SÉQUENCE 5 – DECRIRE, IMAGINER, FIGURER – SYLLABUS Après avoir étudié les causes profondes, tant scientifiques et techniques que philosophiques et anthropologiques, des mutations des représentations du monde, nous allons nous intéresser maintenant aux modifications des représentations elles-mêmes. En effet, l’homme veut représenter le monde pour autrui et pour lui-même, soit dans une fonction de connaissance, dans la cartographie par exemple, soit au contraire pour imaginer un autre monde, différent du nôtre mais inspiré de celui-ci. Ainsi représenter le monde n’empêche-t-il nullement de l’imaginer meilleur ou différent de ce qu’il est. La découverte et l’essor de l’imprimerie à la fin du XVe siècle vont entraîner un bouleversement épistémologique1 majeur tant pour la représentation du monde que pour sa connaissance : la voie vers la connaissance à la portée de tous est désormais ouverte. Ce bouleversement est sans doute équivalent de celui qu’a apporté au XXe siècle la révolution numérique pour la diffusion de la connaissance. Du côté des arts, les peintres de la Renaissance aiment vanter la beauté du monde, la diversité de la nature mais aussi inventer toutes les fantasmagories des mondes supra-terrestres. L’invention de la perspective permet d’aborder le monde dans une vision certes plus réaliste, plus « vraie », mais sans se départir de cette part d’imaginaire et d’étrangeté comme on le verra dans les fantasmagories de Bosch. C’est que les peintres humanistes restent profondément animés de cette part de spiritualité qui faisait le fonds de la peinture jusqu’à la Renaissance. Ces deux aspects de l’art, l’aspect réaliste et l’aspect imaginaire, vont se combiner merveilleusement, laissant le spectateur tantôt émerveillé devant la beauté du monde et ses mystères, tantôt horrifié par les aberrations du monde des hommes. Car plus les hommes ont la possibilité de connaître et de comprendre le monde tel qu’il est, plus ils ont aussi l’envie de le changer – car on ne peut vouloir changer que ce que l’on a l’impression de connaître. La représentation du monde, tel qu’il est ou tel qu’il devrait être, prend ainsi une dimension politique : c’est ce que démontreront les utopies, nées peu de temps après l’invention de l’imprimerie et la découverte du Nouveau Monde et qui se développeront tout au long du siècle des Lumières. Avant d’entrer dans ce monde – ou plutôt ces mondes – laissons encore résonner la pensée de Michel Serres (1930-2019), ce philosophe récemment disparu, qui avait abandonné les sciences pour se consacrer aux théories de la connaissance. En 2011, dans un discours à l’Académie française, il déclarait : « Oui, nous vivons un période comparable à l’aurore de la paideia2, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu’en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, l’être-au-monde lui-même, les métiers, l’espace et l’habitat. Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets». Il vous appartient désormais de connaître et reconnaître les mondes d’hier pour inventer le monde de demain. Entrons ! 1 ’épistémologie est l’étude de la formation des connaissances et de leurs origines. Un bouleversement épistémologique désigne un changement L profond et radical dans la manière dont les connaissances se transmettent. 2 Dans l’Antiquité grecque, la paideia désigne le processus d’éducation permettant à l’homme de se réaliser pleinement, politiquement et intellectuellement, à l’intérieur de la cité. La paideia comprenait aussi bien l’apprentissage des mathématiques, de la philosophie, de la rhétorique que l’éducation physique et la géographie. CNED – PREMIÈRE – HUMANITÉ–LITTÉRATURE–PHILOSOPHIE 1