La métaphore et le problème central de l'herméneutique

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Revue Philosophique de Louvain
La métaphore et le problème central de l'herméneutique
Monsieur Paul Ricœur
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Ricœur Paul. La métaphore et le problème central de l'herméneutique. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série,
tome 70, n°5, 1972. pp. 93-112;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1972.5651
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1972_num_70_5_5651
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Résumé
Le but de cet essai est de relier les problèmes posés en herméneutique par l'interprétation des textes
et les problèmes posés en sémantique par la métaphore. Le rapprochement exige au préalable que la
métaphore soit traitée comme une sorte d'énoncé et non comme un écart du sens des mots. Ainsi
replacé dans le cadre du discours, l'énoncé métaphorique pose des problèmes semblables à ceux que
pose l'intelligence d'un texte poétique. Le rapport est mutuel. D'un côté, l'explication de la métaphore
est un modèle pour l'explication du texte poétique : l'énoncé métaphorique est, en effet, une énigme
qui appelle l'invention d'un sens capable de faire tenir ensemble des termes souvent incompatibles.
D'un autre côté, l'interprétation du poème est un modèle pour celle de la métaphore : si, en effet, la
tâche de l'interprétation est de déployer le « monde » que l'œuvre enveloppe comme son « projet
poétique», la question fondamentale d'une herméneutique de la métaphore est de dégager le projet
poétique auquel sont subordonnés les énoncés métaphoriques.
Abstract
Metaphor and the central problem of hermeneutics.
The aim of this essay is to connect the hermeneutical problems raised by text-interpretation with the
semantic problems raised by metaphor-understanding. This connection demands that metaphor be
considered as a kind of statement, and not merely as a change in the meaning of words. Thus
reinserted into the framework of the discourse, metaphorical statements raise problems similar to those
raised by the understanding of poetical texts. The relation between the two is reciprocal. On the one
hand, the explanation of metaphor offers a good model for that of a poetical text : the metaphorical
statement is in fact a kind of enigma which calls for the invention of a meaning capable of allowing
normally incompatible terms to make sense together. On the other hand, the interpretation of a poem is
a model for that of metaphor : if to interpret a poem is to unfold the « world » which the work implies as
its « poetic project », the fundamental question for an hermeneutic of metaphor would be to
disentangle the « poetic project » to which metaphorical statements are subordinated.
La
métaphore
et
le
problème
central
de
Pherméneutique
On
admettra
ici
que
le
problème central
de
l'herméneutique
est
celui de
l'interprétation.
Non
point
l'interprétation
en
un
sens
indéterminé
quelconque
du
mot,
mais l'interprétation selon
deux
déteimina-
tions
:
la
première
concernant
son champ
d'application,
la
seconde
sa
spécificité
épistémologique.
En
ce
qui
concerne
le
premier
point,
je
dirai
qu'il
y
a
un
problème
de
l'interprétation
parce
qu'il
y
a
des
textes,
des
textes
écrits,
dont
l'autonomie
crée des
difficultés
spécifiques.
J'entends
par
autonomie,
l'indépendance
du
texte
à
l'égard
de
l'intention
de
l'auteur,
de
la
situation
de l'œuvre
ou
du
rapport
à
ur
lecteur
originel.
Ces
problèmes
sont
résolus
dans
le
discours oral
par
la
sorte
d'échange ou
de
commerce
que
nous
appelons
dialogue
ou
conversation.
Avec
les
textes
écrits,
le
discours doit
parler
par
lui-même.
Disons
donc
qu'il
y
a
des
problèmes
d'interprétation
parce
que
la
relation
écrire-lire
n'est
pas
un
cas
particulier
de
la
relation
parler-écouter
telle
que
nous
la
connaissons
dans
la
situation de
dialogue.
Tel
est
le
trait
le
plus
généial
de
l'interprétation
en ce
qui
concerne
son
champ
d'application.
Deuxièmement,
le
concept
d'interprétation
paraît,
au
niveau
épistémologique,
comme
concept opposé
à
celui
d'explication.
Pris
ensemble
ces
deux
concepts
constituent
une
paire
contrastée
qui
a
suscité maintes
disputes depuis
le
temps
de
Schleiermacher
et
de
Dilthey
;
selon
cette
tradition,
l'interprétation
a
des
connotations
subjectives
spécifiques,
telles
que
l'implication
du
lecteur
dans
le
processus
de
compréhension
et
la
réciprocité
entre
l'interprétation
du
texte
et
l'interprétation
de
soi-même.
Cette
réciprocité
est
connue
sous
le
nom
de
cercle
herméneutique;
elle
implique
une
opposition
marquée
à
la
sorte
d'objectivité
et
de
non-implication
qui
est
supposée
caractériser
l'explication
scientifique
des
choses.
Je
dirai
plus
loin
jusqu'à
quel
point
nous
pourrons
être
amenés
à
amender,
voire
même
à
reconstruire
sur
une
nouvelle
base
l'opposition
entre
interprétation
et
explication.
Quoi
qu'il
en
soit
de
cette
discussion
ultérieure,
la
présente
description du
concept
d'interprétation,
aussi
schématique
soit-
94
Paul
Ricœur
elle,
suffit
à
une
circonscription
provisoire
du
problème central
de
l'herméneutique
:
statut
des
textes
écrits
versus
langage
pailé,
statut de
l'interprétation
versus
explication.
Et
maintenant
la
métaphore
!
Le
but
de
cet
essai
est
de
relier
les
problèmes
posés
en
herméneutique
par
l'interprétation
des
textes
et
les
problèmes
posés
en
rhétorique,
en
sémantique,
en
stylistique
ou quelle
que
soit
la
discipline
concernée
par
la
métaphore.
I
Le
texte
et
la
métaphore
en tant
que
discours
Notre
première
tâche
sera de
trouver
un
terrain
commun
à
la
théorie
du
texte
et
à
la
théorie
de
la
métaphore.
Ce
terrain
commun
a
déjà
reçu un
nom
:
le
discours;
il
reste
à
lui
donner
un
statut.
Une
première
chose
frappe
:
les
deux
sortes
d'entités
que
nous
considérons maintenant
sont
de
longueurs
différentes;
on
peut
les
comparer,
à
cet
égard,
à
l'unité
de
base
du
discours,
la
phrase.
Sans
doute, un
texte
peut
se
réduire
à
une
seule
phrase, comme
dans
les
proverbes
ou
les
aphorismes
;
mais
les
textes
ont
une longueur
maximum
qui
peut
aller
d'un
paragraphe
à
un
chapitre,
à
un
livre,
à
un
ensemble
d'«
œuvres
choisies
»,
jusqu'au
corpus
des
«
œuvres complètes
»
d'un
auteur.
Appelons
œuvre
la
séquence
close
de
discours
qui
peut
être
considérée
comme
un texte.
Tandis que
les
textes
peuvent
être
identifiés
sur
la
base
de
leur
longueur
maximale,
les
métaphores
peuvent
l'être
sur
la
base
de
leur
longueur
minimale,
celle
du
mot.
Si
la
suite
de
la
présente
discussion vise
à
montrer
qu'il
n'y
a
pas
de
métaphore
au
sens
de
mot
pris
métaphoriquement
en
l'absence
de
certains
contextes,
par
conséquent
même
si
nous
sommes
contraints
par
la
suite
de
substituer
à
la
notion
de
métaphore
celle
d'énoncé
métaphorique,
impliquant
par
conséquent
au
moins
la
longueur
d'une
phrase,
néanmoins,
la
«torsion
métaphorique»,
pour
parler
comme
Monroë
Beardsley
(The
Metaphorical
Twist),
est
quelque
chose qui
arrive
au
mot;
le
changement
de
signification
qui
requiert
la
contribution
entière
du
contexte
affecte
le
mot.
C'est
du
mot
que
nous
pouvons
dire
qu'il
a
un
«
emploi
métaphorique
»
ou
«
une
signification
non
littérale
»
;
c'est
toujours
le
mot
qui
est
le
porteur
de
la
«
signification
émergente»
que
certains
contextes
spécifiques
lui
confèrent.
En
ce
La
métaphore
et
le
problème
central
de
l'herméneutique
95
sens
la
définition
de
la
métaphore par
Aristote
comme
transposition
d'un
nom
(ou
d'un
mot)
étranger
n'est
pas
annulée par
une
théorie
qui
met
l'accent
sur
l'action
contextuelle
qui
crée
le
déplacement
de
signification
dans
le
mot.
Le
mot
demeure
le
«
foyer
»
(focus),
même
si
ce
foyer
requiert
le
«
cadre
»
(frame)
de
la
phrase,
pour employer
dès
maintenant
le
vocabulaire
de
Max
Black.
Cette première
remarque,
toute
formelle,
concernant
la
différence
de
longueur
entre
le
texte
et
la
métaphore,
ou
mieux
entre
Y
œuvre
et
le
mot,
va
nous
aider
à
élaborer
notre
problème
initial
d'une
façon
plus précise
:
dans
quelle
mesure
nous
est-il
permis
de
traiter
la
métaphore
comme une
œuvre
en
miniature
ï
La
réponse
à
cette
première
question
nous
aidera
à
poser
ultérieurement
la
seconde question
:
dans quelle
mesure
les
problèmes
herméneutiques suscités
par
l'interprétation
des
textes
peuvent-ils
être
considérés
comme
l'extension à
grande échelle
des
problèmes
condensés
dans
l'explication
d'une
métaphore
locale
dans
un
texte
donné
?
Une
métaphore
est-elle
une
œuvre
en
miniature?
Une
œuvre,
disons
un poème,
peut-elle
être
considérée comme une
métaphore
soutenue
ou
étendue
?
La
réponse
à
cette
première
question
exige
une
élaboration
préalable
des
propriétés
générales
du
discours,
s'il
est vrai
que
texte
et
métaphore, œuvre
et
mot,
tombent
sous
la
même
catégorie,
celle
du
discours.
Je
n'élaborerai
pas
en
détail
le
concept
de
discours,
je
bornerai
mon
analyse aux
traits
qui
sont
nécessaires
à
la
comparaison
entre
texte
et
métaphore.
Il
est
remarquable
que tous
ces
traits
se
présentent
en
forme
de
paradoxes,
c'est-à-dire
de contradictions
apparentes.
D'abord
tout
discours
se
produit comme
un
événement;
comme
tel
il
est
la
contrepartie
du langage
compris
comme
langue,
code
ou
système
;
en
tant
qu'événement il
a
une
existence
fugitive
:
il
apparaît
et
disparaît.
Mais,
en
même temps
et
c'est
ici
que
réside
le
paradoxe
il
peut
être
identifié
et
réidentifié
comme
le
même;
ce
même
est
ce
que
nous
appelons,
en
un
sens
large,
sa
signification.
Tout
discours,
dirons-nous,
est
effectué
comme
événement;
mais
tout
discours
est
compris
comme
signification.
Nous
verrons
bientôt
en
quel
sens
la
métaphore concentre
ce
double
caractère
de
l'événement
et
de
la
signification.
Deuxième
paire
de
traits
contrastés
:
la
signification
est portée
par
une
structure
spécifique, celle
de
la proposition,
laquelle
enveloppe
une
opposition
interne entre
d'une
part
un pôle d'identification
singu-
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