mise au point Cardiopathies maternelles et grossesse : une prise en charge multidisciplinaire Dans les pays développés, les maladies cardiovasculaires tendent à devenir une des premières causes de mortalité maternelle. Les étiologies principales sont l’infarctus du myocarde, la dissection aortique et les cardiomyopathies. Cependant, les cardiopathies maternelles préexistantes à la grossesse, telles que les cardiopathies congénitales, sont plus fréquemment rencontrées, et peuvent être associées à une morbidité maternelle et périnatale importante. Cette revue rappelle les modifications hémodynamiques dues à la grossesse, propose une stratification du risque cardiaque selon les cardiopathies préexistantes à la grossesse, discute la surveillance et la prise en charge globale de ces patientes. Finalement, deux types de cardiopathies déclenchées par la grossesse sont abordés : la maladie coronarienne et la cardiomyopathie du péripartum. Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 2070-7 N. Jastrow P. Meyer J. Bouchardy G. L. Savoldelli O. Irion Maternal hearth disease and pregnancy : a multidisciplinary approach In developed countries, cardiovascular diseases are becoming one of the first causes of maternal death. Myocardial infarction, dissection of the thoracic aorta and cardiomyopathies are the leading causes. However, preexisting maternal cardiac diseases, such as congenital heart diseases, are more commonly encountered and may be associated with significant maternal and perinatal morbidity. This article reviews hemodynamic changes occurring during pregnancy, proposes a risk stratification according to pre-existing cardiac diseases, and discusses the monitoring and overall management of these patients. Finally, two pregnancy-triggered cardiac diseases are discussed: coronary artery disease and peripartum cardiomyopathy. introduction Dans les pays occidentaux industrialisés, 0,2 à 4% des grossesses sont compliquées par des maladies cardiovasculaires.1 Au Royaume-Uni, les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de mort maternelle (2,31 pour 100 000 grossesses) et ne cessent d’augmenter.2 L’infarctus du myocarde, la dissection aortique et les cardiomyopathies en sont les étiologies principales (figure 1). Cependant, la principale cause de complications cardiaques au cours de la grossesse est liée à la présence d’une cardiopathie préexistante, dont les cardiopathies congénitales constituent la première étiologie. En effet, les progrès dans la prise en charge des cardiopathies congénitales ont considérablement augmenté la survie des patients et donc le nombre de femmes atteintes en âge de procréer. Bien que la mortalité maternelle due aux cardiopathies congénitales continue à diminuer,2 elles sont désormais les maladies cardiaques les plus fréquentes auxquelles sont confrontés les obstétriciens. Les cardiopathies rhumatismales sont encore très fréquentes dans les pays en voie de développement et chez les migrants. Dans l’enquête triennale britannique 2006-2008, aucune mort maternelle due à une cardiopathie rhumatismale n’est survenue.2 Les troubles du rythme cardiaque peuvent apparaître de novo ou être exacerbés durant la grossesse. Ils représentent un motif fréquent de consultation cardiologique. Ils doivent faire rechercher une cardiopathie structurelle sous-jacente, mais sont rarement associés isolément à une morbidité ou mortalité materno-fœtale. La prise en charge des patientes enceintes avec cardiopathie préexistante à la grossesse repose sur une bonne connaissance des modifications hémodynamiques induites par la grossesse, de la pathologie cardiaque spécifique, ainsi que sur un suivi multidisciplinaire associant l’obstétricien, le cardiologue et l’anesthésiste. modifications hémodynamiques durant la grossesse et l’accouchement Face aux demandes métaboliques augmentées de la mère et du fœtus, la grossesse s’accompagne de nombreux changements hémodynamiques. Le débit 2070 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 14_21_35991.indd 1 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 0 20.10.11 09:25 Hypertension pulmonaire Cardiopathie congénitale Cardiopathie hypertensive Valvulopathie acquise Endocardite infectieuse Myocardite ou fibrose Autres cardiomyopathies Mort subite d’origine indéterminée Cardiomyopathie du péripartum Maladie coronarienne Dissection aortique 0 5 10 15 Figure 1. Causes de mortalité maternelle d’origine cardiovasculaire au Royaume-Uni, 2006-2008 (Adaptée de réf.2). cardiaque augmente progressivement de 30 à 50% 3 en raison de l’augmentation du volume d’éjection et de la fréquence cardiaque. L’augmentation du volume d’éjection, maximale vers 30-34 semaines d’aménorrhée (SA), est secondaire à l’augmentation du volume plasmatique (30 à 50%) et du nombre de globules rouges (20 à 30%). La fréquence cardiaque augmente également progressivement d’environ 15 à 20 battements/min pour devenir maximale dès la 32e SA.3 En raison du développement de la circulation placentaire à basse résistance et de médiateurs vasodilatateurs (NO, prostaglandines, prostacyclines), la pression artérielle diminue avec un nadir entre 18-26 SA, puis revient aux valeurs initiales en fin de grossesse. Le travail et l’accouchement lui-même sont associés à des changements hémodynamiques significatifs, dus à l’anxiété, l’exercice, la douleur, les contractions utérines, la position de la femme (décubitus latéral gauche versus dorsal) et les saignements. En raison des contractions utérines qui augmentent la précharge, le débit cardiaque augmente durant le travail (15% en début de travail et environ 25% durant la phase active, 50% durant les efforts de poussée).3 En postpartum immédiat, il augmente de 80% en raison de l’autotransfusion due à la rétraction utérine. La pression artérielle augmente également à chaque contraction utérine et lors des efforts de poussée. La plupart des paramètres hémodynamiques de la grossesse retournent à leurs valeurs initiales après deux semaines post-partum.4 A noter que les modifications décrites ci-dessus sont majorées lors de grossesse multiple. cardiopathies préexistantes à la grossesse Estimation du risque Les patientes atteintes de cardiopathie préexistante sont à plus haut risque de complications durant la gros- 2072 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 14_21_35991.indd 2 sesse, qu’elles soient cardiaques, obstétricales ou néonatales.5 Pour estimer le risque de complications cardiaques maternelles, plusieurs approches sont possibles. Premièrement, le risque peut être évalué en tenant compte de la cardiopathie de base. Cependant, la littérature repose sur des petites séries souvent rétrospectives et il est donc difficile d’identifier des prédicteurs de décompensation cardiaque. Pour cette raison, certains auteurs ont proposé une classification de risque tenant compte de prédicteurs identifiés sur des grandes populations atteintes de diverses cardiopathies. Une étude canadienne prospective de 600 grossesses chez des patientes porteuses de cardiopathies congénitales et acquises a défini un score prédictif de complications cardiaques maternelles (score CARPREG, CARdiac disease in PREGnancy, tableau 1)5 qui a été validé dans des études récentes.6,7 Cependant, d’importants facteurs de risque comme les aortopathies, l’hypertension pulmonaire ou la présence d’une valve mécanique n’ont pas été intégrés dans ce score.1,6 Finalement, les dernières recommandations européennes proposent une évaluation du risque cardiaque maternel selon la classification modifiée de l’Organisation mondiale de la santé (modified WHO classification).1,8 Les principes généraux de la classification et leur application pour le risque de complications cardiaques maternelles sont décrits dans les tableaux 2 et 3. Les complications obstétricales et néonatales sont aussi augmentées lors de cardiopathie maternelle préexistante.5 Plusieurs études ont démontré un risque plus élevé d’accouchement prématuré, d’hémorragie du post-partum, d’hypertension artérielle gestationnelle ou de prééclampsie.6,9 Les complications périnatales compliquent 20-28% des grossesses : prématurité, retard de croissance intra-utérine (RCIU), mort in-utero, détresse respiratoire et hémorragie intraventriculaire.5-7,9,10,11 Ce risque est plus important chez les patientes en classe fonctionnelle New York Heart Association (NYHA) III et IV, avec cyanose centrale ou obstruction du cœur gauche.10 De plus, le risque de cardiopathie chez le fœtus est augmenté chez les patientes atteintes de cardiopathies congénitales (3 à 12%, voire même 50% selon le type de cardiopathie congénitale maternelle).5 Tableau 1. Facteurs prédicteurs de complications cardiaques maternelles et score de risque CARPREG (CARdiac disease in PREGnancy)5 • Arythmie ou antécédent d’événement cardiovasculaire (insuffisance cardiaque ou accident vasculaire cérébral/accident ischémique transitoire avant la grossesse) • Classe fonctionnelle NYHA III ou IV ou cyanose (saturation en oxygène l 90%) • Obstruction du cœur systémique (aire de la valve atrioventriculaire du ventricule sous-aortique l 2 cm2, aire de la valve aortique l 1,5 cm2 ou gradient maximal au niveau de la chambre de chasse du ventricule sous-aortique L 30 mmHg • Fraction d’éjection du ventricule sous-aortique l 40% Score de risque CARPREG : pour chacun des facteurs prédicteurs ci-dessus, 1 point est donné. Estimation du risque cardiovasculaire maternel : 0 point : 5%, 1 point : 27%, L 1 point : 75%. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 0 20.10.11 09:25 Tableau 2. Classification du risque de complications cardiaques maternelles selon WHO modifié : principes généraux1 WHO=World Health Organization. Classe WHO Risques de la grossesse I Pas d’augmentation du risque de mortalité maternelle et absence ou minime augmentation de la morbidité maternelle II Légère augmentation du risque de mortalité maternelle ou augmentation modérée de la morbidité maternelle III Augmentation significative du risque de mortalité maternelle ou morbidité maternelle sévère. Conseil d’expert nécessaire. Si une grossesse est décidée, une surveillance multidisciplinaire étroite est nécessaire durant la grossesse, l’accouchement et le post-partum IV Très haut risque de mortalité maternelle ou morbidité maternelle sévère. Grossesse contre-indiquée. Une interruption thérapeutique de grossesse est à proposer si une grossesse est survenue. Si la grossesse est poursuivie, surveillance identique à la classe WHO III Prise en charge Avant et durant la grossesse Idéalement, la prise en charge d’une patiente atteinte d’une cardiopathie préexistante devrait débuter avant la conception. Lors d’une première consultation, un diagnostic précis et complet de la cardiopathie sera effectué, ainsi qu’une stratification des risques encourus lors d’une grossesse. De plus, la patiente devra être informée de son pronostic vital à court terme, de sa faculté à s’occuper de son enfant après la grossesse en cas de limitation fonctionnelle importante, ainsi que du risque de cardiopathie chez le fœtus.4 Le traitement médicamenteux sera aussi réévalué en vue d’une grossesse (arrêt des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou remplacement initial des antivitamines K par héparines de bas poids moléculaire par exemple). Pour certaines pathologies, le recours à une intervention cardiaque peut s’avérer nécessaire avant la grossesse (sténose mitrale ou aortique sévère par exemple). Dans certains cas, heureusement rares, la grossesse sera fortement déconseillée. Les patientes en classe WHO I et la majorité des patientes en classe WHO II peuvent être suivies de manière habituelle du point de vue obstétrical, avec des contrôles cardiologiques variant d’une à trois consultations par grossesse selon les cas.1 Les patientes en classe WHO III (ou en classe WHO IV décidant de poursuivre leur grossesse) devraient être suivies à intervalles mensuels ou bimensuels dans un centre spécialisé de grossesses à haut risque permettant une prise en charge multidisciplinaire associant obstétriciens, cardiologues et anesthésistes.1,4 Une échographie de croissance est recommandée en fonction du type de cardiopathie et du risque associé de RCIU.11 Chez les patientes atteintes de cardiopathies congénitales, une échographie morphologique précoce à 16 SA, ainsi qu’une échocardiographie fœtale à 20-22 SA, sont recommandées. Durant l’accouchement et le post-partum immédiat L’évaluation du risque de complications cardiaques maternelles établi pendant la grossesse aide l’équipe médi- 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 14_21_35991.indd 3 Tableau 3. Classification du risque de complications cardiaques maternelles selon WHO modifié : application1 WHO = World Health Organization ; NYHA = New York Heart Association. Conditions dans lesquelles le risque de grossesse est considéré WHO I • Non compliqués, petits ou modérés : – sténose pulmonaire – canal artériel persistant – prolapsus mitral • Lésions simples opérées avec succès (communication interauriculaire ou interventriculaire, canal artériel persistant, anomalies du retour veineux pulmonaire) • Extrasystoles auriculaires ou ventriculaires, isolées Conditions dans lesquelles le risque de grossesse est considéré WHO II-III WHO II (sans autre complication) • Communication interauriculaire ou interventriculaire non opérée • Tétralogie de Fallot opérée • La plupart des arythmies WHO II-III (dépendant de la patiente) • Dysfonction ventriculaire gauche discrète • Cardiomyopathie hypertrophique • Valvulopathie non considérée dans WHO I ou IV • Syndrome de Marfan sans dilatation de la racine aortique ou bicuspidie aortique avec aorte l 45 mm • Coarctation de l’aorte opérée WHO III • Valve mécanique • Ventricule droit systémique • Circulation de Fontan • Cardiopathie cyanogène (non opérée) • Autre cardiopathie congénitale complexe • Syndrome de Marfan avec dilatation de la racine aortique 40-45 mm ou bicuspidie aortique avec aorte 45-50 mm Conditions dans lesquelles le risque de grossesse est considéré WHO IV • Hypertension artérielle pulmonaire toute cause confondue • Antécédent de cardiomyopathie péripartum avec dysfonction ventriculaire gauche résiduelle • Sténose aortique symptomatique sévère ou sténose mitrale sévère • Dysfonction ventriculaire systémique sévère (fraction éjection l 30%, NYHA III ou IV) • Syndrome de Marfan avec dilatation de la racine aortique L 45 mm ou bicuspidie aortique avec aorte L 50 mm • Coarctation de l’aorte sévère cale à définir le mode de surveillance hémodynamique, la prise en charge anesthésique et le mode d’accouchement. Pour les patientes de classe WHO I et la majorité de classe WHO II, la gestion du travail et l’accouchement sont les mêmes que pour les patientes sans cardiopathie.1 Pour les patientes avec un risque plus important, une surveillance multidisciplinaire dans un centre spécialisé est recommandée.1 Alors que la mise en travail spontanée est appropriée pour la plupart des patientes avec fonction cardiaque normale, la provocation de l’accouchement est souvent proposée à partir de 38 SA chez les patientes à risque plus important de décompensation cardiaque afin de permettre la présence de l’équipe multidisciplinaire. Ceci doit être évalué individuellement pour chaque patiente, selon sa cardiopathie, sa fonction cardiaque, ses antécédents obstétricaux, l’évaluation du col utérin, et le bien-être fœtal. L’ocytocine et les prostaglandines peuvent être utilisées chez ces patientes. A noter qu’un risque théorique de vasospasme coronarien Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 2073 20.10.11 09:25 et un faible risque d’arythmies ont été rapportés avec les prostaglandines, mais qu’il n’existe pas de contre-indication à leur utilisation.1 Durant le travail d’accouchement, il faut absolument éviter les modifications hémodynamiques brusques pouvant conduire à une décompensation cardiaque aiguë. Pour éviter l’augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, l’analgésie péridurale est recommandée de façon précoce en cas d’accouchement par voie basse. Durant le travail, la patiente sera installée en décubitus latéral gauche pour atténuer les fluctuations hémodynamiques associées aux contractions utérines. Il n’y a pas de consensus concernant le degré de surveillance hémodynamique qui sera donc adapté selon les cas : signes vitaux/rythme cardiaque, cathéter artériel, cathéter veineux central, voire exceptionnellement cathéter artériel pulmonaire.4 La césarienne n’est pas recommandée de routine chez les patientes atteintes de cardiopathie. En effet, le risque d’hémorragie et d’embolie pulmonaire est augmenté en comparaison avec un accouchement vaginal, même si la décharge adrénergique due aux contractions utérines est évitée.1,12 Il n’y a pas de consensus sur les contre-indications absolues à un accouchement vaginal. Selon les dernières recommandations européennes, la césarienne devrait être considérée chez les patientes avec aortopathies : syndrome de Marfan avec une dilatation de la racine aortique L 45 mm, dissection aortique aiguë ou chronique, chez les patientes en insuffisance cardiaque réfractaire et celles sous anticoagulation orale en travail prématuré.1 Certains auteurs proposent une césarienne lors de syndrome de Marfan avec une dilatation de la racine aortique L 40 mm,13 lors de sténose aortique sévère et en cas d’hypertension pulmonaire sévère. La gestion de la deuxième phase du travail a été peu étudiée et reste controversée. Généralement, en cas de cardiopathie modérée à sévère, les manœuvres de Valsalva lors des efforts de poussée peuvent être évitées par une extraction instrumentale. Cependant, le risque de lésions périnéales et d’hémorragie du post-partum est plus élevé en cas d’accouchement instrumenté.6,9 La balance risques/ bénéfices de cette intervention doit donc être bien évaluée.12 En cas de césarienne, l’anesthésie rachidienne est souvent contre-indiquée du fait des modifications hémodynamiques brutales qu’elle induit. L’anesthésie péridurale est mieux tolérée et a longtemps été la technique de choix. L’inconvénient est son taux plus élevé d’échec ou d’anesthésie insuffisante. Plus récemment, la technique de rachipéridurale séquentielle (ou combinée), associant une faible dose d’anesthésique inthrathécale combinée avec une péridurale lombaire, présente le double avantage d’un bloc d’excellente qualité et de faibles répercussions hémodynamiques.12,14,15 L’anesthésie générale peut être indiquée en cas d’instabilité hémodynamique, mais dans certaines situations, comme en cas d’hypertension pulmonaire sévère, elle peut être très mal tolérée.15 Une perfusion intraveineuse d’ocytocine devrait être administrée lentement (20 U dans 500 ml en trois ou six heures selon le degré de contraction utérine) pour la prévention de l’hémorragie du post-partum. A noter que le sulprostone est contre-indiqué en cas de cardiopathie préexistante et la méthylergométrine est con- 2074 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 14_21_35991.indd 4 tre-indiquée en cas de maladie coronarienne et d’hypertension artérielle. La période du post-partum est à haut risque de décompensation cardiaque chez les patientes atteintes de cardiopathies. Chez les patientes à haut risque, une surveillance étroite d’au moins 24 heures après l’accouchement est préconisée.1 Prévention de l’endocardite infectieuse La prévention de l’endocardite infectieuse a fait l’objet de nouvelles directives récentes.16 L’antibioprophylaxie est maintenant recommandée uniquement pour une population à haut risque (antécédent d’endocardite infectieuse, prothèse valvulaire ou matériel prothétique, ainsi que certaines cardiopathies congénitales) et uniquement lors d’interventions dentaires. L’antibioprophylaxie n’est donc plus recommandée pour l’accouchement vaginal ou la césarienne.1 A relever cependant que les recommandations de l’American college of obstetrics and gynecology suggèrent qu’une antibioprophylaxie pourrait être considérée pour les patientes à haut risque d’endocardite lors d’un accouchement vaginal.17 cardiopathies déclenchées par la grossesse Maladie coronarienne En raison de l’augmentation du nombre de femmes enceintes à haut risque cardiovasculaire, on s’attend à une augmentation de la survenue d’événements coronariens au cours de la grossesse,1,18 avec une fréquence actuelle de 6/100 000 accouchements. La grossesse augmente le risque d’événements coronariens d’environ 3 à 4 x en comparaison avec des femmes non enceintes du même âge,18 ceci pouvant être en lien avec l’augmentation du travail du myocarde, la diminution du contenu artériel en oxygène secondaire à l’hémodilution et l’état d’hypercoagulabilité de la fin de grossesse. Comme les symptômes d’ischémie myocardique peuvent mimer ceux de la grossesse (dyspnée, épigastralgies par exemple), le diagnostic est souvent tardif.2 L’électrocardiogramme peut être modifié chez la femme enceinte, raison pour laquelle il est important de doser la troponine en cas de doute. La prise en charge du syndrome coronarien aigu est la même que chez une femme non enceinte, en tenant compte cependant de la présence du fœtus. L’intervention coronarienne percutanée a été bien documentée pendant la grossesse, sans conséquence sur la survie fœtale.18 Les risques d’irradiation sont les plus importants au premier trimestre et peuvent être réduits par une approche radiale et une diminution des temps de fluoroscopie. L’utilisation de stents nus est recommandée pour éviter une double thérapie antiplaquettaire prolongée. L’accouchement vaginal est possible dans la plupart des cas. La mortalité maternelle après un syndrome coronarien aigu est estimée à 5-10% et prédomine dans la période péripartum.1 Cardiomyopathie du péripartum (CMPP) Il s’agit d’une cardiomyopathie idiopathique associée à une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche diminuée (l 45%) durant le dernier mois de la grosRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 26 octobre 2011 0 20.10.11 09:25 sesse ou durant les cinq premiers mois du post-partum, sans cause identifiable et sans maladie cardiaque préexistante.19 Cette pathologie affecte environ 1/2500-1/4000 grossesses aux Etats-Unis mais est plus rare en Europe. La physiopathologie n’est pas clairement comprise, mais l’infection, l’inflammation, les processus immunologiques et le stress hémodynamique de la grossesse jouent probablement un rôle. Récemment, l’implication de la prolactine a été suggérée. La prise en charge doit être multidisciplinaire associant obstétriciens, cardiologues et anesthésistes. Le traitement initial est identique à celui d’autres causes d’insuffisance cardiaque aiguë, la ventilation non invasive, les dérivés nitrés et les diurétiques pouvant être utilisés. Le recours à une assistance ventriculaire ou une transplantation cardiaque est parfois nécessaire. A relever que les IEC et les bloqueurs du récepteur de l’angiotensine II sont contre-indiqués et les antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes à éviter durant la grossesse. Certains auteurs ont démontré les bénéfices de l’adjonction de bromocriptine (bloqueur de la sécrétion de la prolactine), mais ce traitement est en attente de validation par des grands essais cliniques randomisés.19 L’accouchement vaginal est recommandé si la situation hémodynamique le permet, mais il ne doit pas être nécessairement provoqué si les conditions materno-fœtales sont stables. L’allaitement n’est pas recommandé en raison du rôle potentiel de la prolactine dans la physiopathologie de la CMPP. La mortalité maternelle est estimée entre 9 et 15% avec une récupération de la fonction systolique ventriculaire gauche dans 20 à 40% des cas. Les risques de récidive lors d’une grossesse ultérieure sont élevés (30 à 50%). Une nouvelle grossesse est contre-indiquée en cas de dysfonction ventriculaire gauche résiduelle.19 conclusion Les maladies cardiovasculaires constituent une cause majeure de mortalité maternelle indirecte dans les pays occidentaux, la première toutes causes confondues au RoyaumeUni. Les étiologies les plus fréquentes sont l’infarctus du myocarde, la dissection aortique et les cardiomyopathies dont principalement la CMPP. Malheureusement, peu de médecins pensent aux cardiopathies lors de symptômes ou de signes évocateurs survenant pendant la grossesse. Les cardiopathies préexistantes à la grossesse sont la première cause de décompensation cardiaque durant la grossesse et sont de plus en plus fréquemment rencontrées par l’obstétricien. La prise en charge de ces patientes repose sur une bonne compréhension des modifications physiologiques de la grossesse et des risques spécifiques à chaque pathologie, une planification de la grossesse et une approche multidisciplinaire de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum immédiat dans un centre spécialisé pour les grossesses à haut risque. L’antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse lors de l’accouchement n’est actuellement plus recommandée. Implications pratiques > La grossesse des patientes atteintes d’une cardiopathie doit être planifiée et le risque materno-fœtal soigneusement évalué, notamment selon la classification de la World Health Organization modifiée > La prise en charge des patientes enceintes atteintes de car- diopathies préexistantes doit être multidisciplinaire, associant obstétriciens, cardiologues et anesthésistes, dans un centre spécialisé en grossesses à haut risque > La césarienne n’est pas recommandée de routine chez les patientes qui présentent une cardiopathie > L’antibioprophylaxie de l’endocardite lors d’un accouchement n’est plus recommandée > Les obstétriciens doivent pouvoir reconnaître les symptômes et signes de cardiopathies survenant lors de la grossesse tels que l’infarctus du myocarde, la dissection aortique ou la cardiomyopathie du péripartum puisqu’elles représentent une cause importante de mortalité maternelle Adresse Dr Nicole Jastrow Pr Olivier Irion Service d’obstétrique Département de gynécologie et obstétrique Drs Philippe Meyer et Judith Bouchardy Service de cardiologie Département de médecine interne Dr Georges L. Savoldelli Service d’anesthésiologie Département d’anesthésiologie, pharmacologie et soins intensifs HUG, 1211 Genève [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] Bibliographie 1 ** Regitz-Zagrosek V, Lundqvist CB, Borghi C, et al. ESC guidelines on the management of cardiovascular diseases during pregnancy : The task force on the management of cardiovascular diseases during pregnancy of the European society of cardiology (ESC). Eur Heart J 2011; epub ahaed of print. 2 Cantwell R, Clutton-Brock T, Cooper G, et al. Saving mothers’ lives : Reviewing maternal deaths to make motherhood safer : 2006-2008. The eighth report of the confidential enquiries into maternal deaths in the 2076 united kingdom. BJOG 2011;118(Suppl. 1):1-203. 3 Robson SC, Hunter S, Boys RJ, Dunlop W. Serial study of factors influencing changes in cardiac output during human pregnancy. Am J Physiol 1989;256:H1060-5. 4 * Siu SC, Colman JM. Heart disease and pregnancy. 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