception du droit international, elle-même héritière de la domination normative occidentale, tend à séparer deux « temps » : le temps de paix et le temps de guerre. Toute la difficulté des opérations « hybrides », « sous le seuil » ou « dans les zones grises » (quel que soit le nom que l’on veuille bien leur donner) est qu’elles subvertissent cette distinction binaire paix/guerre, et exploitent le malaise des pays occidentaux face à des actions hostiles qui ne franchissent néanmoins pas le seuil de la guerre. L’expression employée dans la nouvelle vision stratégique du chef d’état-major des armées françaises{43}, « gagner la guerre avant la guerre » illustre la reconnaissance d’une temporalité spécifique des nouveaux modes de conflit (le « avant » est caractéristique), avec une gradation en trois étapes : compétition, contestation et affrontement (qui correspond à la guerre). On voit ici que des catégories temporelles binaires établies juridiquement ne correspondent pas aux pratiques stratégiques, mais offrent à certains acteurs des possibilités de contournement. Il faut alors adapter nos propres conceptions des temporalités du conflit. Le temps et les opérations militaires Comme mentionné précédemment, la réflexion liée au temps dans la littérature militaire est principalement tactique, voire opérative, et renvoie au timing des actions et au tempo des opérations. On peut néanmoins déceler, en tout cas dans la littérature occidentale récente, une réduction de la réflexion sur le temps à la question de la vitesse. Cette observation n’est en soi pas nouvelle : déjà en 1977, Paul Virilio observait que « l’histoire progresse à la vitesse de ses systèmes d’arme{44} ». Il notait également dans le même ouvrage que « la vitesse est l’espoir de l’Occident. C’est la vitesse qui soutient le moral des armées », affirmation qui a un écho contemporain évident. De fait, le rôle de la vitesse dans les opérations est au centre de la « guerre de manœuvre » qui est conceptualisée aux États-Unis à partir des années 1970 en réaction au Vietnam et à la suite de l’observation de la guerre du Kippour{45}. Cette importance accordée à la vitesse est doctrinalement consacrée par l’adoption du concept Airland Battle dans l’édition de 1982 du Field Manuel 100-5 : Operations. Le FM 100-5 insiste sur l’importance de « l’agilité », qui est définie comme la capacité à « agir plus rapidement que l’ennemi » et qui permettrait aux forces américaines de dominer leurs adversaires grâce à une meilleure synchronisation des moyens{46}. La tendance en faveur de la vitesse continue après la fin de la guerre froide, notamment à travers les débats sur la « révolution dans les affaires militaires{47} », qui promettait une vision de la guerre fondée sur la supériorité informationnelle, rendue possible par les nouvelles technologies de l’information, dans laquelle la capacité à collecter, traiter, distribuer et agir sur l’information était la clef de la victoire. Dans un témoignage au congrès en 2003{48}, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld vantait ainsi « la vitesse, la capacité à rentrer dans le cycle de décision ennemi et à frapper avant qu’il ne puisse établir une défense cohérente ». L’importance de la vitesse pénétra ainsi profondément la réflexion opérationnelle américaine : le général du corps des Marines Jim Mattis, qui commanda la 1st Marine Division lors de l’invasion de l’Irak en 2003, témoignait ainsi : « nous savions que le centre de gravité était la vitesse [...] La vitesse signifie le succès{49} ». Cette théorie de la victoire militaire centrée sur la vitesse s’est pourtant heurtée dès le milieu des années 2000 à la réalité du contexte opérationnel des conflits en Irak et en Afghanistan{50}, forçant les organisations militaires à des adaptations tactiques et doctrinales incomplètes et difficiles{51}. En outre, cette théorie de la victoire, centrée sur une approche particulière des opérations militaires, était fondamentalement en contradiction avec la manière dont la puissance militaire a été utilisée par les pays occidentaux depuis la fin de la guerre froide. Dans le contexte d’unipolarité créé par la domination militaire des États-Unis et de leurs alliés{52} et de souhait de diffusion normative d’un ordre international libéral (fondé sur la promotion de la démocratie, des droits humains et de l’économie de marché){53}, les enjeux de sécurité ont graduellement été perçus non plus sous l’angle de la réduction des menaces (supposant une dialectique des volontés opposées dans le cadre d’une compétition stratégique), mais dans une logique assurantielle de gestion des risques{54}. Les menaces, supposant des adversaires dotés d’une volonté, ont été remplacées par des « risques » généraux, tels que les « États faillis », les « conflits ethniques » ou le « terrorisme ». Ce changement de focale implique un changement de temporalité : si une menace peut éventuellement disparaître (par destruction de l’ennemi ou par négociation rendant caduque la rivalité), le risque est par définition permanent et suppose des actions constantes de prévention. En d’autres termes, des forces armées dont la théorie de la victoire était fondée sur la vitesse des opérations ont été employées comme des forces de police internationale devant gérer des risques permanents, créant ainsi un conflit de temporalités{55}, illustration de la crise de la stratégie de l’après-guerre froide{56}. Cette « ivresse de la vitesse » est néanmoins toujours centrale comme théorie de la victoire, comme le montre par exemple le développement doctrinal autour des « opérations multidomaines{57} ». De même, l’invasion russe de l’Ukraine semble avoir été initialement pensée comme une manœuvre de décapitation rapide aboutissant à la chute de Kiev, ce qui illustre le fait que « l’ivresse de la vitesse » n’est pas limitée aux pays occidentaux. Toutefois, on peut rapidement survoler quelques développements contemporains du champ de bataille qui risquent de remettre en cause ce primat de la vitesse. Au niveau stratégique, les opérations de guerre de l’information{58} et, plus généralement, les opérations dites « hybrides », visent à ralentir voire paralyser les capacités de décision de différentes manières. Le premier objectif est évidemment de façonner le contexte sociopolitique des États cibles{59}, en cultivant des segments de la population favorables aux vues des assaillants, qui pèseraient ainsi sur leurs dirigeants. En outre, le but de ces opérations consiste à dissimuler des informations pertinentes dans une masse de bruit informationnel afin de ralentir l’analyse, et donc la décision{60}. Les efforts pour ralentir les opérations militaires ont également lieu au niveau opératif : les menaces contre les moyens spatiaux (notamment les capacités antisatellites{61}) comme les stratégies de déni d’accès{62}, par exemple grâce à des défenses antiaériennes{63} ou des capacités de guerre électronique renforcées par l’intégration de moyens cyber{64}, sont des outils pour ralentir les opérations militaires occidentales. Des affrontements dans des espaces tels que les méga-cités{65}, qui sont un risque réel dans un contexte où 57 % de la population mondiale vit désormais en ville{66}, vont aussi structurellement ralentir le tempo des opérations{67}. Au niveau tactique, les enjeux sont différents. Des mobilisations rapides sont toujours utiles pour créer des faits accomplis{68}, et la maturité et la diffusion des moyens de frappes de précision à longue portée contribuent certainement à l’accélération du tempo tactique, ce qui sera probablement renforcé par l’intégration future de décisions assistées par l’intelligence artificielle. Il y a donc un besoin de repenser structurellement la conduite des opérations, si le tempo accélère dans certains domaines, mais ralentit dans d’autres : l’enjeu est donc de refonder une réflexion opérative qui ne réduise pas la manœuvre à la vitesse{69}, mais qui prenne en compte la diversité de l’accélération ou la décélération des opérations en fonction de leur nature et du niveau où elles se déploient. Le temps dans les études stratégiques et militaires. *** Comme on le voit, prendre au sérieux la dimension temporelle dans les affaires stratégiques ouvre un ensemble de perspectives intéressantes. Ce texte ne prétend pas être exhaustif et couvrir tous les enjeux de la temporalité, mais vise à susciter des réflexions, qui mériteraient d’être approfondies, par exemple dans le domaine opératif évoqué ci-dessus, ou dans la synchronisation entre la prospective politico-stratégique conduite à un horizon d’une vingtaine d’années et la mise en œuvre de systèmes d’armes structurants (tels que des porte-avions), dont le cycle conception/construction/exploitation s’étend facilement sur une soixantaine d’années. Cette désynchronisation, connue des armées, reste acceptée comme un fait, notamment en raison des enjeux industriels et économiques associés à ces grands programmes, dont on espère qu’il n’aura pas de conséquences négatives majeures. En définitive, prendre le facteur temporel au sérieux, dans ses multiples dimensions, ne pourra qu’améliorer la pratique stratégique. Athéna a bien besoin de Chronos. Olivier Schmitt est professeur de relations internationales au Center for War Studies (SDU) et chef du département des études et de la recherche à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Il a récemment codirigé, avec Sten Rynning et Amelie Theussen, War Time. Temporality and the Decline of Western Military Power, publié chez Brookings Institution Press. Contact : [email protected]/Twitter @olivier1schmitt. 2 Gagner la guerre avant la guerre, c’est d’abord préparer les chefs GÉNÉRAL BENOÎT DURIEUX {70} Article publié le 6 janvier 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 17 avril 2022. « Préparer la guerre, c’est préparer les chefs{71}. » Cette formule que le capitaine de Gaulle avait choisie pour titre d’un de ses textes de 1921 s’inscrit dans le contexte de la France du début du XXe siècle, encore marquée par la défaite de 1870 et les carences du commandement qui l’avaient précipitée. Mais elle pourrait aussi bien être écrite aujourd’hui, tant cet enjeu essentiel revient au premier plan. Il s’agit peut-être même de l’enjeu majeur pour les armées, si l’on considère à la fois la difficulté de la tâche, l’évolution du contexte vers une conflictualité plus ouverte et la dépendance de l’action militaire au commandement. Cette tâche est à la fois diverse car elle est marquée par la culture de chaque armée nationale et transverse dans la mesure où la guerre est par construction un affrontement entre deux collectivités qui partagent rarement les mêmes conceptions politiques ou les mêmes valeurs. La réflexion qui suit présente la conception française de l’enseignement militaire supérieur dans sa spécificité et sa part d’universalité. La préparation des futurs chefs militaires est la plus difficile qui soit La difficulté de la formation des chefs militaires, qui est sans doute plus grande que celle d’autres catégories de dirigeants, n’est pas quelque chose de nouveau, en France comme ailleurs, pour des raisons qui tiennent à la nature de ce phénomène si particulier qu’est la guerre. Au fil des générations, sauf exception, une infime partie de la carrière des officiers français a été consacrée à la pratique de cette activité guerrière, surtout si l’on s’intéresse à la haute intensité envisagée au niveau stratégique, pour utiliser un terme actuel. Aujourd’hui, plus personne n’en a l’expérience directe : il faut les préparer à ce qui n’a jamais été, pour reprendre la formule de Paul Valéry{72}. La guerre, en tant qu’elle consiste en l’utilisation réciproque de la violence physique pour imposer sa volonté à l’adversaire, est une épreuve terrible pour les peuples et les sociétés qui la connaissent et la guerre en Ukraine ne fait que le confirmer. Elle plonge les chefs militaires dans un environnement où dominent la peur, la souffrance, la friction et l’incertitude. Le dernier bâtiment de combat français coulé par l’ennemi le fut durant la Deuxième Guerre mondiale, aucune unité terrestre n’a subi de tir d’artillerie significatif depuis la guerre d’Indochine et, à quelques rares exceptions, par exemple celle du Mirage 2000 abattu en Bosnie en 1995, l’aviation militaire française n’a pas subi de pertes du fait de l’ennemi depuis plusieurs décennies. Et si les nouveaux domaines de conflictualité que peuvent être l’espace, le cyber ou l’information doivent être étudiés, ils n’épargneront pas au chef militaire l’épreuve de la violence physique qu’ils contribueront en revanche à plonger dans un environnement encore plus chaotique. Cette difficulté est d’autant plus aiguë que la guerre change et continuera de le faire. Il faut préparer des officiers à un exercice dont nul ne peut savoir avec certitude quelle forme il prendra, ni quelles qualités spécifiques il demandera. Deux écueils doivent ainsi être évités. Le premier est souvent dénoncé comme consistant à préparer la dernière guerre. Cet écueil est d’autant plus dangereux que celle-ci est ancienne et pourtant, elle est par définition la dernière expérience concrète dont nous disposons. Ceci montre l’intérêt d’analyser les conflits qui se déroulent à l’étranger. Les militaires français auraient à l’évidence gagné à étudier davantage Sadowa avant 1870, la guerre de Sécession et la guerre russo-japonaise avant 1914, la guerre d’Espagne avant 1940. Aujourd’hui, il y a des leçons à tirer des conflits syrien et libyen comme des affrontements en Crimée ou au HautKarabakh. La guerre en Ukraine devra également être soigneusement étudiée. Plus largement, aucune formation d’officier ne peut se dispenser de comprendre comment la Chine, la Russie ou d’autres puissances régionales se préparent à la guerre en mer. L’autre écueil est tout aussi dangereux. Il consiste à faire du passé table rase en prétendant que la guerre de demain n’aura plus rien de commun avec celle d’hier, le plus souvent en mettant en exergue les progrès de la technologie. Ce serait méconnaître ce qui dans la guerre reste permanent par-delà des époques et qui a trait à l’emploi de la violence et à ses conséquences sur l’homme plongé dans la tourmente. La difficulté consiste aussi à identifier quelle technologie va changer le caractère de la guerre et dans quelle mesure. Aujourd’hui, il faut examiner et hiérarchiser l’impact du cyber, des missiles balistiques de précision à guidage terminal, des drones, des moyens d’agression dans l’espace, des missiles hypersoniques, des nouveaux moyens de défense sol-air ou des robots en les confrontant aux capacités plus traditionnelles dont l’importance ne va pas nécessairement décroître. Si la guerre change, la société aussi. La révolution militaire introduite par les armées napoléoniennes trouvait ses racines dans des évolutions sociales bien plus que technologiques. Penser la guerre de demain, c’est aussi penser ses déterminants sociaux et économiques, à la fois pour que les armées soient toujours en phase avec la société française et pour qu’elles puissent comprendre leurs adversaires éventuels. Le futur chef militaire doit être formé à la recherche de la bonne combinaison entre les exigences assez pérennes du combat et les traits assez changeants qui traversent nos sociétés. Ces derniers sont légitimement marqués en Occident par la recherche de l’épanouissement personnel, de la liberté individuelle et du confort et ne sont pas spontanément convergents avec le développement des qualités du guerrier qui doit cultiver la rusticité, la discipline et le sens du collectif. Les futurs chefs devront donc se garder de deux périls. Qu’ils oublient les exigences du combat et le champ de bataille se hâtera de les rappeler à l’ordre, de même que la société percevra confusément l’inutilité d’une armée ainsi déficiente. Mais qu’ils se croient habilités à ignorer les valeurs de la société qui les portent et ils encourageront la naissance d’une force militaire inquiétante et inutile, car privée du soutien de la nation dont elle se séparera inéluctablement. Ainsi, la formation des officiers doit-elle intégrer une réflexion sur les grandes tendances, les forces et les faiblesses de la société et de sa cohésion. Il faut aussi que les futurs chefs analysent les assises sociales de leurs adversaires potentiels. À cet égard, les difficultés éprouvées par les armées occidentales en Irak et en Afghanistan face à des forces dotées d’armes peu sophistiquées doivent être interrogées. C’est dire que la formation des futurs chefs doit accorder une place importante à la réflexion sur le monde qui les entoure pour ne pas méconnaître les évolutions de ce caméléon qu’est toujours la guerre. Enfin, si la mission de formation des chefs est difficile, et sans doute plus que par le passé, c’est en raison de la variété croissante des compétences requises dans nos armées. Il faut à la fois former le futur commandant de brigade blindée et le futur responsable des moyens spatiaux, le futur commandant de SNLE ou des forces aériennes stratégiques et le futur responsable des opérations spéciales, le chef d’un service de renseignement et le dirigeant d’un service de soutien, le formateur de sous-officiers, le commandant de région de gendarmerie et celui qui va présider au devenir des capacités cyber. Or former le meilleur spécialiste d’un domaine technique ou le plus avisé des responsables logistiques ou d’administration militaire est exigeant mais pas inaccessible ; il est beaucoup plus délicat de former des officiers qui puissent maîtriser parfaitement leur spécialité pour la mettre au service de la mission de tous. Il convient encore de tenir compte du passé des stagiaires pour tirer parti à la fois de leur expérience et de leur maturité tout en les amenant en dehors de leur zone de confort. C’est une source de difficulté supplémentaire, que relevèrent les plus grands capitaines. Le maréchal Maurice de Saxe, réfléchissant en décembre 1732 sur les vertus du chef militaire, affirmait ainsi avoir « vu de très bons colonels devenir de très mauvais généraux{73} ». Il en expliquait ainsi les raisons : « Très peu de gens s’occupent des grandes parties de la guerre. Ils passent leur vie à manœuvrer des troupes et croient que l’art militaire consiste seul dans cette partie. Quand ils viennent au commandement des armées, ils y sont tout neufs ; et faute de savoir faire ce qu’il faut, ils font ce qu’ils savent{74}. » Quelques décennies plus tard, Clausewitz complétait en soulignant la dimension psychologique de cette différence des qualités requises par les différents grades : « Il existe maints exemples d’hommes, qui ayant fait preuve de la plus grande résolution tant qu’ils occupaient un rang inférieur, la perdent dès qu’ils accèdent à un poste supérieur. Tout en éprouvant le besoin de décider, ils reconnaissent les dangers que comporterait une erreur, et n’ayant pas l’habitude des choses dont ils s’occupent, leur intelligence perd sa vigueur primitive{75}. » Ce n’est pas parce qu’un officier a su monter à l’assaut au Mali avec courage, qu’il saura nécessairement décider quinze ans plus tard d’une opération risquée pour le groupe aéronaval ou proposer au président de la République une campagne stratégiquement audacieuse. Pour qu’apparaisse le courage opératif ou stratégique, il faut qu’il puisse s’appuyer sur une grande familiarité avec les questions opératives ou stratégiques. Les objectifs de formation, du savoir au vouloir L’objectif de la formation de nos futurs responsables est assez stable dans le temps. Aujourd’hui comme hier, il nous faut préparer des chefs militaires bénéficiant de la confiance de leurs concitoyens, redoutés par leurs adversaires, car ils seront animés par la volonté de vaincre, estimés par leurs alliés pour leur compétence et leur professionnalisme et respectés par leurs subordonnés pour leur mélange d’exigence et de bienveillance. Leur réflexion devra être ancrée dans l’histoire la plus ancienne et ils devront en même temps être capables de développer une vision personnelle de l’avenir des armées. La volonté de gagner, en particulier, ne doit pas être le propre de quelques spécialistes des opérations, mais être partagée par tous, responsables d’organes de soutien comme d’unités de combat, officiers d’état-major comme chefs en situation de commandement, officiers supérieurs comme officiers généraux. Tous devront, par-delà leurs spécialités et expériences propres partager une unité de doctrine et de pensée au service du seul succès des armes du pays. Ceci impose de lutter sans faiblesse contre toutes les formes de corporatisme. Chacun de nos officiers doit comprendre comment chacune des composantes navale, terrestre, aérienne, spatiale ou cyber nous permet de satisfaire aux impératifs de la défense du pays. Enfin, les futurs chefs militaires doivent pouvoir inscrire leur action dans son contexte social, politique et international. Pour cela, il importe qu’ils puissent développer une appréciation lucide, mais aussi équilibrée des menaces et de la façon dont les armées peuvent y répondre. L’enseignement militaire supérieur, le domaine des contraires Pour atteindre ces objectifs en dépit des difficultés relevées, il ne s’agit pas d’inculquer des recettes adaptées aux multiples problèmes à résoudre, mais de créer une familiarité avec la guerre et plus largement les affaires de défense qui permettra aux futurs chefs de découvrir par eux-mêmes les bonnes recettes. À cette fin, l’enseignement doit associer les contraires ou, parfois, les complémentaires. Ces dialectiques s’inscrivent dans trois directions, celle du temps, entre histoire et anticipation, celle du spectre des sujets à couvrir, entre planification des opérations et genèse des capacités militaires, et celle du lien entre les sujets militaires et non militaires, ou plus simplement, entre militaire et politique. La première dialectique est celle de l’histoire et de l’anticipation. Le métier de chef militaire est à certains égards principalement un métier d’anticipation puisqu’il s’agit de se préparer à des circonstances inconnues pour faire face à une menace qu’il faut imaginer au niveau tactique comme stratégique. C’est pourquoi l’étude de l’histoire est essentielle. D’abord parce qu’elle seule peut permettre d’identifier ce qui, à chaque époque, est vraiment nouveau ou bien quels éléments de nouveauté apparaissent dans un phénomène très ancien. Ainsi, la bataille de l’information est aussi ancienne que la guerre, comme en témoignent La Guerre des Gaules ou la campagne d’Égypte du général Bonaparte. En revanche, les réseaux sociaux donnent à cette bataille de l’information une instantanéité et une universalité qui constituent quelque chose de nouveau. L’histoire seule peut encore mettre en garde contre les conservatismes de toutes sortes qui ont régulièrement causé la ruine des peuples et de leurs armées. Azincourt, Trafalgar ou Sedan continuent ainsi d’évoquer de sombres souvenirs dans notre inconscient national ; si ce peut être salutaire, ce n’est pas seulement parce que cela doit provoquer une prise de conscience quant au risque d’aveuglement des responsables, mais parce que cela peut favoriser une meilleure compréhension de l’origine de cet aveuglement. Étudier l’histoire militaire, c’est donc aussi étudier l’histoire des institutions militaires et des systèmes politiques et sociaux qui ont généré ces erreurs. Étudier l’histoire, c’est enfin et plus largement tirer parti des écrits de tous ceux qui ont réfléchi avant nous sur la guerre et cherché à transmettre leurs réflexions. Si elles sont parvenues jusqu’à nous, c’est qu’elles présentent quelque chose qui transcende les époques. C’est pourquoi il est toujours utile de lire et relire Thucydide, Machiavel, Clausewitz ou Aron. Ces réflexions de surplomb doivent permettre d’étudier les tendances qui se font jour pour demain. Deux erreurs doivent alors pouvoir être évitées, qui se traduisent par « rien ne change ni ne changera jamais » et, à l’opposé, par « la nouveauté est si radicale qu’elle rend toute chose antérieure périmée ». Il en est ainsi, par exemple, de la tendance permanente à annoncer le changement de la nature de la guerre à chaque innovation technologique. L’enseignement militaire supérieur doit, à cet égard, moins imprimer des virages brusques dans la façon dont la planification et la conduite des opérations sont enseignées qu’inculquer chez les stagiaires les réflexes appropriés. Ces réflexes devront leur permettre, dans les fonctions qu’ils vont exercer dans les vingt ans à venir, de remettre régulièrement en cause leurs habitudes, pour intégrer à leur juste place les innovations technologiques à venir comme les conséquences des changements sociaux ou géopolitiques. La deuxième dialectique de l’enseignement militaire supérieur constitue une spécificité du système français. Elle met en regard les opérations et la préparation de l’outil de défense qui les rend possibles. L’interaction entre les deux exercices va de soi : se familiariser avec les méthodes de planification constitue à l’évidence une puissante aide pour réfléchir aux capacités militaires de demain. Mais les évolutions de la scène stratégique renforcent encore l’intérêt de mélanger les deux approches. Si les méthodes traditionnelles d’enseignement de la planification sont certainement adaptées aux opérations ponctuelles, elles sont moins souvent utilisées pour penser les déploiements durables dans le cadre de stratégies de positionnement ou pour réfléchir à la meilleure articulation de nos partenariats stratégiques, en particulier lorsqu’ils s’appuient sur des coopérations en matière d’équipement. Cela peut être une façon de s’inscrire dans la perspective de l’hybridité de la guerre, si cette formulation entend désigner la compétition entre les puissances pour améliorer leurs positions stratégiques. Cela implique également d’inscrire cette réflexion dans un environnement interministériel appelé à prendre en France une importance croissante, l’existence d’un Premier ministre représentant à cet égard une des forces de la Ve République. Penser la genèse des forces c’est aussi se pencher, bien au-delà des questions capacitaires, sur les évolutions organiques des institutions militaires. De ce point de vue, l’histoire des grandes lois militaires du XIXe siècle, les déficiences de l’organisation militaire sous le Second Empire, la naissance de l’idée de défense nationale et de l’intégration interarmées durant la première partie du XXe siècle, le développement de la dimension interalliée depuis le premier conflit mondial, l’évolution du rôle du Parlement et celle de la dimension militaire de l’État doivent faire partie du bagage des futurs chefs. La troisième dialectique qui est au cœur de l’enseignement militaire supérieur est celle qui articule ce qui a trait à la sphère militaire, tactique ou technique et ce qui lui est extérieur, qu’il s’agisse de ses déterminants politiques ou sociaux ou des adversaires. La compétence et la rigueur militaire ne peuvent être des options : point de réussite stratégique sans succès tactique. Mais le succès tactique peut aussi être contre-productif, s’il repose sur une stratégie déficiente ou absente. Cette ambiguïté est d’autant plus forte que les opérations considérées sont limitées et que leur dimension politique est importante. Les officiers doivent apprendre à la fois à penser le sens politique de leur action, voire à faire des propositions de nature politique, et à accepter que des détails tactiques ou techniques puissent faire l’objet d’un attentif examen politique. Il ne s’agit pas d’encourager ce qui a pu être appelé micro management, mais de comprendre que certains détails tactiques ont une portée politique propre et d’être capable d’appréhender cette tension inhérente à la guerre entre technique, tactique, stratégie et politique. Le seul moyen de développer cette aptitude est de garder les yeux ouverts sur l’évolution de la société et des idées et les grandes tendances qui la traversent. L’action militaire se conçoit aussi, et toujours, en fonction de son adversaire. Il faut insister sur cette dimension relationnelle, car la guerre est d’abord une interaction et les officiers doivent être amenés à analyser l’ennemi et ses motivations sans laisser la réflexion se paralyser par les seules considérations morales ou matérielles. Enfin, il convient de penser la sphère militaire dans son environnement international et dans celui des alliances et organisations multilatérales. Nos futurs chefs doivent intégrer la dimension européenne qui reste et restera un pilier de la politique française, en pensant les relations entre l’UE et l’OTAN. Enfin, l’enseignement militaire supérieur ne saurait oublier que la formation de futurs chefs militaires ne peut être seulement intellectuelle. On n’a jamais fini d’apprendre à être un chef et, de ce point de vue, des formations au Centre des hautes études militaires comme à l’École de guerre donnent l’occasion de développer trois attitudes essentielles au commandement de haut niveau qui sont celles du courage de ses idées, de la capacité de les exprimer et de l’écoute pour les améliorer. Il faut donc encourager les auditeurs et stagiaires à exposer leurs points de vue même quand ils ne sont pas orthodoxes. Il faut développer leur capacité à les faire passer par écrit et par oral, car si un grand chef militaire gagne à être aussi un homme de plume, c’est parce qu’il doit pouvoir expliquer ce qu’il fait. Enfin, il faut mettre en valeur leur capacité d’écoute. Écoute des conférenciers, écoute des instructeurs, écoute de ses pairs. Car l’humilité est une qualité essentielle du chef militaire. C’est même peut-être la principale garantie contre une nouvelle défaite de 1870. Le général de corps d’armée Benoît Durieux est officier de l’armée de terre française, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’enseignement militaire supérieur. Docteur en histoire, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont deux portant sur Clausewitz : Relire de la guerre de Clausewitz (Economica, 2005) ; Clausewitz en France : Deux siècles de réflexion sur la guerre (1807-2007) @DIRIHEDN (Economica, 2008). Contact : [email protected]/Twitter 3 La guerre cognitive : agir sur le cerveau de l’adversaire COLONEL DAVID PAPPALARDO {76} Article publié le 9 décembre 2021 dans Le Rubicon , mis à jour le 20 avril 2022. Début 2020, les auteurs Hervé Le Guyader et August Cole publiaient pour le NATO Innovation Hub un essai-fiction dans le but de promouvoir le « champ cognitif » comme potentiel sixième domaine d’opération de l’OTAN au côté des milieux terrestre, aérien, naval, extra-atmosphérique et cyber{77}. Dans la foulée, le Commandant stratégique pour la transformation lançait des travaux en vue d’établir la supériorité cognitive sur l’adversaire. Parallèlement, en juillet 2021, la Red Team Défense – un programme mettant en relation des auteurs de science-fiction avec des militaires pour imaginer les menaces futures – proposait au ministère des Armées un scénario intitulé Chronique d’une mort culturelle annoncée{78}. Ce dernier met en scène une opération militaire en 2050, où la notion de guerre cognitive est poussée à l’extrême : alors que la société est divisée en zones de réalité alternative communautaires (safes sphere{79}), les armées françaises doivent « sécuriser le réel » face à un adversaire capable de modifier les comportements collectifs à grande échelle par des actions de déception, de subversion ou de manipulation de l’information. Comme l’illustrent ces exemples, la notion de guerre cognitive a le vent en poupe dans la réflexion stratégique, bien que sa définition ne fasse pas encore l’objet d’un consensus. Face à cet engouement, il est légitime de se demander si elle n’est pas le ressac stratégique d’une grammaire ancienne et si elle se distingue des opérations d’influence psychologiques{80}, ou des « guerres de l’information » (notions elles-mêmes discutées). Relevant d’une approche pluridisciplinaire combinant sciences sociales et nouvelles technologies, la guerre cognitive vise à altérer directement les mécanismes de compréhension du monde réel et de prise de décision pour déstabiliser ou paralyser un adversaire : en d’autres termes, elle vise à agir sur le cerveau de l’adversaire puisque c’est là que s’y gagnent les guerres, y compris « avant la guerre », en écho à la vision stratégique du chef d’étatmajor des armées françaises{81}. Agir sur le cerveau de l’adversaire pour vaincre : un problème ancien À première vue, la guerre a toujours engagé l’esprit humain. Selon Clausewitz, il s’agit d’un « acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à notre volonté{82} ». De même, Hervé Coutau-Bégarie rappelle que la stratégie est « une dialectique des intelligences dans un milieu conflictuel » où chaque camp essaie d’anticiper les réactions de l’autre pour prendre l’avantage{83}. Au regard de l’histoire militaire et de la pensée stratégique, l’affirmation du docteur James Giordano, selon laquelle « le cerveau humain est devenu le champ de bataille du XXIe siècle », est en ce sens discutable puisque l’action sur le cerveau, dans la dialectique stratégique, a toujours constitué un élément structurant{84}. En outre, les opérations de simulation, de dissimulation ou d’intoxication sont aussi vieilles que la guerre et consistent à jouer sur les perceptions de l’adversaire afin de le tromper sur nos intentions, nos capacités réelles et sur notre stratégie. Dans son ouvrage La ruse et la force, Jean-Vincent Holeindre explique par exemple que « la ruse s’est imposée dans l’histoire de la stratégie, non seulement comme procédé tactique fondé sur la dissimulation et la tromperie, mais aussi comme une qualité intellectuelle inspirant la planification stratégique et l’adaptation à des situations d’incertitude{85} ». En ce sens, la stratégie est avant tout « une science de l’autre » par laquelle il s’agit de pénétrer dans le cerveau de son adversaire. Utiliser des informations fausses pour obtenir un avantage sur son adversaire n’a ainsi rien de nouveau dans l’histoire de la stratégie. Churchill aurait par exemple dit à Staline qu’« en temps de guerre, la vérité [était] si précieuse qu’elle [devait] être protégée par un rempart de mensonges{86} ». Les opérations d’intoxication sont en effet intégrées à l’art opérationnel et au processus de planification militaire depuis longtemps. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’opération britannique Mincemeat (qui inspira le film The Man Who Never Was) a par exemple réussi à duper le haut commandement de l’Axe en le convainquant que les Alliés débarqueraient dans les Balkans et en Sardaigne et non en Sicile{87}. Quelques mois plus tard, en 1944, l’opération Fortitude a été à la fois une opération de désinformation et d’intoxication qui enferma le commandement de la 15e armée allemande dans la certitude que les débarquements en Normandie n’étaient qu’une diversion. Enfin, la subversion était également au cœur de la dialectique Est-Ouest pendant la guerre froide. En partant de ce triple constat (1. la guerre est une dialectique des volontés et des intelligences ; 2. la stratégie est « une science de l’autre » où l’on doit entrer dans le cerveau de l’adversaire ; 3. l’information est une arme pouvant offrir un avantage stratégique sur l’adversaire), qu’apporterait de neuf cette notion de guerre cognitive à la pensée stratégique ? Le renouveau de la compétition stratégique, amplifiée par la transformation numérique Si la compétition dans les champs informationnel et cognitif n’est pas nouvelle, la révolution numérique et les mutations sociales de la guerre viennent l’exacerber, lui conférant une nouvelle envergure et une plus grande magnitude. Tout d’abord, les nouvelles technologies permettent de cibler un plus grand nombre de cerveaux, au-delà des seuls décideurs politiques et militaires. La circulation rapide et incessante d’informations offre en outre une prime de viralité au spectaculaire au détriment de l’empirique : « la vérité cède [ainsi] le pas à la vraisemblance, le réflexe à la réflexion{88} ». La conjonction de ces deux tendances favorise ainsi une balkanisation du réel, susceptible d’être exploitée par un compétiteur malveillant en vue d’obtenir un levier indirect sur les décisions nationales par une manipulation à grande échelle. À cet égard, David Ronfeldt et John Arquilla ont récemment plaidé en faveur d’une stratégie plus globale aux États-Unis pour mieux prendre en compte l’émergence de ce qu’ils appellent la noosphère, c’est-à-dire « une forme collective d’intelligence rendue possible par la révolution numérique de l’information{89} ». Selon les auteurs de la RAND, l’essence de la stratégie américaine en matière d’information devrait désormais mettre l’accent sur « l’arsenalisation des récits{90} » comme facteur décisif pour gagner les batailles futures. Or, le récit – la façon dont on traite et organise l’information pour créer du sens et la rendre utile dans un contexte donné – est au cœur du processus cognitif. Au-delà de la technologie, le recours de plus en plus marqué aux stratégies dites hybrides ou « sous le seuil » permet de dissimuler plus facilement les intentions des acteurs, dans une forme de « guerre invisible{91} ». Ce constat est partagé dans l’Actualisation stratégique du ministère des Armées publiée en janvier 2021 : la manipulation de l’information y est présentée comme un élément clé des stratégies hybrides mises en œuvre par nos adversaires, pouvant déboucher sur une forme de « subversion sourde » à des fins d’influence, de paralysie ou de confusion{92}. En écho, à l’occasion de la présentation de la doctrine militaire de lutte informatique d’influence à Paris, le 20 octobre 2021, la ministre des Armées Florence Parly affirme ainsi que l’information fausse, manipulée ou subvertie est une arme qui, utilisée à bon escient, permet de gagner sans combattre{93}. En corollaire, les mutations observées de la conflictualité mettent à mal le découpage classique « paix-crise-guerre » comme grille de lecture. Dans sa vision stratégique, le chef d’état-major des armées lui préfère dès lors le triptyque « compétition-contestationaffrontement ». Le général Burkhard insiste sur le fait que la compétition est devenue le mode normal d’expression de la puissance, une forme « de guerre avant la guerre », où l’intimidation stratégique et la guerre du récit jouent un rôle prépondérant{94}. En conséquence, la lutte contre les agressions informationnelles et l’arsenalisation des récits est désormais une priorité pour les armées, dans le contexte d’une compétition stratégique renouvelée et amplifiée par la révolution numérique. Cela nécessite une approche plus large, combinant sciences sociales et nouvelles technologies, opérant simultanément au niveau de l’information, du récit et de l’esprit humain. La guerre cognitive par l’exploitation des fonctions concurrentes du cerveau La cognition recouvre l’ensemble des mécanismes combinant raisonnement, émotions et expériences sensorielles qui permettent de comprendre le monde réel pour y agir. Elle est à la base de sa représentation et de la conduite de l’action dans ce monde, en fonction de son anticipation. Elle est donc un élément majeur du processus de « prise de décision », au cours duquel notre cerveau met en concurrence des fonctions différentes : nos heuristiques intuitives (mobilisables rapidement, mais où se logent nos biais) et nos stratégies logiques (plus lentes et coûteuses en énergie), sans qu’il y ait une hiérarchie entre les deux (chacune s’appliquant à des situations différentes). Il s’agit là de ce que le psychologue Daniel Kahneman appelle respectivement le système 1 (heuristique) et le système 2 (raisonnement) dans son livre Thinking, Fast and slow{95}. Toute prise de décision nécessite un arbitrage entre ces fonctions concurrentes, pouvant nécessiter l’inhibition de nos intuitions pour ne pas devenir la proie de nos biais. Olivier Houdé qualifie ce mécanisme d’inhibition et de contrôle exécutif de notre cerveau de système 3 : c’est lui qui permet la vicariance dans les circuits de l’intelligence, conçue alors comme « une capacité d’adaptation entre l’attention et l’inhibition{96} ». La conflictualité dans le champ cognitif vise ainsi à exploiter ces fonctions concurrentes et la rationalité limitée des différents acteurs (biais cognitifs) à des fins stratégiques afin de provoquer des distorsions des représentations, altérer la décision et ainsi faire dévier la manœuvre stratégique la mieux planifiée. Les effets recherchés ne se limitent pas ainsi au contrôle de l’information, mais bien au contrôle de la fonction exécutive et d’arbitrage de notre cerveau lui-même. En ce sens, le cadre dépasse le seul champ de la lutte informationnelle : agir sur l’information, c’est uniquement agir sur la donnée qui nourrit la cognition. Or, l’objectif est ici d’agir non seulement sur ce que pensent les individus, mais aussi sur la façon dont ils pensent, conditionnant par là même la manière dont ils agissent{97}. Dans une récente étude réalisée avec le soutien de l’état-major des armées et de l’OTAN, l’École nationale supérieure de cognitique offre un éclairage sur les déterminants du cognitive warfare{98}. Alliant sciences dures et sciences humaines et sociales, l’ENSC défend l’idée que les progrès dans ce domaine doivent passer par la convergence entre les travaux sur le cerveau (neurosciences) et les travaux sur les technologies. Selon le professeur Bernard Claverie et le lieutenant-colonel François du Cluzel, la guerre cognitive est ainsi nécessairement associée à d’autres formes et domaines d’action pour atteindre le ou les cerveaux-cibles, tels le cyber warfare et l’information warfare ; elle correspond ainsi à « l’art d’utiliser les technologies pour altérer la cognition de cibles humaines, le plus souvent à leur insu et à l’insu de ceux qui seraient en charge d’éviter, de minimiser, contrôler les effets recherchés, ou dont un contrôle possible serait dépassé ou trop tardif ». La cognitique s’apparenterait ainsi au traitement automatique de la cognition (de même que l’informatique est « le traitement automatique de l’information »). Pour autant, l’approche n’est pas uniquement technologique : elle répond aux nouvelles exigences du Human Autonomy Teaming (HAT) devant permettre de tirer parti de la précision et de la vitesse des technologies numériques (IA, Big Data analytics, etc.) tout en décuplant l’agilité et la créativité de l’intelligence humaine{99}. Vers des structures de commandement adaptées à la dimension cognitive de la conflictualité On comprend dès lors aisément que la guerre cognitive concerne essentiellement (mais pas uniquement) les travaux sur le commandement et le contrôle des opérations (C2) : la maîtrise de l’information (information dominance) dans un environnement cyber sécurisé (cyber confidence) doit permettre d’obtenir la supériorité décisionnelle (decision superiority). Pour ce faire, il est possible d’identifier trois lignes d’effort. La première concerne la nécessité de se prémunir contre ses propres certitudes, individuelles et collectives. Cela passe tout d’abord par la connaissance et l’identification – autant qu’il en soit possible – de nos biais cognitifs qui préconditionnent nos schémas mentaux. Selon la belle formule de Jean d’Ormesson, « penser, c’est d’abord penser contre soi-même ». Comme l’explique également Robert Jervis, la mauvaise compréhension des idées ou des valeurs de l’adversaire, la présomption qu’il nous verra comme nous nous voyons et plus généralement le mépris de l’altérité, sont autant de puissants facteurs d’instabilité dans les relations conflictuelles{100}. Au-delà des individus, nos organisations sont aussi sensibles à ce que le psychologue Irving Janis qualifie de pensée de groupe (Groupthink){101}. Ce phénomène consiste à ignorer les alternatives intellectuelles de nature à fragiliser le consensus naissant, et à déshumaniser les autres groupes. Pour Janis, les biais collectifs auto-entretenus « détériorent l’efficacité mentale, altèrent la perception de la réalité et affaiblissent le jugement moral ». La question de l’éducation et de la formation des militaires est ainsi cruciale afin de mieux les préparer à ces enjeux. Cela nécessite une remise en question permanente favorisée par une approche sociale et psychologique à la fois de la conflictualité et de nos organisations. En outre, il est nécessaire de s’émanciper de l’utopie d’une vision parfaite du champ de bataille qui serait rendue possible par la seule technologie. En effet, les moyens technologiques ne dissipent pas toujours le brouillard de la guerre (Fog of War). Ils peuvent au contraire ajouter de la complexité au détriment de l’efficacité militaire si l’on ne parvient pas à maîtriser le déluge informationnel (Fog of More{102}). Par ailleurs, les biais se logent également dans les algorithmes ou les bases de données utilisées « pour rendre le futur prévisible ». C’est ainsi la qualité de l’organisation qui doit prévaloir sur les solutions technologiques dans la pratique de l’information{103}. Pour les armées, une qualité essentielle du C2 réside précisément dans l’intégration équilibrée entre l’homme et le système en vue de distiller la clarté de la complexité dans cette guerre de la cognition. Pour paraphraser Bruno Patino, les lumières philosophiques ne doivent pas s’éteindre au profit des signaux numériques{104}. La seconde ligne d’effort concerne la défense contre les agressions informationnelles permanentes et l’exploitation opportuniste par un adversaire de nos biais cognitifs, susceptibles de contraindre notre processus décisionnel et de nous paralyser. Nos grands compétiteurs ont compris les vulnérabilités de nos sociétés, auxquelles nos armées appartiennent. Au moins trois défis peuvent être ainsi relevés. Le premier concerne la rationalité limitée des acteurs : goût pour les récits contradictoires et les « friandises cognitives » qui détournent notre attention et entravent notre jugement{105} ; propension au doute systématique{106}, etc. Le deuxième est lié à notre système de valeurs, qui promeut la libre circulation des idées ; le troisième rend plus problématique encore le deuxième puisqu’il est lié à la grande porosité des frontières informationnelles (institutionnelles et étrangères). On comprend ainsi que la guerre de la cognition passe par une approche globale, multimilieux, multichamps et interministérielle, faisant la promotion d’une meilleure intégration entre les domaines cyber et les champs informationnels (l’information est un actif, et en cette qualité elle doit être défendue). Au niveau strictement militaire, nos architectures C2 doivent demeurer résilientes, c’est-à-dire pouvoir tirer parti des nouvelles technologies tout en limitant au maximum les dépendances et la dégradation des expertises humaines. La cyber sécurisation des réseaux et des contenus est à cette aune essentielle. La guerre offensive dans le champ cognitif constitue le troisième axe d’effort, même s’il soulève des questions éthiques qui ne doivent ni être éludées ni paralyser l’action dans ce champ. Ainsi, lors de son audition devant le Congrès, le 30 avril 2021, le chercheur américain Herbert Lin (Hoover Institute) faisait remarquer avec amusement que les contraintes éthiques que s’imposait le département de la Défense avaient abouti au paradoxe suivant : « it is easier to get permission to kill terrorists than it is to lie to them{107} ». La conduite d’une véritable guerre cognitive offensive ne s’affranchira pas d’une réflexion poussée sur l’encadrement éthique nécessaire, tout en restant cohérente d’un point de vue stratégique. L’un des enjeux de la guerre cognitive consiste par conséquent à réhabiliter la ruse et la surprise dans la stratégie par une opacification préalable de la cognition de l’adversaire (simulation, dissimulation, intoxication). Par conséquent, l’organisation du C2 devra évoluer pour favoriser une meilleure intégration des effets dans tous les milieux (terre, air, mer, extra-atmosphérique) et tous les champs (cyber et informationnel). À titre d’exemple, la création des task-force multidomaines par l’US Army est intéressante puisqu’on trouve en leur sein un bataillon I2CEWS (Intelligence, Information, Cyber, Electronic Warfare and Space) au côté des bataillons de feu dans la profondeur et de défense surface-air. *** La guerre cognitive n’est pas en soi une révolution. Elle consiste toujours à pénétrer le cerveau de l’adversaire pour influencer sa prise de décision, créer de la confusion et in fine paralyser son action afin d’emporter la victoire. Pour autant, il s’agit bien plus que d’un simple ripolinage du lexique : l’ambition est au contraire de mieux exploiter les relations entre les différents modes d’action (opérations d’influence, guerre de l’information, guerres psychologiques, etc.) à des fins stratégiques. La révolution numérique exige d’y prêter une attention nouvelle au travers de la militarisation de neurosciences et de l’intégration croissante des effets dans tous les milieux et tous les champs. L’intensification de la guerre cognitive par les nouvelles technologies est aujourd’hui manifeste tout au long du continuum compétition-contestation-affrontement, où l’adversaire cherche à nous intimider et à nous manipuler sans cesse, tout en maintenant l’opacité sur ses intentions{108}. Est-ce à dire qu’il est nécessaire de créer un nouveau domaine ou un nouveau champ de conflictualité ? Rien n’est moins sûr et le sujet doit être exploré plus avant : un découpage toujours plus fin n’est pas nécessairement synonyme d’une meilleure prise en compte de la problématique, ce d’autant plus lorsque l’ambition est au contraire de mieux intégrer les effets produits à des fins d’efficacité militaire. Quoi qu’il en soit, pour « gagner la guerre avant la guerre », il est nécessaire de se préparer à remporter la bataille de la cognition, dont l’ampleur et l’envergure se sont considérablement accrues. Cela implique d’atteindre un niveau suffisant de « sécurité cognitive » dans la prise de décision individuelle comme collective en se prémunissant contre nos propres certitudes, et en se protégeant contre les agressions qui visent nos perceptions. Au niveau militaire, cela nécessitera aussi de s’autoriser à agir sur le cerveau de l’adversaire grâce à la simulation, l’intoxication ou la dissimulation, tout en respectant un cadre éthique exigeant. L’un des objectifs est dès lors de faire émerger un C2 adapté à la dimension cognitive de la conflictualité multimilieux et multichamps, associant harmonieusement le jugement humain et les technologies numériques pour être en mesure de surprendre sans être surpris. Le colonel David Pappalardo est un officier de l’armée de l’air et de l’espace servant actuellement à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées. Ancien pilote de Mirage F1 et de Rafale, il est crédité de 2 300 heures de vol et 134 missions de guerre au Sahel, en Afghanistan, en Libye et au Levant. Chef de patrouille et de mission, il a notamment commandé le Régiment de chasse 2/30 « Normandie-Niémen » sur la base aérienne de Mont-de-Marsan entre 2016 et 2017. Breveté de l’enseignement supérieur, David Pappalardo est diplômé de l’Air Command Staff College aux États-Unis, où il obtint avec distinction un Master of Military Operational Art and Science. Les propos tenus dans cet article n’engagent pas la DGRIS ni le ministère [email protected]/Twitter @DavPappa des Armées. Contact : 4 Les technologies nouvelles et émergentes changent-elles la donne pour les petites puissances ? GÉNÉRAL MICHAEL CLAESSON et ZEBULON CARLANDER er {109} Article publié le 1 février 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 21 avril 2022. Nagorno-Karabakh, 2020 : très vite, la montée des tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a provoqué de petits affrontements qui, à leur tour, n’ont pas tardé à se transformer en combats. Mais, au lieu d’un champ de bataille traditionnel dominé par des chars de combat et de l’artillerie, ce sont les drones armés qui ont été au cœur des opérations. Grâce à des drones de fabrication turque, les forces azerbaïdjanaises ont en effet détruit de nombreux chars et véhicules blindés ennemis, laissant la partie arménienne tactiquement désemparée et incapable de réagir. En changeant la donne lors de ce conflit, les drones armés ont démontré à quel point les nouvelles technologies et capacités{110} peuvent avoir un impact sur les champs de bataille modernes. Cette tendance s’est ensuite renforcée dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie, les Ukrainiens ayant utilisé les mêmes drones de fabrication turque avec beaucoup d’efficacité{111}. Les analystes militaires du monde entier l’ont désormais pris en compte. Cependant, lorsque l’on discute de l’intégration des nouvelles technologies, la perspective des petits États est souvent absente. En tant que membres d’active (chef des opérations interarmées suédoises) et de réserve (chef de section d’infanterie), il s’agit d’un sujet qui nous touche. Ces expériences et ces questions difficiles nous ont poussés à écrire ensemble l’ouvrage intitulé Strategic Choices : The Future of Swedish Security{112}. Dans ce dernier, nous explorons la manière dont les petits États, par manque de ressources, doivent souvent trouver des moyens créatifs et innovants pour adapter la technologie afin de surmonter, ou du moins compenser, les avantages que pourrait avoir un adversaire aux ressources plus importantes. Si les forces armées de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan sont à peu près équivalentes en termes d´effectifs, la façon dont les deux parties ont utilisé les différents concepts et plateformes est riche d’enseignements pour les petits États confrontés à des ennemis plus puissants. Ces derniers peuvent en effet identifier des avantages asymétriques susceptibles de créer des problèmes militaires pour des adversaires plus puissants grâce à des concepts bien pensés qui allient le développement des capacités, les doctrines, la formation, les exercices et, bien sûr, les opérations. En général, les petits États n’ont pas accès à l’éventail complet des dernières technologies. Afin de maximiser l’effet opérationnel contre un adversaire plus important, l’utilisation de capacités militaires fondées sur les nouvelles technologies doit par conséquent s’accompagner de tactiques et de méthodes intelligentes. L’avenir de la guerre est là Nous entrons désormais dans ce que l’on appelle habituellement la quatrième révolution industrielle{113}, qui se caractérise par la fusion de technologies et de plateformes sous la forme d’un « système de systèmes ». Les nouvelles technologies caractérisent cette évolution. Elles permettent un transfert de données plus rapide grâce à des réseaux mobiles améliorés (5G), des composants interconnectés (« l’internet des objets »), des systèmes autonomes, la fabrication additive (impression 3D), la biotechnologie et l’intelligence artificielle (IA). L’ensemble est de plus soutenu par l’apprentissage automatique et la capacité de traiter de grandes quantités de données de nos outils informatiques. Ces révolutions pourraient conduire à la transformation spectaculaire et rapide de toutes les activités humaines, y compris les opérations militaires. Lors des trois précédentes révolutions industrielles, l’innovation était intégrée aux capacités militaires{114}, telles que les systèmes d’armes, la logistique et l’organisation. La quatrième ne sera pas différente. En outre, le secteur civil, tant dans les entreprises que dans les universités, est aujourd’hui le principal moteur{115} du développement technologique. Les secteurs industriels traditionnels de la défense de nombreux pays ont désormais du mal à suivre le rythme d’innovation des entreprises axées sur le développement et l’investissement. Par conséquent, quiconque est capable de développer des interfaces entre l’innovation d’origine civile et le développement des capacités militaires bénéficiera probablement d’un certain nombre d’avantages opérationnels dans un avenir proche. Doit-on pour autant inciter à une révolution en matière de capacités militaires ? Dans le contexte des concepts et des capacités militaires, il est facile d’utiliser le terme de « révolution » comme un artifice rhétorique pour plaider en faveur d’un changement rapide et transformateur. Toutefois, en adoptant l’idée d’une révolution militaire, on risque de démanteler prématurément les capacités existantes. Le risque évident est de perdre la possibilité de gérer les problèmes militaires ici et maintenant, tout en pariant sur des capacités qui peuvent prendre des années à se matérialiser et à arriver à maturité. La réduction des effectifs de la défense militaire et civile en Suède après la fin de la guerre froide, souvent mentionnée à travers le concept suédois de défense totale{116}, en est un exemple. Un désengagement relativement prudent de la défense territoriale, qui avait bien servi la Suède pendant la guerre froide, a été suivi par une série de mesures radicales lors des lois de programmation militaire{117} de 1996, 2000 et 2001. Le coup de grâce a été donné par le projet de loi de 2004, qui a fondamentalement modifié la conception de la défense suédoise, tant en termes de volume que de capacités. L’un des facteurs qui a fortement accéléré la réorientation de l’armée est le « concept de défense réseaucentrée » (network-centric defense concept){118}, qui s’inspire en partie des études et du développement de concepts américains, présentés comme la « révolution dans les affaires militaires ». La fin de la guerre froide a entraîné une « pause stratégique{119} », qui a prétendument créé de bonnes conditions pour se débarrasser de l’ancien et commencer à expérimenter. Cependant, la promesse de nouvelles capacités révolutionnaires ne s’est jamais concrétisée, bien que le concept ait été utilisé pour motiver une réduction continue des effectifs. Les décisions prises entre 1996 et 2004 constituent à bien des égards la toile de fond des défis actuels du concept de défense suédois. Depuis la fin de la guerre froide jusqu’à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la Suède et ses forces armées se sont concentrées{120} sur la gestion des crises internationales et les opérations de stabilisation. Les opérations extérieures ont dominé tous les processus pertinents au sein des forces armées suédoises. Un haut niveau d’ambition a également été inscrit dans la réflexion sur le concept de haut niveau de préparation{121} de l’Union européenne (European Union’s High Readiness Concept){122}, y compris dans le concept de groupement tactique de l’UE. Mais de nombreux signaux d’alarme ont été émis à travers les actions menées dans les États voisins de la Russie. La guerre russo-géorgienne d’août 2008 a été suivie non seulement d’un renforcement ciblé des capacités en Russie, mais aussi d’un comportement plus affirmé (par exemple dans la région de la mer Baltique). Ce n’est toutefois qu’après l’annexion de la Crimée par la Russie que la Suède et d’autres pays européens ont commencé à placer la sécurité et la défense au premier plan dans leur agenda politique. Le Parlement suédois a adopté deux projets de loi de programmation militaire en 2015 et 2020, constituant le début d’un renforcement substantiel de la capacité militaire. En 2015{123}, le budget de la défense suédoise était d’environ 4 milliards de dollars par an. En 2021{124}, le budget a augmenté encore, passant à 6 milliards de dollars par an, et continuera d´augmenter pour atteindre 9 milliards de dollars par an en 2025. D’autres augmentations budgétaires devraient être annoncées suite à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. La conscription a été réintroduite en 2018{125}, et les effectifs passeront de quelque 55 000 à 90 000 en moins de dix ans. Le régiment K 4 d’Arvidsjaur{126} sera renforcé pour développer et former un deuxième bataillon de rangers arctiques. Le régiment I 21 de Sollefteå{127} sera rétabli avec un détachement à Östersund. Au total, il sera chargé du développement et de l’entraînement de deux nouveaux bataillons d’infanterie. Le régiment I 13 de Falun{128} sera également reformé et sera en charge du développement et de la formation d’un nouveau bataillon d’infanterie. Le régiment AMF 4 sera rétabli à Göteborg{129} et sera responsable du développement et de la formation d’un nouveau bataillon amphibie. Enfin, en 2022, le régiment A 9 sera rétabli à Kristinehamn{130} et sera chargé de former deux nouveaux bataillons d’artillerie divisionnaire. C’est un défi majeur que de transformer une armée qui s’est concentrée sur les opérations extérieures pendant 20 ans en une force capable de rivaliser avec une grande puissance. Cela a des implications dans tous les domaines allant des ressources humaines aux cadres conceptuels. Face à cela, il convient de se demander si des pays comme la Suède doivent aborder leurs adversaires de manière symétrique. Les petits et moyens États seront-ils un jour capables de gérer une crise ou une guerre impliquant un adversaire disposant de ressources et de capacités militaires importantes s’ils continuent à rivaliser en appliquant une approche totalement réciproque du développement des capacités ? Dans notre livre, nous soutenons que le modèle de force actuel doit encore constituer la base de notre défense ici et maintenant. Les pays comme la Suède doivent toutefois acquérir et mettre en application au sein du modèle de force actuel les connaissances sur les technologies nouvelles et émergentes. Ils devraient également identifier les points de décision où des changements majeurs de concepts de défense pourraient avoir lieu, ainsi que les besoins en la matière. Au lieu de se laisser séduire par le concept de révolution avec l’espoir de changements rapides et radicaux, il existe de nombreuses raisons en faveur d’une approche évolutive, comportant au besoin quelques éléments légèrement révolutionnaires. La situation d’un État en matière de sécurité est rarement constante, mais elle fluctue plutôt en fonction des développements extérieurs et des conditions géopolitiques et géostratégiques qui en découlent. Le défi consiste à développer une force capable de faire face aux menaces futures sans devenir incapable de répondre aujourd’hui à des crises ou des conflits soudains. Pour un petit État, le coût d’une erreur de stratégie est généralement beaucoup plus élevé que pour un grand État. C’est dans ce contexte que nous examinons comment les petits États peuvent trouver un équilibre entre, d’une part, les risques d’être trop conservateurs et résistants aux nouvelles technologies et au changement, et, d’autre part, d’être trop sensibles à l’engouement et aux systèmes non éprouvés. Si l’on penche trop vers l’un ou l’autre de ces extrêmes, on risque de rendre une force inadaptée à l’adversaire sur le champ de bataille. Un guide pour les petits États Du point de vue d’un État de petite ou moyenne taille, plusieurs approches différentes pourraient soutenir l’application des nouvelles technologies lors de la formation des capacités militaires. Les nouvelles technologies doivent être adoptées progressivement et sur la base des plateformes et systèmes existants. Il s’agit d’une manière structurée d’accroître les capacités opérationnelles étape par étape et de développer simultanément les connaissances sur la manière d’utiliser les nouvelles technologies. Les connaissances acquises constitueraient alors une base naturelle pour les décisions relatives aux changements technologiques majeurs, à l’appui d’une démarche plus globale de création et de mise en œuvre de nouvelles capacités. Cette approche graduelle pourrait également favoriser l’instauration d’un climat de confiance, non seulement entre les décideurs, mais aussi au sein de la population d’un pays. L’approche suggérée permet également un alignement adapté des technologies nouvelles et émergentes avec la nécessité de développer un cadre juridique conforme à la culture stratégique, aux valeurs et aux politiques d’un pays. Cette approche nécessite une base stratégique approfondie avec des points de décision clairs sur le moment et la manière de faire des sauts technologiques, tout en gardant à l’esprit le maintien d’une capacité militaire pertinente afin d’être en mesure de faire face de manière proactive aux défis de sécurité actuels. La pause stratégique n’existe pas. L’approche évolutive doit continuer à être l’approche privilégiée des petits et moyens États pour l’introduction de technologies nouvelles et émergentes dans leurs forces armées. Pour des raisons évidentes, cette approche doit être non seulement accompagnée, mais aussi guidée par des concepts et des doctrines bien équilibrés permettant d’identifier les niches où les nouvelles technologies pourraient rapidement avoir un impact. Ces domaines pourraient inclure l’introduction de l’IA{131} soutenue par l’apprentissage automatique en appui de la prise de décision militaire, ou l’utilisation de petits satellites{132} pour améliorer la couverture des capteurs. Les acteurs civils – tels que les pôles d’innovation, les universités et les centres de recherche, ainsi que les entreprises sous différentes formes – pilotent principalement, et continueront de piloter, le développement technologique. Le rythme des cycles de développement est déjà élevé et s ´accélérera davantage. Cette situation contraste souvent fortement avec les cultures des administrations de planification et d’acquisition contrôlées par les gouvernements, qui sont généralement assez lourdes et n’évoluent pas au rythme de la pertinence stratégique ou opérationnelle. Cette situation appelle de nouvelles formes de coopération et d’engagement entre les gouvernements, les entreprises, les pôles d’innovation et le monde universitaire. Une telle coopération devrait tenter de créer les meilleures conditions possibles pour toutes les parties, phases et aspects du développement technologique. Toutefois, cela nécessiterait également que les acteurs gouvernementaux élaborent des stratégies claires et un soutien méthodologique pour faciliter la prise de décision en temps utile sur la poursuite ou non de différents projets. Ce dernier point est d’une grande importance. Les dirigeants des petits États doivent avoir la capacité et le courage d’annuler des projets majeurs s’il est clair qu’ils seront bientôt obsolètes. Suivre le rythme des développements rapides en matière de nouvelles technologies Les petits et moyens pays ont de bonnes raisons de s’ouvrir aux nouvelles technologies. Toutefois, il ne faut pas simplement essayer de reproduire les capacités d’autres pays et adversaires potentiels sans analyser correctement les exigences d’un contexte stratégique spécifique, ainsi que d’autres paramètres de l’environnement opérationnel réel. Les capacités militaires nécessaires pour obtenir un effet opérationnel maximal contre un adversaire ne reflètent pas nécessairement les capacités requises pour se protéger contre ce même adversaire. Le développement technologique, en tant que partie intégrante du développement des capacités militaires, doit être fondé sur des choix équilibrés et une prise de risque calculée. En outre, ce n’est pas parce qu’une technologie existe ou qu’un adversaire potentiel possède une certaine capacité que l’on doit toujours aborder cette technologie ou cette capacité de manière linéaire. L’acquisition de connaissances sur l’impact des technologies nouvelles et émergentes reste un facteur clé qui souligne l’importance de mener des recherches, des études, des expériences et des essais afin d’identifier ses propres points faibles, ainsi que ceux des adversaires potentiels. Ces activités doivent également être menées à un rythme qui suit les développements rapides dans des domaines allant des systèmes autonomes à la biotechnologie. Des connaissances approfondies et conceptualisées sur le plan opérationnel augmentent également le succès d’un État en tant que client sur les marchés nationaux et internationaux de la défense. Les États qui ne disposent pas{133} d’un moyen institutionnalisé d’acquérir un niveau pertinent de connaissances et d’expertise sur les nouvelles technologies risquent de devenir entièrement dépendants de producteurs externes. Cela pourrait créer des dépendances stratégiques susceptibles de limiter la prise de décision indépendante, notamment en cas de crise ou en temps de guerre. Dans le cas de la Suède{134}, le gouvernement a identifié quelques domaines qui doivent être considérés comme des intérêts essentiels en matière de sécurité nationale et qui, à ce titre, nécessitent un développement, une conception et une production au niveau national. Ces domaines s’accompagnent également d’engagements financiers assez importants et à long terme, qui comportent bien entendu un ensemble de défis nécessitant un examen approfondi et régulier. Le risque évident d’installer l’industrie de défense nationale dans une situation trop confortable, encouragée par des engagements financiers de l´État sur le long terme, devrait être atténué par un dialogue impliquant des relations contractuelles avec des normes, des demandes et des exigences claires, ainsi que par une culture commune entre industrie et gouvernement. Des choix difficiles Les choix stratégiques sont, par nature, difficiles et complexes, et les questions que nous posent les technologies nouvelles et émergentes sont toutes stimulantes. Toutefois, les caractéristiques de ce que l’on appelle la quatrième révolution industrielle, avec son approche de « système de systèmes », devront se refléter dans la manière dont ces nouvelles technologies sont intégrées dans des capacités militaires nouvelles ou améliorées. Cela souligne également l’importance d’une approche globale et montre que les pays doivent faire preuve d’ouverture d’esprit et ne pas se laisser enfermer dans un schéma de pensée traditionnel et des modèles dépassés. L’innovation et le développement technologique entraînent souvent des défis plus ou moins importants. La Suède, et de nombreux autres petits et moyens pays, seront confrontés à plusieurs choix stratégiques dans un avenir relativement proche, qui seront fondés sur les exigences générées par et grâce à l’innovation et au développement technologique en cours. Par conséquent, il est également important d’identifier la longue liste des opportunités qui en émergeront. Ces nouvelles technologies créent des possibilités de faire face aux menaces existantes et futures, peut-être aussi dans une plus large mesure grâce à l’asymétrie et aux solutions non linéaires. La capacité à trouver des compromis pragmatiques restera une nécessité pour la réussite du développement des concepts de politique de défense des petits États. Les technologies nouvelles et émergentes pourraient donc offrir aux petits et moyens États une nouvelle arène dans laquelle ils pourraient exploiter les possibilités de compenser les capacités d’adversaires plus grands et mieux équipés mais seulement s’ils sont assez courageux pour tenter leur chance. Le lieutenant-général Michael Claesson est le chef des opérations interarmées des forces armées suédoises. Il a précédemment occupé les fonctions de chef du département des politiques et des plans à l’état-major des armées, de conseiller militaire au sein des ministères des Affaires étrangères et de la Défense, et de commandant du contingent militaire suédois en Afghanistan. Il est également membre de l’Académie royale suédoise des sciences de la guerre. Il a coédité avec Zebulon Carlander un ouvrage sur la politique de défense et de sécurité suédoise (Vägval, Framtiden för Svensk Säkerhet). Zebulon Carlander est le responsable du programme de politique de sécurité de l’organisation non gouvernementale Société et Défense (Folk & Försvar). Il a précédemment coédité avec Oscar Karlflo un livre sur la politique de défense suédoise (Sveriges Försvarspolitik, en Antologi) et sert également en tant que chef de section d’infanterie dans la réserve de l’armée de terre suédoise. Contact : [email protected]/Twitter @ZCarlander 5 Les « libérateurs » : comment la « galaxie Prigojine » raconte la chevauchée du groupe Wagner au Sahel ? MAXIME AUDINET et COLIN GÉRARD {135} Article publié le 15 février 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 25 avril 2022. L’ancrage du groupe Wagner et de ses filiales en Afrique subsaharienne apparaît ces dernières années comme la manifestation la plus marquante{136} du réengagement de la Russie sur le continent africain. Le modèle d’implantation de Wagner, que reflète en partie le concept d’« entrepreneuriat d’influence{137} », s’inscrit dans un écosystème plus large à trois dimensions : la prestation de sécurité (garde prétorienne, protection de sites miniers), l’instruction militaire{138} et le mercenariat ; l’extraction de matières premières, en particulier dans le domaine de la prospection minière ; un soutien informationnel mis en place pour façonner des représentations favorables au groupe paramilitaire, justifier par des moyens médiatiques et culturels son implantation et, par extension, légitimer la présence croissante de la Russie dans la région. C’est cette dernière dimension que nous explorons dans cet article, dans la continuité de travaux{139} antérieurs et en nous concentrant sur l’arrivée récente{140} de Wagner au Mali, qui fait suite aux négociations entamées{141} avec le gouvernement de transition à l’été 2021. Ce déploiement de quelques centaines de combattants russes intervient sur fond de dégradation{142} sans précédent de la relation franco-malienne et de remise en question profonde de l’opération Barkhane. Il s’accompagne ces dernières semaines d’une nouvelle prolifération{143} de contenus de désinformation en ligne. Ces derniers affichent le plus souvent une hostilité sans équivoque à la présence française, mais restent dans la plupart des cas difficiles{144}, voire impossibles à attribuer à des acteurs endogènes ou exogènes. Certains canaux de diffusion ou personnalités russes en Afrique sont toutefois déjà connus pour leurs liens étroits ou leur appartenance à la « galaxie Prigojine », du nom du désormais célèbre homme d’affaires{145} et sponsor du groupe Wagner Evgueni Prigojine. Figure centrale de l’influence russe, Prigojine est aussi connu pour sa proximité avec le président russe, sans toutefois appartenir à son premier cercle, et ses sociétés ont remporté plusieurs contrats publics émis par le ministère de la Défense. Les acteurs de sa « galaxie » produisent quotidiennement des dizaines de contenus, non seulement sur les actualités africaines et l’agenda des puissances étrangères, mais aussi sur l’évolution des « instructeurs russes » et sur leur environnement de projection. Nous en restituons les principaux discours, qui témoignent d’un récit sélectif, mais cohérent, sur le rôle joué par la Russie en Afrique subsaharienne. Précisons enfin que ces acteurs s’insèrent dans un dispositif d’influence informationnelle russe plus large en Afrique subsaharienne, qui comprend des acteurs officiels comme les réseaux RT et Sputnik (diplomatie publique et propagande médiatiques) ou les comptes des ambassades de Russie sur les réseaux sociaux (diplomatie numérique). Accompagner et légitimer le déploiement des acteurs russes au Sahel : le cas de RIA FAN Le processus de légitimation des « instructeurs russes » et combattants du groupe Wagner est assuré par un vaste écosystème d’acteurs d’influence. Liés à plusieurs entités du réseau Prigojine, ces acteurs sont non seulement actifs sur le web et les réseaux sociaux (notamment Facebook, Telegram, VK et Twitter), mais aussi sur le terrain « physique », à travers l’infiltration de paysages médiatiques fragiles, d’actions sur l’environnement, de production et projection de dessins animés{146} et de films de guerre, ou de la cooptation de figures militantes locales. Cet écosystème a vu le jour à partir de 2012 dans la clandestinité et avec une finalité intérieure, dans le contexte des manifestations de masse de l’hiver 2011-2012 en Russie contre les résultats des élections législatives. Le dispositif est monté en puissance tout au long de la dernière décennie et a progressivement cessé de dissimuler ses liens avec Prigojine. Son volet médiatique se matérialise aujourd’hui dans le groupe média Patriot, fondé au mois d’octobre 2019, et dont le conseil d’administration est formellement dirigé par l’homme d’affaires pétersbourgeois. Formé de onze médias créés par des sociétés affiliées à Prigojine{147} et de 130 médias partenaires, Patriot s’est donné pour mission{148} « la diffusion maximale d’informations sur les événements se déroulant en Russie afin de créer un espace informationnel favorable au développement du pays ». Ces informations répondent à une exigence de patriotisme, défini comme « l’amour de son pays, le respect de sa culture et de ses traditions ». Parmi ces onze médias figure l’« Agence de presse fédérale » (RIA FAN). Lancée en avril 2014, RIA FAN a été dirigée jusqu’en 2016 par Aleksandra Krylova{149}, également membre de la direction de Agentstvo Internet Issledovanij (Internet Research Agency, IRA), une des entreprises phares du projet Lakhta{150} d’« usine à trolls » pendant les élections présidentielles américaines de 2016. Dotée d’un budget de 159,8 millions de roubles en 2018 (2,1 millions d’euros) et officiellement composée de 25 membres{151}, RIA FAN emploierait en réalité plus de cent personnes{152}. Elle agit comme une centrale de production de contenus pour le groupe Patriot. C’est ce que suggère le tableau no 1 : la vidéo{153} d’un motard burkinabè brandissant un drapeau russe à Ouagadougou, apparue sur le site de VoA Afrique le 25 janvier 2022 en début d’après-midi, a été reprise à 18 h 36 (heure de Paris) par RIA FAN avant d’être répliquée neuf fois en trois heures par des médias du groupe Patriot. Le site de RIA FAN est en russe (un projet arabophone sur la Syrie existe également{154}) et la majorité de ses audiences (13,2 millions de visites totales en décembre 2021) provient de Russie (60 % du trafic web fin 2021) et du Bélarus (31 %). Toutefois, RIA FAN a cela d’intéressant qu’elle sert aussi, par sa couverture, de principale caisse de résonance des activités menées par les entités du réseau Prigojine à l’étranger (notamment en Ukraine, en Syrie et en Libye) et de révélateur des récits sélectifs véhiculés pour légitimer son expansion. Le traitement que RIA FAN réserve aux actualités en Afrique subsaharienne constitue en cela un corpus privilégié. Le site relaie régulièrement des contenus de sources d’information locale prônant un rapprochement avec la Russie de plusieurs États africains, notamment ceux en proie à des situations de déstabilisation politique, économique et sécuritaire. C’est le cas depuis fin 2018 en République centrafricaine (RCA) avec Radio Lengo Songo, la « radio des Russes » à Bangui{155}, sponsorisée par la compagnie de prospection minière Lobaye Invest, une entité du réseau Prigojine. Plus de 150 articles publiés sur le site de Lengo Songo ont été à ce jour relayés par RIA FAN, de très loin son principal relais médiatique. Dans une moindre proportion, RIA FAN rapporte{156} ces derniers temps les articles des sites maliens MaliJet et Mali Actu, en particulier lorsque ces derniers légitiment{157} la coopération russo-malienne encouragée par le gouvernement de transition. Toutefois, contrairement à Lengo Songo en RCA, il n’existe pas aujourd’hui au Mali, à notre connaissance, de preuves d’un acteur médiatique entièrement sous-traité par la galaxie Prigojine pour perfectionner le ciblage des audiences locales. Mais compte tenu de l’implantation significative de Wagner, le pays devrait à son tour être concerné par ce phénomène d’externalisation. L’affaire de Gossi d’avril 2022 pourrait en être une manifestation dans le champ de la désinformation en ligne (voir infra). Des travaux sur la RCA ont d’ailleurs fait état de la mise en place d’une campagne numérique en faveur du président Touadéra et de son mouvement « inspirée » (et sans doute en partie coordonnée) par les Russes présents dans le pays. En 2020, une excroissance de l’IRA avait aussi été incorporée au sein d’une ONG de la banlieue d’Accra au Ghana, afin de cibler les populations afro-américaines en amont des élections présidentielles de 2020{158}. Pour illustrer l’argument d’un accompagnement informationnel du réengagement russe en Afrique à travers l’écosystème Prigojine, nous comparons dans le graphique no 1 le traitement par RIA FAN des actualités centrafricaines, mozambicaines, maliennes et burkinabè. Ce choix procède du fait que ces quatre pays africains représentent chacun à leur manière un niveau d’engagement différent des paramilitaires russes dans la région : ancien et pérenne en RCA (depuis début 2018), ancien et avorté pour cause d’échec au Mozambique (sept.-déc. 2019), récent au Mali (depuis fin 2021), potentiel au Burkina Faso. Plusieurs éléments sont à relever. Premièrement, la RCA fait l’objet d’une couverture par RIA FAN bien plus volumineuse et ancrée dans le temps que les trois autres États sélectionnés. Ce constat est lié à la pérennité de la présence de Wagner en Centrafrique depuis janvier 2018, qui voit RIA FAN publier ses premiers articles sur la situation politique du pays. Cette couverture s’est intensifiée à la suite de plusieurs événements marquants, qui se traduisent par des pics de publications. Le pic observé en août 2018 s’explique ainsi par l’émotion provoquée par l’assassinat de trois journalistes russes partis enquêter sur les activités de Wagner dans le pays{159}. Une vague de publications intervient à partir de décembre 2020, date de la réélection du président sortant Faustin-Archange Touadéra et du début de la contre-offensive menée conjointement par les forces armées centrafricaines (FACA) et leurs « alliés russes » contre les rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Cette contre-offensive est d’ailleurs à l’origine d’un second pic de publications au printemps 2021, avec la sortie du film Touriste{160} (voir infra). De manière plus relative, un autre pic lié à la production cinématographique de l’écosystème Prigojine s’observe dans le cas mozambicain, avec la sortie au mois de décembre 2021 de Granit. Le film retrace l’action de Wagner contre des groupes terroristes au Cabo Delgado en 2019, malgré l’échec retentissant de l’opération. Cette débâcle est d’ailleurs une explication plausible de la très faible couverture dont le pays a fait l’objet depuis le déploiement des mercenaires russes en septembre 2019. Le graphique illustre bien la progressive montée en puissance de l’écosystème Prigojine au Mali. On remarque une hausse substantielle du volume de publications de RIA FAN, qui intervient en deux vagues, à partir de l’automne 2020. La première est liée au coup d’État d’août 2020, qui entraîne une remise en question progressive, puis l’arrêt de l’opération Barkhane par la France. La deuxième vague intervient après le deuxième putsch mené par le colonel Assimi Goïta et les négociations engagées avec Wagner. La couverture par RIA FAN de la situation au Mali s’est depuis intensifiée, avec un pic de publications en janvier 2022, parallèlement à l’implantation des paramilitaires dans la région de Mopti et à l’intensification de la crise entre Paris et Bamako. Enfin, si les données sont encore parcellaires s’agissant du Burkina Faso, une légère hausse s’amorce ces derniers jours depuis le coup d’État du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba du 24 janvier 2022. Cette séquence a fait l’objet de plusieurs articles violemment anti-français, laissant ouverte l’hypothèse d’une arrivée des acteurs russes au Burkina Faso. Une dépêche du Canard enchaîné datée du 13 avril 2022 expliquait d’ailleurs que les services de renseignement français avaient repéré des mercenaires de Wagner dans le pays. Ces derniers chercheraient à recruter des « supplétifs » pour protéger les gisements miniers burkinabè potentiellement exploitables. Déclinaison malienne du récit russe : ensemble contre le « néocolonialisme » Nous avons analysé, dans un second temps, la manière dont RIA FAN couvrait les actualités récentes au Mali, à partir d’une analyse de jugements des 129 articles classés dans le tag « Mali » du site au mois de janvier 2022. Sans surprise, RIA FAN a consacré près d’un quart de ses articles à l’implication de la Russie dans le pays (dont 17 % d’articles mélioratifs, voire élogieux). Les mercenaires de Wagner ne sont toutefois jamais qualifiés en tant que tels (sauf dans les propos rapportés de responsables occidentaux), mais sont systématiquement présentés sous l’appellation formelle d’« instructeurs » ou de « formateurs » russes. Viennent ensuite les articles centrés sur l’actualité politico-sécuritaire malienne (20,9 %), dont la majorité vante l’action du gouvernement de transition d’Assimi Goïta et des forces armées maliennes (FAMa). La France est le sujet dominant d’un cinquième des contenus publiés sur la période, avec 18 articles ostensiblement critiques de l’opération Barkhane ou de l’attitude du gouvernement français. La dénonciation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), « sous contrôle de la France », occupe enfin une place significative dans le corpus. Analyse de jugements des 129 articles publiés sur RIA FAN à partir du tag « Mali » en janvier 2022. Plus largement, l’analyse des contenus produits par l’écosystème informationnel du réseau Prigojine, et donc de la manière dont celui-ci communique sur ses propres actions, aboutit à la mise en lumière de trois types de « récits stratégiques{161} ». Le premier, dominant, consiste à souligner le rôle positif des acteurs russes au Sahel et les bénéfices d’une coopération accrue entre Moscou et Bamako. Le drapeau russe est érigé{162} en « symbole du mouvement de libération » de l’Afrique, tandis que la coopération russo-malienne, présentée comme soutenue par le gouvernement{163} et la population{164}, est qualifiée d’« alternative au néocolonialisme occidental{165} ». RIA FAN n’est pas le seul organe du réseau à diffuser ce récit. En septembre 2021, un sondage réalisé par la Fondation de défense des valeurs nationales (FZNC) {166} , une entité sanctionnée en avril 2021 par le Trésor américain et dirigée par le « sociologue » Maksim Chougaleï, un fidèle de Prigojine, suggérait que 87,4 % des Maliens soutenaient l’appel d’Assimi Goïta aux « sociétés militaires privées de la Russie pour aider dans la lutte contre les terroristes ». Dans la même fibre narrative, les films Touriste{167} et Granit{168}, dont les droits d’exploitation sont détenus par une société{169} du réseau Prigojine, ont cherché en 2021 à héroïser et glorifier le groupe Wagner aux yeux de leurs spectateurs. Il ne serait donc pas improbable qu’un nouvel épisode de cette série soit réalisé sur l’action du groupe au Mali. Les éléments préjudiciables pour Wagner, comme l’extraction minière, les pillages ou les exactions (comme celles documentées en RCA et au Mali{170}), sont en revanche totalement éludés. Plus récemment, en avril 2022, le massacre perpétré par des soldats maliens et des mercenaires russes à Moura{171}, dans le centre du Mali, est ainsi passé sous silence par RIA FAN. Son journaliste, un certain « Igor Sarmatov », préfère s’en tenir à la version officielle des autorités maliennes d’une « opération antiterroriste » ayant exclusivement abouti à la « liquidation de 203 radicaux », tandis que les accusations des autorités françaises et des « médias globalistes occidentaux » sont qualifiés de « fake news » et de « provocation »{172}. Le deuxième récit consiste à valoriser les nouveaux dirigeants africains arrivés ces derniers temps au pouvoir en RCA, au Mali, en Guinée et au Burkina Faso (par un coup d’État dans ces trois derniers cas). Au lendemain du récent putsch à Ouagadougou, dans un post publié sur le compte VK du service de presse de Concord{173}, sa principale société, Prigojine évoque avec ce « temps des colonels » une « nouvelle ère de décolonisation » de l’Afrique. Toujours en miroir du soutien soviétique à la lutte anticoloniale et aux mouvements de libération en Afrique, l’homme d’affaires affuble Assimi Goïta du surnom de « Che Guevara africain », attribué autrefois à Thomas Sankara{174}. Ces éléments de langage ont été utilisés ou repris par la plupart de ses lieutenants, dont Chougaleï{175}. Le troisième récit, plus négatif, concerne la France et, plus largement, « l’Occident collectif » « néocolonialiste » et « interventionniste »{176}. Dans un post publié fin décembre 2021, Evgueni Prigojine opposait ainsi les « glorieux combattants russes [qui] sauvent le monde de la violence et de l’injustice » en Afrique aux « politiciens occidentaux corrompus et salivants [qui] lancent des accusations sans fondement »{177}. Sur RIA FAN, l’« exmétropole » et « ex-puissance coloniale » française est décrite sous l’angle de sa perte d’influence dans la région et de l’embourbement de l’opération Barkhane. Plus corrosifs, certains articles dénoncent la duplicité de l’armée française vis-à-vis des groupes djihadistes{178} (et, en creux, son soutien au séparatisme touareg) ou font du « pillage » des ressources minières au Mali la cause principale de son intervention{179}. Ces thèmes sont d’ailleurs récurrents dans les campagnes de désinformation anti-françaises observées ces derniers mois. Enfin, dans un autre sondage publié en janvier 2022, la FZNC de Chougaleï jugeait que 83,3 % des Maliens évaluaient négativement la présence des troupes françaises dans le pays{180}. Des résultats fort éloignés de la dernière enquête du très sérieux Mali-Mètre de la Friedrich Ebert Stiftung, qui aboutissait en mars 2021 à un tel sentiment d’insatisfaction pour 45,6 % des sondés{181}. *** Alors que les échanges économiques et culturels stagnent depuis le sommet de Sotchi d’octobre 2019, le réengagement de la Russie en Afrique subsaharienne connaît sa véritable concrétisation dans la progression soutenue du groupe Wagner. Celle-ci est rendue possible par l’instabilité politique régionale et l’indétermination de la France quant à la pertinence de son engagement au Sahel : autant de brèches dans lesquelles les paramilitaires russes s’infiltrent. Depuis la fin de l’année 2021, le Mali d’Assimi Goïta en est la dernière étape. Cette expansion non officielle de la Russie s’accompagne d’un appareil d’influence informationnelle hétérogène. Nous avons analysé ici l’une de ses dimensions les moins connues, et pourtant cardinales, celle des sources et des contenus créés par la galaxie Prigojine elle-même. Ce dispositif fabrique des récits offensifs et cohérents, parfois très éloignés de la réalité, mais prompts à légitimer l’agenda russe, soutenir ses alliés locaux de circonstance et discréditer ses compétiteurs stratégiques. La réactualisation de la mémoire du soutien soviétique aux mouvements d’indépendance africains contre l’impérialisme occidental, et son articulation aux discours panafricanistes, souverainistes et anti-néocoloniaux africains contemporains (comme ceux du Premier ministre Choguel Maïga au Mali), en sont les traits les plus significatifs. Les opérations de désinformation font aussi partie de la gamme de pratiques mobilisées par la galaxie Prigojine. Le 22 avril 2022, l’armée française fait fuiter à la presse des images aériennes montrant un groupe d’individus, présenté comme des membres de Wagner, en train d’enterrer et de filmer les corps de personnes inconnues à trois kilomètres de la base militaire de Gossi, rétrocédée trois jours plus tôt par la France aux FAMa. Le 20 avril, un faux compte Twitter (@diadiarra6) depuis supprimé accuse l’armée française de « crime contre le peuple malien » à Gossi, avant de diffuser le lendemain la vidéo d’un charnier correspondant à celui des images aériennes du 22 avril{182}. Cette opération de désinformation vraisemblablement montée par les acteurs russes au Mali, et la riposte rapide engagée par l’armée française pour la contrecarrer, sont révélatrices de deux phénomènes importants. D’une part, sur la posture, elles témoignent d’une approche beaucoup plus offensive de l’armée française en matière de lutte informationnelle, notamment contre la Russie et ses soutiens en Afrique subsaharienne, dans la continuité de la nouvelle doctrine L2I (lutte informatique d’influence) adoptée en octobre 2021. D’autre part, sur la méthode, c’est la première fois que les autorités françaises attribuent une « attaque informationnelle » à un acteur étranger, en recourant à la déclassification de renseignements et à leur transmission ciblée aux médias français internationaux présents en Afrique (France 24 et TV5 Monde) pour briser dans l’œuf l’opération russe. Il s’agit maintenant de suivre le traitement par ces acteurs informationnels russes de l’évolution de la situation politique et sécuritaire en Afrique de l’Ouest, parallèlement à la recherche par Wagner de nouveaux théâtres de projection (Burkina Faso, Cameroun, Guinée), au désengagement français au Sahel et à cette nouvelle posture combative de l’armée française dans le domaine de la lutte informationnelle. Maxime Audinet est chercheur à l’IRSEM et docteur en études slaves de l’université Paris Nanterre. Il est l’auteur d’une étude récente de l’IRSEM sur l’influence o informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone (n 83, 2021) et a publié, aux éditions de l’INA, l’ouvrage Russia Today (RT) : Un média d’influence au service de l’État russe. Contact : [email protected]/Twitter @maximeaudinet Colin Gérard est doctorant à l’Institut français de géopolitique et chercheur au centre GEODE. Il prépare une thèse sur les acteurs et pratiques de la stratégie d’influence informationnelle russe en [email protected]/Twitter @_ColinGerard France. Contact : 6 Qu’est-ce qu’une action clandestine réussie ? DAMIEN VAN PUYVELDE, RORY CORMAC et CALDER WALTON {183} Article publié le 16 décembre 2021 dans Le Rubicon . La récurrence des actions clandestines, qui font fréquemment la une des grands médias, semble confirmer leur utilité comme instrument de puissance. La liste des exemples récents est édifiante : tentatives russes d’influencer les élections présidentielles américaines et françaises{184}, opérations d’assassinat russes à travers l’Europe{185}, désinformation chinoise au sujet de la Covid-19{186}, soutien américain aux rebelles syriens{187}, sabotage iranien de navires israéliens{188}, assassinat par Israël d’un scientifique iranien{189}. Ces cas sont très différents les uns des autres, notamment lorsqu’on considère leur niveau de violence (voir infographie), mais chacun constitue une action clandestine, une forme d’ingérence étatique inavouée dans les affaires d’autrui qui vise à atteindre des objectifs politiques{190}. Malgré un regain d’intérêt politique pour cette forme de conflictualité « sous le seuil de la guerre », notre compréhension de l’efficacité des actions clandestines reste très limitée{191}. Que constitue le « succès » dans ce domaine particulier où il est si difficile de démontrer un rapport de cause à effet ? L’évaluation d’une action clandestine se heurte en effet à plusieurs écueils. Par nature, l’action clandestine s’opère dans l’ombre, ce qui limite son évaluation par des acteurs externes. Même si les effets de ces actions sont généralement visibles{192} – ce qui permet à leur commanditaire de communiquer un message à des publics cibles{193}, les actions connues publiquement ne sont qu’un échantillon dont la représentativité n’est pas vérifiable{194}. Leur analyse a donc une valeur illustrative. En outre, il est difficile d’isoler les effets de l’action clandestine. Du point de vue du ou des États commanditaires, ces opérations s’inscrivent dans un ensemble plus large de mesures ouvertes et plus conventionnelles comme les sanctions économiques, la diplomatie et les menaces militaires. Lorsque les États recourent à l’action clandestine pour soutenir des dissidents locaux, des groupes rebelles ou politiques, ces entités gardent un certain degré d’autonomie. Dans un contexte aussi complexe, le lien de cause (action) à effet (changement) n’est pas évident à établir. Par ailleurs, évaluer si une action clandestine a atteint ses objectifs ne rend que partiellement compte de son succès. Un succès tactique (à court terme) ne se traduit pas forcément par un succès stratégique (à long terme). Qu’en est-il, en effet, des externalités négatives, de l’impact plus large d’une action sur d’autres missions de renseignement comme la recherche d’information, ou encore sur les valeurs et normes qui définissent les démocraties libérales ? Qu’en est-il des dommages causés à la réputation du pays commanditaire si, ou plus probablement quand, ce type d’action est divulgué ? Comment anticiper l’éventail des conséquences possibles à plus long terme ? Répondre à ces questions requiert un jugement, une prise de position subjective. Le succès n’est pas un fait que l’on peut constater ou prouver objectivement. C’est une étiquette, une qualification établie à travers un débat auquel participe un ensemble plus ou moins grand d’observateurs. Nous considérons que les actions clandestines réussissent lorsque 1) des observateurs influents jugent que l’opération a atteint les objectifs que les décideurs se sont fixés ; et 2) lorsqu’un consensus émerge autour de cette évaluation et qu’il y a peu de critiques sur la manière dont l’État est parvenu à ses fins et sur les conséquences politiques de l’action{195}. Le succès ne se fonde pas ici sur un ensemble de critères objectifs, mais sur un ou des récits dominants{196}. Les interprétations de divers facteurs, qu’il s’agisse des objectifs ou des impacts directs et indirects d’une opération, coexistent et convergent pour former ce récit dominant. Ces interprétations sont elles-mêmes façonnées par toutes sortes de biais qui affectent l’évaluation des observateurs{197}. Afin d’illustrer nos propos sur le caractère subjectif du succès, la seconde partie de cet article se penche sur une étude de cas : les États-Unis au début de la guerre froide. Ce cas est important parce qu’il concerne une grande puissance, qu’il est bien documenté et occupe une place centrale dans le débat académique et public sur l’action clandestine. L’« âge d’or » de l’action clandestine L’« âge d’or{198} » de l’action clandestine de la CIA dans les années 1950 a commencé avec un ensemble d’actions visant à influencer les élections italiennes de 1948 pour maintenir les communistes hors du pouvoir{199}. Suivent la destitution du Premier ministre Mossadegh en Iran en 1953{200} et un coup d’État contre le président guatémaltèque un an plus tard{201}. Ces « succès » semblent démontrer le pouvoir et la puissance de la CIA à un point tel qu’ils ont acquis le statut de légende. En creusant, il apparaît que ces « succès » ont été construits. Chacune de ces opérations n’a pas objectivement réussi. La CIA n’a pas vraiment fait toute la différence et ses actions ont eu des conséquences politiques néfastes (instabilité, violence, dérive autoritaire, etc.). Ces faits sont désormais bien établis{202}. L’histoire du succès de la CIA s’est forgée à travers un cadrage qui a mis l’accent sur les intérêts américains et les exploits des officiers de la CIA. Lorsque notre compréhension (académique et populaire) de l’action clandestine américaine provient des archives américaines (CIA, département d’État, bibliothèques présidentielles), il n’est pas surprenant qu’elle souligne l’efficacité de ces opérations. Il est intéressant de noter que toutes les parties – la CIA, ses critiques et l’État cible – sont incitées à s’entendre sur ce récit de succès. Ces trois types d’observateurs prennent rarement la peine d’examiner si une intervention n’a eu que peu ou pas d’effets. L’impuissance ne leur convient pas. Les Américains ont gagné, pas besoin de le prouver. Pour les Américains, l’idée d’une CIA toute-puissante est rassurante au regard de leur propre sécurité et de leur statut de superpuissance{203}. Pour les critiques, une CIA toute-puissante est un épouvantail contre lequel s’élever. Pour les États cibles, une CIA toute-puissante est un bouc émissaire fort pratique pour faire oublier les défaillances nationales et les divisions internes{204}. Les récits de succès commencent à diverger lorsqu’on passe du court au long terme, un choix qui est lui-même subjectif. Ainsi, le coup d’État de 1953 en Iran a-t-il apporté suffisamment de stabilité au plus fort de la guerre froide pour justifier les effets néfastes à plus long terme qui pourraient lui être attribués ? Pour compliquer davantage le tableau, ces effets ne peuvent jamais être prouvés. Les récits divergent également lorsqu’on cherche à mieux comprendre les effets pernicieux de ces opérations et leurs implications pour la domination et la réputation des États-Unis. Pourtant, peu de personnes – y compris les critiques au sein du Congrès – ont remis en question l’impact de la CIA. Le récit d’un succès, au moins en termes de réalisation des objectifs, reste dès lors globalement intact. Les divergences commencent à apparaître de manière plus claire lorsqu’on change de perspective. En sortant du contexte de sécurité nationale des États-Unis, on peut prendre en compte des voix qui ont été traditionnellement marginalisées{205}, comme celles de la société civile dans les pays ciblés. Cette démarche met en lumière la façon dont nous comprenons le succès : souvent à travers la perspective d’un État occidental. Perceptions et compromis Changer de perspective permet notamment de mieux saisir les compromis qui sous-tendent le recours à l’action clandestine. Par exemple, le succès d’une opération d’ingérence électorale peut être contrebalancé par les préjudices portés au candidat du parti soutenu si l’opération est divulguée. Tout succès opérationnel peut ainsi être pondéré par des impacts politiques plus larges ou réputationnels. Un autre écueil serait de confondre rendement et résultats. Adopter une approche quantitative peut permettre de mesurer et de revendiquer un succès. Certains observateurs comptent ainsi le nombre de documents de propagande produits par une agence ou le nombre de terroristes éliminés{206}. Mais cette définition simpliste du succès néglige l’impact politique de ces opérations. Retracer le processus de qualification d’une action clandestine en succès ou en échec souligne l’importance des perceptions et des récits dans les affaires internationales. Les actions clandestines, telles que l’ingérence des États-Unis dans les élections italiennes de 1948, réussissent si des audiences influentes les perçoivent comme telles. L’« âge d’or » est donc une réussite, mais une réussite partielle au vu des critiques qui considèrent que certaines des opérations américaines ont été excessives. Ceci a des implications sur la façon dont les États usent de l’action clandestine et y réagissent aujourd’hui. Les réactions aux actions clandestines hostiles, en particulier lorsqu’elles en exagèrent le succès, peuvent générer de la paranoïa, de l’hystérie et du complot. Comme en Iran en ce qui concerne la CIA, ou aux États-Unis après 2016. Lorsque la patte des services russes a semblé apparaître un peu partout, une partie du public américain a perdu confiance dans les institutions démocratiques. Les effets directs de l’interférence électorale russe étaient très limités mais leur exagération dans le débat public a fait le jeu du Kremlin{207}. Cette interprétation donne de l’importance à ce qui pourrait autrement n’être que des opérations de propagande plutôt décevantes. Pour tirer des conséquences et répondre aux actions clandestines, il importe donc de bien décortiquer la manière dont leur supposé succès a été construit. Damien van Puyvelde est professeur agrégé et directeur du Scottish Centre for War Studies à l’Université de Glasgow. Il est chercheur associé à l’IRSEM, auteur de Outsourcing US intelligence (Edinburgh University Press, 2019). Son prochain ouvrage intitulé DGSE : The French Foreign Intelligence Agency paraîtra chez Georgetown University Press. Contact : [email protected]/Twitter @DamienVanP Rory Cormac est professeur titulaire en relations internationales à l’Université de Nottingham et auteur de Disrupt and Deny : Spies, Special Forces, and the Secret Pursuit of British Foreign Policy (Oxford University Press, 2018). Son prochain ouvrage, How to stage a coup : and 10 other lessons from the World of Secret Statecraft, paraîtra en 2022 chez Atlantic Books. Contact : Twitter @RoryCormac Calder Walton est directeur de la recherche pour le Intelligence Project et sousdirecteur du Applied History Project à l’Université d’Harvard. Il est l’auteur de Empire of Secrets : British Intelligence, the Cold War and the Twilight of Empire (Harper, 2013). Son prochain ouvrage, intitulé SPIES : the hundred years intelligence war between East and West, paraîtra en 2023 chez Simon & Schuster. Contact : Twitter @calder_walton 7 Les réfugiés peuvent-ils être utilisés comme armes ? Un défi pour l’occident ERIC HOVEY {208} Article publié le 21 février 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 22 avril 2022. Donnezmoi vos exténués, vos pauvres, vos masses recroquevil lées aspirant à vivre librement... {209} Emma Lazarus . À travers l’histoire, les motivations sous-tendant les migrations ont été multiples – liberté religieuse, opportunités économiques, fuite face à des situations de conflit, etc. Au cours des dernières années néanmoins, ces migrations sont de plus en plus devenues un sujet de préoccupation et ont attiré l’attention des dirigeants en Europe comme aux États-Unis. Depuis « la crise européenne de l’immigration de 2015 », on observe de nombreux exemples où les gouvernements occidentaux ont accusé d’autres pays d’utiliser les réfugiés comme armes. Le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a ainsi accusé la Biélorussie d’utiliser les réfugiés comme armes pour exercer une pression politique sur les gouvernements occidentaux, tandis que certains médias américains avertissent que les gouvernements autoritaires utilisent les migrants comme armes pour produire de l’instabilité dans le monde développé{210}. Cette question mérite d’être considérée plus en détail : les réfugiés peuvent-ils être des armes ? Si oui, ce sujet mérite-t-il une attention en ce qui concerne les formes de guerre ? Cet article s’appuie sur des études antérieures sur le sujet et avance l’argument que, oui, les réfugiés peuvent être utilisés comme une arme coercitive à des fins stratégiques{211}. L’utilisation d’« arme » dans cet article fait donc référence à l’utilisation d’êtres humains comme instruments involontaires de coercition. On peut dire qu’il existe deux catégories générales d’opérations utilisant des réfugiés. Dans la première catégorie, un État agresseur contrôle les flux de réfugiés et assume ouvertement la responsabilité de ses attaques. Dans la seconde, un État agresseur contrôle également les mouvements de réfugiés, mais il nie ou minimise publiquement sa responsabilité dans ceux-ci. Quelle que soit la catégorie utilisée, il est clair que l’utilisation de réfugiés comme une arme coercitive justifie l’attention dans la discussion générale des formes de guerre. Pour exposer cet argument, il faut d’abord préciser ce que l’on entend par « utiliser les réfugiés comme armes » et décrire brièvement le cadre juridique déterminant le traitement des migrants et des réfugiés. Il faut aussi expliquer comment cette tactique, qui n’est pas nouvelle, est devenue un défi plus pressant ces dernières années. Ensuite, une série de vignettes sera présentée pour décrire les deux principales catégories d’utilisation des réfugiés comme armes. Des recommandations pour résoudre ce problème seront enfin avancées dans l’espoir de réduire l’immense souffrance subie par les réfugiés et d’améliorer la sécurité des États-Unis et de ses alliés européens. Réfugiés et migrants, qu’entend-on par ces termes et pourquoi sont-ils importants ? Les réfugiés et les migrants sont classés différemment par les Nations unies (ONU). Les premiers ont été définis par la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967 qui définissent un réfugié comme toute personne qui « se trouve hors de son pays d’origine en raison d’une crainte de persécution, de conflit, de violence ou d’autres circonstances qui ont gravement bouleversé l’ordre public et qui, en conséquence, exige une “protection internationale”{212} ». En revanche, un migrant « est mieux compris comme quelqu’un qui choisit de déménager, non pas en raison d’une menace directe pour sa vie ou sa liberté, mais pour trouver du travail, pour l’éducation, le regroupement familial ou d’autres raisons personnelles ». Ces distinctions sont importantes car les réfugiés sont protégés par le droit international et peuvent demander l’asile dans un autre pays pour empêcher le « refoulement », c’est-à-dire leur rapatriement forcé. Les migrants, cependant, sont théoriquement libres de retourner dans leur pays d’origine sans craindre pour leur vie. Ils ne bénéficient donc pas de telles protections juridiques supplémentaires en vertu du droit international. Néanmoins, il est de plus en plus évident que cette distinction nette entre les termes – vieille de soixante-dix ans – est insuffisante pour décrire les tendances dans le champ de la mobilité internationale/transnationale. Les migrations sont en effet motivées par des causes complexes et qui se chevauchent, notamment l’insécurité économique et le changement climatique{213}. Pour cet article, une décision délibérée a été d’utiliser de manière interchangeable « réfugiés » et « migrants », car ils s’appliquent ici à des mouvements de personnes vulnérables où coexistent ces deux groupes difficiles à distinguer. Cette décision terminologique peut sembler cavalière, mais elle vise à déplacer l’objectif analytique de l’article vers l’utilisation problématique d’êtres humains (qu’ils soient réfugiés ou migrants) comme armes, et moins sur les ramifications juridiques de l’aide que les gouvernements occidentaux sont appelés à fournir. En ce qui concerne l’utilisation de réfugiés comme armes, peu importe qu’il s’agisse d’un réfugié kurde fuyant la guerre civile en Syrie ou d’un agriculteur économiquement démuni de Guinée-Bissau migrant vers l’Europe à la recherche de travail ; les deux sont vulnérables et peuvent être exploités. Le thème principal de cet article est de savoir comment s’occuper des problèmes posés par l’utilisation des réfugiés comme armes (les nuances du droit de l’immigration et des réfugiés dépassent sa portée). En disant que les réfugiés sont utilisés comme armes, l’on veut ici dire qu’un État peut exploiter le mouvement des réfugiés pour nuire à un autre État. Ces actions négatives peuvent prendre de nombreuses formes, telles qu’influencer les décisions politiques, faire du chantage, ou attiser les tensions concernant les réfugiés en partageant des infox sur les réseaux sociaux. La raison pour laquelle ce problème est si préoccupant aujourd’hui est que, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le nombre mondial de déplacés, y compris les réfugiés, était de 82,4 millions à la fin de 2020 – soit plus du double par rapport à 2010. Les conflits en cours au Yémen, en Éthiopie et ailleurs, combinés aux ravages du changement climatique, ne feront qu’augmenter le nombre de personnes déplacées pouvant être exploitées comme armes{214}. Bien qu’il s’agisse de défis mondiaux, cet article met l’accent sur l’impact sur les gouvernements occidentaux et sur la manière dont ils devraient y répondre. La raison de ce cadrage est que, comme indiqué dans un récent rapport de la Maison Blanche, les migrants souhaitent généralement émigrer vers les démocraties stables les plus proches qui adhèrent à la convention internationale sur l’asile et ont des économies fortes{215}. Pour ces raisons, les démocraties occidentales sont particulièrement vulnérables aux États tiers qui exploitent les mouvements d’individus vulnérables à des fins de pression. Ce fait est corroboré par des recherches antérieures qui indiquaient que dans 49 des 56 cas de « coercition motivée par la migration », l’État agresseur a relativement réussi à atteindre ses objectifs politiques en utilisant les réfugiés comme armes{216}. Effet direct, responsabilité sans ambiguïté La première catégorie décrivant comment les réfugiés peuvent être utilisés comme armes est l’effet direct, la responsabilité sans ambiguïté. Par « effet direct », on entend que le pays qui se sert des réfugiés comme d’une arme peut contrôler les flux de réfugiés de façon significative, en utilisant, par exemple, des garde-frontières ou des garde-côtes. Par « responsabilité sans ambiguïté », l’on entend que le pays qui utilise ces tactiques le fait de manière publique – il ne fait aucun doute que le gouvernement est responsable. Le défunt Mouammar Kadhafi illustre cette catégorie. Il y a plus d’une décennie, il a menacé de rendre l’Europe « noire » à moins qu’il ne reçoive des paiements de l’Union européenne (UE) s’élevant à cinq milliards d’euros par an{217}. Utilisant un langage raciste et xénophobe et flanqué du Premier ministre italien de l’époque, Silvio Berlusconi, Kadhafi a menacé l’UE déclarant que des millions d’Africains pourraient entrer en Europe depuis la Libye, fomentant une crise entre les Européens chrétiens et « cet afflux d’Africains affamés et ignorants{218} ». Cette déclaration n’était pas une menace en l’air. L’Italie et la Libye avaient déjà signé un traité en 2008 qui réduisait considérablement le nombre de migrants arrivant en Italie en provenance de Libye et qui autorisait le refoulement de facto des migrants vers le territoire libyen{219}. Kadhafi a ensuite été tué lors des insurrections déclenchées par le Printemps arabe de 2011. Ses menaces étaient crédibles, néanmoins, et les vestiges de son régime d’extorsion se poursuivent à ce jour{220}. Le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a quant à lui exploité « la crise de l’immigration de 2015 » en Europe – au cours de laquelle plus d’un million de réfugiés ont afflué en Europe – pour obtenir le maximum de concessions de la part des dirigeants européens{221}. En octobre de la même année, la situation est devenue si désespérée que les dirigeants européens se sont réunis à Bruxelles pour envisager les conditions les plus raisonnables afin de garantir la coopération de la Turquie et d’endiguer la vague d’immigrants{222}. La Turquie et l’UE ont conclu un accord en 2016 selon lequel Ankara surveillerait plus activement ses frontières à la recherche de migrants illégaux et permettrait que les migrants capturés en Grèce puissent être renvoyés en Turquie, en faisant ainsi le pays avec le plus de réfugiés au monde{223}. En échange, la Turquie a reçu six milliards d’euros d’aide et a pu reprendre les pourparlers concernant son adhésion possible à l’UE. La leçon qu’a retenue Erdogan était qu’il s’agissait d’une tactique qu’il pourrait encore exploiter à l’avenir. En 2020, il a soudainement ouvert les frontières de la Turquie avec l’Europe, provoquant un afflux de milliers de migrants à la frontière grecque{224}. L’ouverture des frontières était une protestation contre un manque perçu de soutien international après que des dizaines de soldats turcs ont été tués par les forces gouvernementales syriennes dans la province syrienne rétive d’Idlib{225}. Erdogan sait que sa capacité à contrôler les flux de migrants vers l’Europe – peu importe la souffrance humaine – donne à son gouvernement un avantage puissant lors des négociations avec ses voisins européens. Effet direct, responsabilité ambiguë La deuxième catégorie ne diffère de la première que par le fait que l’État qui manipule les mouvements de migrants dissimule ou ne rend pas explicite sa responsabilité dans ces actions. Par exemple, en mai 2021, l’afflux soudain de milliers de migrants à Ceuta (une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc) a été largement attribué aux désaccords diplomatiques entre l’Espagne et le Maroc au sujet du Sahara occidental{226}. Contrairement à la crise de 2020 avec la Turquie, cependant, le gouvernement marocain n’a pas revendiqué sa responsabilité{227}. D’un côté le gouvernement marocain voulait clairement punir l’Espagne pour avoir fourni une aide médicale à un leader du Front Polisario{228}. Le soutien apporté à ce leader séparatiste avait en effet sapé les revendications de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Mais, d’un autre côté, les Marocains ne voulaient pas exercer trop de pressions afin de maintenir leur réputation de destination touristique de choix pour les Européens et de gouvernement respectueux des droits de l’homme{229}. La frontière entre la Pologne et la Biélorussie est aussi le théâtre d’un conflit impliquant l’utilisation de réfugiés comme armes{230}. Le président de fait à vie de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a été réélu à l’été 2020, un résultat largement rejeté comme frauduleux par les gouvernements occidentaux et qui a soumis le régime à des sanctions en raison des violences des autorités biélorusses contre les partisans de la démocratie{231}. En mai 2021, face à la possibilité d’une intensification des sanctions à la suite de l’atterrissage forcé d’un avion de ligne pour arrêter les dirigeants de l’opposition, Loukachenko a mis en garde contre les conséquences qu’aurait la prise de nouvelles mesures contre son gouvernement{232}. En novembre, les autorités polonaises ont signalé une augmentation massive du nombre de migrants le long de la frontière polonaise d’environ 3 à 4 000 personnes{233}. La Pologne, l’UE et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ont toutes allégué que la Biélorussie avait encouragé les migrants du Moyen-Orient et d’Afrique à se rendre sur son territoire, puis les avait transportés jusqu’à la frontière polonaise{234}. Face à ces accusations, Loukachenko a toutefois nié toute responsabilité{235}. Ce n’est que plus tard qu’il a admis, à contrecœur, qu’il était « tout à fait possible » que ses troupes aient pu aider les réfugiés à atteindre la frontière polonaise{236}. Le président russe Vladimir Poutine, qui est un proche allié de Minsk, a défendu la gestion de la crise par Loukachenko, mais a aussi catégoriquement nié toute implication russe{237}. Cette crise reste non résolue, même si les dirigeants européens ont rapidement réagi pour soutenir la plupart des réfugiés à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine de 2022{238}. Si les exemples Espagne/Maroc et Pologne/Biélorussie diffèrent par leur gravité (cette dernière ayant causé plus de morts et de souffrances humaines), ils sont similaires dans la mesure où les deux gouvernements responsables du déclenchement de la crise n’en ont pas revendiqué la responsabilité. Les dénis de responsabilité publics à l’origine de ces crises sont notables quant à leur impact sur la résolution de la crise, même si leurs motivations sont différentes. Dans le cas marocain, cela a permis d’obtenir une résolution rapide. L’Espagne a rapidement approuvé un accord de 30 millions d’euros pour aider les efforts de la police des frontières du Maroc après la vague de migration de deux jours et les forces marocaines ont ensuite tranquillement repris leur posture normale de contrôle strict des frontières{239}. Aucune des deux parties n’avait à gagner d’un long débat sur la responsabilité, de sorte que le silence du gouvernement marocain a aidé les deux parties à aller de l’avant. Moins d’un an plus tard, le Maroc a non seulement été en mesure de rétablir ses relations diplomatiques avec l’Espagne, mais a également gagné un soutien formel du gouvernement espagnol pour son plan d’autonomie pour le Sahara occidental{240}. À l’inverse, la réticence de la Biélorussie à assumer la responsabilité du déclenchement de la crise des réfugiés prolonge le conflit et son refus, avec les autorités polonaises, d’autoriser l’accès à la frontière aggrave la crise humanitaire pour les réfugiés{241}. Loukachenko ne veut pas admettre la responsabilité de la situation – ce qui ne ferait que renforcer les arguments des dirigeants européens en faveur de sanctions plus sévères contre son gouvernement – donc la crise continue. Points essentiels, recommandations Les vignettes de cet article illustrent trois points essentiels. Tout d’abord, l’utilisation des réfugiés comme armes peut prendre de nombreuses formes. Cela peut inclure des actions passives, comme ordonner aux garde-côtes de ne pas empêcher la migration irrégulière, et des actions actives, comme le transport et le mouvement de migrants vers un autre pays. Ainsi, toute étude holistique des formes de guerre devrait examiner la manière dont les réfugiés affectent le conflit, passivement ou activement. Deuxièmement, quelles que soient les tactiques employées, ce traitement des réfugiés ne s’accorde pas avec les valeurs et les droits humains chers aux démocraties occidentales. Ce traitement est en outre efficace, car il n’offre pas de solution simple. Les politiciens aux États-Unis et en Europe se retrouvent dans une situation sans alternative satisfaisante en matière de réfugiés et de migration. D’une part, des politiques d’immigration et d’accueil des réfugiés trop strictes risquent de compromettre les engagements des gouvernements en matière de droits humains et peuvent aller à l’encontre du droit international. D’autre part, les politiciens qui acceptent un grand nombre de migrants dans leur pays seront confrontés à une pression extraordinaire – comme en a fait l’expérience la chancelière allemande Angela Merkel en 2015 – de la part des citoyens préoccupés par les coûts des défis d’intégration et de l’assimilation culturelle{242}. Enfin, parce que cette tactique est efficace et sera probablement utilisée de nouveau dans le futur, elle nécessite plus d’attention{243}. Des mesures peuvent néanmoins être envisagées pour redresser la situation. Une première étape cruciale serait de déclarer que cette tactique est inacceptable dans les documents d’orientation militaire stratégique pour les États-Unis et l’Europe. Actuellement, ni le rapport de situation du Commandement nord-américain des États-Unis (NORTHCOM) ni celui du Commandement européen (EUCOM) ne mentionnent l’utilisation de réfugiés comme armes comme une menace pour les États-Unis et leurs alliés{244}. La stratégie nationale de l’administration Biden réaffirme l’engagement des États-Unis à abriter les réfugiés, mais ne mentionne pas comment ils peuvent être exploités comme armes{245}. Cette tactique pourrait être abordée dans la prochaine boussole stratégique de l’UE, qui aiderait les États membres et leurs alliés à mieux planifier des réponses efficaces{246}. Le futur concept stratégique de l’OTAN pour 2022 devrait également aborder cette menace puisque l’OTAN coopère avec l’UE sur les questions de crise des réfugiés et des migrants{247}. Dès que le problème se trouve exprimé à un niveau stratégique, d’autres actions gouvernementales et militaires peuvent être prises pour y remédier. Au sein de l’armée américaine, cela signifie continuer à moderniser l’armée pour un conflit potentiel avec la Chine, mais sans oublier les leçons tirées des guerres récentes sur la façon dont le déplacement de personnes provoqué par les combats peut précipiter de nouveaux conflits, s’il n’est pas traité de manière adéquate. On pourrait s’occuper des causes profondes des flux de migrants eux-mêmes, comme l’augmentation des ressources pour lutter contre les effets du changement climatique et l’augmentation du soutien aux missions de maintien de la paix de l’ONU dans les zones de conflit{248}. Les sceptiques diront qu’on bâtit ici des châteaux en Espagne, mais toute réduction de l’utilisation de cette tactique cruelle devrait être tentée non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi dans le cadre des bonnes pratiques de planification militaire. *** L’utilisation des réfugiés comme armes est un problème grave qui ne fait qu’empirer. Malgré les restrictions de mouvement liées à la pandémie de Covid-19, de plus en plus de personnes à travers le monde sont déplacées, que ce soit à cause d’un conflit, du changement climatique ou du manque d’opportunités économiques{249}. Il n’y a pas de remède miracle pour résoudre le problème, mais si cette tactique n’est pas prise en compte, les démocraties occidentales resteront vulnérables à l’extorsion et à la division. La lutte contre l’utilisation des réfugiés comme armes sera difficile. Malgré la peur des migrants et des réfugiés parfois attisée par les politiciens occidentaux{250}, le soutien des démocraties occidentales aux droits de l’homme en fait des phares d’espoir pour les réfugiés du monde entier – comme déclaré dans la citation au début de cet article. Le fait est illustré par l’accueil chaleureux qui est actuellement réservé, en Europe, aux réfugiés ukrainiens fuyant l’invasion russe, et reste vrai même lorsque les démocraties occidentales ne sont pas toujours à la hauteur de leurs idéaux élevés en matière de migration et de réfugiés. Faire face à ce problème est difficile, mais cela en vaut la peine et est même nécessaire pour apprécier la nature complexe de la guerre. La lutte est importante car le problème ne fera qu’empirer s’il demeure ignoré. Relever ce défi correspond, en outre, aux idéaux nationaux les plus centraux de l’Europe et des États-Unis. Pour paraphraser les propos d’un autre dirigeant célèbre, confronté à un défi apparemment insurmontable, l’on fait ces choses non pas parce qu’elles sont faciles, mais parce qu’on sait qu’elles seront difficiles{251}. Le Major Eric Hovey est un officier du Corps des Marines actuellement stationné à Washington, D.C. Il est titulaire d’une maîtrise de la Naval Postgraduate School en études de sécurité régionale (avec distinction) et a publié des articles sur des sujets militaires dans la Marine Corps Gazette, le Proceedings, et le Small Wars Journal. Les opinions exprimées dans cet article sont strictement celles de l’auteur et ne reflètent pas la position du département de la Défense ou du gouvernement des ÉtatsUnis. Contact : Twitter@Eric_Hovey 8 La mobilisation des militaires dans la crise sanitaire. Les risques d’une armée « à tout faire » MATTEO MAZZIOTTI DI CELSO {252} Article publié le 7 février 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 19 avril 2022. Le compte Twitter{253} du ministère allemand de la Défense surprend par le nombre de publications qui font référence à l’engagement des militaires de la Bundeswehr au service de leurs concitoyens face à la pandémie. Du 24 décembre 2021 au 4 janvier 2022, plus d’une publication sur quatre utilise le hashtag #Corona ou montre des images liées, d’une manière ou d’une autre, à la mobilisation de l’armée dans la lutte contre le virus. En dépit du cadre juridique strict{254} qui rend difficile{255} son déploiement et d’une classe politique encore profondément divisée{256} par l’usage de la force armée sur le territoire national, le gouvernement allemand a massivement employé la Bundeswehr dans cet effort. Avec plus de 25 000 soldats{257} engagés entre mars 2020 et juin 2021, l’Allemagne est l’un des pays qui a mobilisé le plus grand nombre de militaires en Europe. Dans le contexte latino-américain, le souvenir des dictatures militaires des années récentes n’a pas non plus empêché les gouvernements de recourir massivement aux armées{258}. Celles-ci ont été chargées de l’exécution de nombreuses fonctions essentielles. L’amplitude de cette mobilisation a d’ailleurs fait craindre à plusieurs observateurs{259} d’éventuelles répercussions dommageables pour les systèmes démocratiques en Amérique latine. Les cas cités ne sont pas forcément surprenants au regard de l’augmentation considérable{260} du rôle des militaires dans les missions intérieures ces dernières années. Pourtant, jamais{261} les forces armées, notamment européennes, n’avaient été utilisées avec une telle intensité. À des degrés différents, presque partout dans le monde{262} les militaires ont joué un rôle très important dans la lutte contre la Covid-19. Même si les forces armées ont constitué un des éléments fondamentaux utilisés par les États dans la lutte contre le virus, rares sont{263} ceux qui se sont interrogés sur les conséquences potentielles de ce phénomène. Tout type d’opération intérieure des forces armées doit pourtant faire l’objet d’une analyse approfondie, car, derrière la façade d’une armée polyvalente{264} et capable d’intervenir quelles que soient les crises, des risques majeurs se cachent{265}. Premièrement, la présence constante des militaires dans l’espace public pourrait contribuer à une dérive antidémocratique au sein du processus décisionnel des institutions étatiques. Deuxièmement, cet emploi pourrait amener les gouvernements à recourir de plus en plus aux forces armées pour affronter les urgences nationales au lieu d’investir des ressources dans la création de structures institutionnelles de gestion de crise. Enfin, ce qui est le risque majeur en Europe, une intervention excessivement prolongée pourrait engendrer une réduction de l’efficacité de l’outil militaire. Cet article analyse le rôle des armées dans la pandémie et ses potentielles conséquences à l’aide d’un double cadre d’analyse : d’une part, celui des relations civilo-militaires et de l’efficacité militaire ; d’autre part celui de la nature des régimes politiques et de la gouvernance des crises. Pourquoi les militaires ont-ils été engagés ? Dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, les armées ont conduit{266} différentes missions{267} : soutien sanitaire, soutien logistique, mise à disposition du personnel sanitaire. Dans certains pays, comme en Italie{268} et en Espagne{269}, les armées ont aussi mené des opérations de maintien de l’ordre{270}. Même si les militaires ont été mobilisés presque partout dans le monde à partir de février 2020{271}, on distingue différents types d’intervention. Dans les premiers six mois de celle-ci, trois tendances{272} apparaissent : • Un support technique minimal, qui a vu les militaires mener des tâches très limitées et très techniques, surtout logistiques, dans plusieurs pays asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud et Taïwan{273}. Ce groupe de pays semble partager quelques caractéristiques : une capacité très élevée pour soigner les malades, une très bonne préparation aux pandémies et un degré élevé de confiance des citoyens envers les institutions publiques. Dans ces pays, les forces armées restent en outre soumises à un contrôle très fort de l’autorité civile, caractéristique découlant de la chute de régimes militaires antérieurs. • Une réponse « mixte », cas le plus commun, dans laquelle les forces armées ont joué un rôle plus ou moins important dès le début de la crise, mais toujours subordonné au pouvoir civil. C’est le cas de la plupart des démocraties occidentales, comme l’Italie, la France et l’Allemagne. Ici, les différences qui opposent les types de réponses choisies par les États semblent avoir des raisons plus complexes qui seront abordées en détail ci-après. • Une réponse guidée presque totalement par les militaires, ce qui fut le cas en Amérique latine{274}. Dans ces pays, les militaires bénéficient d’une forte autonomie. La fin des dictatures militaires latino-américaines des années 1960, 1970 et 1980 et le développement démocratique de ces pays n’a pas empêché les armées de continuer à assurer de nombreuses fonctions étatiques. Dans certains pays, comme le Brésil, on assiste même à un retour massif des militaires sur la scène publique{275}. Comme indiqué précédemment, dans la plupart des démocraties occidentales, les différences dans l’ampleur de la mobilisation interrogent. Tout d’abord, elles ne semblent pas s’expliquer{276} par la gravité de la crise. L’incapacité du système sanitaire ne paraît pas la première raison qui a conduit à faire appel aux forces armées. L’Allemagne{277} et l’Autriche{278}, par exemple, moins touchées par le virus que d’autres pays, comme la France{279} ou l’Italie{280}, ont déployé ainsi plus de militaires. Israël, qui a l’un des systèmes de santé parmi les plus efficaces{281} au monde et qui enregistrait, en mai 2020, un taux de mortalité inférieur{282} à ceux de l’Allemagne et de la Suède, a ainsi utilisé massivement son armée pour faire face à la crise. Les écarts observés dans le nombre de militaires déployés s’expliquent donc par d’autres raisons. En premier lieu, soulignons que dans de nombreux pays, surtout en Occident, le rôle des militaires dans la crise sanitaire est bien établi, tant sur la scène internationale que nationale. La pandémie de Covid n’est pas le premier cas dans lequel les militaires ont été déployés pour contenir une pandémie. Depuis 2001, on a vu les armées intervenir pour soutenir les systèmes sanitaires dans plusieurs cas : les forces anglaises ont coordonné la réponse{283} contre l’épidémie de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne en 2001 ; en 2009, le département de la Défense américain a été engagé{284} pour lutter contre la diffusion de la grippe aviaire H1N1 ; en 2014, un grand nombre de militaires guidés par l’Union africaine et quelques milliers de soldats américains et anglais ont été déployés{285} en Afrique occidentale pour contenir la diffusion du virus Ebola. Le support sanitaire est devenu{286} un terme omniprésent dans le langage même des campagnes de stabilisation et de maintien de la paix. Au niveau national, et ce dans plusieurs pays, le rôle des armées dans une situation de crise sanitaire est clairement établi par les principaux documents stratégiques, comme le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié par les autorités françaises en 2013. Ce n’est donc pas un fait nouveau que les militaires soient déployés pour apporter leur soutien dans une situation de crise sanitaire. La raison pour laquelle le politique est toujours tenté de s’adresser aux militaires en cas d’urgence, qu’elle soit sanitaire, environnementale ou de sécurité publique, est liée aux traits organisationnels{287} des armées. En tant qu’organisation hiérarchique, fondée sur la discipline et habituée à agir sous pression, l’armée est capable{288} de déployer très rapidement des milliers d’individus. Aucune institution civile n’a une telle capacité de mobilisation. L’armée, surtout, est autosuffisante, c’est-à-dire capable de se procurer tout ce qu’il lui faut sans avoir besoin d’aide (sécurité, nourriture, santé, transport). Les armées, donc, avec leurs capacités spécifiques, surtout logistiques, mais aussi sanitaires, ont pu soutenir un système sanitaire au bord du gouffre, en faisant office de dernier recours. Selon les cas, les militaires peuvent accepter plus ou moins volontiers{289} un ordre visant à leur attribuer un rôle en politique intérieure. Plusieurs raisons incitent les militaires à bien accueillir ces missions, qui peuvent être utilisées par les officiers généraux pour défendre des intérêts{290} dits corporatifs. Premièrement, pour une raison de légitimité sociale : les militaires pourraient profiter de ces situations pour renforcer leur image dans l’opinion publique. En France, par exemple, en dépit des critiques qu’elle a suscitées, l’opération Sentinelle a augmenté{291} la perception positive{292} de la Défense par la population française. Le même phénomène a été enregistré en Belgique, où l’opération de sécurité intérieure Vigilant Guardian et son volet Spring Guardian semblent avoir rapproché{293} l’armée de la population. Deuxièmement, pour des raisons budgétaires{294} : en temps de contraintes, ces missions peuvent constituer en effet une précieuse source de financement pour l’entraînement des cadres pour d’autres opérations. C’est le cas de l’Italie – selon certains auteurs{295} – où la faiblesse du budget consacré à l’armée est souvent compensée par le grand nombre d’opérations intérieures. Troisièmement, un déploiement de ce genre peut être utilisé par les militaires pour augmenter{296} leur pouvoir de négociation{297} à l’égard des responsables. Chiara Ruffa a montré{298} comment la mobilisation de l’armée française en opérations intérieures depuis les années 1990 a accru le degré d’autonomie des militaires auprès des pouvoirs publics. Plus récemment, ce phénomène a été mis en évidence par Yagil Levy{299}. En examinant le cas d’Israël au cours des vingt dernières années, l’auteur prouve que le recours massif à l’armée, utilisé par les politiciens israéliens pour légitimer{300} certaines politiques, s’est souvent traduit par un accroissement du pouvoir de négociation des militaires. De manière générale, le langage des politiciens a rendu possible un tel engagement des militaires dans plusieurs pays. À travers des discours{301} employant largement un vocabulaire guerrier et qui décrivent{302} la Covid19 comme « un ennemi à vaincre », les dirigeants politiques ont présenté la pandémie comme un enjeu de sécurité, c’est-à-dire, comme une menace à la survie de l’État justifiant des mesures exceptionnelles. Les études sur la sécurité appellent ce phénomène « sécuritisation », un terme qui désigne, selon Thierry Balzacq{303}, la « transformation fonctionnelle d’un problème en enjeu de sécurité{304} ». La sécuritisation entérine le passage du domaine de la politique ordinaire au domaine de l’urgence et de l’exception. Dans le cadre de l’état d’urgence, l’emploi des armées à l’intérieur des frontières nationales devient alors plus facile. Quels risques pour le contrôle démocratique des forces armées ? Les armées ont incontestablement joué un rôle important, surtout dans les premiers mois de pandémie, quand elles ont contribué à prévenir l’effondrement du système sanitaire. Néanmoins, il ne faut pas oublier que ce type de mission, comme toutes missions intérieures, présente des risques{305}. Premièrement, la présence des militaires dans les rues, dans les hôpitaux et, en général, dans le contexte civil, renforce l’idée que la situation est très sérieuse et que l’État ne dispose pas des moyens nécessaires pour la gérer. C’est pour cette raison que, comme le dit Yagil Levy{306}, le déploiement des armées finit en quelque sorte par renforcer le processus de sécuritisation. Pourtant, même si la « vieille ficelle{307} du recours à la sécurité » peut être efficace dans un premier temps, quand la crise est grave, sa prolongation dans le temps interroge. Comme l’état d’urgence (issu de la sécuritisation{308}) devient une loi plutôt qu’une exception, on peut voir surgir des tendances antidémocratiques{309} : la limitation, sinon la suspension de la délibération ou des organes délibérants ; un basculement vers l’autoritarisme ; un excès de surveillance{310} des citoyens. Deuxièmement, la mobilisation des militaires dans les cas d’urgence risque d’empêcher l’instauration de structures civiles de gestion de crise. Si à court terme les militaires peuvent soutenir l’État en compensant les déficits qui l’empêchent de fournir une réponse adéquate, sur le long terme le prolongement du recours aux armées peut dissuader le pouvoir politique de se doter des capacités nécessaires à gérer la crise sans l’aide des militaires. Cela apparaît nettement en Amérique latine{311}. Dans ce contexte, les déploiements internes de l’armée, qui devaient être des cas exceptionnels, deviennent la norme{312}. Ainsi, le recours effréné aux militaires empêche les gouvernements d’investir des ressources dans les institutions publiques essentielles. Nicole Jenne et Rafael Martínez, experts des relations civilo-militaires en Amérique centrale et du Sud, ont montré{313} comment dans ces pays les engagements intérieurs des armées constituent encore aujourd’hui une des raisons pour lesquelles les institutions étatiques peinent à fournir les services essentiels, comme celui de police{314}. Quels risques pour l’efficacité militaire ? Actuellement, le risque le plus important en Europe est que la mobilisation des armées dans la lutte contre la Covid-19 peut être très dangereuse pour l’organisation militaire, notamment pour son efficacité. On se réfère, quand on utilise ce terme, à ce que Risa Brooks et Elizabeth Stanley, expertes en relations civilo-militaires, ont défini comme « la capacité à créer de la puissance militaire à partir des ressources économiques, démographiques, technologiques et de capital humain d’un État{315} ». Elle repose sur quatre propriétés : l’intégration, qui est le degré de cohérence interne et de renforcement mutuel des activités militaires ; les compétences, y compris la capacité à conserver la motivation et le savoirfaire des soldats pour accomplir leurs tâches sur le champ de bataille ; la réactivité, qui est la capacité à s’adapter rapidement à des conditions changeantes ; la qualité, qui est la capacité de l’État à se doter des meilleurs équipements militaires disponibles. Afin de comprendre le potentiel impact de cette mobilisation sur l’efficacité militaire, il convient ici d’évaluer comment cela pourrait, à long terme, affecter ces quatre propriétés. Au niveau de l’intégration, l’incohérence entre les objectifs politiques et la stratégie militaire devient préoccupante. Au vu des capacités spécifiques des armées dans l’urgence et du coût relativement bas de leur engagement sur le sol national, les politiciens sont toujours tentés de recourir aux militaires en cas de crise. Dans plusieurs pays européens, on assiste déjà depuis plusieurs années à une accoutumance{316} grandissante des pouvoirs publics à la présence militaire. Or, en dépit de l’accroissement des engagements internes, les forces armées restent structurées en fonction de ceux qui restent les impératifs fonctionnels{317} : la défense de la nation contre toutes menaces extérieures. Cela engendre une sorte de déconnexion entre la formation, la doctrine et les achats militaires d’une part, et l’emploi opérationnel de l’autre. L’Italie est un cas emblématique : le dernier Livre blanc de la défense nationale, publié en 2015, rappelle que la mission première des forces armées italiennes est la défense de l’État contre toute forme d’agression, le concours auprès de l’État dans les cas de crise n’étant que la quatrième mission{318}. Or, l’opération Strade Sicure, menée par l’armée de terre italienne depuis 2008 sur le territoire national, soustrait à l’entraînement à elle seule pas moins de 22 000 hommes chaque année{319}. Cette opération, qui s’inscrit dans le cadre de la quatrième mission, est depuis longtemps le premier effort des forces terrestres italiennes. Sur le plan des compétences, le principal point d’attention demeure celui des effectifs. La mobilisation de tous ces effectifs ne peut être assurée qu’au prix de renoncements conséquents en matière de préparation opérationnelle. Même si, à court terme, une réduction du nombre d’exercices peut avoir un effet limité sur l’entraînement des soldats – ce qui s’est déjà passé dans les premiers mois de pandémie, avec le report{320} de l’exercice Aurora 2020 en Suède et la suppression des exercices Cold Response{321} en Norvège et Defender 2020{322} en Europe orientale – à long terme les conséquences ne feront que s’aggraver. L’entraînement et la maîtrise du savoir-faire sont affectés dans la durée, notamment la préparation opérationnelle interarmées. La capacité de manœuvre{323} des forces terrestres dans les opérations extérieures devient elle aussi préoccupante. En outre, un recours persistant à l’armée pour ce genre d’opérations pourrait engendrer toute une série de conséquences sur le plan de l’identité des militaires, qui se trouveraient à accomplir des tâches qu’ils ne considèrent pas appropriées à leur métier. La frustration liée à des missions considérées comme peu valorisantes{324} touche le moral et la cohésion de troupes{325}. Ces éléments ont une importance primordiale dans une institution comme l’armée qui exige en toute circonstance un engagement pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême. En termes de réactivité, ces opérations peuvent affecter le degré d’adaptation des armées. Une classe politique accoutumée à la présence des soldats à l’intérieur et de plus en plus dépendante de la main-d’œuvre militaire court le risque de ne pas s’intéresser aux évolutions du contexte sécuritaire et d’ignorer les adaptations qu’elles exigent. Pourtant, comme l’a souligné Adam Grisson{326}, tous les principaux modèles d’adaptation et d’innovation militaire – la distinction{327} entre adaptation et innovation tient à une différenciation dans l’ordre de l’intensité de l’action – sont caractérisés par une approche descendante. Les hommes politiques, en fait, seraient les plus à même{328} de ressentir les pressions du besoin de modifications doctrinales. Ainsi, un processus d’adaptation substantielle devient difficile sans l’impulsion de civils. Si ce dernier risque peut avoir des effets sur la réactivité, il peut aussi affecter la qualité des matériels et infrastructures, en poussant les politiciens à ne pas financer les investissements nécessaires aux armées pour s’adapter à l’évolution du contexte sécuritaire. Autrement dit, pourquoi l’État devrait se doter de nouveaux avions de chasse de sixième génération, si les tâches primaires des armées deviennent le support sanitaire et le maintien de l’ordre ? Encore une fois, l’Amérique latine{329} constitue un laboratoire de ces dérives. Dans les vingt dernières années, la plupart de ces pays ont réservé à la défense un montant{330} supérieur à 5 % de leur PIB. Pourtant, même si le niveau d’effort de défense est resté considérablement haut, les politiciens n’ont pas engagé les réformes nécessaires pour moderniser les armées. *** Une intervention massive et prolongée des armées sur le territoire national n’est pas sans conséquence. Dans la durée, ces engagements pourraient engendrer des risques qu’il convient de prendre en compte. Si, en général, ils peuvent affecter aussi bien la nature démocratique de l’État que les investissements publics dans les institutions qui devraient gérer les crises, en Europe, c’est surtout le risque de perte d’efficacité militaire qui importe. Alors que les rôles que le monde civil accorde aux militaires deviennent de plus en plus nombreux, amenant les militaires à exécuter d’autres types d’opérations que la guerre, il convient d’éviter de transformer les armées en instruments « à tout faire ». Pour empêcher cela, il est nécessaire que les décideurs politiques et les hauts commandants militaires comprennent bien les risques qui en découlent. Matteo Mazziotti di Celso est capitaine de l’armée de terre italienne et doctorant en « Security, Risk and Vulnerabilty » à l’Université de Gênes, avec un projet de recherche qui porte sur les opérations intérieures des forces armées en Europe. Il est aussi membre du Geopolitica. info, un think tank basé à Rome, pour lequel il s’occupe des questions militaires et de sécurité. [email protected]/Twitter @mazziottidicels Contact : 9 Amplitude et subtilité du droit international humanitaire dans la guerre en Ukraine JULIA GRIGNON {331} Article publié le 25 avril 2022 dans Le Rubicon , mis à jour le 28 avril 2022. Lorsqu’une situation de violence peut être qualifiée de « conflit armé », un corpus juridique dédié s’applique : le droit international humanitaire (DIH ou droit des conflits armés). La situation actuelle en Ukraine n’échappe pas à la règle. Mais alors que l’on parle surtout des « crimes de guerre » qui sont actuellement commis sur le territoire ukrainien et qui constituent des criminalisations de certaines des violations du DIH, il est aussi nécessaire de mettre en évidence que celui-ci a une existence propre. Autrement dit, le DIH ne se résume pas à la somme des violations qui peuvent être commises en temps de conflit armé. Il met un grand nombre d’obligations à la charge des parties au conflit, qui varient selon le rôle qu’elles y jouent, et il constitue un garde-fou afin de limiter la violence armée au strict nécessaire exigé par la guerre, c’est-à-dire l’affaiblissement du potentiel de l’ennemi. Cette contribution a donc pour but de mettre en évidence le pragmatisme et les nuances que recèle le DIH, grâce à l’examen de quelques exemples tirés de la situation en Ukraine et à l’exclusion de toute considération relative à la recherche des responsabilités. L’application du droit international humanitaire en Ukraine Tout d’abord il convient de remettre en perspective que l’application du DIH en Ukraine ne date pas du 24 février 2022. Elle remonte au moins à l’année 2014 et elle se décline de plusieurs manières. Premièrement, à partir de février 2014 la Crimée a vu se déployer sur son sol des soldats revêtant des uniformes non identifiés, reconnus ensuite comme appartenant à la Fédération de Russie, et depuis lors ce territoire est sous le contrôle des forces russes. Cette situation répond à la définition de l’occupation{332} selon laquelle un territoire est considéré comme occupé dès lors qu’une armée ennemie y exerce son autorité. L’occupation est une catégorie de conflit armé international (CAI) et déclenche donc l’applicabilité du DIH, en particulier la section III du Titre III de la Convention IV de Genève relative précisément aux « territoires occupés ». Deuxièmement, les forces armées ukrainiennes sont aux prises avec les forces des républiques autoproclamées de Louhansk et Donetsk. Ces affrontements constituent un conflit armé non international (CANI) depuis que les manifestations qui se déroulaient sur cette partie du territoire se sont muées en conflit armé, en raison de l’intensification de la violence et de l’organisation des forces en présence. Ils déclenchent l’application de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève{333} et de leur deuxième Protocole additionnel{334} auquel l’Ukraine est partie, et parce que ses conditions d’application sont remplies{335}. Deux conflits armés – un CAI sous la forme d’une occupation et un CANI – se déroulaient donc déjà sur le territoire de l’Ukraine, au moment où la Fédération de Russie initiait une offensive militaire sans précédent sur l’ensemble du territoire ukrainien, le 24 février 2022. Cette nouvelle offensive constitue un CAI typique, c’est-à-dire un affrontement armé opposant au moins deux États, qui déclenche l’application des quatre Conventions de Genève de 1949, auxquelles tous les États sont partie, et leur Premier protocole additionnel{336}, auquel l’Ukraine est partie mais dont la Fédération de Russie s’est retirée en 2019. À ce socle fondamental du DIH s’ajoute en l’occurrence l’application d’autres textes (tels que la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels, la Convention de 1976 sur les techniques de modification de l’environnement, ou encore la Convention de 1993 sur les armes chimiques, par exemple), mais aussi le DIH coutumier, c’est-à-dire toutes les règles identifiées comme étant une « pratique générale acceptée comme étant le droit » et dont le Comité international de la Croix-Rouge a offert une nomenclature{337}. Ainsi décrit, et au-delà de sa dimension géopolitique et de son caractère inédit à maints égards, le conflit en cours sur le territoire de l’Ukraine a la spécificité d’être un CAI, type de conflit qui est devenu relativement rare. En effet, à l’exception des phases initiales des conflits en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, le conflit au Haut-Karabakh en 2020 ou encore l’occupation continue des territoires palestiniens depuis 1967, tous les autres conflits armés actuels sont des CANI selon la typologie du DIH (Cameroun, Colombie, Éthiopie, Libye, Mali, Myanmar, Syrie, République démocratique du Congo, Somalie, Soudan, Tchad, Yémen, sans que cette liste ne soit exhaustive){338}. Or, si humainement toutes les personnes affectées par les conflits armés devraient jouir des mêmes protections indépendamment de la qualification du conflit armé – international ou non international – le DIH continue toutefois de distinguer juridiquement entre ces deux types de conflits et de prévoir des dispositions dans une certaine mesure différenciées en fonction de la qualification de la situation. À la faveur de l’identification d’un DIH coutumier, une certaine convergence s’est opérée entre le droit applicable aux CAI et aux CANI. Deux notions au moins empêchent toutefois une fusion complète : la notion de « combattant » qui donne droit au statut de prisonnier de guerre et la notion d’« occupation militaire » qui reste le fait exclusif de l’État. Or ces deux régimes, le statut de combattant et l’occupation militaire, qui trouvent aujourd’hui à s’appliquer en Ukraine, sont parmi ceux qui sont les plus protecteurs de l’ensemble du DIH et ils permettent en outre d’éclairer deux choses : le DIH est un droit pragmatique et de négociation et un droit fait de nuances. En creux, ces notions montrent également que le DIH ne se résume pas aux crimes de guerre et que tout ce qui n’est pas crime de guerre n’est pas nécessairement permis. Un droit pragmatique et de négociation Les prisonniers de guerre ne sont pas des prisonniers comme les autres. D’abord, ils ne sont pas « détenus », mais « internés »{339}. La distinction sémantique peut sembler académique de prime abord. Il n’en est rien – comme pour l’ensemble du DIH du reste, un droit pragmatique qui ne s’embrasse pas de rhétorique. Cela renvoie à la réalité qui leur est propre. Les soldats, quelles que soient les raisons de leur engagement et leurs motivations à combattre dans un conflit donné, ne font que leur travail, qui consiste à s’engager dans les affrontements armés avec l’ennemi, tout en respectant les règles prescrites par le DIH. À ce titre, lorsqu’ils sont capturés par l’ennemi ils ne peuvent être poursuivis pour le seul fait d’avoir participé aux hostilités (en revanche, ils doivent être poursuivis s’ils sont soupçonnés d’avoir commis des crimes). Il en résulte que leur captivité ne fait pas l’objet d’un procès : elle se traduit par un internement administratif qui ne donne pas lieu à ce qu’ils soient présentés à un juge{340} ; ils n’ont donc pas non plus besoin d’un avocat. Autrement dit, les garanties judiciaires du procès équitable ne leur sont pas dues, puisque, précisément, ils ne font pas l’objet d’un procès. En contrepartie, les prisonniers de guerre bénéficient de protections qui leur sont spécifiques et qui sont contenues dans une Convention qui leur est tout entière dédiée : la Troisième Convention de Genève de 1949. À ce titre, ils doivent notamment recevoir la visite du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui s’assurera du respect de la Convention (article 126), les enregistrera et les mettra en lien avec leurs familles (article 123). Au nombre des autres protections que leur garantit la Convention, sans revenir sur l’interdiction de les soumettre à la curiosité publique (article 13) qui a déjà été abondamment commentée dans le contexte de la situation en Ukraine{341}, on trouve également : « chaque prisonnier de guerre ne sera tenu de déclarer, quand il est interrogé à ce sujet, que ses noms, prénoms et grade, sa date de naissance et son numéro matricule ou, à défaut, une indication équivalente » (article 17) ; « la Puissance détentrice pourra leur imposer l’obligation de ne pas s’éloigner au-delà d’une certaine limite du camp où ils sont internés ou, si ce camp est clôturé, de ne pas en franchir l’enceinte. [Ils] ne pourront être enfermés ou consignés que si cette mesure s’avère nécessaire à la protection de leur santé » (article 21) ; « de l’eau potable en suffisance sera fournie aux prisonniers de guerre. L’usage du tabac sera autorisé » (article 26) ; ou encore « les prisonniers éliront librement et au scrutin secret [...] des hommes de confiance chargés de les représenter auprès des autorités militaires, des Puissances protectrices, du Comité international de la Croix-Rouge et de tout autre organisme qui leur viendrait en aide » (article 79). Il en va tout autrement des membres de groupes armés qui seraient capturés, précisément car leur participation aux hostilités pourrait donner lieu à des poursuites puisqu’ils n’ont pas, eux, le droit de combattre. De même, la Convention III ne leur serait pas applicable. Ils bénéficieraient bien entendu de toutes les garanties fondamentales liées au traitement humain, comme tout individu, mais pas de toutes les protections offertes aux prisonniers de guerre. Appliquée à la situation en Ukraine, cette distinction a pour conséquence que lorsque les forces armées ukrainiennes capturent des soldats russes, elles doivent leur garantir le statut de prisonnier de guerre, alors que si elles capturent des membres des groupes armés prorusses opérant au Donbass elles n’ont pas à le faire. Ainsi des individus capturés dans le cadre d’une même situation, mais en lien avec deux natures de conflits différentes, ne bénéficient pas des mêmes droits. En pratique, ces personnes seront certainement placées dans les mêmes lieux de privation de liberté et si le CICR obtient l’accès aux prisonniers de guerre qui s’y trouvent, il demandera à visiter toutes les personnes, prisonniers de guerre internés comme membres des groupes armés détenus. En termes de traitement, les différences sont minimes – tous doivent être traités humainement et il ne doit pas être porté atteinte à leur dignité – mais en termes de statut la différence est grande. Négocié par les États, dont les délégations étaient souvent accompagnées de membres de leurs étatsmajors, le DIH maintient cette distinction qui reste indépassable. Elle est attachée au statut de combattant qui n’est reconnu, et ne sera sans doute jamais reconnu, qu’aux membres des forces armées gouvernementales. C’est tout le sens du DIH, qui est un droit d’exception et qui a vocation à s’adapter aux réalités de la guerre. Afin de conserver au DIH tout son pragmatisme et son efficacité, il est donc indispensable de ne pas lui appliquer une lecture infusée de toute autre branche du droit international relative à la protection de la personne. En effet, alors que, par exemple, en droit international des droits de l’homme les règles pertinentes favorisent des conditions de détention qui garantissent aux individus le plus d’intimité possible, exiger l’encellulement individuel consisterait en une sanction aux termes de la Convention III de Genève. Dans la même veine, il est tout simplement inconcevable que le droit international pénal criminalise un jour une éventuelle interdiction de fumer dans les lieux de privation de liberté, alors que le DIH prévoit que les prisonniers de guerre aient le droit de fumer. S’il y a une évidente convergence des finalités des branches du droit international protégeant les individus, il n’en demeure pas moins que chacune conserve ses spécificités, propres aux contextes dans lesquels elles ont vocation, par nature, à s’appliquer. Rogner sur le statut de prisonnier de guerre, unique au DIH, prétendre l’exiger pour d’autres catégories de personnes, le déclarer obsolète ou jamais respecté, ce serait ainsi méconnaître sa finalité et son pouvoir protecteur. Un droit tout en nuances Nuances entre les statuts offerts aux personnes impliquées dans les hostilités, nuances également quant aux statuts des territoires sur lesquels progresse l’armée russe, ou desquels elle se retire, ou de ceux qui sont contrôlés par des groupes armés prorusses. Dans la même logique que ce qui a été mis en avant dans les lignes qui précèdent, un groupe armé peut « contrôler » une portion d’un territoire, mais il ne peut pas juridiquement l’« occuper » (contrairement au langage employé dans une affaire jugée par la Cour pénale internationale et relative à la situation au Mali{342}, qui ne peut que s’apparenter à une erreur). Cela peut paraître là encore relever de l’argutie juridique. En réalité, cela peut avoir des conséquences dans le(s) conflit(s) en cours sur le territoire de l’Ukraine et beaucoup plus largement sur les effets protecteurs que cherche à produire le DIH. Il convient donc d’exiger des soldats des forces armées régulières russes l’application des règles relatives aux territoires occupés lorsqu’ils exercent leur autorité sur certaines portions du territoire ukrainien, avec certaines nuances décrites ci-dessous, mais de se garder de le faire à l’égard de groupes armés qui en contrôlent certaines autres. L’occupation résulte de l’exercice par un État de son autorité sur tout ou portion d’un territoire ennemi. Elle ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer{343}. Il en découle que cet État doit dans « toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics{344} ». On le voit immédiatement, cette exigence ne saurait être imposée à un groupe armé. De même, lorsqu’une situation d’occupation est caractérisée, la section III du Titre III de la Convention IV de Genève consacrée aux « territoires occupés » s’applique. Les dispositions que contient cette section renvoient à des compétences étatiques, pour ne pas dire régaliennes. Si l’occupation ne suppose pas de transfert de souveraineté, elle suppose toutefois un transfert de l’administration de la zone occupée, dans le respect des lois en vigueur dans le pays. Il s’agit par conséquent par exemple de veiller au bon fonctionnement des hôpitaux et des institutions dédiées à l’enfance (article 50), d’édicter une législation pénale qui doit être publiée et portée à la connaissance de la population dans sa langue (article 65), d’assurer « l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ; [la Puissance occupante] devra notamment importer les vivres, les fournitures médicales et tout autre article nécessaire lorsque les ressources du territoire occupé seront insuffisantes » (article 55), ou encore d’accepter les envois de livres et d’objets nécessaires aux besoins religieux et de faciliter leur distribution (article 58). Au-delà de renvoyer à des compétences étatiques, ces obligations juridiques imposent également une nuance quant au moment à partir duquel elles sont exigibles de la Puissance ennemie. Autrement dit, l’armée russe en est-elle comptable à ce jour (28 avril 2022{345}) à Kherson, Melitopol, Marioupol ou Berdiansk (en Crimée, il va sans dire, ce territoire étant occupé depuis 2014) et en a-t-elle été ailleurs, comme à Soumy, Kharkiv, Boutcha, Irpin ou encore Borodianka par exemple, au cours des premières semaines de l’offensive débutée le 24 février ? La question se pose en raison de la coexistence de deux approches distinctes relatives aux territoires occupés au sein du DIH. En effet, si la définition de référence en ce qui concerne l’occupation militaire figure à l’article 42 du Règlement de La Haye, tel que mentionné plus haut, il faut également tenir compte des conditions d’application de la Section III du Titre III de la quatrième Convention de Genève, intitulée « territoires occupés », également évoqué dans les lignes qui précèdent. Or, si pour toutes les villes énumérées ici il est discutable qu’elles aient été placées de fait sous l’« autorité » de l’armée ennemie au sens de l’article 42, l’application des dispositions relatives aux territoires occupés de la quatrième Convention de Genève obéit à une conception « fonctionnelle », qui permet de considérer que certaines d’entre elles au moins ont été ou sont exigibles des troupes russes se trouvant sur ces territoires. La notion d’occupation fonctionnelle a été élaborée par Jean Pictet dans son commentaire de la quatrième Convention de Genève, qui se lit comme suit : « [l]es rapports entre la population civile d’un territoire et la troupe qui avance sur ce territoire, en combattant ou non, sont régis par la présente Convention. Il n’y a pas de période intermédiaire entre ce que l’on pourrait appeler la phase d’invasion et l’installation d’un régime d’occupation stable. Même une patrouille qui pénétrerait en territoire ennemi, sans avoir l’intention de s’y maintenir, doit respecter la Convention à l’égard des personnes civiles qu’elle rencontrerait{346} ». Il en résulte que toute personne se trouvant sur une portion du territoire sur lequel pénètrent les forces armées russes est protégée par toutes les dispositions de la quatrième Convention de Genève, dès lors qu’elle tombe en leur pouvoir, que ce territoire soit considéré comme occupé ou non. Ainsi les règles relatives aux « territoires occupés » de la quatrième Convention de Genève s’appliquent à tout territoire sur lequel pénètre l’ennemi. Toutefois un examen rapide des articles se trouvant dans cette section permet de douter qu’il soit réaliste d’en exiger leur application exhaustive à l’égard de tout soldat au pouvoir duquel tomberait une ou plusieurs personne(s) civile(s). Difficile également d’imaginer exiger de la Russie aujourd’hui le fonctionnement des écoles, les garanties relatives aux procédures pénales ou la protection des travailleurs à Kherson ou à Marioupol. Le droit exige toutefois une certaine stabilité juridique, laquelle peut être réalisée dès lors que sont dégagés quelques principes généraux d’application. Cet exercice a été réalisé ailleurs{347} et suivant une méthodologie consistant à examiner pour chaque disposition si elle établit la jouissance d’un droit ou si elle est relative au traitement des personnes protégées, en même temps qu’elle ne nécessite pas que la Puissance occupante ait établi son autorité de façon déterminante pour pouvoir assurer leur réalisation, il a été possible d’identifier lesquelles des obligations contenues à la section III du Titre III de la quatrième Convention de Genève étaient exigibles en tout temps. La plupart du temps cela reviendra à observer que la disposition en cause exige seulement une abstention et non la mise en place de mesures spécifiques nécessaires à son exécution. Le pragmatisme du DIH impose en effet de veiller à ce que sa mise en œuvre soit possible. Au travers des exemples de la qualification de la situation, du statut de prisonniers de guerre et de la notion d’occupation, qui questionnent le droit applicable aux personnes tombant aux mains de l’ennemi dans les affrontements en cours en Ukraine, on peut donc constater toute l’amplitude et la subtilité du DIH, un droit spécifiquement conçu pour s’appliquer pendant les conflits armés et qui ne se résume pas aux crimes de guerre. Un droit dont il ne faut pas attendre ce qu’il ne peut pas offrir : le DIH n’a pas, n’a jamais eu, et n’aura jamais vocation à conduire à la paix, et qu’il ne faut pas lire à la lumière d’autres droits tels que le droit international des droits de l’homme, au risque de lui faire perdre tout son sens, toute sa crédibilité et surtout toute son efficacité. Il a été affirmé que si le droit international est au point de fuite du droit, le DIH est au point de fuite du droit international{348}, nous faisons nôtre cette maxime et nous l’acceptons comme telle tant le DIH permet d’apporter un peu d’intelligence dans le chaos. Julia Grignon est professeure agrégée de la faculté de droit de l’Université Laval et chercheuse en droit des conflits armés à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Elle dirige le développement de partenariat pour la promotion et le renforcement du droit international humanitaire, Osons le DIH ! Contact : [email protected]/Twitter @jlgrgn {1} . Ukraine. Le choc de la guerre, Équateurs, coll. « Le Rubicon », 21 avril 2022. {2} . Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations [1962], Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 157. {3} . Louis Gautier (dir.), Mondes en guerre, Paris, Passés/Composés, t. 4 Guerres sans frontières. 1945 à nos jours, 2021, p. 13. {4} . 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Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), adopté à Genève, 8 juin 1977, Recueil des o Traités, vol. 1125, 1979, RTNU n I-17512, p. 271-596, accessible en ligne sur la base de données en ligne du Comité international de la Croix-Rouge : https://ihl-databases.icrc.org/ihl. {337} . Le CICR a publié en 2006 une étude sur le droit international humanitaire coutumier qui recense 161 règles dont plus de 140 applicables dans les CANI. Cette étude publiée sous les noms des deux personnes en charge du projet fait maintenant l’objet d’une base de données accessible en ligne et régulièrement actualisée : Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Genève/Bruxelles, Comité international de la Croix-Rouge/Bruylant, 2006, https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/home. {338} . Sur les controverses qui ont pu naître autour de certaines situations en raison de l’utilisation du vocable « guerre contre le terrorisme », qui n’est pas de nature à affecter la qualification en DIH, voir Julia Grignon, « “Guerre” contre le terrorisme et droit international humanitaire », Annuaire français des relations internationales, vol. XXII, 2021, p. 101-114. {339} . Cette distinction traverse toute la Troisième Convention de Genève de 1949 qui est tout entière construite sur la notion d’internement. Ceci est notamment reflété à son article 21. {340} . Il existe toutefois une exception qui résulte de l’article 5 de la troisième Convention qui prévoit qu’un tribunal peut être amené à se prononcer lorsqu’il existe un doute sur le statut de personnes qui, ayant commis un acte de belligérance, ne relèvent pas de manière évidente du statut de prisonnier de guerre. {341} . Voir, par exemple, Paul Aveline, Comment filmer les prisonniers russes exhibés par l’Ukraine ? – Les médias face aux Conventions de Genève, Arrêt sur Images, 16 mars 2022, accessible en ligne : https://www.arretsurimages.net/articles/comment-filmer-les-prisonniers-russes-exhibes-par-lukraine, et France Info, Vrai ou Fake ? L’armée ukrainienne humilie-t-elle les soldats prisonniers russes ?, 17 mars 2022, accessible en ligne : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-enukraine/vrai-ou-fake-larmee-ukrainienne-humilie-t-elle-les-soldats-prisonniers-russes_5021936.html. {342} . Cour pénale internationale, Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, Jugement, 27 septembre o 2016, n ICC-01/12-01/15, Chambre de première instance VIII, accessible en ligne : https://www.icccpi.int/CourtRecords/CR2016_07245.PDF. {343} . Article 42 du Règlement de La Haye, op. cit., note 1. {344} . Article 43 du Règlement de La Haye, ibid. {345} . Pour une actualisation régulière de l’évolution du conflit, voir le compte Twitter @War_Mapper qui suit quasiment en temps réel la progression des troupes russes. {346} . Jean S. Pictet (dir.), La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Commentaire, Comité international de la Croix- Rouge, Genève, 1956, p. 67. {347} . Voir Grignon, L’applicabilité temporelle du droit international humanitaire, op. cit., p. 133 et suivantes. {348} . Voir Antoine Bouvier, Julia Grignon, Anne Quintin et Marco Sassòli, How Does Law Protect in War ? Online Casebook : https://casebook.icrc.org/law/fundamentals-ihl#toc--i-internationalhumanitarian-law-at-the-vanishing-point-of-international-law.