1 Natura et les chevaliers des quatre saisons Pierre Coran – Élise Mansot Elle tourne en rond dans son château de verre, la fée Natura. Elle est très en colère, et ça se voit. Les fleurs et les fruits qui l’habillent, des cheveux aux orteils, tremblotent comme un feuillage sous le vent. La fée appelle son jardinier et ses chevaliers servants : Printemps, Été, Automne, Hiver, et les prie de la rejoindre dans la serre. - Cette nuit, annonce-t-elle, les légumes de notre potager ont disparu. Voyez autour de vous ! C’est le vide. Le voleur a tout emporté ; il n’a laissé que trois oignons ! - Peut-être parce qu’ils font pleurer ! plaisante le jardinier. Natura gronde : - L’heure n’est pas à plaisanter. Nous devons nous défendre. Chevaliers, que proposez-vous ? 2 Natura et les chevaliers des quatre saisons - Pour vous servir, j’ai mon épée de glace, dit Hiver. - Moi, ma lance de pluie, renchérit Printemps. - J’ai mes éclairs de feu, offre Été. - Moi, mon lasso de vent, propose Automne. Perchés sur une échelle, quatre faucons les regardent. Le jardinier, lui, se met sur la tête afin de mieux réfléchir. Rassurée, la fée s’écrie : - Allez, courez par bois et champs et ramenez-moi le brigand ! Que mes faucons vous accompagnent ! Au carrefour de la forêt, quatre chemins s’ouvrent devant les chevaliers. Par où aller ? Peut-être chacun de ces sentiers cachet-il un monstre… Les chevaliers hésitent. Printemps gratte les fleurs de son front, Été sa collerette de pétales, Automne ses pommettes cerise et Hiver ses cheveux de branches. Ils décident de se séparer. Chacun choisit son faucon. Le rendez-vous est donné au volcan à la lune ronde. 3 Natura et les chevaliers des quatre saisons En haut d’une colline, Printemps aperçoit un moulin à vent qui n’a plus qu’une aile. Des corbeaux tourbillonnent au-dessus. Le chevalier s’y rend. - Holà ! Il y a quelqu’un ? Personne ne lui répond. Printemps pousse la porte. Aussitôt, une immense toile d’araignée l’emprisonne. Il se débat, mais impossible de s’en dégager ! L’araignée a la taille d’une tortue et ses yeux sont ronds comme des melons. Très lentement, elle chantonne : Chevalier à la lance d’eau, Tu es fleuri comme un drapeau. Mais moi, je dois te l’avouer, Je n’aime que les fleurs séchées. Elle ouvre une lucarne avec ses monstrueuses pattes. Un soleil brûlant frappe le chevalier. Printemps se sent roussir ; il pousse un cri. À l’instant, son faucon surgit et attaque la toile à coups de bec. Délivré, le chevalier saisit sa lance de pluie et asperge le soleil. En un éclair, l’araignée tombe en poussière. - La fée est avec toi, Chevalier, crie le faucon. La main voleuse est ailleurs. Cherche encore et tu trouveras ! 4 Natura et les chevaliers des quatre saisons Il a marché, marché, le chevalier Été. Il a marché jusqu’à la mer ! Du haut d’une dune, il salue l’horizon. Brusquement, un serpent géant à tête de poisson jaillit des vagues. Il se tortille sur la plage et persifle dans sa langue moqueuse : Comme les serpents, les poissons, Je connais le chant des sirènes Et les épaves des grands fonds. Plonge et suis-moi, je t’y emmène. L’affreux serpent se dresse. Il montre les dents qu’il a longues, longues comme des lances de tournoi. Le chevalier se sait en danger ; il pousse un cri. À l’instant, son faucon surgit et distrait le serpent. Été en profite et envoie sur le monstre ses éclairs de feu. D’emblée, le serpent s’envole en fumée. - La fée est avec toi, Chevalier, crie le faucon. La main voleuse est plus loin. Cherche encore et tu trouveras ! 5 Natura et les chevaliers des quatre saisons Dans la vallée, Automne suit la rivière… Et voici qu’il pleut ! Le chevalier s’abrite sous un pont. Clic ! Une sorcière couverte de lucioles s’allume dans l’ombre. Elle tient un arc dans une main, une flèche dans l’autre et se met à chanter, d’une voix éraillée : Je suis jeteuse de sort, À la vie, à la mort. Je fais ce qu’il me plaît. Rien ne m’est impossible. Je vais prendre pour cible La patate de ton nez. Elle arme son arc et vise le chevalier. Automne se sent perdu ; il pousse un cri. À l’instant, son faucon surgit, fond sur la sorcière et lui griffe les mains. Le chevalier lance son lasso vers l’horrible sorcière qui se change sur-le-champ en tourbillon de vent. - La fée est avec toi, Chevalier, crie le faucon. La main voleuse n’est plus loin. Cherche encore et tu trouveras ! 6 Natura et les chevaliers des quatre saisons Hiver patauge dans la boue. Il longe un marécage jusqu’au volcan. Tout à coup, sortant d’un nuage, un dragon volant le frôle de ses ailes coupantes puis se pose sur le marécage et grogne : Homme des boues, tu me déplais Avec ton citron ridicule. Je suis dragon et de ce fait, J’avale tout ce que je brûle. Hiver se trouve minuscule devant ce géant à l’haleine de feu ; il pousse un cri. À l’instant, son faucon surgit et becquette les yeux de la bête. Vite, le chevalier pointe son épée de glace vers le dragon qui grimace et se fige sur place en statue de glace. - La fée est avec toi, Chevalier, crie le faucon. Hâte-toi jusqu’au volcan, les autres t’y attendent ! 7 Natura et les chevaliers des quatre saisons La lune est ronde au-dessus du volcan, mais ce n’est plus la nuit. Sur le bord du cratère, les quatre chevaliers sont là, leur faucon sur l’épaule. Ils se regardent sans se parler tant leur fatigue est grande. Tout à coup, sans bruit, la terre se déchire devant eux. Au fond d’un trou énorme, dans un chaudron énorme, des légumes cuisent à gros bouillons. Un ogre énorme aux bras de pieuvre touille le potage. - Vous tombez à pic, Chevaliers, beugle-t-il. Un festin vous attend. Il s’adresse à Printemps : - Toi, tu n’es que fleurs. Tu serviras de bouquet sur ma table. Il lorgne Automne : - Toi, je te garde pour le dessert. Tu seras ma salade de fruits. L’ogre éclate d’un rire méprisant en voyant Hiver : - Toi, tu es immangeable. Avec tes cheveux de branches, tu vas alimenter mon feu sous le chaudron. Il adoucit sa voix en convoitant Été : - Toi, tu es copieux et appétissant ; tu dois être fin, super fin et j’ai une grande faim. 8 Natura et les chevaliers des quatre saisons Tout à coup, l’ogre qui bave se montre menaçant. Oubliant leur fatigue, les chevaliers l’affrontent en même temps. Printemps le canarde de pluie, Automne y ajoute le vent, Été le feu et Hiver sa glace. Les quatre faucons lui becquettent le front, le cou, le nez, les yeux. Mais l’ogre a la force des géants. Il détruit l’épée, le lasso, la lance, éteint les éclairs de feu et chasse les faucons ; puis il tend ses bras gluants vers les chevaliers sans armes. C’est alors qu’entre deux rochers de lave Natura se montre. Elle est vêtue d’une robe de corolles, coiffée d’un chapeau papillon et ses souliers sont en écorce de bois mort. 9 Natura et les chevaliers des quatre saisons La fée, sans un mot, pointe du doigt le cratère et à la seconde, dans un bruit d’orage, le volcan se referme sur l’ogre et son chaudron fumant. La fée marche à présent vers Printemps, Été, Automne, Hiver qui la saluent. À chaque pas, des fleurs naissent sous ses pieds. - Chevaliers au faucon, avant de découvrir la main voleuse vous avez affronté des monstres, leur dit Natura. En unissant nos forces, nous les avons vaincus et c’est très bien ainsi. Rentrez tous au château ! Semez, plantez, récoltez légumes et fruits nouveaux. Le jardinier vous attend ; il a pleuré trois fois en votre absence. La fée Natura sourit aux chevaliers que la nouvelle étonne et, contre toute attente, elle leur chante, un doigt sur le menton : Avec les trois oignons laissés, Arcimboldo le jardinier, Les larmes aux joues, a préparé Pour vous une soupe. Allez, courez et retrouvez-le, Avant qu’il la goûte! Giuseppe Arcimboldo Qui était Guiseppe Arcimboldo ? Il est né en 1527 à Milan. Si ce personnage est connu aujourd’hui pour ses portraits composés d’objets, d’animaux et de végétaux détournés, il peignait aussi des toiles plus classiques. Mais plus surprenant encore, il organisait des fêtes princières et collectait des objets mystérieux pour le cabinet d’art et de curiosités de Rodolphe II, le souverain du Saint-Empire romain germanique. Arcimboldo mourut en 1593. Comment est-il devenu peintre ? Arcimboldo commence à se faire connaître à 22 ans en travaillant avec son père, artisan peintre à la cathédrale de Milan. Il réalise alors des cartons de vitraux. Rapidement, il se fait remarquer par Ferdinand 1er. Il est appelé à Prague en 1562 pour devenir le portraitiste de la famille impériale. Son tableau classique le plus célèbre, réalisé vers 1563, est son portrait de Maximilien II de Habsbourg et de sa famille. Arcimboldo est considéré comme un peintre « maniériste » : pourquoi ? À la fin de la Renaissance (XVIe siècle), des artistes italiens ne veulent plus reproduire parfaitement la réalité : ils faussent les couleurs, les proportions, les perspectives et donnent un nouveau souffle à la représentation. On appellera ces peintres des « maniéristes », de l’expression italienne bella maniera et manierismo. En composant et peignant des portraits végétaux, Arcimboldo est de ceux-là. Ses tableaux ne sont-ils que des décorations ? Non ! Les quatre saisons, des fruits du Printemps au bois mort de l’Hiver, évoquent les âges de la vie. Le Printemps symbolise la jeunesse, l’Été l’âge adulte, l’Automne l’âge mûr et l’Hiver la vieillesse. Il existe plusieurs versions de ces toiles. L’une d’elles se trouve à Paris, au musée du Louvre. Est-il le premier à avoir peint de cette façon ? Non ! Dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen-Âge, des artistes ont créé des masques aussi étranges. Jérôme Bosch (1450-1516) a peint des monstres et des personnages au visage déformé. Quelle a été son influence sur les artistes des siècles suivants ? Après sa mort, Arcimboldo fut pratiquement oublié. Cependant, au XIXe siècle, il fut copié de nombreuses fois, notamment par les caricaturistes de Napoléon Ier et de Napoléon III. Au XXe siècle, les peintres surréalistes, aux tableaux étranges, bizarres, irréels, ou le rêve l’emporte sur le réel, le considéraient comme un des leurs. Salvador Dali l’appréciait beaucoup, les enfants d’aujourd’hui aussi. Giuseppe Arcimboldo (1527 – 1593) Les quatre saisons 1573 Printemps Été Automne Hiver