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3) L’URSS et le monde des années 1960 à 1985 : détente, apogée de
l’Empire soviétique et « guerre fraîche »
« Tous les réactionnaires sont des tigres en papier. En apparence, ils sont
terribles, mais en réalité, ils ne sont pas si puissants ».
Mao Tsé-toung, interview à la journaliste américaine Anne Louise Strong, août 1946,
in. Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, éditions en langues étrangères, 1966
Si la crise de l’économie socialiste s’aggrave progressivement dans les
années 1970, cette décennie apparaît comme l’apogée de la superpuissance soviétique.
L’URSS et le « camp socialiste » semblent plus que jamais à l’offensive dans le monde.
En 1958, avant la rupture entre Mao et Khrouchtchev, le Quotidien du
Peuple (Renmin Ribao), organe officiel du Parti communiste chinois, écrivait :
« L’impérialisme et ses laquais, dans tous les pays, sont semblables au
soleil qui se couche à l’occident, alors que le socialisme et les mouvements de révolution
nationale soutenus par le camp socialiste sont semblables au soleil se levant à l’orient ».
L’année précédente à Moscou, Mao déclarait :
« J’estime que la situation internationale est arrivée à un nouveau
tournant. Il y a maintenant deux vents dans le monde : le vent d’est et le vent d’ouest. Selon
un dicton chinois, « ou bien le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ou c’est le vent d’ouest
qui l’emporte sur le vent d’est ». A mon avis, la caractéristique de la situation actuelle est que
le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ce qui signifie que les forces socialistes ont acquis
une supériorité écrasante sur les forces de l’impérialisme. ».
Mao Tsé-toung, Conférence des partis communistes et ouvriers, Moscou, 18 /11/ 1957,
in. Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, éditions en langues étrangères, 1966
Malgré la rupture entre la Chine communiste et l’URSS intervenue
en 1963 (b), les années 1960 et 1970 semblent confirmer que l’avenir appartient au « camp
socialiste ». En 1975 l’effondrement du régime pro-américain du Sud-Vietnam incarne aux
yeux du monde le « déclin de l’Empire américain » : malgré près de 10 ans d’intervention
militaire (1964-1973), l’engagement de forces considérables et près de 80 000 morts dans
l’armée américaine, la guerre du Vietnam s’achève par une défaite américaine. La même
année les alliés de Moscou s’emparent du pouvoir dans trois pays-clés du continent africain,
l’Angola, le Mozambique et l’Ethiopie. (a)
Pendant ce temps l’Amérique semble s’effoncer dans une triple crise,
économique (dévaluation du dollar en 1971, montée du chômage, qui atteint 10% en 1980, et
de l’inflation), morale (émeutes raciales, assassinats de Martin Luther King et du sénateur Bob
Kennedy en 1968, développement de la contre-culture ou « underground » sur fond de ravage
de la drogue et de rock « psychédélique »), politique (scandale du Watergate, une affaire de
micros posés au siège de son adversaire démocrate lors de la campagne électorale de 1972, qui
oblige le président républicain Nixon à démissionner en 1974).
La « détente » incarnée par les accords d’Helsinki en 1975 paraît être
un marché de dupes qui traduit la faiblesse du camp occidental face aux Soviétiques : ceux-ci
prennent des engagements formels sur le respect des « droits de l’homme » alors qu’ils viennent
d’expulser Soljenitsyne d’URSS (13 février 1974). (c)
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Mais la dynamique de « surexpansion impériale » du bloc soviétique
amène Brejnev à envahir l’Afghanistan en décembre 1979 pour y soutenir une dictature
militaire communiste, provoquant une réaction vigoureuse du camp occidental qui retrouve son
unité. La « guerre fraîche » (d), sorte de retour à la guerre froide des années de l’après-guerre,
est symbolisée par le boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980. L’Armée rouge s’enlise
en Afghanistan qui devient le « Vietnam des Soviétiques » tandis que la crise de l’économie
et de la société soviétiques s’aggrave : confrontés à une impasse, les dirigeants soviétiques
choisiront de tenter de sauver l’économie par des réformes radicales (perestroïka) en 1985.
a) Les progrès de l’influence soviétique dans le monde de 1953 à 1975
Depuis la fin de la guerre de Corée (1950-53) qui s’était traduite par un
échec du bloc soviétique et un succès de la doctrine américaine du « containment », le
« camp socialiste » avait accumulé les succès dans le tiers-monde à la faveur de la
décolonisation occidentale et de la montée des révolutions nationales tiermondistes.
Asie du Sud-Est
Ainsi la défaite française de Dien Bien Phu en mai 1954 puis les accords
de Genêve consacrent la victoire d’Ho Chi Minh et des communistes vietnamiens dans la
« guerre d’Indochine » : le Nord du pays devient un Etat communiste (République
démocratique du Vietnam-Nord, RDV-N) tandis que les Américains vont tenter pendant vingt
de maintenir un Etat pro-occidental au Sud-Vietnam jusqu’à leur retrait en 1973 à la suite des
accords de Paris et à l’effondrement brutal de l’allié sud-vietnamien en avril 1975 qui
débouche sur la chute de Saïgon et la réunification du Vietnam sous direction du Nord
communiste.
Moyen-Orient et océan Indien
La crise de Suez (octobre 1956), qui avait été marquée par l’humiliation
des Français et des Britanniques, obligés sous la menace soviétique d’évacuer le canal de Suez,
se traduit par un rapprochement entre le régime nationaliste et socialiste égyptien du colonel
Nasser et l’URSS : Khrouchtchev et Nasser inaugureront en grande pompe en mai 1964 le
barrage d’Assouan sur le Nil, le plus grand barrage d’Afrique présenté comme le symbole de
« l’amitié entre les peuples et égyptien et soviétique ».
Gamal Abdel Nasser et Nikita Khrouchtchev, mai 1964, lors de l’inauguration du barrage d’Assoua
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Le rapprochement entre le gime nationaliste égyptien et l’URSS entraîne
une vague de coups d’Etat de militaires nationalistes dans la région. En 1958 le général
Kassem, militaire communiste irakien, renverse le roi d’Irak Fayçal II et prend le pouvoir à
Bagdad. L’Irak puis la Syrie seront durant toute la guerre froide de fidèles alliés de l’URSS. Le
régime nationaliste algérien se rapprochera de l’URSS après l’indépendance en 1962 ainsi
que la Libye du colonel Kadhafi parvenu au pouvoir à la suite du coup d’Etat de 1969. Enfin
dans l’océan Indien l’URSS étend son influence : grâce l’aide de Nasser le FLN yéménite prend
le pouvoir à Aden et proclame la « République démocratique populaire du Yémen-Sud », Etat
communiste juqu’à la chute du régime en 1991 et la réunification avec le Yémen du Nord.
Dans les années qui suivent un certain nombre d’Etats d’Afrique de l’Est
(Somalie, Mozambique) ou de l’océan Indien basculent dans le camp socialiste : la Somalie
avec le coup d’Etat du chef de l’armée Mohamed Siad Barré en 1969, Madagascar en 1975
après le coup d’Etat de « l’amiral » Didier Ratsiraka qui dirigera le pays jusqu’à la fin de la
guerre froide, ou encore les Seychelles en 1977 France-Albert René instaure un régime
socialiste à parti unique aligné sur l’URSS. L’extension de l’influence soviétique dans la gion
permet à la marine soviétique de disposer de bases navales : d’abord à Berbéra en Somalie
puis, après 1977, dans l’île de Socotra au large du Yémen, ce qui amènera les Anglo-
Américains à installer une base aéronavale à Diego Garcia dans l’archipel britannique des
Chagos à partir de 1971 (la base est opérationnelle depuis 1986).
Vestige de la guerre froide, un char T 34 soviétique de l’armée sud-yéménite rouille sur l’île de
Socotra. Sur cette île de 3600 km2 (plus grande que La Réunion) au climat subaride, lire l’article de
Jean-Louis Guébourg, professeur émérite de géographie à l’Université de La Réunion, Socotra, une
île hors du temps, 1996, paru dans Mappemonde (2000). Jean-Louis Guébourg a été l’un des premiers
chercheurs à visiter cette île à l’éco-système remarquable qui, au temps de la guerre froide, était « zone
interdite ».
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Le porte-avions américain USS Saratoga en escale à Diego Garcia en 1986. Cette île britannique abrite
toujours la plus grande base aéronavale américaine dans l’océan Indien.
Vétéran de la guerre froide, l’Amiral Kouznetsov, mis en service en 1985, est aujourd’hui l’unique
porte-avions de la marine russe. Utilisé lors des opérations contre l’Etat islamique en Syrie en 2015, il
est actuellement en rénovation. Il appartenait à une série de plusieurs porte-avions dont la construction
a été interrompue par l’effondrement de l’URSS en 1991. Son sister ship, le Varyag, a été vendu
inachevé à la Chine puis mis en service dans la marine chinoise en 2016 sous le nom de Liaoning. Un
autre ancien porte-avions soviétique, l’Amiral Gorchkov, a été acheté par l’Inde qui l’a remis en service
en 2013 sous le nom de Vikramaditya avant d’en construire un second sur le même design.
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Afrique subsaharienne
Après quelques succès peu durables en Afrique de l’Ouest dans les années
1960, le « camp socialiste » réalise une percée décisive en Afrique australe et dans la Corne
d’Afrique dans les années 1970.
Dans les années soixante plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest se sont
rapprochés du bloc soviétique. C’est le cas du Ghana, ancienne colonie britannique (Gold
Coast), sous l’égide du dictateur Kwame Nkrumah de 1957 à 1966, de la Guinée, pays
francophone, au temps de la dictature d’Ahmed Sékou Touré (1958-1984) ou encore du Mali
au temps de Modibo Keita (renversé par un coup d’Etat en 1968).
- En Afrique australe
A la suite de la « révolution des œillets », le 25 avril 1974 au Portugal, le
régime d’extrême droite de Salazar puis Caetano qui souhaitait maintenir la domination
coloniale portugaise en Afrique, est renversé et le nouveau gouvernement portugais accorde
l’indépendance à ses colonies africaines dont les principales, l’Angola et le Mozambique, se
trouvent en Afrique australe.
La guerre civile qui s’ensuit entre mouvements soutenus par l’URSS et
Cuba et mouvements soutenus par les Occidentaux tourne en faveur des nationalistes de gauche.
Le MPLA, dirigé par Agostinho Neto puis Eduardo Dos Santos, prend le contrôle de
l’Angola grâce à l’aide soviétique et aux troupes cubaines envoyées par Fidel Castro, tandis
que le Frelimo de Samora Machel remporte la guerre civile au Mozambique.
- Dans la Corne d’Afrique
La Corne d’Afrique (Ethiopie, Somalie, Djibouti) est une position
stratégique qui commande le débouché de la mer Rouge et la route maritime Asie-Europe via
le canal de Suez. Les Soviétiques ont d’abord appule régime militaire de Mohamed Siad
Barré en Somalie (voir plus haut : océan Indien). Mais en 1974 en Ethiopie la chute du Négus
(roi en amharique) Haïlé Sélassié, et l’arrivée au pouvoir à Addis-Abéba d’une junte militaire
pro-soviétique, les amène à changer d’allié. L’URSS soutient alors le DERG (Gouvernement
militaire provisoire d’Ethiopie socialiste) dirigé par le colonel Mengistu Haïlé Mariam et
rompt avec la Somalie: là encore, comme en Angola, l’envoi grâce à un pont aérien de 12 000
militaires cubains et d’instructeurs soviétiques permet au DERG d’écraser ses opposants.
Mengistu fait le V de la victoire à en 1975 à La Havane aux côtés de son allié Fidel Castro
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