Telechargé par Aurélie Gardenat

Cours du 21 février (1)

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3) L’URSS et le monde des années 1960 à 1985 : détente, apogée de
l’Empire soviétique et « guerre fraîche »
« Tous les réactionnaires sont des tigres en papier. En apparence, ils sont
terribles, mais en réalité, ils ne sont pas si puissants ».
Mao Tsé-toung, interview à la journaliste américaine Anne Louise Strong, août 1946,
in. Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, éditions en langues étrangères, 1966
Si la crise de l’économie socialiste s’aggrave progressivement dans les
années 1970, cette décennie apparaît comme l’apogée de la superpuissance soviétique.
L’URSS et le « camp socialiste » semblent plus que jamais à l’offensive dans le monde.
En 1958, avant la rupture entre Mao et Khrouchtchev, le Quotidien du
Peuple (Renmin Ribao), organe officiel du Parti communiste chinois, écrivait :
« L’impérialisme et ses laquais, dans tous les pays, sont semblables au
soleil qui se couche à l’occident, alors que le socialisme et les mouvements de révolution
nationale soutenus par le camp socialiste sont semblables au soleil se levant à l’orient ».
L’année précédente à Moscou, Mao déclarait :
« J’estime que la situation internationale est arrivée à un nouveau
tournant. Il y a maintenant deux vents dans le monde : le vent d’est et le vent d’ouest. Selon
un dicton chinois, « ou bien le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ou c’est le vent d’ouest
qui l’emporte sur le vent d’est ». A mon avis, la caractéristique de la situation actuelle est que
le vent d’est l’emporte sur le vent d’ouest, ce qui signifie que les forces socialistes ont acquis
une supériorité écrasante sur les forces de l’impérialisme. ».
Mao Tsé-toung, Conférence des partis communistes et ouvriers, Moscou, 18 /11/ 1957,
in. Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, éditions en langues étrangères, 1966
Malgré la rupture entre la Chine communiste et l’URSS intervenue
en 1963 (b), les années 1960 et 1970 semblent confirmer que l’avenir appartient au « camp
socialiste ». En 1975 l’effondrement du régime pro-américain du Sud-Vietnam incarne aux
yeux du monde le « déclin de l’Empire américain » : malgré près de 10 ans d’intervention
militaire (1964-1973), l’engagement de forces considérables et près de 80 000 morts dans
l’armée américaine, la guerre du Vietnam s’achève par une défaite américaine. La même
année les alliés de Moscou s’emparent du pouvoir dans trois pays-clés du continent africain,
l’Angola, le Mozambique et l’Ethiopie. (a)
Pendant ce temps l’Amérique semble s’effoncer dans une triple crise,
économique (dévaluation du dollar en 1971, montée du chômage, qui atteint 10% en 1980, et
de l’inflation), morale (émeutes raciales, assassinats de Martin Luther King et du sénateur Bob
Kennedy en 1968, développement de la contre-culture ou « underground » sur fond de ravage
de la drogue et de rock « psychédélique »), politique (scandale du Watergate, une affaire de
micros posés au siège de son adversaire démocrate lors de la campagne électorale de 1972, qui
oblige le président républicain Nixon à démissionner en 1974).
La « détente » incarnée par les accords d’Helsinki en 1975 paraît être
un marché de dupes qui traduit la faiblesse du camp occidental face aux Soviétiques : ceux-ci
prennent des engagements formels sur le respect des « droits de l’homme » alors qu’ils viennent
d’expulser Soljenitsyne d’URSS (13 février 1974). (c)
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Mais la dynamique de « surexpansion impériale » du bloc soviétique
amène Brejnev à envahir l’Afghanistan en décembre 1979 pour y soutenir une dictature
militaire communiste, provoquant une réaction vigoureuse du camp occidental qui retrouve son
unité. La « guerre fraîche » (d), sorte de retour à la guerre froide des années de l’après-guerre,
est symbolisée par le boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980. L’Armée rouge s’enlise
en Afghanistan qui devient le « Vietnam des Soviétiques » tandis que la crise de l’économie
et de la société soviétiques s’aggrave : confrontés à une impasse, les dirigeants soviétiques
choisiront de tenter de sauver l’économie par des réformes radicales (perestroïka) en 1985.
a) Les progrès de l’influence soviétique dans le monde de 1953 à 1975
Depuis la fin de la guerre de Corée (1950-53) qui s’était traduite par un
échec du bloc soviétique et un succès de la doctrine américaine du « containment », le
« camp socialiste » avait accumulé les succès dans le tiers-monde à la faveur de la
décolonisation occidentale et de la montée des révolutions nationales tiermondistes.
Asie du Sud-Est
Ainsi la défaite française de Dien Bien Phu en mai 1954 puis les accords
de Genêve consacrent la victoire d’Ho Chi Minh et des communistes vietnamiens dans la
« guerre d’Indochine » : le Nord du pays devient un Etat communiste (République
démocratique du Vietnam-Nord, RDV-N) tandis que les Américains vont tenter pendant vingt
de maintenir un Etat pro-occidental au Sud-Vietnam jusqu’à leur retrait en 1973 à la suite des
accords de Paris et à l’effondrement brutal de l’allié sud-vietnamien en avril 1975 qui
débouche sur la chute de Saïgon et la réunification du Vietnam sous direction du Nord
communiste.
Moyen-Orient et océan Indien
La crise de Suez (octobre 1956), qui avait été marquée par l’humiliation
des Français et des Britanniques, obligés sous la menace soviétique d’évacuer le canal de Suez,
se traduit par un rapprochement entre le régime nationaliste et socialiste égyptien du colonel
Nasser et l’URSS : Khrouchtchev et Nasser inaugureront en grande pompe en mai 1964 le
barrage d’Assouan sur le Nil, le plus grand barrage d’Afrique présenté comme le symbole de
« l’amitié entre les peuples et égyptien et soviétique ».
Gamal Abdel Nasser et Nikita Khrouchtchev, mai 1964, lors de l’inauguration du barrage d’Assoua
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Le rapprochement entre le régime nationaliste égyptien et l’URSS entraîne
une vague de coups d’Etat de militaires nationalistes dans la région. En 1958 le général
Kassem, militaire communiste irakien, renverse le roi d’Irak Fayçal II et prend le pouvoir à
Bagdad. L’Irak puis la Syrie seront durant toute la guerre froide de fidèles alliés de l’URSS. Le
régime nationaliste algérien se rapprochera de l’URSS après l’indépendance en 1962 ainsi
que la Libye du colonel Kadhafi parvenu au pouvoir à la suite du coup d’Etat de 1969. Enfin
dans l’océan Indien l’URSS étend son influence : grâce l’aide de Nasser le FLN yéménite prend
le pouvoir à Aden et proclame la « République démocratique populaire du Yémen-Sud », Etat
communiste juqu’à la chute du régime en 1991 et la réunification avec le Yémen du Nord.
Dans les années qui suivent un certain nombre d’Etats d’Afrique de l’Est
(Somalie, Mozambique) ou de l’océan Indien basculent dans le camp socialiste : la Somalie
avec le coup d’Etat du chef de l’armée Mohamed Siad Barré en 1969, Madagascar en 1975
après le coup d’Etat de « l’amiral » Didier Ratsiraka qui dirigera le pays jusqu’à la fin de la
guerre froide, ou encore les Seychelles en 1977 où France-Albert René instaure un régime
socialiste à parti unique aligné sur l’URSS. L’extension de l’influence soviétique dans la région
permet à la marine soviétique de disposer de bases navales : d’abord à Berbéra en Somalie
puis, après 1977, dans l’île de Socotra au large du Yémen, ce qui amènera les AngloAméricains à installer une base aéronavale à Diego Garcia dans l’archipel britannique des
Chagos à partir de 1971 (la base est opérationnelle depuis 1986).
Vestige de la guerre froide, un char T 34 soviétique de l’armée sud-yéménite rouille sur l’île de
Socotra. Sur cette île de 3600 km2 (plus grande que La Réunion) au climat subaride, lire l’article de
Jean-Louis Guébourg, professeur émérite de géographie à l’Université de La Réunion, Socotra, une
île hors du temps, 1996, paru dans Mappemonde (2000). Jean-Louis Guébourg a été l’un des premiers
chercheurs à visiter cette île à l’éco-système remarquable qui, au temps de la guerre froide, était « zone
interdite ».
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Le porte-avions américain USS Saratoga en escale à Diego Garcia en 1986. Cette île britannique abrite
toujours la plus grande base aéronavale américaine dans l’océan Indien.
Vétéran de la guerre froide, l’Amiral Kouznetsov, mis en service en 1985, est aujourd’hui l’unique
porte-avions de la marine russe. Utilisé lors des opérations contre l’Etat islamique en Syrie en 2015, il
est actuellement en rénovation. Il appartenait à une série de plusieurs porte-avions dont la construction
a été interrompue par l’effondrement de l’URSS en 1991. Son sister ship, le Varyag, a été vendu
inachevé à la Chine puis mis en service dans la marine chinoise en 2016 sous le nom de Liaoning. Un
autre ancien porte-avions soviétique, l’Amiral Gorchkov, a été acheté par l’Inde qui l’a remis en service
en 2013 sous le nom de Vikramaditya avant d’en construire un second sur le même design.
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Afrique subsaharienne
Après quelques succès peu durables en Afrique de l’Ouest dans les années
1960, le « camp socialiste » réalise une percée décisive en Afrique australe et dans la Corne
d’Afrique dans les années 1970.
Dans les années soixante plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest se sont
rapprochés du bloc soviétique. C’est le cas du Ghana, ancienne colonie britannique (Gold
Coast), sous l’égide du dictateur Kwame Nkrumah de 1957 à 1966, de la Guinée, pays
francophone, au temps de la dictature d’Ahmed Sékou Touré (1958-1984) ou encore du Mali
au temps de Modibo Keita (renversé par un coup d’Etat en 1968).
-
En Afrique australe
A la suite de la « révolution des œillets », le 25 avril 1974 au Portugal, le
régime d’extrême droite de Salazar puis Caetano qui souhaitait maintenir la domination
coloniale portugaise en Afrique, est renversé et le nouveau gouvernement portugais accorde
l’indépendance à ses colonies africaines dont les principales, l’Angola et le Mozambique, se
trouvent en Afrique australe.
La guerre civile qui s’ensuit entre mouvements soutenus par l’URSS et
Cuba et mouvements soutenus par les Occidentaux tourne en faveur des nationalistes de gauche.
Le MPLA, dirigé par Agostinho Neto puis Eduardo Dos Santos, prend le contrôle de
l’Angola grâce à l’aide soviétique et aux troupes cubaines envoyées par Fidel Castro, tandis
que le Frelimo de Samora Machel remporte la guerre civile au Mozambique.
- Dans la Corne d’Afrique
La Corne d’Afrique (Ethiopie, Somalie, Djibouti) est une position
stratégique qui commande le débouché de la mer Rouge et la route maritime Asie-Europe via
le canal de Suez. Les Soviétiques ont d’abord appuyé le régime militaire de Mohamed Siad
Barré en Somalie (voir plus haut : océan Indien). Mais en 1974 en Ethiopie la chute du Négus
(roi en amharique) Haïlé Sélassié, et l’arrivée au pouvoir à Addis-Abéba d’une junte militaire
pro-soviétique, les amène à changer d’allié. L’URSS soutient alors le DERG (Gouvernement
militaire provisoire d’Ethiopie socialiste) dirigé par le colonel Mengistu Haïlé Mariam et
rompt avec la Somalie: là encore, comme en Angola, l’envoi grâce à un pont aérien de 12 000
militaires cubains et d’instructeurs soviétiques permet au DERG d’écraser ses opposants.
Mengistu fait le V de la victoire à en 1975 à La Havane aux côtés de son allié Fidel Castro
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Mengistu, surnommé le « négus rouge » par l’opposition éthiopienne,
dirigera d’une main de fer l’Ethiopie jusqu’à la fin de la guerre froide : la chute de l’URSS le
privera du soutien des Russes et des Cubains: renversé par un soulèvement populaire en 1991,
Mengistu se réfugiera au Zimbabwe, protégé par son « frère d’armes » Robert Mugabe dont il
avait soutenu la guérilla contre le régime blanc ségrégationniste d’Ian Smith qui avait dirigé
l’ancienne « Rhodésie du Sud » de 1965-1978. Mengistu vit toujours en exil à Harare sous la
protection du régime nationaliste de gauche d’Emmerson Mnangagwa, l’ancien bras droit de
Mugabe. Le bilan de la « terreur rouge » (en amharique Key Shibbir) sous son règne (19751991) est estimé à 500 000 morts par Amnesty international.
Amérique latine : de la Tricontinentale à l’échec des focos
L’affiche de la Conférence Tricontinentale convoquée par Castro et Guevara à La Havane en janvier
1966 symbolise à leurs yeux la « convergence des luttes des peuples du tiers-monde pour abattre
l’impérialisme américain et ses laquais » en application du slogan « Créons un, deux, trois
Vietnam ! » : on y reconnaît un soldat Vietcong brandissant une Kalachnikov, un guerillero africain et
un barbudo (les compagnons de Fidel castro) cubain. Le slogan sous l’affiche proclame : « L’humanité
a dit « assez !» et s’est mise en marche »
En Amérique latine la stratégie des « focos » (foyers de guérilla
révolutionnaires) prôné par Che Guevara à la conférence tricontinentale de La Havane (janvier
1966 : « Créons un, deux , trois Vietnam ! ») à été un échec face à la stratégie de « contreinsurrection » mise en oeuvre par les régimes soutenus par les Américains, en général des
dictatures militaires d’extrême droite, comme au Brésil ou en Bolivie: Che Guevara est capturé
et exécuté par l’armée bolivienne en 1967.
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Fidel Castro et Che Guevara en 1962 lors de la crise de Cuba avec l'envoyé spécial de Khrouchtchev,
Anastase Mikoyan. Quelques jours auparavant Che Guevara avait déclaré à l'ambassadeur de
Yougoslavie à La Havane : "Si nous, les Cubains, avions le contrôle de ces armes nucléaires, nous les
installerions sur chaque centimètre de Cuba et n'hésiterions pas, si nécessaire, à les tirer dans le coeur
de l'adversaire : New York.". A l’issue de la crise Khrouchtchev avait obtenu des Américains qu’ils
respectent l’intégrité territoriale de Cuba en échange du retrait des fusées. La stratégie cubaine passera
dès lors par le soutien aux mouvements de révolution nationale en Amérique du Sud (où Che Guevara
trouvera la mort en 1967) et en Afrique.
Néanmoins en 1979 le Front sandiniste (communiste) dirigé par Daniel
Ortega parvient au pouvoir au Nicaragua, petit pays d’Amérique centrale, en renversant la
dictature de la famille Somaza (Anastasio le père, de 1937 à 1956, puis Luis et son frère
Anastasio jusqu’en 1979) qui régnaient sur le pays depuis les années trente.
L’apparition d’un « second Cuba » dans ce que les Américains
considéraient depuis Théodore Roosevelt (1901-1909) comme leur « backyard » (arrière-cour)
réactive le syndrome du déclin de l’Amérique et contribuera à la victoire de Ronald Reagan
contre le président démocrate sortant Jimmy Carter, aux élections de novembre 1980. Mais
c’est surtout l’intervention de l’armée soviétique en Afghanistan qui relancera la guerre froide
en décembre 1979 (voir c).
b) La rupture sino-soviétique : 1963 et le rapprochement Chine-USA
Si le « camp socialiste » est en expansion, notamment au Moyen-Orient et
en Afrique, il est aussi affaibli par la rupture entre Mao et Khrouchtchev qui intervient en 1963.
Cette rupture a pour origine la déstalinisation que Mao n’accepte pas car
elle remet en cause les fondements de son pouvoir qui repose sur le culte de sa propre
personnalité : le « Grand Timonier », à l’image de Staline, organise la célébration de son
propre culte en faisant en particulier apprendre à des centaines de millions de Chinois la
fameuse Pensée Mao-Tsé-toung contenue dans le Petit Livre rouge (les Citations du Président
Mao) , véritable livre sacré que tout Chinois devait porter sur lui et être capable de citer, dont
vous avez quelques extraits en introduction de ce chapitre.
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La rupture a aussi pour origine le refus de la coexistence pacifique. Mao,
dans une surenchère de rhétorique révolutionnaire, dénonce le « révisionnisme soviétique »,
affirme que la « guerre du peuple est invincible » et que seule la « guerre révolutionnaire »
permettra de renverser le capitalisme. Mais cette stratégie de division du « mouvement
communiste international est un échec : un seul Etat communiste, la petite Albanie d’Enver
Hodja, quelques partis communistes asiatiques (les Khmers rouges au Cambodge) et d’étroites
minorités d’étudiants et d’intellectuels maoïstes dans les pays occidentaux (à l’image de JeanPaul Sartre en France) rejoignent les positions de la « Chine rouge ».
Plus profondément la rupture sino-soviétique revèle les permanences
historiques : derrière la vitrine de l’idéologie resurgit la vieille rivalité des empires russe et
chinois. Au XIXème siècle, sous Alexandre II, l’Empire russe avait annexé le Nord de la
Mandchourie, c’est-à-dire les terres au nord du fleuve Amour et la « province maritime »
de Sibérie, entre l’Amour et la Corée, où les Russes avait fondé le port de Vladivostok (« Celui
qui commande l’Orient »). Plus tard sous Lénine, les Bolcheviks avait proclamé l’indépendance
de la République populaire de Mongolie (ou « Mongolie extérieure », jusque-là soumise à la
Chine) qui était devenue le premier Etat communiste hors d’URSS. Bref, la dénonciation du
« social impérialisme soviétique » par Mao révèle la vieille crainte de l’invasion russe et
l’amène à chercher le soutien des « impérialistes américains » dont opportunément Mao
rappelle qu’ils ne sont que des « tigres de papier » alors que le « social impérialisme
soviétique » est devenu « l’ennemi principal des peuples » : dans un retournement digne de
Staline et du pacte germano-soviétique d’août 1939, l’ennemi américain de la guerre de Corée
devient l’allié nécessaire face à l’ex « patrie du socialisme » !
La dégradation des relations entre la Chine communiste et l’URSS, qui
partagent une frontière commune de plusieurs milliers de kilomètres, amène Mao, qui craint
une invasion soviétique, à se rapprocher du « tigre de papier » américain.
Richard Nixon serrant la main du président Mao Tsé-toung à Pékin le 21 févirer 1972
Le spectaculaire voyage du président Nixon à Pékin, organisé à l’initiative
du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, le grand maître de la realpolitik américaine
du temps de la guerre froide, permet aux Etats-Unis de se retirer plus vite du « bourbier
vietnamien » : face à un bloc communiste divisé, la défense de l’allié sud-vietnamien apparaît
moins nécessaire, ce qui permet à Nixon de conclure les négociations de Paris en 1973 et
d’achever le retrait des troupes américaines du Sud-Vietnam.
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La victoire deux ans plus des Nord-Vietnamiens aura dès lors moins
d’importance car les Etats communistes de la péninsule indochinoise s’affronteront entre eux :
le Cambodge, dirigé par les Khmers rouges maoïstes de Pol Pot depuis 1975, sera envahi par
l’armée vietnamienne soutenue par les Soviétiques en 1978 tandis qu’une brève guerre,
déclenchée par la Chine communiste contre le Vienam en février 1979, aboutira à une
humiliante défaite chinoise face à l’armée vietnamienne commandée par Giap, le vainqueur des
Français à Dien Bien Phu en 1954.
c) La détente et les accords d’Helsinki (1975): un marché de dupes ?
Appelée d’abord « coexistence pacifique » par Khrouchtchev, la détente
s’accélère après la crise de Cuba (1962) en raison de la prise de conscience du risque
d’escalade nucléaire. Comme l’avait compris le philosophe français Raymond Aron, auteur
de la célèbre formule « paix impossible, guerre improbable », la guerre froide se caractérise
par l’impossible réconciliation entre les deux blocs en raison de leurs insurmontables
différences idéologiques (la démocratie libérale fondée sur l’alternance et les droits de l’homme
contre toute la puissance du Parti unique fondée sur son idéologie officielle et son régime
policier), mais elle se caractérise aussi par le fait qu’aucun des deux camps ne peut se risquer à
déclencher une guerre qui aboutirait à « l’auto-destruction mutuelle assurée » (MAD en
anglais) en raison de l’équilibre de la terreur nucléaire. Les deux superpuissances sont donc
condamnées à gérer leur rivalité en évitant toute « montée aux extrêmes ». C’est l’enjeu des
négociations des années 1970 : les accords SALT et la conférence d’Helsinki.
Entamée par l’armistice de Panmunjom qui clôt la guerre de Corée entre
la Chine et les Etats-Unis en 1953, poursuivie par l’accord sur la neutralisation de l’Autriche
en 1955, la coexistence pacifique est aussi nécessaire au régime soviétique pour pouvoir acheter
du blé aux Américains tout en vendant du gaz naturel aux Européens.
La détente est bien sûr émaillée de crises : la seconde crise de Berlin est
marquée par la construction en 1961 du « mur de la honte » par le régime communiste estallemand de Walter Ulbricht confronté à un exode massif de sa population vers l’Allemagne de
l’Ouest : 3 millions d’Allemands de l’Est s’étaient réfugiés à l’Ouest entre 1946 et 1961 sur
16 millions d’habitants en RDA.
Lors de la crise de Cuba le monde entier a craint durant quelques jours une
guerre nucléaire, ce qui amène les dirigeants russes et américains à engager les négociations
sur la réduction des armements nucléaires (strategic arms limitation talks) qui aboutiront à
un premier accord, « SALT 1 » en 1972. Entre 1973 et 1975 la Conférence sur la sécurité et la
coopération en Europe (CSCE) qui se tient à Helsinki en terrain neutre (Finlande) se donne
pour objectif de rétablir le dialogue entre l’Est et l’Ouest.
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Léonid Brejnev signant l’acte final de la conférence d’Helsinki
L’acte final de la conférence d’Helsinki (1er août 1975) est généralement
considéré comme « l’apogée de la détente » : la déclaration commune signée par les Etats
européens de l’Est et de l’Ouest, les Etats-Unis et l’Union spoviétique consacrent les grands
principes de « paix entre les peuples » et de « libertés fondamentales », le « respect des droits
de l’homme et des libertés fondamentales y compris la liberté de penser, de conscience, de
religion et de conviction » (article VII).
La conférence d’Helsinki a suscité beaucoup d’espoir en Europe de l’Ouest,
mais aussi à l’Est où l’année précédente l’URSS avait expulsé Alexandre Soljenitsyne à la
suite de la parution de l’Archipel du Goulag. Les oppositions démocratiques dans les pays
communistes (la Charte 77 en Tchécoslovaquie, Solidarité en Pologne) l’invoqueront face à la
répression. Mais l’accord d’Helsinki n’empêchera pas le gouvernement communiste du général
Wojciech Jaruzelski de réprimer violemment le mouvement d’opposition Solidarité en 1981.
Avec le recul, l’accord d’Helsinki apparaîtra comme un marché de dupes :
de belles paroles contre des livraisons de blé. La conférence d’Helsinki a illustré une fois de
plus les illusions entrenues par certains dirigeants occidentaux sur une possible libéralisation
du système soviétique (la fameuse « convergence » entre socialisme et libéralisme), à l’image
de la « déclaration sur l’Europe libérée » de la conférence de Yalta en 1945 dans laquelle
Staline s’était engagé à garantir des « élections libres » en Pologne et en Hongrie (qui n’auront
jamais lieu) pour obtenir la reconnaissance de l’annexion des pays Baltes et de la moitié est de
la Pologne : des mots contre des peuples.
d) L’invasion de l’Afghanistan et le retour de la guerre froide
Le 24 décembre 1979 des parachustistes des forces spéciales
soviétiques, sous le commandement du colonel Yakov Semenov, investissent Kaboul,
s’emparent du palais présidentiel et exécutent le président Hafizullah Amin, l’un des leaders
du Parti communiste afghan, pour le remplacer par Babrak Karmal, jugé plus docile par
Brejnev, tandis que des colonnes blindés franchissent la frontière soviéto-afghane et marchent
sur Kaboul.
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Chars soviétiques en Afghanistan, 1980
Ce coup de force est l’aboutissement d’une crise qui s’est développée depuis
plusieurs années et dont l’enjeu est le contrôle par Moscou de cet Etat-tampon entre l’Est et
l’Ouest. L’intervention directe de l’Armée rouge en Afghanistan, Etat théoriquement « nonaligné », est perçue comme le franchissement d’une ligne rouge par les Occidentaux et relance
la guerre froide.
d.1 Les origines de la crise afghane : du Grand Jeu à la guerre froide
Depuis le début du XXème siècle l’Afghanistan avait été « neutralisé »
par les Anglais et les Russes dans le cadre du Grand Jeu (la rivalité entre l’Empire russe et
l’Angleterre en Asie centrale). La ligne Durand (frontière entre l’Afghanistan et l’actuel
Pakistan) puis la frontière entre l’Empire russe et l’Afghanistan (actuelle frontière entre
l’Ouzbékistan et l’Afghanistan) avaient été tracées dans le cadre du rapprochement anglo-russe
qui avait abouti à la Triple Entente anglo-franco-russe (1907).
Au temps de la guerre froide la diplomatie soviétique s’était montrée
active dans ce royaume d’Asie centrale frontalier de l’URSS. Mais le roi Zahir Shah avait été
renversé par Daoud Khan, membre de la famille royal qui avait proclamé la « République
d’Afghanistan » et avait pris ses distances avec l’URSS.
L’Union soviétique va donc soutenir un coup d’Etat de militaires
formés en URSS dans le cadre de la coopération soviéto-afghane en 1978 : ce coup d’Etat fait
de l’Afghanistan une « république démocratique » à parti unique sous l’égide du communiste
Nour Muhamad Taraki. Mais celui-ci est renversé par un autre militaire, Hafizullah Amin, un
communiste … lié au régime islamo-nationaliste pakistanais du général Zia. Craignant de
perdre le contrôle du pays au profit des Pakistanais, Brejnev décide d’envoyer les troupes
soviétiques rétablir un régime favorable à l’URSS…C’est dans ce contexte que les Soviétiques
envahissent le pays après avoir éliminé Amin pour le remplacer par Babrak Karmal.
d.2 le Vietnam des soviétiques
L’impact symbolique de cette transgression des règles implicites de la
guerre froide (le respect de l’intégrité territoriale d’un pays officiellement neutre) est
considérable. Le président américain Jimmy Carter déclenche des sanctions économiques
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(embargo sur le blé) et le boycott des Jeux olympiques de Moscou. Cette dégradation
spectaculaire des relations internationales fait craindre le pire : en France l’acteur Yves
Montand, ancien « compagnon de route » du PCF, monte au créneau pour dénoncer
l’impérialisme soviétique dans une émission à grand spectacle, « La guerre en face », réalisée
par Laurent Joffrin (journaliste à Libération et aujourd’hui directeur de ce journal de gauche).
Le succès de cette émission témoigne de la dégradation de l’image de l’URSS dans l’opinion
publique française et notamment dans l’opinion de gauche, au moment où la mobilisation en
faveur des boat people vietnamiens atteint son maximum.
Dans le même temps la guerre d’Afghanistan tourne au désavantage des
Soviétiques et de leurs alliés afghans: isolé dans les villes, au milieu d’une population
massivement rurale et pratiquant un islam très conservateur, le régime communiste afghan est
confronté à une insurrection généralisée au nom du djihad, « guerre sainte » contre les
« apostats » et les « mécréants » que sont aux yeux de beaucoup d’Afghans les dirigeants
communistes afghans Babrak Karmal puis Najibullah et leurs alliés russes.
Malgré l’envoi de toujours plus de troupes les Soviétiques essuient de
lourdes pertes, en particulier lorsque les moudjahiddines reçoivent des missiles sol-air à courte
portée Stinger fournis par les Etats-Unis via leur allié pakistanais.
Moudjahiddine muni d’un lanceur de missile Stinger
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Hélicoptère soviétique MI 24 abattu par les moudjahiddines dans les montagnes d’Afghanistan.
L’Afghanistan apparaît de plus en plus comme le Vietnam des Soviétiques :
dégradation de l’image du « camp socialiste » dans l’opinion internationale et notamment dans
le monde arabo-musulman, échec militaire (environ 30 000 morts dans l’armée soviétique) et
malaise croissant dans la population soviétique ….
Dans le même temps le soutien international se développe en faveur des
moudjahiddines afghans dont l’une des figures charismatiques est le « Commandant
Massoud » mais parmi lesquels se trouvent aussi des islamistes, les talibans (pachtounes
formés dans des écoles coraniques radicales au Pakistan) et des combattants arabes venus
d’Arabie (Oussama Ben Laden )ou du Maghreb.
Ahmad Shah Massoud, dit le "Commandant Massoud". Appartenant à une famille noble (shah veut
dire « seigneur » en persan), Massoud est le chef charismatique des Tadjiks qui peuplent le Nord-Ouest
de l’Afghanistan. Le Lion du Panshir (du nom de la vallée où il résistait aux Soviétiques puis aux
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Talibans) Massoud combattait pour faire de l'Afghanistan un Etat démocratique. Homme pieux, il était
partisan d'un islam tolérant où les hommes et les femmes seraient égaux, ce qui lui a valu, après le
départ des Soviétiques de devenir l’ennemi principal de ses anciens alliés les Talibans. Après avoir
échappé à de nombreux attentats, il a été assassiné par un commando-suicide envoyés par Oussama
Ben Laden le 9 septembre 2001: deux pseudo-journalistes arabes prétendant l’interviewer pour une
chaîne TV émiratie.
Dirigeants des moudjahiddines afghans reçus à la Maison blanche par le président Reagan
d. la crise des euromissiles : SS 20 vs Pershing 2
Au moment même où Brejnev lance l’URSS dans l’aventure afghane, la
crise des euromissiles fait monter les tensions en Europe, dissipant l’euphorie qui avait suivi la
conférence d’Helsinki. Les Soviétiques ont en effet installé des missiles nucléaires à portée
intermédiaire (IRBM), les SS 20, dans l’ouest de l’URSS. Ceux-ci menacent l’Europe, mais
pas l’Amérique qui est hors de portée. Aussi, craignant un « découplage » entre la défense de
l’Europe et celle des USA, les dirigeants européens des pays membres de l’OTAN demandent
l’installation sur leur sol d’IRBM américains, les Pershing 2.
Les Soviétiques activent alors leurs réseaux d’influence dans les pays
occidentaux, partis communistes, « mouvement de la paix », Verts allemands (Die Grünen) qui
organisent d’énormes manifestations contre l’installation des fusées Pershing (alors que les SS
20 soviétiques sont déjà en place) avec le fameux slogan : « plutôt rouges que morts ! ».
Le président français François Mitterrand dont le pays n’est pas concerné
par l’installation des euromissiles puisque la France a depuis 1964 sa propre « Force de
dissuasion » nucléaire, soutiendra les alliés occidentaux : il se déplacera en Allemagne de
l’Ouest où il fera devant le Bundestag (parlement) un discours historique pour affirmer la
solidarité de la France avec le chancelier allemand Helmut Kohl : par cette phrase célèbre, « les
pacifistes sont à l’Ouest, mais les missiles à l’Est », il dévoilera la naïveté ou l’hypocrisie des
manifestants. Les Pershing seront installés. Puis ils seront démantelés quelques années plus tard
en même temps que les SS 20 lors de la perestroïka, après l’accord Reagan-Gorbatchev.
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