Aristote et les apories de Zenon

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ARISTOTE ET LES APORIES DE ZÉNON
Author(s): Lucien Malverne
Source:
Revue de Métaphysique et de Morale,
58e Année, No. 1/2 (Janvier-Juin 1953), pp.
80-107
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40900078
Accessed: 16-03-2017 18:08 UTC
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ARISTOTE ET LES APORIES DE ZENON
II peut sembler à la fois téméraire et inutile de revenir, après tant
d'autres et de si illustres, sur ce vieux problème des difficultés soulevées
par Zenon contre le mouvement. Mais, outre que la vieillesse d'un pro-
blème pourrait bien être le signe de son éternité, on a cru pouvoir l'oser
moins à cause de l'intérêt intrinsèque de ce problème qu'en vue de pré-
ciser la position d'Aristote à son endroit, et, par là, d'éclairer un aspect
intéressant ou curieux de la philosophie aristotélicienne elle-même.
C'est donc à celle-ci, plus qu'à Zenon, qu'on va se proposer de porter
principalement attention, mais sans casser de s'installer au point d'où
le système d'Aristote apparaît surtout comme opposé à celui deséléatcs.
*
* *
On connaît bien les apories de Zenon sur le mouvement, c'est-à-dire
les difficultés qu'avait à surmonter Aristote pour prouver la réalité de
celui-ci. Y parvint-il ? Et, d'ailleurs, le problème a-t-il un sens ?
Il est aisé, on n'y a pas manqué, d'assimiler à des progressions géo-
métriques décroissantes illimitées les espaces parcourus par Achille et
la Tortue, et d'en conclure que les raisonnements de Zenon seraient
irréfutables s'ils ne traitaient de Mouvements ou de Temps comme de
simples Quantités, comme des valeurs dépouillées préalablement de
toute successivitè. Une autre manière de définir la nature particulière
de cette irréfutabilité consiste à % remarquer que la solution algébrique
du problème très simple posé par Zenon équivaudrait, non à prouver
le mouvement, mais à le mesurer après se l'être accordé. En fait, Γ être
ou le non-être du mouvement ne résultent pas d'une démonstration, ainsi
que semblent l'avoir cru Zenon et Aristote, mais de données antérieures à
cette démonstration, et dont celle-ci procède : accepter ou refuser le mouve-
ment, c'est d'abord accepter ou refuser la successivitè dans les données
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 81
du problème, lequel apparaît alors moins un problème qu'une option.
Cette pure optativité habitait déjà la conception parménidienne de
l'immobilité. Nous devons donc nous attendre, étudiant la réfutation
aristotélicienne des objections de Zénon contre le mouvement, à être
conduits d'autant plus au-dessus des raisonnements et des objections
vers un choix, en réalité, libre et impliquant toute une ontologie, que nous
serrerons de plus près le postulat commun au deux thèses en présence,
ù savoir l'acceptation de données impliquant la successivité.
***
Aristote s'est attaqué aux apories zénoniennes, et a pensé les vaincre,
en y engageant de sa philosophie dans son ensemble une partie qui n'est
ni courte ni simple. Sa réfutation de Zénon n'est, en effet, ni entièrement
enfermée dans un texte aux limites précises, mais éparse dans plusieurs
livres de la Physique - principalement dans les Livres VI et VIII -
ni totalement contenue dans les passages où il est entendu qu'elle appa-
raît, mais plutôt emplissant l'esprit du Système tout entier x, comme la
conséquence habite tout le principe avant d'en être dégagée. De là ré-
sulte qu'elle comporte comme une dialectique, c'est-à-dire des [moments
à peu près successifs en droit, dont le premier consiste moins à poser
le problème qu'à en croire et à en déclarer la solution évidente, et le
second, encore très simple, ne s'élève guère autant qu'il le faudrait au-
dessus de la perspective mathématique pour s'en affranchir, tandis que
le dernier et plus complexe met en question ce par quoi l'ontologie aris-
totélicienne toute entière s'oppose à celle de Parménide. Nous ^suivrons
leur ordre naturel en essayant de ne pas oublier que chacun d'eux prend
son sens surtout dans l'ensemble des suivants.
Au premier de ces moments, elle apparaît au début de la Physique,
dans le Livre I, où, pour en discerner le sens et tout de suite les limites,
on peut la rapprocher du fameux mythe 2 selon lequel Diogène se serait
proposé de prouver le mouvement à Zénon en marchant devant lui.
Zénon niait le mouvement, parce que son maître Parménide avait nié
en bloc ou compté pour illusoire tout ce qui n'est pas l'être % tout ce
que constatent les sens 4, et, désormais, il n'était plus permis d'alléguer
1. D'ailleurs, ainsi que le remarque Ross, Aristote « ne traitait aucun sujet, une fois
pour toutes, mais y retournait constamment et à de nombreuses reprises. » (Ross, Aris-
tote, éd. Pavot, 1930. d. 30Λ
2. La légende selon laquelle Diogène le Cynique aurait prouvé le mouvement, au nez
de Zénon, en marchant devant lui, a ses variantes. Divers auteurs attribuent le même
trait, non seulement à Diogène (Diogène, L. VI, 39 ; Simpl. 236 b, mil., 278 b, inf.),
mais aussi à Antisthène (le Schol. d'Ar., in Categ., p. 22 b, 40), ou à un Cynique non
nommé (Sext., Hyp. Pyrrh., III, 66). On sait, d'ailleurs, que Diogène le Cynique naquit,
sans doute, beaucoup trop tard. Dour avoir du connaître zénon.
3. Cf. L1 Imitation : « Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien et doit être compte pour
rien. » (Chap. XXXI, Trad. Lamennais.^
4. « Éloigne ta pensée de cette voie de recherche [celle de l'opinion foridée sur les sensj,
Revue de Meta. - N° 1-2, 1953. 6
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S2 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
le témoignage de ceux-ci pour prouver le mouvement. Les anecdotes,
selon lesquelles il eût suffi de se promener de long enlarge devant Zenon,
pour le réfuter, concrétisent Vignoratio elenchi commise par tout philo-
sophe qui se fût fondé sur l'observation et l'expérience pour réfuter
l'immobilisme éléate *. Elles ont le mérite d'illustrer assez bien le prin-
cipe qu 'Aristote d'abord tenta de suivre lorsqu'avec le problème du
mouvement il aborda la définition même de la Physique. Dès les pre-
mières pages de ce traité, consacré, en effet, à la nature en tant que
principe de mouvement 2, il se heurte à la doctrine éléate de l'immobilité,
contre laquelle il est obligé de polémiquer avant le moindre progrès au delà.
Mais, en ce moment initial de sa polémique, l'existence du changement
lui paraît si évidente, que ceux qui la nient lui semblent raisonner comme
dies niais, ou du moins comme des aveugles s. Et, à la vérité, c'est bien
d'aveugles qu'il s'agit, d'aveugles volontaires, comme ces premiers
aréomètres qui, à peu près dans le même temps, fermaient délibérément
ieurs yeux de chair sur les propriétés de l'espace, pour ne les plus aper-
cevoir qu'avec leur raison pure, se fiant « à la parole pour les conduire
dans l'espace en aveugles clairvoyants 4 ». C'est seulement en termes de
raison pure qu'il eût fallu tenter de répondre aux objections de Zenon
ou de ses continuateurs pour prouver le mouvement ' Mais Aristote se
borne à juger celui-ci évident et à déclarer ignares tous ceux qui ne
l'en tiennent pas, comme lui, au simple témoignage de l'observation
la plus courante 6. Si l'on devait considérer cette réponse comme une
réfutation, sans doute son auteur mériterait-il l'accusation à'ignoratio
eïenchi. Mais à y regarder d'un peu plus près, ni la position des immo-
bilistes, ni celle d'Aristote, en ce premier moment du débat, ne résultent
encore de raisonnements, et, par conséquent, ne peuvent apparaître
l'une comme la réfutation de l'autre. En considérant le mouvement
iomme évident, en effet, Aristote n'a ni raisonné, ni opposé une antithèse
i ane thèse, et si son exposé, cependant, revêt ensuite la forme antithé-
iiique7 c'est, il le déplore assez, parce que des penseurs antérieurs par-
iaitement dépourvus de l'universel bon sens avaient imaginé d'adopter,
auï ee point, une conviction absurde dont il est bien obligé, en passant,
de rappeler l'absurdité. En soulignant celle-ci, Aristote ne s'est même
pas proposé de les réfuter, mais seulement d'inaugurer son exposé par
et ne laisse pas l'habitude aux multiples expériences te forcer à jeter sur ce chemin des
yeux aveugles, des oreilles assourdies et des mots d'un langage grossier....» (Parménide,
*. I, Trad. Chambry.)
1. Auguste Comte devait commettre une erreur du même type, en défiant tout phi-
Ktfsophe idéaliste de démontrer sa thèse, une fois pendu par les pieds.
Ζ Phus., II, 192 b, 8-23.
3L Phys., II, 193 a, 6-9.
4P, Valérv, Variété, 66« éd., p. 26.
St Examinant la possibilité de prouver le mouvement parla raison pure, Kant déclarera,
y voir « une pierre d'achoppement. En effet, si vous ne trouviez pas par l'expérience
gtt'èUfr est réelle, jamais vous ne pourriez imaginer a priori comment est possible cette
succession perpétuelle d'être et de non-être » {Crû. Raison pure. Ex. de l'ant. cosm.).
& Phgs., Γ, S, 191 b, 34.
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L. MALVBKNE. - aristotè Et les aïoriës de zénon. 83
une vérité qu'il fallût être « faibles d'esprit » * pouf mettre en doute,
sans prendre le moindre engagement dans un Sens} quelconque. Dans
cette vérité, il ne peut pas avoir moins de foi que n'en ont les gens sains
d'esprit, à l'unanimité.
Seulement les éléates dont il a du rappeler au passage le cas singulier
avaient autant de foi dans la doctrine immobiliste, de sorte qu'entre sa
propre conception et la leur, si le rapport n'est pasencore celui qui oppose
deux raisonnements, à un observateur juché au-dessus du débat il appa-
raît déjà comme celui qui sépare deux actes de foi différents. Pas plus
que la croyance d'Aristote en le mouvement, en effet, celle qu'avaient
les éléates en l'immobilité de l'être seul réel n'était le résultat d'un enchaî-
nement discursif. C'est sous la forme d'un poème sacré, d'une révélation
analogue à celle des mystères f, que Parménide avait prononcé la ri-
goureuse immobilité de l'être, « défendant 8 » comme la transgression
d'un impératif religieux, comme une tentation pécheresse, toute confiance
en l'apparent devenir. Sans doute n'e&t-il guère de doctrine inspirée de
Parménide qui n'ait hérité ce sentiment profond, d'ailleurs très grec4,
de la staticité ontologique, et en lui communiquant une expression
dialectique, Zénon ne s'était proposé rien d'autre que de dessiner, en
négatif, le contour de l'affirmation parméftidienne 5. Au point de l'exposé
d'Aristote qui nous occupe, au surplus, il n'est pas encore questionnes
arguments de Zénon, mais simplement de l'attitude générale des éléates
à l'égard du changement, et encore une fois, s'ils ferment les yeux sur
lui, bien loin que leur cécité soit aveuglement, c'est que la fascination
de l'être immobile en soi leur fait refuser tout crédit aux vaines appa-
rences de la successivité. Entre leur conviction immobiliste et la con-
1. « Το μεν ούν πάντ' ηρεμεΐν και τούτου ζητεΐν λόγον άφέντας την αϊσθησιν,
άρρωστία τίς έστι διανοίας. » (Phys., VIII, 3, 253 a, 32-34.)
2. L'éléatisme chez Parménide, est une véritable ivresse de l'être. Il se présente
comme une initiation, comme une révélation, à la manière des mystères, dont il revêt
la solennité; c'est de la Divinité même qu'après avoir franchi les portes du jour sous
la conduite des filles d'Hélios, l'initié, débarrassé des voiles qui lui cachaient la Vérité,
reçoit l'enseignement suprême. Cf. Diels, Vorsokr., 18 b.
3. « ... Quelle naissance, en effet, lui chercherais-tu ? Par où, de quoi évolué ? Pas non
plus de non-existant : je ne te laisserais ni le dire ni le Denser.... » (Fras. 8. Trad. Dies.)
4. Aristotè lui-même en fournit l'exemple à plusieurs reprises : définissant la science
par l'universel et celui-ci par l'essence éternelle, il a réduit la cause motrice à cette essence
éternelle, et, par là, éliminé ce qu'il y a de mouvement et. de progrès dans les choses con-
naissables. (Cf. Hamelin, Syst. d'Ar., Alcan, 1931, p. 237.) Distinguant, dans l'essence
animale, ce qui varie et ce qui ne varie pas avec l'individu, il prononce que les êtres na-
turels deviennent ce qu'ils sont, bien loin d'être ce qu'ils deviennent, c car le devenir
suit l'être et a l'être pour but, et non vice-versa ». (De gen. an., 778 a, 16 b, 1-6. Cf. Ross,
Aristotè, p. 175.) Sa théorie générale du changement fait, d'ailleurs, de celui-ci, une puis-
sance infirme, condamnée à n'avoir d'autre acte que de ne jamais pouvoir passer à l'acte.
5. C'est ce que précise Socrate s'adressant successivement à Parménide et à zénon
dans le Parménide : c Ainsi toi, dans ton poème, tu affirmes que le Tout est un, et tu en
donnes force belles preuves ; lui, à son tour, affirme la non-existence du multiple, et de
preuves, lui aussi, fournit beau nombre et de belles tailles. Quand le premier affirmant
l'Un, le second niant le multiple, vous parlez chacun de votre côté de façon à sembler ne
rien dire de pareil, bien que disant tout juste la même chose... », etc. (Parmén., 128 a,
7; 128 b, 6.)
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