LE CORPS INHABITÉ DE L'ENFANT AUTISTE Suzanne Maiello Presses Universitaires de France | « Journal de la psychanalyse de l'enfant » Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) ISSN 0994-7949 ISBN 9782130592693 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-journal-de-la-psychanalyse-de-lenfant-2011-2-page-109.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 2011/2 Vol. 1 | pages 109 à 139 -­page 109 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Introduction L’expérience de la réalité de l’existence du corps comme entité dans l’espace et dans le temps a une fonction fondamentale pour le développement psychique de l’enfant dès le début de la vie. Les enfants autistes semblent ne pas être passés à travers cette expérience. Toutefois, bien au-delà de leur conscience, ils communiquent leurs sensations, perceptions et terreurs à travers le corps. Les états autistiques sont caractérisés par l’absence de la capacité d’établir des liens avec et dans le monde, soit extérieur soit intérieur. C’est pourquoi l’enfant autiste ne peut pas entretenir de relation avec son corps de la façon qui nous est naturelle. Si nous nous référons au corps d’un enfant autiste comme son corps, nous le faisons du point de vue de notre propre mode de fonctionnement mental. La capacité de me référer, non seulement verbalement, mais aussi par les sens et les sensations, au corps comme « mon corps », n’est pas possible sans l’existence d’un sujet, d’un « moi » capable non seulement de faire l’expérience de sa corporalité, mais aussi d’observer ce corps et de s’observer dans la dimension corporelle d’un point de vue extérieur, dans une sorte de miroir virtuel, avec le constat d’avoir un corps, et en même temps d’être ce corps et de l’habiter. Freud fit un jour une observation de son petit-­fils de 24 mois qui, pendant une absence prolongée de sa mère, joua à disparaître et à réapparaître devant un miroir. Freud écrit qu’au retour de sa mère, celle-­ci fût accueilie par les 1. Texte d’une conférence donnée lors d’un congrès sur l’autisme, organisé au Palais des Papes d’Avignon par Fabien Joly en 2008. Journal de la psychanalyse de l’enfant, vol. 1, no 2, 2011, p. 109-­139 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Suzanne Maiello 135 x 215 -­page 110 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France mots : « Bebi o-­o-­o-­o ! », communication qui resta d’abord incompréhensible. Mais il se révéla bientôt que l’enfant, pendant ce long temps où il était seul, avait trouvé un moyen de se faire disparaître lui-­même. Il avait découvert son image dans le miroir sur pieds atteignant presque le sol et s’était alors accroupi, de sorte que son image dans le miroir était « fort » (partie)1. C’était ce moi corporel que l’enfant fût capable, pour maîtriser le sens d’abandon dû à l’absence de la mère, de faire disparaître et puis réapparaître.Il observa son corps qui était là-­bas, dans le miroir. visible à ses yeux, puis invisible, puis à nouveau visible. Il utilisa son corps comme un objet de recherche. La relation et le jeu avec son propre corps lui permirent au niveau symbolique de ne pas être submergé par l’angoisse de séparation, mais de maintenir son équilibre psychique en anticipant le retour de sa mère. Une telle expérience est rendue impossible à l’enfant autiste qui doit éliminer a priori de sa perception tout danger de séparation et d’absence. Si nous cherchons à nous approcher des perceptions d’un enfant autiste, nous devons être prêts à mettre en discussion les fondements-­mêmes de notre expérience qui se base sur la perception de notre existence comme entité psycho-­physique dans l’espace et dans le temps. Quel est donc le vécu que peut avoir l’enfant autiste de la réalité de son corps s’il lui manquent les fondements-­mêmes des dimensions physiques de l’être ? Peut-­il le ressentir comme un objet qui lui appartient (j’ai un corps), comme forme et expression de son existence (je suis mon corps), ou comme un contenant duquel il est le contenu (je suis dans mon corps, j’habite mon corps) ? Il nous est difficile de nous mettre “dans la peau” d’un enfant autiste et d’avoir l’intuition de ce qu’il perçoit réellement de soi et du monde qui l’entoure. Je tends à penser que les barrières autistiques (Tustin, 1986) qu’il a érigé contre toute perception non seulement de soi comme être séparé, mais de toute séparabilité (Houzel, 1993) bloquent la 1. Sigmund Freud (1920), Au-­delà du principe de plaisir, in Oeuvres complètes, vol. XV, Paris, PUF, 1996, p. 285. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 110 -­page 111 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 111 voie qui le porterait à la perception de soi comme individu, et ainsi l’empêche d’utiliser les instruments psychiqes qui lui permettraient, dans le développement normal, de ressentir et vivre l’expérience primaire de sa corporalité. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Freud affirme qu’au début de la vie, « le moi est avant tout un moi corporel1 ».Ceci signifie qu’il est difficile d’imaginer un corps vivant sans une perception même fugace de soi comme entité réelle. Être son corps et savoir que l’on est ce corps fait partie du noyau-­même du sentiment d’identité. Nous savons aujourd’hui que les réminiscences sensorielles primaires (tactiles, kinesthésiques, olfactives, auditives) ont leur origine dans la vie prénatale. Les « antennes » des sens sont sensibles à l’environnement intra-utérin, et les traces expérientielles qui dérivent de ce qu’elles ont perçu sont conservées dans des configurations proto-­mentales. Pendant la vie prénatale l’enfant est également capable d’établir une sorte de proto-­liens mentaux entre les différentes perceptions sensorielles et de les transformer en actions synrythmiques (Trevarthen, 2005). Non seulement les mouvements de l’enfant non-­né sont-­ils synchronisés à la rythmicité de la langue maternelle qui l’atteint à tra­vers la voix de la mère, mais le nouveau-­né montre, en reproduisant avec ses mouvements le rythme spécifique de la langue maternelle en absence de la mère, que ces ­rythmes se sont inscrits dans sa mémoire corporelle (Maiello, 1993). Après la naissance, les réminiscences ­sensorielles f­uyantes et fluidement combinées de la vie prénatale doivent s’entretisser dans un réseau perceptif et expérientiel plus différencié pour que puissent se produire et se fortifier les transpositions transmodales (Stern, 1985). La césure de la naissance ne rend pas seulement possible, 1. Sigmund Freud (1923), Le moi et le ça, in Oeuvres complètes, vol. XVI, Paris, PUF, 1991, p. 270. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Les premières expériences corporelles 135 x 215 -­page 112 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France mais inévitable ce processus de coagulation. Dans le milieu aquatique prénatal, le corps léger du fœtus est probablement ressenti jusqu’à un certain moment dans le temps comme fluide flottant sans se distinguer nettement de l’entourage fluide, quoique l’enfant explore activement les éléments solides de son entourage. Toutefois, à partir d’un certain moment, quelques semaines avant la naissance, un changement s’annonce. C’est le moment où le contenant utérin ne peut pas augmenter ultérieurement son volume et se serre graduellement autour du corps grandissant de l’enfant en restreignant sa liberté de mouvement, mais en établissant en même temps des limites et en définissant les contours de son corps. Il est probable que ce n’est pas seulement l’accouchement, mais déjà cette dernière période de la vie prénatale qui prépare le bébé à se ressentir comme entité plus compacte. C’est une période de « con-­centration », un début de solidification. Après l’accouchement, le milieu aquatique devient un milieu aérien et la force de gravité impose au corps du nouveau-­né la pression d’une solidification et d’une différenciation ultérieures. Si au début de la vie prénatale il était fluide dans le fluide, il devient un corps solide dans un entourage aérien ni contenant ni soutenant. Son corps n’est plus défini par des limites extérieures, mais doit assumer une forme propre, la peau représentant tant l’enveloppe contenante dans le sens du « moi-­peau » (Anzieu, 1985) que la limite entre intérieur et extérieur, entre moi et non-­moi. Dans le développement normal, cela implique inévitablement dès le début de la vie postnatale un ressenti même fugace de la propre existence corporelle séparée. C’est un moment crucial. Si ce changement radical n’est pas tolérable, si la césure, l’événement de la séparation, est vécue comme une lacération traumatique et une menace d’être précipité dans le néant, des réactions protectrices extrêmes, telles que le recours à une carapace autistique, peuvent, dans certains cas, se mettre en place. Leur but est de protéger l’enfant contre le danger d’un changement craint comme catastrophique, mais en même temps elles empêchent qu’il fasse l’expérience d’être un corps, un corps né Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 112 -­page 113 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 113 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France L’impossibilité d’avoir un corps est la conséquence de l’impossibilité d’être un corps. L’enfant peut savoir qu’il a un corps seulement s’il a fait l’expérience de soi comme être séparé. La perception d’être un corps qui s’est détaché du phantasme d’une unité primordiale est une condition nécessaire pour que s’établisse une relation avec ce corps, tant avec son intérieur (perceptions proprioceptives) qu’avec son extérieur (le corps comme entité qui peut être vue, entendue, touchée, sentie par lui-­même et par les autres). Ce n’est qu’à ce moment-­là que peuvent se développer des liens avec un autre sujet reconnu dans son altérité. Enfin, la condition indispensabile pour être capable d’habiter son propre corps est la perception de la tri­­dimensionnalité dans le sens défini par Meltzer (1975), à savoir de l’existence d’une réalité spatiale et d’un soi psycho-­physique habitant cette réalité. Ceci implique la perception d’une relation existant entre un contenant et un contenu, ce dernier ayant une relation dynamique avec le contenant, dans la mesure où il peut se trouver soit à l’intérieur soit à l’extérieur de celui-­ci. La possibilité d’un mouvement du dedans vers le dehors et du dehors vers le dedans implique la perception de l’existence d’orifices corpo­rels, autour desquels, comme nous savons, se concentrent tant de terreurs des enfants autistes, étant donné que les orifices, les trous, évoquent inévitablement le danger d’un changement d’état, du plein au vide, de l’unité fusionnelle à la chute sans fin. Bion décrit la douleur inhérente à tout processus de séparation : « …. le détachement ne peut être atteint qu’au prix de sentiments douloureux de solitude et d’abandon éprouvés : 1) par l’héritage mental animal primitif dont il s’agit de se détacher, et 2) par les aspects de la personnalité qui réussissent à se détacher de l’objet examiné –objet que la personnalité vit comme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France et séparé avec une structure qui se solidifie peu à peu, et d’apprendre à se connaître comme entité corporelle vivante, comme moi corporel. 135 x 215 -­page 114 / 246 114 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le dilemme existentiel entre des forces opposées ne saurait être formulé de façon plus poignante. Bion évoque le conflit entre deux parties de la personnalité, la partie psychique individuelle nouvelle qui a besoin d’aller de l’avant, mais qui ne peut se développer tant qu’elle ne se sépare pas d’une partie psycho-­physique avec une « mentalité groupale » (l’héritage primitif animal). Mais elle doit s’en détacher quoiqu’elle ne soit pas encore en mesure de distinguer la partie nouvelle de la partie qui cherche à rester immergée dans le phantasme omnipotent de l’union fusionnelle. D’un autre point de vue théorique, Bleger (1967) se réfère au même processus en des termes plus sensoriellement et physiquement concrets que Bion, lorsqu’il propose la notion d’un noyau agglutiné pour décrire un état d’indifférenciation primaire normale qui remonte à la vie fœtale, lorsque la perception du corps n’est probablement pas encore clairement distinguée de son environnement. Cet état primordial correspondant au noyau agglutiné, dans lequel le moi et le non-­moi sont vécus comme une substance unique, doit être surmonté pour que puisse se mettre en marche le développement mental. Toutefois, je pense que lorsque le fœtus commence à bouger activement dans son environnement, les premiers ressentis fuyants de différenciation pourraient déjà se produire entre son corps, entité avec une certaine autonomie motrice, et les « corps » de son entourage (le cordon ombilical, le placenta et les parois utérines) qu’il ne rencontre pas simplement par hasard, mais qu’il explore activement. Si nous suivons le modèle proposé par Bleger et restons à un niveau purement descriptif, la consistance du noyau agglutiné évoque une substance visqueuse et collante qui tend à s’amalgamer avec son environnement et pourrait se placer à mi-­chemin entre un moi solide, structuré et organisé, et un état de liquidité qui, immergé dans l’indistinction, empêche toute perception de différences. Si 1. Wilfred R. Bion (1963), Éléments de la psychanalyse, trad. F. Robert, Paris, PUF, 1979, p. 23. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France indissolublement lié à la source de sa viabilité… une partie du prix à payer est un sentiment d’insécurité1. » -­page 115 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 115 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le corps dans les états autistiques Dans les cas d’autisme profond, il semble y avoir eu une difficulté majeure à ces niveaux primordiaux de l’expérience psycho-­physique de différenciation, jusque dans la dimension du ressenti de la consistance corporelle. C’est comme si le passage d’un état liquide vers un état agglutiné et enfin solide avait été bloqué par des barrières autistiques ayant pour objectif d’exiler la terreur existentielle qui dériverait de la conscience d’être un individu séparé. Le corps liquide, volatil ou congelé des enfants autistes L’origine précoce et la radicalité des mesures protectrices des enfants autistes a pour conséquence qu’ils révèlent souvent leurs états psycho-­physiques dans et à travers leurs corps « abandonné ». Leurs mouvements, leurs émissions vocales, tout leur être tend à évoquer une sensation de liquidité (Haag, 2011, Maiello, 1997, 2001, Tustin, 1986). Ces enfants « liquides » ou « volatiles » pourraient avoir cherché à se sauver de la panique dérivant des dangers de la séparation et de la différenciation qui auraient accompagné la solidification graduelle d’un soi agglutiné, pour s’enfuir vers des états encore plus inconsistants, liquides ou même gazeux. La conséquence tragique de cette fuite en face du danger de devenir individu est que l’enfant rencontre dans la liquéfaction ou la dispersion précisément les expériences d’anéantissement contre lesquelles il cherchait à se défendre avec les barrières autistiques. Les états autistiques empêchent que se mettent en place des proto-­processus d’identification Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France nous rapprochons la notion de Bleger du modèle proposé par Bion, nous pourrions dire que la partie de la personnalité qui se détache du « groupe » doit se solidifier pour y réussir, pour se différencier : de son entourage, des autres corps animés et des objets inanimés. Le processus de solidification est indispensabile pour que le corps s’achemine vers la perception d’être un moi corporel. 135 x 215 -­page 116 / 246 116 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Dans une lettre de supervision que m’écrivit Frances Tustin, elle fit mention de l’idée de D. Rosenfeld « que l’image corporelle la plus précoce se base sur l’idée que des liquides parcourent le corps ». Elle poursuivit : « Il me semble que ceci rejoigne ma notion du précurseur de l’identification projective que j’ai appelé union par débordement (flowing-­over­at-­oneness)… L’identification projective devient possible grâce à la ‘sensation-­expérience’ d’éléments solides dans le corps » (16. 1. 1982). J’ajouterais qu’une fois que l’enfant a une perception de liquides et de solides dans le corps, un certain progrès a déjà été fait dans le sens d’une perception embryonnaire de la fonction contenante du corps, et d’objets qui pourraient être contenus dans le corps. Tustin décrit les sensations contretransférentielles suscitées par certains de ces enfants liquides ou volatiles : « Les enfants autistes marchent souvent sur la pointe des pieds et semblent plus flotter que marcher. Dans cet état de flottaison, ils ont le sentiment de pouvoir accomplir des exploits remarquables, comme voler, grimper très haut… Paradoxalement toutefois ils sont assaillis par des terreurs illusoires, phantasmatiques. Par exemple, dans leurs états liquides ou gazeux, ils ont peur d’exploser ou de se déverser par des trous1. » Les terreurs d’explosion, de déversement et de dissolution sont liées à l’absence de la perception d’un moi corporel cohérent et compact. C’est là le dilemme sans solution de l’enfant autiste : afin d’échapper au danger d’être un corps séparé solide qui risquerait d’être précipité dans une chute sans fin vers l’anéantissement s’il était abandonné, il cherche à se désubstantifier en assumant une forme liquide ou gazeuse. En bas âge, le corps des enfants est souvent apparemment sans poids. Non seulement tendent-­ils à ne toucher 1. Frances Tustin (1986), Le trou noir de la psyché, trad. P. Chemla, Paris, Seuil, 1989, p.164-­165. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France projective, ainsi que les premières expriences fugaces de soi comme sujet-­corps séparé. Ainsi, le phantasme omnipotent de fusion avec l’objet continue à occuper le centre de l’appareil psychique qui reste dans un état d’indifférenciation. -­page 117 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 117 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Dans cet état, le danger d’anéantissement n’est pas évité, mais il assume la forme du débordement ou de la dispersion dans l’air. La qualité de ces terreurs nous fait penser que l’expérience d’un moi suffisamment structuré pour se sentir exister tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’un contenant est inexistante ou extrêmement fragile. Plus le moi-­contenu est liquide ou gazeux, plus est absolu le besoin que la barrière autistique garantisse une fermeture hermétique. Dans cette optique, l’état de congélation émotionnelle de ces enfants peut être vu comme la tentative extrême de solidification en face du danger d’être précipité comme une chute d’eau dans un abîme sans fond (Tustin, 1990). Cette immobilisation réactive s’étend à tous les aspects de la vie émotionnelle et mentale de ces enfants. Leur lutte tenace pour défendre leur carapace et leur état de congélation émotionnelle est due à une menace existentielle, dans la mesure où le dégel ferait surgir à nouveau les angoisses d’anéantissement, soit par liquéfaction suivie de la chute catastrophique, soit par dissolution et dispersion dans l’atmosphère. L’absence des dimensions d’espace et de temps dans les états autistiques Les dimensions du temps et de l’espace ne sont pas ressenties comme éléments de la réalité par l’enfant autiste. Elles peuvent être annulées ou fragmentaires, dans la mesure où l’enfant met en acte des manoeuvres protectrices plus ou moins puissantes contre leur perception. Toutefois, pour se sentir exister, le moi corporel a besoin de se placer et de se déplacer dans la réalité spatio-­temporelle. Encore une fois, l’enfant ne peut faire cette expérience centrale que s’il a une perception même fugace de soi comme entité séparée. Tustin suppose que dans l’autisme, le ressenti soit celui d’être un nobody, un non-­corps, qui, en anglais, est synonyme de n’être personne. « Cet anéantissement », avertit Tustin, ‘est beaucoup plus dévastateur que le « déni » : Lorsqu’ils Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France le sol que sur la pointe des pieds, mais ils sont aussi capables de déployer une agilité acrobatique qui semble ignorer la loi de la gravité. 135 x 215 -­page 118 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France parviennent à sortir de leur autisme, les enfants nous montrent que, dans de brefs instants de conscience déchirante, ils se perçoivent comme des « riens » entourés de « néant »1. Le corps auquel l’enfant autiste réduit son expérience existentielle apparaît à l’observateur comme un corps sans volume, plat ou sans forme définissable dans l’espace tridimensionnel, un corps qui se dérobe au moindre contact physique, qui est partout et nulle part, ou alors un corps mou qui s’étale sur le corps de l’autre et s’entremêle au sien. La peau de l’enfant semble privée de ses fonctions naturelles, dans la mesure où elle n’établit pas de limite entre le monde extérieur et un moi corporel avec ses espaces internes. Il peut sembler paradoxal qu’en même temps, cette « non-­peau » soit une peau-­carapace qui peut aller jusqu’à rendre ces enfants insensibles à la douleur et sans aucune odeur corporelle. Je pense à un petit garçon qui ne laissait, pendant les premières années de sa thérapie, qu’un léger parfum de talc pour bébés dans la pièce après sa séance. Le jour où je m’aperçus d’une odeur nouvelle, la sienne, la carapace autistique avait commencé à s’amincir. La peau de ces enfants semble donc être à la fois inexistante et imperméable, dans la mesure où les pores ne sont guère investis de leurs fonctions d’entrée ou de sortie. C’est une peau sans fonction de filtre, sans points d’échange entre l’intérieur et l’extérieur. Nombre d’enfants autistes ne tombent même jamais malade jusqu’au moment où leur état d’isolement est moins total, comme si la barrière autistique était étanche même envers les germes des maladies communes. Les orifices sensoriels, les yeux et les oreilles, sont souvent « démantelés » et mis hors usage (Meltzer, 1975). L’odorat est utilisé pour produire de l’immutabilité, (sameness), et non pour reconnaître l’altérité. Ces enfants reniflent souvent des parties de leur propre corps. S’ils reniflent un autre objet, ils tendent à le couvrir de salive, afin de l’assimiler à leur propre odeur et de le transformer ainsi en un objet-­moi (Piontelli, 1995). Chez les jeunes enfants et dans les cas plus 1. Frances Tustin (1990), Autisme et protection, trad. Anne-­Lise Hacker, Paris, Seuil, 1992, p. 140. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 118 -­page 119 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 119 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France J’ai vu des enfants autistes boire et uriner en même temps, comme si ce qui était versé par le haut retombait directement par le bas, c’est-­à-­dire comme si non seulement il n’y avait pas d’appareil digestif entre l’entrée et la sortie, mais même pas un tuyau qui les reliait. Comme conséquence extrême, la bouche et l’orifice urinaire coïncident en une ouverture unique, sans même l’idée d’une distance entre eux. La platitude de l’adhésivité bidimensionnelle semble alors s’écrouler ultérieurement et conduire à ce que Meltzer décrit comme « la réduction de l’expérience à un monde uni­dimensionnel… essentiellement sans activité mentale1 ». Si deux orifices coïncident en un seul, toute réalité spatiale s’effondre et il ne reste que le « trou noir » terrifiant, contre lequel l’enfant avait auparavant érigé ses murs de protection. Le corps de l’enfant autiste ne doit avoir aucune permanence unitaire ni dans le temps ni dans l’espace, sous peine d’exister, d’être perçu, vu, entendu, identifié. Il doit être prêt à se dissiper ou se déverser à tout moment, ou à être démembré et démantelé au besoin, en parallèle avec le démantèlement de la consensualité des sens (Meltzer, 1975), afin d’éviter tout risque de perception de soi comme être entier et séparé. Chez l’enfant autiste, le processus développemental normal semble être inversé. Au lieu de la consensualité spontanée, à savoir la convergence et connection des sens qui rend possible les transpositions transmodales d’un mode sensoriel à l’autre et contribue à la perception de soi comme entité structurellement solide et stable dans l’espace 1. Donald Meltzer, John Bremner, Shirley Hoxter, Doreen Weddell, Isca Wittenberg (1975), Explorations dans le monde de l’autisme, trad. G. et M. Haag, L. Iselin, A. Maufras du Chatellier, G. Nagler, Paris, Payot, 1980, p. 234. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France graves, non seulement les pores de la peau, mais tous les orifices d’entrée et/ou de sortie, à savoir la bouche, le nez, les oreilles et les orifices d’évacuation ne sont pas investis d’attention et dispersent leurs contenus de façon incontrôlée. L’expérience-­même d’ouverture et de fermeture des “sphincters” comporteraient des vécus momentanés d’un intérieur distinct de l’extérieur, et donc de l’existence d’espaces tridimensionnels délimités et structurés. 135 x 215 -­page 120 / 246 120 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Frances Tustin (1986) souligne l’importance dans son évolution du moment où l’enfant autiste commence à être attentif par exemple au bruit de l’eau (invisible) qui descend à l’intérieur du tuyau de la chasse d’eau de la toilette. Cette attention semble être le témoin d’une des premières expériences d’un contenu dans un contenant et d’un mouvement linéaire dans l’espace tridimensionnel. Dans la sphère vocale et linguistique, le corps de l’enfant autiste n’assume pas sa fonction de corps de résonance, tant au niveau sensoriel auditif (l’apparente surdité de beaucoup d’enfants autistes) qu’au niveau vocal et verbal. L’enfant semble ne pas “recevoir” ni sa propre voix ni celle de l’autre. Son corps est plat, sourd et muet. La voix de ces enfants semble souvent ne pas leur appartenir et produire des sons ou des phonèmes d’une qualité aiguë et perçante. Ces sons vocaux n’ont pas en premier lieu la fonction d’expulser des états psychiques ou des angoisses primitives, mais de saturer le vide ou oblitérer la voix de l’autre. Les enfants qui ont l’usage de la parole tendent à utiliser leurs émissions vocales pour imiter des bouts de phrases entendues ci et là hors contexte dans une modalité écholalique adhésive qui encore une fois exclut toute perception de différences. Le « toi », avec lequel l’autre personne s’adresse à l’enfant reste un « toi » non modifié et n’est pas transformé en un « moi ». S’il n’y a pas d’expérience de séparation, il n’y a pas de changement de perspective. Le jour où un enfant qui était autiste se réfère pour la première fois à soi-­même en disant « moi » représente un des tournants les plus significatifs dans le processus thérapeutique. Le matériel clinique de trois enfants autistes nous permettra d’entrer dans le vif du corporel. Dans le premier cas, nous voyons un enfant qui commence à explorer la réalité spatiale tridimensionnelle de la pièce de thérapie, mais, pris de terreur en face de la perception d’exister dans l’espace, retourne à l’état de liquidité. Le deuxième cas parle Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France et dans le temps, il y a un démantèlement de la consensualité qui porte à la dispersion, la fragmentation et l’absence mentale. -­page 121 / 246 121 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France du passage d’un état mental visqueux à un état plus solide qui entraîne la découverte des orifices corporels, alors que le troisième cas nous permet d’observer le processus psychique d’un enfant qui part d’un stade initial d’absence de poids et prend graduellement conscience d’exister comme corps solide tridimensionnel dans l’espace réel. Dans les trois cas, la découverte de la troisième dimension (Meltzer, 1975) a permis à ces enfants d’avoir accès à une perception nouvelle de leur existence psycho-­physique non seulement dans l’espace, mais également dans le temps et dans la relation. Un enfant « liquide » : Tommaso et la découverte de l’espace et des limites Tommaso1 était un petit garçon de quatre ans sans langage. Il présentait des mouvements stéréotypés, et pendant la première période de la psychothérapie, il se déplaçait dans la pièce au hasard, sans jamais s’arrêter. Le seul usage qu’il faisait du matériel consistait à porter avec soi des objets avec une fonction autistique dans son mouvement perpétuel, ou à les éparpiller par terre. La perception contretransférentielle de la thérapeute était celle d’une mouche qui volait en zigzags affolés dans un espace clos, irritante et non identifiable. Au bout de quelques mois, il y eut un changement dans la qualité des mouvements de l’enfant. Il découvrit des cachettes dans la pièce, s’y accroupit et réapparut ensuite. Il semblait exister désormais une ébauche de perception d’un espace structuré, et en même temps d’un ailleurs. Tommaso commença aussi à explorer l’intérieur de deux petites boîtes, dont la plus grande pouvait contenir la plus petite. Il passa des séances entières à les séparer et les réunir. À une année du début de la thérapie, Tommaso commença à explorer des différences et des limites spatiales et découvrit la possibilité d’un mouvement linéaire. Quand sa 1. Je remercie la psychothérapeute de Tommaso, Patrizia Ercolani, de m’avoir autorisée à citer le matériel clinique de son jeune patient. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le corps inhabité de l’enfant autiste 135 x 215 -­page 122 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France thérapeute venait le chercher dans la salle d’attente, il la faisait reculer, comme s’ils devaient tous les deux se placer derrière une ligne de départ imaginaire. Puis, l’enfant courait vers la pièce de thérapie tout en vérifiant que sa thérapeute le suivait. La ligne de départ virtuelle semblait avoir la fonction de marquer une limite entre l’enfant et sa mère, peut­être pour le protéger de la tentation d’une union fusionnelle engloutissante qui avait caractérisé leur rapport pendant les premières années. En même temps, la ligne de démarcation indiquait un seuil virtuel que Tommaso voulait franchir pour accéder à la réalité spatio-­temporelle d’une autre situation, celle de la séance, vers laquelle l’enfant et sa thérapeute se déplaçaient tous les deux, mais chacun pour soi, et à des vitesses différentes. La fonction des limites, des seuils et des portes est soulignée par Haag (2000) et Rhode (2011). À certains moments toutefois, la perception encore fragile que Tommaso avait de soi comme être réel dans un espace réel, s’écroula à nouveau. Un jour, l’enfant était couché par terre près du fauteuil de sa thérapeute. Son regard était dirigé vers un coin de la pièce et suivit, du bas vers le haut, la ligne formée par la rencontre des deux murs. Puis, Tommaso se déplaça à quatre pattes jusqu’au coin et se retourna couché sur le dos. Son regard suivit encore la ligne verticale jusqu’au plafond. De là, il parcourut du regard les lignes horizontales du périmètre de la pièce. Soudain, il se retourna à plat ventre, fit quelques mouvements masturbatoires, puis se leva. Il resta debout, immobile, le regard perdu dans le vide, tandis qu’une tache commença à mouiller son pantalon. Son urine s’écoula sur le plancher et forma peu à peu une flaque à ses pieds. Commentaire C’était comme si Tommaso avait fait, pour la première fois, l’expérience de soi existant dans un espace tridimensionnel, lorsqu’il observa et vit les délimitations de la pièce. Il y eût un épisode, quelques séances plus tôt, qui était en relation avec cette découverte. Il avait noté pour la première fois le reflet de son visage sur le panneau de verre qui recouvrait Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 122 -­page 123 / 246 123 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France la table. À peine s’était-­il vu, qu’il cracha sur le panneau et rendit indistincte son image en étalant la salive. Ce qu’il ne pouvait pas supporter était probablement de voir son visage (la preuve qu’il existait) et de le voir là-­bas, à distance (la preuve du caractère illusoire du phantasme de fusion). Dans l’optique des considérations qui précèdent, il avait peut-­être eu pour un instant la conscience d’être ce visage, d’avoir un visage et en même temps de voir ce visage de l’extérieur. L’enfant observé par Freud, qui n’avait pas encore deux ans, avait utilisé le reflet de son image au miroir pour jouer à la disparition et à la réapparition. Son jeu symbolique l’aida à tolérer l’angoisse de séparation de sa mère et à nourrir l’espoir de son retour. Tommaso était encore pris de terreur à la simple constatation qu’il existait. Dans la séance citée, Tommaso avait pu tolérer l’impact de son expérience visuelle de la pièce tant qu’il était près de sa thérapeute, mais lorsqu’il avait osé se déplacer de façon autonome et s’exposer seul à la réalité d’un espace-­volume qui l’entourait, et peut-­être à la perception de l’ébauche d’un soi corporel dans cet espace-­volume, son contenant psychique fragile s’effondra à nouveau. Le collapsus interne, la sensation de dispersion et de liquéfaction se manifesta dans et à travers le corps, avec la vessie qui se vida et l’urine qui s’écoula. Le corps congelé, l’enfant resta debout, immobile et hors de toute possibilité de contact, alors que son « autre » corps était liquéfié avec l’urine. Contenant et contenu s’étaient à nouveau nullifiés. Toutefois, cette séance marqua un tournant dans la thérapie de Tommaso. À partir de ce jour, l’exploration de l’espace et de ses limites devint l’activité principale de l’enfant. Il consacra une longue période à prendre les mesures de la pièce dans toutes les directions à l’aide d’un bout de ficelle. Avec sa longueur concrète et limitée, la ficelle pouvait représenter une sorte de garantie contre l’angoisse de dissolution dans un espace infini qui l’avait envahi dans la séance citée. Dans son état mental initial de fusion confusionnelle avec la mère, Tommaso s’était protégé de façon omnipotente contre toute perception de séparation à travers le mouvement incessant et sans but de son corps dans l’espace. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le corps inhabité de l’enfant autiste 135 x 215 -­page 124 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Son mouvement semblait alors avoir la fonction de le faire sentir plus compact et peut-­être vivant à un certain niveau, et de le mettre à l’abri des angoisses d’anéantissement plus terrifiantes. Le passage à l’exploration de la discontinuité de la présence, la sienne et celle de la thérapeute, avec la découverte des cachettes, ainsi que l’activité de séparer et de réunir les petites boîtes, avait rendu possible des vécus nouveaux d’un soi corporel momentanément séparé existant dans l’espace extérieur. Le mouvement linéaire de la course de Tommaso de la salle d’attente à la pièce de thérapie était également en rapport avec l’ébauche d’une capacité émergeante de se séparer de sa mère. Au niveau mental, la signification de l’exploration de la réalité spatiale de la pièce de thérapie par l’enfant fût confirmée quelques mois plus tard, lorsque Tommaso commença à parler, à former les premiers mots dans l’espace intérieur du « théâtre de la bouche » (Meltzer, 1986). Il était devenu capable de leur donner une forme articulée, de leur permettre de sortir de l’espace oral et de s’assurer qu’ils ne se seraient pas perdus dans le néant, du moment qu’ils avaient une consistance suffissante pour rejoindre la thérapeute qui était à l’écoute. Un enfant « visqueux » : Claudio et la découverte de la solidité et des orifices corporels Claudio1 avait cinq ans au début de sa psychothérapie. Il avait eu un diagnostic d’autisme à l’âge de deux ans et avait fréquenté un programme de réhabilitation pour enfants autistes pendant trois ans. C’était un petit garçon menu avec un regard fuyant. L’expression de son visage était dysharmonique. Il serra une petite tortue dure dans sa main pendant la première séance et resta debout immobile dans un coin. Sa façon la plus fréquente de s’isoler était de se recroqueviller sur le divan dans une position qui évoquait dans 1. Je remercie la psychothérapeute de Claudio, Margherita Iezzi, de m’avoir autorisée à citer le matériel clinique de son jeune patient. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 124 -­page 125 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 125 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Depuis sa première enfance il avait partagé le lit de sa mère et dormait collé contre son corps. Il avait atteint le contrôle sphinctérien à l’âge de quatre ans et demi, mais au début de la psychothérapie, il portait encore un lange la nuit. Quelques mois plud tard, il était continent. Dès lors, il prit l’habitude d’enfiler ses mains dans son pantalon, une à l’avant et l’autre à l’arrière. Il restait dans cette position pendant longtemps. La thérapeute n’avait pas la sensation que son geste eût une signification masturbatoire, mais qu’il était lié plutôt à une perception plus nette de sa réalité corporelle, en particulier de l’existence des orifices évacuatoires. Ses mains semblaient être utilisées comme des tampons qui devaient contenir l’angoisse de débordement, de déversement et de liquéfaction. Claudio commença à s’intéresser aux trous de toute sorte, du trou de la serrure au trou du lavabo qu’il n’avait jamais noté auparavant. À la fin d’une séance, son émotion en face de la séparation était intense et il mouilla un peu son pantalon. Mais il réussit à se retenir jusqu’aux toilettes. À différence de Tommaso qui s’était littéralement liquéfié dans et avec son urine, Claudio se rendit compte, après la première tentation de débordement, qu’il pouvait contrôler son sphincter (et en même temps l’émotion de la séparation qui avait risqué de l’inonder). Il put choisir d’intervenir, d’interrompre le flux et de rester un contenant solide de son liquide corporel. Il y avait un moi corporel et une psyché qui avaient connaissance d’une porte sphinctérielle, qui se rendaient compte de la différence entre dehors et dedans et pouvaient choisir entre deux options : ouvrir ou fermer. Meltzer affirme qu’avec la découverte des orifices du corps « la représentation-­du-­monde toute entière passe Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France l’esprit de la thérapeute l’image d’un petit escargot qui se retire dans sa coquille, une petite bête visqueuse réfugiée dans sa carapace. Claudio émettait des sons vocaux répétés dont la qualité alarmait la thérapeute. Ce n’étaient pas des vocalisations privées de sens. Il savait parler et par moments n’était pas écholalique. Il arrivait qu’il demanda de façon touchante d’être aidé. 135 x 215 -­page 126 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France à un nouveau degré de complexité, la représentationt­ ri-­dimensionnelle des objets, et, par identification, du self, l’un et l’autre contenant alors des espaces potentiels. La potentialité d’un… contenant ne peut être conçue qu’après la mise en place effective d’une fonction-­sphincter1 ». Claudio commença à s’intéresser au plancher qu’il touchait de son front et dit à la thérapeute qu’il était dûr et froid. Ce plancher dûr toutefois n’était plus le mauvais objet « non-­moi » en contraste avec le bon divan-­moi avec ses coussins mous, mais était exploré et apprécié pour sa solidité. Dans une séance, Claudio mit encore ses mains dans son pantalon, une devant et une derrière. La position était difficile à maintenir pendant longtemps, mais il était important pour lui d’y réussir. La thérapeute se demanda à haute voix s’il avait besoin de protéger les parties qu’il sentait un peu vulnérables, là où il avait des sensations nouvelles qu’il ne connaissait pas encore bien. Claudio la regarda les yeux grands ouverts et avec une attention intense pendant qu’elle parlait. Elle continua en disant qu’il savait maintenant que son corps avait une bouche, où entraient les aliments qu’il mangeait (tout comme elle avait une bouche de laquelle en ce moment sortaient sa voix et les mots), et qu’il savait aussi qu’il avait un petit trou dans son derrière, duquel il pouvait laisser sortir le caca, et un petit trou au bout de son zizi d’où il pouvait laisser sortir le pipi. Claudio continua à regarder intensément sa thérapeute qui parlait et retira lentement ses mains de son pantalon. Il semblait avoir compris ce commentaire long et complexe. Il prit un crayon et alla à la fenêtre, d’où il observa qu’il faisait nuit. Il appuya le crayon en diagonale dans un des coins inférieurs du cadran de la fenêtre et dit : « C’est un triangle ». Il suivit la forme de ses trois côtés du doigt et les compta avec les doigts de l’autre main. (Il avait désormais six ans et allait à l’école). Il observa longuement le triangle, puis alla dans le coin de la pièce et toucha l’angle où se rencontrent les deux lignes du plancher et celle du mur. Il vérifia encore une fois la consistance du plancher et dit « dur ». Puis, il se leva, alla au divan comme s’il voulait sentir la différence entre sa consistance molle et la dureté du plancher. 1. Op. cit., p. 235. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 126 -­page 127 / 246 127 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Il retourna à la fenêtre et regarda dehors, disant encore qu’il faisait nuit. Puis, il étala de la salive sur la vitre. (Il avait depuis longtenps abandonné cette activité qui était fréquente au début de la thérapie). Voulait-­il effacer ou exclure la nuit qui était dehors, où il serait allé bientôt, étant donné que la fin de la séance s’approchait ? Il dit : « Je veux cracher. » La thérapeute : « Tu sais que bientôt nous allons nous dire au revoir. Peut-­être veux-­tu cracher pour faire sortir de dedans notre salut et la nuit dans laquelle tu vas sortir ? » Claudio commença à cracher par terre, puis s’approcha de la thérapeute avec une attitude menaçante comme s’il voulait la frapper. Mais en même temps, il écouta intensément quand elle dit que ce n’était pas facile de se dire au revoir et qu’il était fâché avec elle pour cela. Il cessa de cracher et se recroquevilla sur le divan dans la position du petit escargot. La thérapeute dit que le petit escargot voulait s’éloigner de ce qui fait mal, mais qu’elle penserait à lui même lorsqu’il sera sorti d’ici. Claudio se leva, prit le crayon avec lequel il avait formé le triangle dans le coin de la fenêtre et chercha en vain à l’enfiler dans le trou de la serrure. Peu avant de quitter la pièce, il le laissa tomber dans le trou du lavabo. Le crayon tomba trop loin pour que la thérapeute puisse le récupérer avant que Claudio ne s’en aille. Commentaire Lorsque Claudio forma un triangle avec son crayon et le nomma correctement, il montra que sa perception de soi comme étant une entité plus solide ouvrait son monde interne à une forme primitive de tiercité qui devenait ainsi une notion qui avait un sens. Nous avons vu qu’un sentiment de continuité de l’existence et de solidité est la condition sine qua non pour l’expérience de la tridimensionnalité. Le crayon établit une limite et dessina une forme avec des côtés linéaires et des angles pointus, différents du point de vue aussi bien sensoriel-­tactile que visuel de la rondeur des coussins mous du divan. Tustin souligne que les formes géométriques qui apparaissent dans le matériel d’un enfant lorsqu’il commence à sortir de l’autisme n’ont plus les caractéristiques d’un objet autistique (1986). Maria Rhode confirme : « … les formes géométriques font leur apparition lorsque les enfants se trouvent sur le seuil d’un nouveau développement Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le corps inhabité de l’enfant autiste 135 x 215 -­page 128 / 246 128 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Claudio explora des contraires, non seulement le dur et le mou, les formes aigues et rondes, mais aussi la lumière et l’obscurité, le chaud et le froid, le dehors et le dedans. L’observation de la réalité devient possible lorsqu’il y a un appareil mental capable de voir soi-­même et l’autre et de reconnaître des différences de base. L’utilisation de sa salive eût une double signification. D’abord, elle fût utilisée pour reconstituer l’immutabilité autistique, effacer les différences en recréant un état d’adhésivité gluante, mais à la fin de la séance, son usage changea. En exprimant sa frustration à l’approche de la fin de la séance, l’enfant dit : « Je veux cracher. » Un « moi » qui abitait son corps montra une volonté, le désir agressif dirigé contre la « méchante » thérapeute dans un mouvement linéaire en projetant vers elle un liquide corporel furieux. S’il avait réussi à contenir son urine dans le passé au moment de la séparation, dans un état d’angoisse d’anéantissement, il était devenu capable maintenant de reconnaître la source extérieure de sa frustration et de tirer le jet de sa salive vers le mauvais objet qui était sur le point de l’abandonner. L’identification projective commençait à devenir une nouvelle possibilité pour se protéger de sentiments intolérables. Il n’est pas surprenant que Claudio, tout comme Tommaso, eut recours, à la fin de la séance, lorsque la séparation était toute proche, à ses défenses autistiques. Il n’expulsa plus le liquide visqueux de l’intérieur de son corps, mais redevint lui-­même le petit animal visqueux. Au tout dernier moment de la séance toutefois, Claudio se recompacta une dernière fois. Il laissa tomber le crayon dans le trou du lavabo. Le crayon était un corps solide, tout comme l’enfant qui quittait la pièce, et ce crayon disparu était un message à la thérapeute et une représentation de son 1. Maria Rhode, Forme sulla soglia: alcune pietre miliari nei bambini che emergono dall’autismo, Richard e Piggle, 2011, 19/1, 1-­15, p. 4. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France important1. » La capacité de compter, elle aussi, est liée à la solidification psycho-­physique. Les nombres sont des unités solides et délimitées. Dans un monde liquide, la mathématique n’a pas de sens. -­page 129 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 129 anxiété. Lui-­même quitta la pièce sans tomber dans aucun trou noir, mais s’en alla tranquillement, en laissant à la thérapeute le soin de récupérer le crayon. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Antonio avait cinq ans au début de sa psychothérapie. Hermétiquement enfermé dans son isolement autistique, il ne réagissait pas à mes communications verbales. Le langage était pratiquement absent. L’usage qu’il faisait de l’espace semblait accidentel. En tournant en rond dans la pièce, j’avais parfois l’impression qu’il tendait à m’exclure de son mouvement circulaire, mais plus souvent, il était indifférent que je fusse à l’extérieur ou à l’intérieur de ses cercles. Le regard d’Antonio me traversait apparemment sans me voir. Il ne reconnaissait ni aux portes ni aux fenêtres leur fonction de délimitations spatiales, mais les utilisait pour grimper. C’était là le seul usage de l’espace qui semblait avoir une relation avec ma présence. Il se mettait à grimper chaque fois qu’il y avait eu entre lui et moi un bref moment de contact. Sa dextérité acrobatique funambulesque n’était pas seulement au service de sa tentative de me fuir pour aller « ailleurs », mais Antonio semblait vouloir, en grimpant, annuler le moment de communication entre nous en se diluant et en disparaissant dans l’air comme un ballon sans poids. Au cours de la deuxième année de thérapie, la valeur émotionnelle de la tendance de l’enfant à se volatiliser, à disparaîre et me faire disparaître, changea. Lorsqu’il regardait par la fenêtre et voyait des hirondelles voler dans le ciel, il était pris de panique. Son angoisse était qu’elles auraient volé toujours plus haut et ne seraient plus redescendues. Le besoin précédent de se diluer et de disparaître dans l’espace, réalisé en grimpant vers le haut dans un état d’apparente absence de poids corporel, s’était transformé en angoisse d’anéantissement suscitée par la dilution-­même. Rester en bas, et dedans, était devenu d’une importance Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Un enfant « volatil » : Antonio et la découverte du poids, du volume et de la tridimensionnalité 135 x 215 -­page 130 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France vitale pour Antonio qui me fit comprendre que je devais urgemment construire une cage pour les oiseaux, afin qu’ils ne volent pas trop haut. L’image d’une cage qui contient un oiseau représenta une conquête importante dans le développement de cet enfant. Il pouvait maintenant imaginer un espace réel et non infini (la pièce de la thérapie), et dans cet espace une structure tridimensionnelle (la cage), à savoir un contenant en mesure de contenir un contenu, l’oiseau. C’était l’image d’une maison avec un habitant potentiel, dans un certain sens le phantasme opposé à la maison­corps nullifiée par sa fuite sans fin. Il me semblait que ce qu’il voulut réaliser maintenant était le phantasme d’une situation de contenance non modifiable, la porte de la cage devant rester bien fermée. Au cours de la troisième année de thérapie, Antonio entreprit une nouvelle activité. Il commença à s’enfiler sous le tapis et à ramper comme une taupe qui avance lente­ ment sous la terre, jusqu’à ce qu’il ressorte de l’autre côté. Il répéta cette séquence pendant une longue série de séances, avec engagement et concentration, et avec une expression de stupeur sur le visage chaque fois qu’il réémergeait à la lumière après la longue traversée dans l’obscurité. Il n’était plus prisonnier. J’eus la sensation nette que quelque chose se passait à l’intérieur de l’enfant pendant que son corps rampait à l’intérieur du tapis. L’espace infini qui avait attiré le ballon sans poids, devenu par la suite l’espace réel, non infini, mais statique et fermé de la cage pour l’oiseau, était maintenant un espace-­maison-­peau de passage, dans lequel on pouvait entrer, séjourner, se déplacer, et duquel on pouvait ressortir. Je me demandai si l’expérience que faisait Antonio pouvait être analogue à ce que perçoit l’enfant vers la fin de la vie prénatale, lorsque le contenant utérin limite ses mouvements dans l’espace qui le contient, mais lui renvoie peut-­être en même temps un ressenti de son corps en mouvement par rapport au contenant, ressenti qui trouve son point culminant pendant l’accouchement. Antonio expérimentait la différence entre dedans et dehors, entrée et sortie, nuit et jour, mobilité et immobilité. Les premiers processus de différenciation, le clivage Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 130 -­page 131 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 131 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Les mois passèrent jusqu’à ce que, un jour, Antonio prit une feuille de papier et la courba, lui donnant la forme d’un arc. Il me fit comprendre qu’il voulait que je colle cette voûte à la surface de la table avec du ruban de scotch. Il prononça un de ses premiers mots pour nommer ce tunnel qu’il appela « gaghìa » (galleria). Il prit un petit mouton parmi les animaux domestiques et l’accompagna avec une main, lui faisant traverser le tunnel. Inévitablement, il y eut un moment pendant lequel il ne put voir l’animal ni d’un côté ni de l’autre, lorsque lui-­même se déplaçait du côté de l’entrée vers le côté de la sortie. Lorsqu’il voyait émerger le mouton de l’autre côté, il dit « ecco ! » (« voilà ») d’un ton qui exprimait l’émotion et le soulagement de l’avoir retrouvé après le moment d’invisibilité. Antonio était devenu capable de traduire l’expérience psycho-­physique du passage sous le tapis faite précédemment en une représentation. Il semblait qu’il existait désormais dans son monde intérieur un espace mental avec deux ouvertures, qui pouvait permettre à des perceptions et des sensations d’entrer, d’être élaborées et transformées et d’être représentées à l’extérieur. En plus, l’enfant s’attendait de revoir le mouton à la sortie du tunnel. Cela signifie que l’imagination était à l’oeuvre et qu’Antonio pouvait anticiper un évènement, parce que des événements précédents analogues étaient conservés dans sa mémoire. L’espace mental avec ses contenus qui peuvent entrer et sortir représente la contrepartie psychique de la découverte de l’espace tridimensionnel contenant et de la possibilité d’un mouvement orienté du corps dans cet espace. Cette découverte est la condition sine qua non pour que s’instaurent les processus projecifs et introjectifs. Les portes avaient désormais acquis leur signification de séparateurs spatiaux, et en tant que tels elles étaient contestées et attaquées par Antonio. Il y avait sur une paroi de la pièce de thérapie une porte fermée à clef. Il appelait cet « ailleurs », cet espace inaccessibile qu’il imaginait derrière la porte « la stanza della signora » (la chambre de la dame), Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France primaire qui représente la base de toute activité mentale, pouvaient démarrer à travers un vécu corporel. 135 x 215 -­page 132 / 246 132 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Antonio fit des tentatives répétées et vaines d’enfiler le bébé de la famille de son matériel dans la fente entre la porte et le plancher. Un jour, il essaya d’atteindre l’autre côté avec les ciseaux. Il réussit à les faire pénétrer à moitié et les fit « mordre » à vide le lieu qu’il ne pouvait conquérir. Enfin, il se rendit à l’évidence, mais glissa une feuille de papier sous la porte. Tustin décrit le vécu qu’a l’enfant autiste de son corps : un dos dur et un ventre mou, et rien entre les deux (1981), à savoir un corps-­feuille bidimensionnel. Toutefois, Antonio était capable maintenant de représenter la « bidimensionnalisation » autistique sans redevenir lui-­même le non-­corps du passé ou le corps sans poids ni volume qui s’évaporait. Un jour, Antonio apporta à la séance un petit lion décomposable, fait de petits bâtons de plastic plats, unis aux articulations par des boutons à pression, grâce auxquels il pouvait être allongé et retréci comme un accord éon. L’enfant essaya de glisser le lion sous la fente pour le faire entrer dans l’espace « della signora ». Le lion était très plat, mais pas suffisamment pour passer sous la porte et franchir la limite qu’Antonio supportait mal. Il arracha alors la tête du lion et le démonta complètement, en séparant toutes les pièces qui le composaient. Il dit que le lion était cassé. Je lui parlai de sa rage contre la porte fermée et contre moi qui ne le laissait pas entrer dans la chambre de la « signora ». Il était si faché qu’il se sentait un enfant tout cassé, comme son petit lion. Antonio fit une tentative d’assembler à nouveau les pièces détachées, mais le fit au hasard et fabriqua un objet bizarre (Bion, 1967) qui ne ressemblait en rien à un lion. Cela l’angoissa, il démembra à nouveau l’objet et jeta les pièces dans ma direction. Ne pouvant pas supporter d’avoir besoin de mon aide, il me tourna le dos et s’éloigna le plus loin possible pendant que je recomposai les pièces et reconstituai le lion, tout en lui parlant de sa peur que tous ces petits bouts dispersés n’aient pas pu redevenir un lion. Il avait aussi peur de ne pas pouvoir redevenir un enfant entier après s’être senti tout déchiré par sa rage. Il revint vers moi, reprit le lion remembré Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France à savoir ma chambre privée. Dans son imagination, ce lieu contenait toutes mes richesses. Lorsque la frustration de ne pas y avoir accès prenait le dessus, il devenait par contre plein d’objets détruits et monstrueux. L’identification projective s’était installée dans son appareil psychique. -­page 133 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 133 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Antonio avait essayé, en face de la frustration suscitée par les limites spatiales imposées par la pièce de thérapie, d’aplatir et de « démonter » à nouveau son appareil mental, afin de se soustraire à la perception d’une limite frustrante, et de nos deux réalités psycho-­physiques séparées, représentées par la porte fermée entre les deux pièces. Toutefois, l’angoisse suscitée en lui à la vue de l’objet insensé qu’il avait remonté au hasard, le porta à demander mon aide. Lorsqu’il compara son lion bidimensionnel « re-­membré » avec le lion tridimensionnel et non démontable du matériel, et dit « lion », il sembla avoir fait une expérience à plusieurs niveaux. Antonio était devenu capable d’apprécier la similitude des deux lions. Malgré leur degré très différent de stylisation, il avait su reconnaître leur caractére léonin commun. Tustin nous enseigne que dans les états autistiques, seul l’immutabilité, le même, l’identique, est supportable, alors que le semblable, qui introduit le principe de la différence, est intolérable (1994). Reconnaître une similitude est le fruit d’une activité mentale de triangulation, dans la mesure où les deux objets comparés ne peuvent être reconnus comme étant semblables que s’il existe une image interne qui contient l’essence ­commune des caractéristiques des deux objets. Le petit lion plat et démantelé d’Antonio fût donc doublement « re-­membré » : ses membres furent reliés de façon organique, et il avait été « remembered1 », retrouvé dans la mémoire de l’enfant, et reconnu grâce à ses caractéristiques léonines reconstituées. Nous pouvons nous demander si Antonio avait reconnu au lion tridimensionnel et non « démembrable » de son matériel de jeu une permanence identitaire dans le temps qui manquait à son lion plat, fragile et démontable qu’il dût recontrôler continuellement au cours de la séance pour se rassurer 1. « To re­member » signifie en anglais « se rappeler ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France de mes mains, l’examina longuement, alla prendre le lion tridimensionnel et non démontable dans sa boîte et compara longuement les deux animaux. Enfin, il dit « lion ». Pendant le reste de la séance, il tint son lion remembré serré dans sa main et contrôla à plusieurs reprises qu’il était resté intact. À la fin de la séance, il l’emporta avec lui. 135 x 215 -­page 134 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France qu’il fût resté identique à soi-­même. Il semble que dans cette séance Antonio ait pu percevoir les effets dévastateurs des manoeuvres autistiques qui aplatissent et démantèlent l’expé­ rience frustrante intolérable dans le but implicite d’éliminer toute conscience de soi comme être séparé. L’enfant était devenu capable d’apprécier le corps solide, tridimensionnel et non démontable du lion de la thérapie qui, grâce à sa permanence dans l’espace et dans le temps, pouvait avoir un nom propre. Pour un instant, il semblait avoir pu faire l’expérience, à un niveau profond de sa psyché, que l’acceptation des limites spatio-­temporelles représente la base de laquelle émerge la fonction symbolique et sur laquelle s’­appuie la possibilité d’une relation significative avec un autre reconnu dans son altérité. Conclusions L’expérience d’être un corps et d’avoir un corps contenu dans la réalité spatio-­temporelle et relationnelle, et en même temps un corps contenant tant des organes matériels que des espaces virtuels pouvant se peupler d’objets internes semble être à la base de tout développement. L’activité mentale, enracinée dans la réalité du corps, se développe à partir de ces niveaux primaires. L’unité psycho-­physique représente le point de départ dès le tout début de la vie. Les enfants autistes semblent avoir abandonné non seulement la voie du développement psychique qui est inséparable de la dimension relationnelle, mais également l’expérience de leur corporalité, inséparable, elle aussi, des premières réalisations de l’intersubjectivité primaire. La rencontre avec un partenaire ne peut se faire que s’il y a une perception, initialement fugace, de soi comme moi corporel séparé. Les métaphores de la volatilité, liquidité et viscosité ont été utilisées pour décrire le niveau primitif auquel se trouve l’origine de la difficulté de l’enfant autiste à devenir un soi individuel. À l’aide du materiel clinique de trois enfants autistes, j’ai cherché à donner quelques exemples des formes que peut prendre l’impossibilité Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 134 -­page 135 / 246 Le corps inhabité de l’enfant autiste 135 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Les enfants autistes ont besoin d’être aidés à faire l’expérience de leur corps comme entité réelle ayant une existence solide et stable dans la dimension temporelle (going-­on­being), d’un corps contenu dans un espace/temps tridimensionnel fiable, pour pouvoir à son tour devenir un contenant d’espaces et d’objets internes. Se sentir exister comme corps dans un espace extérieur implique la rencontre avec la préconception de contenant/contenu, et partant avec des expériences de réalisation de cette préconception, ne fût-­ce que grâce au fait, dont le thérapeute est constamment conscient, que la séance se déroule dans un espace­contenant réel avec une porte qui s’ouvre et se ferme sur les deux partenaires-­contenus, et au rythme temporel de la rencontre et de la séparation. La rythmicité et la fiabilité de l’alternance de présence et d’absence rendent graduellement possible une expérience moins traumatique des césures qui ne sont plus vécues comme une lacération catastrophique, mais comme un intervalle entre une rencontre et la suivante. L’espace d’entre­deux devient supportable grâce à une trame rythmique qui se répète. Un corps liquide ne connaît pas d’entre-­deux. Le rythme de sécurité de base auquel se réfère Tustin et la solidification du moi corporel semblent pouvoir être mis en une relation de réciprocité dynamique. L’enfant autiste a besoin d’être aidé à abandonner son état de nobody, de « non­corps », et à trouver ou retrouver, dans le milieu protégé de la thérapie, sa réalité corporelle, et de permettre à ce corps de se solidifier graduellement, afin de pouvoir exister dans l’espace/temps et devenir une entité contenue et contenante capable d’interagir avec d’autres moi corporels, d’autres entités psycho-­physiques. Grâce à une attention particulière à sa corporalité, il peut être aidé à s’acheminer dans la voie du développement psychique qu’il avait égarée en même temps qu’il avait perdu son corps. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France ­ sycho-­physique de ces enfants d’acquérir un sens d’idenp tité stable dans le temps. Chaque enfant a décliné son évolution en suivant son parcours personnel. Toutefois, il y a des éléments en commun que nous retrouvons dans les trois histoires. 135 x 215 -­page 136 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Ces expériences posent les fondements pour que le corps devienne un moi corporel avec sa forme, ses contours, sa solidité et sa continuité dans le temps, et qu’il acquière le sens de son identité. Dès lors, le corps précédemment abandonné, rendu liquide, gazeux, visqueux ou alors congelé, afin d’échapper à la terreur de la séparation, peut devenir un moi incarné, un moi qui habite son corps. Ce moi peut aussi se servir de sa corporalité pour établir des contacts modulés avec le monde et ses habitants. Dans le monde interne, les espaces mentaux deviennent, grâce au démarrage des processus projectifs et introjectifs, des contenants potentiels prêts à recevoir des impressions, à ressentir des émotions, à élaborer des pensées, des représentations et des réminiscences qui contribuent à la croissance des objets internes.Ce sont ces vécus primordiaux, liés étroitement à des expériences rythmiques, qui représentent le fondement sur lequel il devient possible pour l’enfant autiste qui a manqué de rencontrer le monde, et le soi corporel dans le monde, de faire l’expérience d’être son corps, d’avoir un corps et d’habiter ce corps pourvu d’espaces internes capables d’accueillir et de penser les pensées. Résumé Le corps est le lieu des expériences primordiales du bébé. C’est dans le moi corporel, lié étroitement à la perception de l’espace et du temps, qu’a son origine et que se développe le sens d’identité, dans le réseau de réciprocité des échanges interpersonnels avec l’entourage humain. Dans les états autistiques, l’absence de relations avec le monde extérieur qui comporte le retrait de toutes les dimensions de la réalité, y compris la perception de l’espace et du temps, se reflète inévitablement sur la relation de l’enfant avec son corps. L’élimination de tout échange entraîne l’élimination du sens d’exister en tant que corps et d’habiter ce corps. Ne pouvant tolérer aucune perception d’exister comme individu du moment qu’il ne peut abandonner le phantasme Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France 136 -­page 137 / 246 137 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France inconscient d’un état d’unité fusionnelle, l’enfant autiste ne peut accepter que son corps se « solidifie », étant donné que ce processus impliquerait la perception d’être séparé de l’entourage et d’avoir une peau qui délimite l’intérieur de l’extérieur. La stratégie défensive de beaucoup d’enfants autistes consiste à refuser à des niveaux psycho-­physiques profonds cette « solidification ». Leurs corps, leurs mouvements, leur comportement, tendent alors à susciter chez le thérapeute une perception de liquidité, de volatilité, de viscosité ou au contraire de congélation qui semble représenter une ultérieure manoeuvre protectrice. L’histoire de trois enfants autistes en thérapie psychanalytique montre comme la découverte de la corporalité et l’expérience d’exister comme corps réel dans l’espace, dans le temps et dans la relation, représente un passage fondamental dans le processus thérapeutique. La découverte du corps et l’expérience qu’il est solidement contenu dans l’espace tridimensionnel et dans l’attention du thérapeute est indispensable pour que le contenant psychique de l’enfant puisse commencer à assumer les fonctions mentales essentielles de projection et d’introjection. Mots-­clé : corps, moi corporel, corps dans l’autisme, consistance corporelle, psychothérapie de l’autisme. Summary The infant’s primary experiences have a bodily quality. The sense of identity, which is connected with the perception of space and time, and develops through reciprocal exchanges with his human environment, is deeply rooted in the body-­ego. In autistic states, the absence of any relationship with the external world, which implies the withdrawal from all dimensions of reality, including the perception of space and time, is inevitably mirrored in the child’s relation with his body. The elimination of any exchange includes the elimination of the sense of existing as a body and of inhabiting his body. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Le corps inhabité de l’enfant autiste 135 x 215 -­page 138 / 246 Suzanne Maiello Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.244.160.66 - 11/05/2020 18:21 - © Presses Universitaires de France Since the autistic child cannot bear any perception of existing as a separate individual, being unable to abandon the unconscious fantasy of fusional oneness, he cannot accept his body to become a “solid” entity, since this process would lead to the perception of being separated from his environment and of having a skin representing the boundary between inside and outside. The defensive strategy of many autistic children consists in refusing this process of “solidification”at deep psycho-­physical levels.Their bodies, their movements, their behaviour, tend to elicit in the therapist sensations of their being liquid, volatile or viscous, or on the contrary frozen, which seems to represent a further protective manoeuvre. The history of three autistic children in psychoanalytic psychotherapy show how they discovered their bodies andbegan to experience themselves as existing as a bodily reality in space, in time and in a relationship.This represented a crucial moment in the therapeutic process. In fact, the child’s discovery of his body and the experience of it being solidly contained in a three-­dimensional space and in the therapist’s attention was the prerequisite for their psychic container to become able to perform its basic mental functions of projection and introjection. Bibliographie Anzieu D. (1985), Le Moi-­peau, Paris, Bordas. Bion W.R. 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