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Bensa Alba apres Levi-Straus- didactica

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BENSA ALBAN (2010) APRÈS LÉVI-STRAUSS, POUR UNE
ANTHROPOLOGIE À TAILLE HUMAINE, PARIS, TEXTUEL
Fred Dervin
Association REDLCT | « Recherches en didactiques »
2011/2 N° 12 | pages 187 à 190
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ISSN 2116-9683
ISBN 9791090290013
POUR UNE ANTHROPOLOGIE À TAILLE
HUMAINE, PARIS, TEXTUEL
Fred Dervin
Université de Turku et University of Eastern Finland
Tous les chercheurs qui tentent de répondre à la question « qu'est-ce
que l'Homme ? », font, d'une manière ou d'une autre, de
l'anthropologie.
(Augé, Colleyn, 2004, p. 90)
A priori l'idée de recenser un ouvrage d'anthropologie dans une revue de didactiques peut surprendre. La citation de Marc Augé et de Jean-Paul Colleyn en
exergue pourrait d'ailleurs irriter certains lecteurs. Mais que fait-on en didactiques ? Ne tente-t-on pas d'une certaine manière de proposer certaines
réponses à la question « qu'est-ce que l'Homme ? » à travers nos problématiques ?
Le livre Après Lévi-Strauss : pour une anthropologie à taille humaine de
l'anthropologue Alban Bensa soulève des problèmes et pose des questions qui
ne peuvent laisser le chercheur en didactiques indifférent. En effet, sa lecture
nous aide à nous interroger davantage sur qu'est-ce que faire de la recherche ?
Quelles sont les relations entre le chercheur, son « terrain » et les participants aux
études ? Comment présenter ses résultats ? mais aussi et surtout il nous apporte
des pistes, réponses et hypothèses à ces questions fondamentales.
Alban Bensa est Directeur d'études à l'EHESS à Paris. Spécialiste de la Nouvelle-Calédonie, il est l'auteur, entre autres de La fin de l'exotisme (2006) et Les
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BENSA ALBAN (2010) APRÈS LÉVI-STRAUSS,
Ainsi, Bensa souligne que l'anthropologie lévi-straussienne ignore ces éléments et que les acteurs n'y existent pas, car ils sont souvent présentés comme
suivant un programme, un ordre et « une certaine stabilité formelle » (p. 20) :
pour mettre fin à ces pratiques, il faudrait d'après Bensa « s'affranchir de l'idée
absurde d'une adhésion pleine et entière des acteurs à leur propre monde, sans
que jamais leur perplexité, leur questionnement, leur éloignement relatif par
rapport à ce qu'ils vivent, ne soient examinés. L'anthropologie n'a pas à noyer la
volonté d'autrui dans le régime de la croyance naïve qui confondrait forme et
fond, métaphore et objet, signifiant et signifié » (p. 36-37). Ce premier conseil
nous interpelle tous en didactiques.
La « nouvelle anthropologie » que l'anthropologue propose prend en
compte l'historicité des acteurs, donc leurs contextes et les relations entre les
individus en présence, et se base sur des « processus de transformation » et les
choix politiques (plutôt que structuraux) qui les accompagnent. Historicité,
affectivité et politique sont ainsi les trois mots-clés de la démarche proposée.
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politiques de l'enquête, qu'il a codirigé avec Didier Fassin (2008). L'ouvrage que
nous recensons ici consiste en un entretien entre l'anthropologue et Bertrand
Richard. Les idées et les arguments débattus dans Après Lévi-Strauss ont été
développés dans La fin de l'exotisme, un ouvrage qui avait fait largement débat
dans les milieux anthropologiques français. En fait, même si l'anthropologie que
propose Bensa est loin d'être inédite (le domaine connaît des « réformes » depuis de nombreuses décennies sous l'influence de chercheurs tels que Augé,
Godelier, Geertz, Wikan, Abu-Lughold... qui vont dans la direction de ce qu'il
envisage), elle est loin d'être acceptée ou appliquée par les anthropologues euxmêmes ou les chercheurs issus d'autres disciplines qui s'inspirent de
l'anthropologie et de ses méthodes. En 2008, je co-organisais avec Béatrice Fracchiolla (Paris 8) une conférence sur les utilisations de l'anthropologie en
didactique des langues et de l'interculturel durant laquelle il est apparu clairement au fil des présentations et discussions que la vision et les démarches
anthropologiques retenues correspondaient à une anthropologie canonique de
type structuraliste, largement dépassée, qui écartait une éventuelle remise en
question de ces éléments. L'ouvrage d'entretien de Bensa pourrait aider à
s'orienter davantage dans cette dernière direction.
Publié à un moment clé de l'histoire de l'anthropologie « française » (le
« grand maître » Lévi-Strauss est mort en octobre 2009), l'ouvrage est structuré en
trois parties : 1. Après Lévi-Strauss : revenir au réel, 2. totems et tabous : les fables
d'une discipline, 3. l'anthropologie et le politique. Une critique claire du structuralisme de Lévi-Strauss apparaît dès les premières pages et traverse l'ouvrage
(p. 21) :
le repli sur son Aventin et l'opération de réduction qui l'accompagne
font perdre en route une dimension essentielle du social, à savoir son
historicité, le fait que les individus font des choix, qu'ils ont des
marges de manœuvres, qu'ils sont indécis, qu'ils changent d'avis,
bref qu'ils tissent leur histoire en naviguant entre contraintes et opportunités. Est aussi perdue en chemin toute l'affectivité.
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Il ne revient pas du tout au même de questionner un père sur
les règles de mariage qu'on dit suivre dans son village et de lui
demander « comment avez-vous marié votre fille l'an
dernier ? » Avec cette seconde option remonte à la surface une
grande variété de considérations circonstancielles qui
convoquent sur la scène sociale nombre d'acteurs et de facteurs
(autorités politiques ou religieuses, beauté des conjoints
potentiels, histoire des clans, etc.) que la seule « logique de
parenté » [...] met inévitablement sur la touche. On y observe
des individus concrets qui fabriquent du social et ne se pensent
pas comme les « représentants » d'une culture ou les faire-valoir
d'une règle qui les dépasserait ». (p. 63 ; on trouvera d'autres
exemples significatifs aux pages 61 et 68).
En d'autres termes, le chercheur s'intéresse non plus aux règles ou aux
structures mais aux figements, régressions et contournements de principes
présentés et négociés entre lui-même et ses « informants » (p. 78). À nouveau, le
didacticien ne peut pas être insensible à ces questions.
L'aspect politique concerne également l'enquête telle qu'elle est menée et
l'influence du chercheur sur ses « données » et surtout sur les individus qu'il
rencontre. Dans de nombreuses recherches anthropologiques mais aussi didactiques, le chercheur parait « tout-puissant », « l'observé est généralement
mutique – aussi silencieux qu'une structure » (p. 36). Pour donner un exemple,
dans la plupart des études en didactique de l'interculturel, la partie dite analytique pose des regards uniquement sur les personnes interrogées (interviews,
questionnaires, textes...) sans expliciter la prise de position forcément marquée
du chercheur à la fois lors de la « collecte » des données et/ou de l'interprétation
des résultats. La collecte des données, selon Bensa, est souvent présentée comme
la simple cueillette de « champignons dans une forêt » (p. 39). D'où parfois un
fort sentiment d'altérisation des participants, alors que ceux-ci sont en fait des
« co-auteurs » (p. 42).
C'est pourquoi Bensa suggère que le chercheur s'implique davantage dans
son processus de recherche et qu'il fasse émerger les enjeux de la politique de
l'enquête. Il écrit : « Il est urgent d'inverser la méthode, de partir des acteurs et
de la façon d'élucider, avec eux et non pas à distance, l'émergence et la légitimation des pouvoirs, les conversions religieuses, la construction des systèmes de
l'art de contourner les règles, de jouer des écarts entre obligations et initiatives »
(p. 36). Cela aurait aussi une influence sur le lecteur des résultats (étudiants,
autres chercheurs, le grand public...) car il ne serait plus « contraint de “consommer” des connaissances, mais de revivre, sur le mode du questionnement,
l'expérience de l'enquête » (p. 42-43). En effet, ce qui est présenté à la fois par
l'anthropologue (ou l'ethnographe) ou les enquêtés ne devrait pas mener à une
interrogation sur sa vérité ou son invention, mais à questionner les usages qui
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Bensa donne plusieurs exemples d'application concrète dans l'entretien.
L'exemple suivant, que je reproduis in extenso, interroge la manière de poser des
questions et par conséquent le traitement des réponses par le chercheur :
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Quand il arrive que des individus se revendiquent de leur « culture »,
c'est qu'ils s'adressent à d'autres individus dont ils imaginent qu'ils
sont très différents d'eux, détenteurs eux-mêmes d'une autre « culture ». La culture n'est pas un cadre de référence en soi qui s'impose
aux personnes d'un même groupe, c'est toujours d'abord le regard de
l'autre sur l'autre.
Ainsi, le mot « valeurs » est souvent mis en avant par les chercheurs euxmêmes pour expliquer les différences de points de vue, les différentes façons
d'agir, etc. Bensa nous met en garde contre cet « alibi » souvent teinté de généralisation et d'ethnocentrisme : « les valeurs, ce n'est ni génétique ni conditionné
culturellement, c'est une appréciation selon les situations » (p. 89). En bref, on
revient ici à l'importance de l'historicité, des relations et des contextes de rencontre.
En tout, Après Lévi-Strauss représente un outil essentiel pour s'interroger
sur ce qu'est la recherche. Lu avec La fin de l'exotisme (2006), il pourrait servir
de « manuel » de réflexions épistémologiques, méthodologiques, interprétatives,
mais aussi relationnelles et éthiques pour tout chercheur (« jeune », novice,
confirmé...) qui souhaite revoir sa façon de travailler sur l’« Autre » en didactiques. L'ouvrage peut également nous conforter dans l'idée qu'en tant que
chercheurs « il nous faut accepter aussi d'être dans une communication partielle, car il est vain de penser tout comprendre » (p. 123). Constat que certains
trouveront trop négatif voire « autodestructif » (pourquoi faire de la recherche
alors ?) mais qui nous donne de l'espoir car le rôle du chercheur en sciences
humaines et sociales est avant tout de questionner, de poser des questions et de
proposer des réponses (au pluriel) et des hypothèses, plutôt que des résultats
figés, qui altérisent.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine (2003) Former et éduquer en contexte hétérogène :
Pour un humanisme du divers, Paris, Economica.
AUGÉ Marc, COLLEYN Jean-Paul (2004) L'anthropologie, Paris, Presses Universitaires
de France, collection Que sais-je ?
BENSA Alban (2006) La fin de l'exotisme, Essais d'anthropologie critique, Toulouse,
Anacharsis Éditions.
DERVIN Fred (2010) Pistes pour renouveler l'interculturel en éducation, Recherches en
éducation, Éducation et formation interculturelles : regards critiques, CREN, 3241.
FASSIN Didier, BENSA Alban
(2008) Les politiques de l'enquête, Épreuves
ethnographiques, Paris, La Découverte.
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en sont faits dans le cadre de la recherche. En bref, il ne s'agit pas de généraliser
mais de voir, à nouveau, quelles politiques semblent les diriger (p. 64).
Bensa lance un message très important par exemple pour ceux qui travaillent avec la didactique des « migrants » ou de l'interculturel, et fait écho
notamment aux travaux de Martine Abdallah-Pretceille (2003, p. 70 ; cf. également Dervin, 2010) :
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