Huysmans carrefour entre peinture et littérature

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PROLOGUE
Au XIXe siècle, le rayonnement qu'exerçait déjà Paris s'amplifie, elle devient le foyer
européen, puis mondial de la culture.
Hors Paris, point de salut.
Elle connaît une période de croissance extraordinaire qui la conduit à devenir le
centre de la recherche et du mécénat, tout désormais se joue dans la capitale. Cette
émergence, va engendrer des bouleversements radicaux dans la conception de l'art. Des
changements institutionnels majeurs, vont amener la chute de l'ancien système, le
système académique, pour instaurer le nouveau, le système marchand-critique.
Mais pourquoi ce déclin, pourquoi le Salon, l'Académie, institutions qui avaient fait
leur preuve, symboles de l'art français, sont-elles remises en question ? Les causes sont
multiples.
En dépit du monopole qu'elle exerçait, l'Académie royale, à la fin du XVII° et pendant
le XVIIIe siècle était un corps assez large et accueillant. Elle était organisée en plusieurs
classes et catégories de membres :les peintres agrées, et les amateurs pour qui l'art était
un passe-temps. Pour supprimer un peu l'hégémonie de cette institution, le roi en 1676
décida de fonder dans les provinces des académies artistiques, chapeautées par
l'Académie royale parisienne. Elles fleurirent un peu partout. Dès 1786 on en comptait
33 qui s'étaient surtout développées au cours de la seconde moitié du XVIII° siècle.
Mettant d'abord l'accent sur le rôle artisanal, et sur l'utilité pratique de la formation
artistique, ces académies tendirent par la suite à adopter les doctrines intellectuelles de
l'institution parisienne. De plus, les meilleurs élèves encouragés par les notables
provinciaux et les conseils municipaux, partaient à l'Académie royale, qui conservait son
prestige, et découvraient, une fois arrivés, une ville en plein essor, berceau des Arts. Ils
espéraient donc tous y faire carrière, gagner le Prix de Rome et devenir un agréé de
l'Académie. Mais, la prépotence de cette institution va cesser avec la Révolution; en effet,
l'académie royale, en 1792, est supprimée. Al'origine de cette disparition un groupe de
dissidents, issue de ses rangs, conduit par Jacques-Louis David. Après quelques
substituts républicains, tous dirigés par David, l'Académie réapparait, mais sous un
nouveau jour. Elle devient la section de peinture et de sculpture des Beaux-Arts, au sein
de l'Institut de France crée par Napoléon, retrouve ses pouvoirs perdus et en conquiert
d'autres. Elle détient la juridiction traditionnelle du prix de Rome , et de l'Académie de
Rome, mais aussi une autorité exclusive sur les admissions et les récompense des Salons.
Institution officielle, soutenue par l'Etat, un de ses buts est de légitimer le
gouvernement révolutionnaire et ses successeurs tout au long du XIX° siècle. En effet
comme dans le passé l'art reste intimement lié au pouvoir, il en est le symbole, et cette
relation n'a jamais été aussi étroite qu'à cette époque, car l'Etat au statut incertain,
cherche, à travers l'art, à asseoir son autorité face aux français, et à montrer sa puissance
aux souverains d'Europe. David, dans ses œuvres, va s'efforcer d'exprimer la grandeur
du régime, de glorifier l'Empereur, le nouveau César. L'artiste représente un élément
fondamental du pouvoir, il est promus au rang d'homme de savoir, l'égal des
philosophes et des hommes de lettres des autres sections de l'Institut. Le métier de
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peintre devient alors une profession, au sens que la bourgeoisie attache à ce mot.
L'artiste quitte les "guenilles du bohème" pour se couvrir de gloire, drapé de sa dignité.
Mais si la voie est "royale" le chemin est difficile, la route est longue et périlleuse, seuls
quelques élus, échappés au troupeau toujours plus important des aspirants au titre de
peintre,parviennent à se hisser au zénith, et deviennent les piliers de ce temple -
l'Académie - réceptacle de la grande tradition.
L'incapacité d'opérer une décentralisation satisfaisante amène les provinciaux à
affluer vers des structures d'accueil parisiennes, déjà saturées. Comme le nombre
d'étudiants ne cesse de croître, espérant comme Rastignac conquérir Paris, les Ateliers et
l'Ecole officielle sont engorgés, le gavage de ses oies blanches est donc plus difficile.
L'endoctrinement moins avisé, l'enseignement de l'école devient donc plus précaire, il
prête le flanc à la critique. Tous se ruent sur la bête blessée, on l'accuse d'étouffer la
créativité, de dispenser une formation superficielle, enfin son rôle est contesté. Cette
atmosphère hostile au colosse aux pieds d'argile, favorise l'éclosion d'écoles parallèles
non officielles. On voit apparaître de nouveaux centres de formation, comme les
académies "libres" - l'Académie Suisse et l'académie Julian - et de nouveaux lieux
d'exposition qui sont autant d'éléments favorables à la manifestation de nouvelles
esthétiques. En effet, l'esthétique académique inculquée, à la majorité des étudiants,
devient de plus en plus superficielle, et surtout, comme cette manifestation n'est plus la
seule prodiguée, on voit naître chez les artistes, à moitié formé, mais aussi chez les
meilleurs étudiants, des hardiesses novatrices. La voie aux innovations formelles, tant
pour des raisons liées à l'idéologie du système académique, qu'à cause de la
modification de la composition du public potentiel, est désormais ouverte. Ces
changements ne sont pas vus d'un bon œil par les institutions. Ces jeunes artistes sont
exclus du cursus habituel, au moment du Salon en particulier. Cette marginalisation
favorisera la constitution d'esthétique de groupe, en d'autres termes, le débat théorique.
Le principal événement annuel, du monde de la peinture française, au XIX° siècle est
le Salon de Paris. Son but est double, d'une part principal instrument de l'académie, il
passe en revue, récompense et contrôle les peintres en quête de reconnaissance officielle,
d'autre part, il se veut un vaste spectacle gratuit organisé, pour le public français et les
élites venues de l'étranger. Compromis entre le lieu d'exposition pour les professionnels,
le spectacle institué par un Etat bienveillant et le magasin, son statut est mal défini, ce
qui explique les modifications perpétuelles de ses règles. Il est inapte à trouver des
débouchés pour ces artistes toujours plus nombreux, dont la "machine"académique est
incapable d'assurer la carrière; mais, même si cette institution est insatisfaisante, si le
peintre ne peut en vivre, il ne peut pas s'en passer non plus dans le système existant. Cet
état de fait ne peut demeurer indéfiniment. En 1863 - période cruciale l'Académie
commence à perdre de son influence- c'est le coup de glas. Le Salon des Refusés amène
des changements importants dans les règles formelles du système officiel. Même si des
artistes s'étaient déjà opposés au Salon, comme le fit Courbet en 1865, en défiant
ouvertement la doctrine et les usages académiques avec son "Pavillon du Réalisme",
exemple qui ne fut pas oublié, les adversaires les plus virulents sont les
Impressionnistes. Comme leur illustre prédécesseur, leur réaction ressemble fort à
l'attitude du héros de La Fontaine "Le renard et les raisins". Ils se comportent comme un
groupe uni contre l'adversité - les institutions officielles -. Refusés aux Salons, ils sont
contraints de se considérer eux-mêmes comme des rebelles. Ces artistes sont des
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bourgeois qui partagent les aspirations propres à leur milieu d'origine ; par leur style de
vie et leur manière d'envisager leur métier, ils adhèrent à l'idéologie que le système
académique a imposée.
Ils ne se considèrent pas comme des artistes marginaux, ils veulent au contraire
grimper vaillamment les échelons de la reconnaissance officielle. Ils étaient tous, ou
presque - Cézanne avait échoué à l'examen d'entrée -, passés par l'école des Beaux-Arts -
et/ou - par les ateliers des peintres académiciens. Ces débuts "prometteurs" ne
pouvaient pas faire augurer du pire. Partis sur les chapeaux de roues, il espèrent faire
fortune, et revenir plein d'usage et de médailles vivre près des leurs, reconnus et
admirés, le reste de leur vie. Car, si la qualité de la formation académique perdait de son
prestige, il n'en était pas de même quant à la légitimité de la marche à suivre, pour
mener une carrière académique. Aussi, quelle déception quand ils se voient fermer les
portes et refuser les cimaises du Salon. Dépités, et en désespoir de cause, ils
condescendent à faire des expositions indépendantes, afin de se faire connaître, pensant
ainsi acquérir une certaine notoriété, qui leur permettrait de se faire une place au Salon,
et d'y être consacrés.
S'ils acceptent le nouveau système des expositions et des marchands indépendants,
c'est comme un pis-aller, s'ils contribuent à l'apparition d'une conception nouvelle de
l'artiste, c'est à leur insu.
Mais, novateurs,- eux qui se voulaient conformistes - leur attitude ,malgré eux va
cependant bouleverser l'ordre des choses. Le vieux monde de l'art - le système
académique - va s'écrouler, faire place à un "ordre nouveau", celui du marchand-
critique, uni pour célébrer l'artiste en marge, le génie inconnu.
Si cette mutation s'avère possible, si les Impressionnistes en sont des acteurs
inconscients, c'est qu'il est temps que l'art jette sa dépouille pour faire peau neuve.
Climat économique, et contexte social sont favorables, car on assiste à cette époque, à
l'émergence de la France comme centre culturel du monde. Elle devient le parangon du
goût, et parallèlement à Paris, qui atteint son apogée, le bourgeois, lui, accède à la
domination matérielle et culturelle . C'est eux, ces bourgeois, de plus en plus riches et
nombreux, qui offrent aux peintres un marché intérieur plus important, en particulier
sous le second Empire. Même s'il y a moins de travaux de décoration que sous le temps
de Lebrun, et moins de commandes que pendant les périodes révolutionnaires et
napoléonienne, l'art se vend d'avantage. Le marchand oriente une fièvre de spéculation
toujours plus forte en faisant miroiter les profits considérables que l'on peut faire sur les
œuvre de ces artistes encore inconnus. Il fait la promotion de ces hommes qui jadis
n'étaient présentés que comme des êtres étranges, bohèmes. On leur porte désormais de
l'intérêt. Duran-Ruel, le "marchand des Impressionnistes", véritable magicien, arrive par
son audace et par son gôut à remplir ces multiples tâches. Véritable Janus il d'adopte
d'un côté la face du spéculateur rusé de l'autre le visage rassurant du mécéne cultivé. Il
inaugure ainsi une manière d'agir qui sera très vite adoptée par les marchands
contemporains mais aussi plus tard par des hommes comme Vollard et Kahnweiler.
Le statut, ou du moins l'image du peintre, se modifie donc. Il devient le ros de
roman (Sandoz chez Zola, Tibaille et Coriolis chez Goncourt...), l'artiste incompris par la
société, opprimé par l'Académie. Mais, la critique est pour redorer son blason,
rehausser son portrait. Le Charivari, La Caricature ridiculisent les membres du Jury du
Salon, qu'ils croquent sous les traits de singes, d'ânes, ou d'aveugles, afin de mieux
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réhabiliter le peintre aux yeux du public. Les bourreaux deviennent victimes, on ne se
moque plus de l'artiste refusé, mais de la stupidité du "bourgeoise" du visiteur du Salon,
de l'acheteur et de l'Académie. Eux qui jouaient autrefois les rôles d'arbitres du goût, de
clients et d'éducateurs incarnent désormais la bêtise. C'est alors qu'apparaît le mythe du
génie inconnu, l'artiste en marge que le critique va essayer de promouvoir, et le
marchand de vendre. Ce n'est pas par altruisme que le marchand et le critique agissent
ainsi. Le but principal du premier est de profiter le plus possible de ce marché toujours
plus vaste qui s'offre à lui, quant au second il s'evertue à établir sa réputation
d'intellectuel influent. Ce sont leurs intéréts propres qui les poussent à se préoccuper des
artistes plutôt que des œuvres. Une toile considérée isolément est un objet commercial
trop éphémère pour que l'on puisse organiser tout un système de promotion. On ne va
donc plus s'intéresser uniquement à la peinture -comme le faisait l'ancien système - mais
au créateur.
De plus un phénomène "esthético économique" va se greffer sur cette nouvelle
conception de l'artiste. Ces changements de statut sont directement liés à l'évolution
technologique. C'est à cette époque qu'apparaît le tube de peinture. Le peintre n'est plus
obligé de s'enfermer dans son atelier, sa tour d'ivoire, il peut désormais peindre à
l'extérieur, comme le firent ces pionniers du paysage que furent les artistes de l'école de
"Barbizon". Des amateurs, qui ne maîtrisent pas les techniques du mètier - préparation
de la toile, des couleurs- peuvent se mettre eux aussi à la peinture.
Avec tous ces peintres,(à partir de 185O, au moins 2OO.OOO toiles estimables sont
produites chaque décennie par les peintres professionels), le Salon est assailli, aussi, les
œuvres prioritaires , sont celles qui ne posent pas de problèmes d'accrochage; les toiles
de petit format (peinture de paysage et de genre) qui correspondent davantage aussi au
goût des acheteurs.
Est-ce pour s'adapter au marché potentiel existant, que les artistes, au cours de cette
pèriode, développent la peinture de paysage? Sûrement. C'est peut-être ce qui incite le
marchand, si avisé, Durand-Ruel, à défendre le mouvement Impressioniste, après avoir
soutenu les paysagistes de l'école de Barbizon. Sachant que cette peinture est suscptible
de plaire, il reste néanmoins au galeriste, la tache de la faire connaitre. Il n'est pas seul à
mener le combat, à ses côtés, le critique va chanter les louanges des artistes encore
inconnus. Tous les deux, de conserve, s'attaquent à ce mur de l'incompréhension, afin de
faire tomber les barrières entre l'artiste et l'acheteur, l'art et la société. Le critique va donc
essayer de desciller les yeux d'un public grégaire, et le marchand, jouant les
"impressario, donne aux artistes, la chance d'exposer, leur assurant de surcroît, un
niveau de vie honorable. Ce nouveau "binôme" va donc permettre à l'artiste de mieux
s'intégrer dans la société, en répondant d'avantage à ses aspirations. Ce couple existait, il
est vrai, bien avant le XIX° siècle, mais c'est à cette époque qu'il retrouve sa légitimité.
Fini l'adultère. Il peut être lié et uni pour défendre "sa progéniture": l'artiste. S'il ne
l'enfante pas, il l'élève jusqu'aux cimaises, et au sommet de la gloire.
Eux, qui étaient soumis à l'autorité du système accadémique, retrouvent une certaine
virginité. Ils deviennent de plus en plus nombreux, indépendants.Le marchand, étant
donné l'évolution de la composition du public potentiel, devient le seul à pouvoir
satisfaire, la demande de la clientèle, et celle de l'artiste. Il doit aussi adapter ses
stratégies à un marché de plus en plus ouvert et concurrentiel. Recréant le rôle du
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mécène, il offre à ses peintres une aide financière, mais aussi un soutien moral, leur
apportant, reconnaissance et éloge.
Le critique qui jusque était un amateur au service du peintre, voit également sa
fonction se modifier. Il se professionnalise. Il est maintenant au service du marché. Il
devient un "découvreur" de génie inconnu, dont l'œuvre entier, pourra devenir l'objet de
spéculation. Il remplace par ses articles élogieux les récompenses du Salon. Théoricien il
commente et analyse les innovations formelles qui échappent aux critères du jugement
académique, propageant ainsi les idées de l'artiste. Les White, d'ailleurs, note :
« le le que jouèrent plusieurs critiques en se parlant mutuellement des
Impressionnistes. Ils continuèrent de servir de canaux de communication à
l'intérieur du groupe et avec le public. A partir de ces discussions des
soirées passées au café Guerbois (et plus tard à la Nouvelle Athènes), le
langage et les idées des peintres allaient, sur la page imprimée, se
transmuer en théorie.»
Désormais, grâce aux multiples journaux qui se créent, les jounalistes critiques
trouvent une large audience auprès du public, ils peuvent ainsi se faire les porte-paroles
des nouvelles écoles, véhiculer les grands courants de l'art. Duranty vomit les poncifs
académiques et salue les prémices de l'art nouveau à travers Corot et Courbet ; Duret,
défenseur de l'art moderne, permet la diffusion du japonisme ; Sylvestre et Laforgue
condamnent sans rémission l'Académisme et portent aux nues l'Impressionnisme ;
Mirbeau vitupère les Préraphaëlites et loue les Nabis ; Aurier se fait le chantre du
Symbolisme et Fénéon celui du néo-impressionnisme ; quant à Huysmans, contempteur
de toutes les gloires établies, il honnit tous les médaillés du Salon et prône tous les
artistes novateurs.
Le critique ne parle plus au nom de la loi, il devient celui qui découvre; il ne
bonnètent plus docilement aux choix du Salon, il n'a de cesse au contraire de lui adresser
les reproches les plus virulents, les sarcasmes les plus cinglants,les diatribes supplantent
les éloges, les Impressionnistes les Pompiers, les Symbolistes lesnéo classiques.
«
«
Son père, Gotfried Huysmans, était originaire de Breda (Hollande). Il exerçait l'état
de peintre; son grand-père était également peintre, et l'un de ses oncles, maintenant
retiré à La Haye, a été longtemps professeur de peinture aux académies de Breda et de
Tilburg. De marchandpère en fils, tout le monde a peint dans cette famille qui compte
parmi ses ancêtres Cornélius Huysmans dont les tableaux figurent au Louvre»1.
Huysmans, qui pour rappeler ses origines flamandes changera ses prénoms de
Georges et de Charles en Joris-Karl, bientôt abrégés en leurs initiales J.-K., appartient à
une famille de peintres. Son père Godefroy, lithographe, montre des ambitions
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