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Aristote et les apories de Zenon

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ARISTOTE ET LES APORIES DE ZÉNON
Author(s): Lucien Malverne
Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 58e Année, No. 1/2 (Janvier-Juin 1953), pp.
80-107
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40900078
Accessed: 16-03-2017 18:08 UTC
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ARISTOTE ET LES APORIES DE ZENON
II peut sembler à la fois téméraire et inutile de revenir, après tant
d'autres et de si illustres, sur ce vieux problème des difficultés soulevées
par Zenon contre le mouvement. Mais, outre que la vieillesse d'un problème pourrait bien être le signe de son éternité, on a cru pouvoir l'oser
moins à cause de l'intérêt intrinsèque de ce problème qu'en vue de préciser la position d'Aristote à son endroit, et, par là, d'éclairer un aspect
intéressant ou curieux de la philosophie aristotélicienne elle-même.
C'est donc à celle-ci, plus qu'à Zenon, qu'on va se proposer de porter
principalement attention, mais sans casser de s'installer au point d'où
le système d'Aristote apparaît surtout comme opposé à celui deséléatcs.
*
* *
On connaît bien les apories de Zenon sur le mouve
les difficultés qu'avait à surmonter Aristote pour p
celui-ci. Y parvint-il ? Et, d'ailleurs, le problème a-t
Il est aisé, on n'y a pas manqué, d'assimiler à de
métriques décroissantes illimitées les espaces parc
la Tortue, et d'en conclure que les raisonnement
irréfutables s'ils ne traitaient de Mouvements ou
simples Quantités, comme des valeurs dépouillé
toute successivitè. Une autre manière de définir la
de cette irréfutabilité consiste à % remarquer que l
du problème très simple posé par Zenon équivaud
le mouvement, mais à le mesurer après se l'être acc
ou le non-être du mouvement ne résultent pas d'une
que semblent l'avoir cru Zenon et Aristote, mais de d
cette démonstration, et dont celle-ci procède : accepter o
ment, c'est d'abord accepter ou refuser la successivi
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 81
du problème, lequel apparaît alors moins un problème qu
Cette pure optativité habitait déjà la conception parmén
l'immobilité. Nous devons donc nous attendre, étudiant la réfutation
aristotélicienne des objections de Zénon contre le mouvement, à être
conduits d'autant plus au-dessus des raisonnements et des objections
vers un choix, en réalité, libre et impliquant toute une ontologie, que nous
serrerons de plus près le postulat commun au deux thèses en présence,
ù savoir l'acceptation de données impliquant la successivité.
***
Aristote s'est attaqué aux apories zénoniennes, et a pensé les vaincre,
en y engageant de sa philosophie dans son ensemble une partie qui n'est
ni courte ni simple. Sa réfutation de Zénon n'est, en effet, ni entièrement
enfermée dans un texte aux limites précises, mais éparse dans plusieurs
livres de la Physique - principalement dans les Livres VI et VIII -
ni totalement contenue dans les passages où il est entendu qu'elle apparaît, mais plutôt emplissant l'esprit du Système tout entier x, comme la
conséquence habite tout le principe avant d'en être dégagée. De là résulte qu'elle comporte comme une dialectique, c'est-à-dire des [moments
à peu près successifs en droit, dont le premier consiste moins à poser
le problème qu'à en croire et à en déclarer la solution évidente, et le
second, encore très simple, ne s'élève guère autant qu'il le faudrait audessus de la perspective mathématique pour s'en affranchir, tandis que
le dernier et plus complexe met en question ce par quoi l'ontologie aristotélicienne toute entière s'oppose à celle de Parménide. Nous ^suivrons
leur ordre naturel en essayant de ne pas oublier que chacun d'eux prend
son sens surtout dans l'ensemble des suivants.
Au premier de ces moments, elle apparaît au début de la Physique,
dans le Livre I, où, pour en discerner le sens et tout de suite les limites,
on peut la rapprocher du fameux mythe 2 selon lequel Diogène se serait
proposé de prouver le mouvement à Zénon en marchant devant lui.
Zénon niait le mouvement, parce que son maître Parménide avait nié
en bloc ou compté pour illusoire tout ce qui n'est pas l'être % tout ce
que constatent les sens 4, et, désormais, il n'était plus permis d'alléguer
1. D'ailleurs, ainsi que le remarque Ross, Aristote « ne traitait aucun sujet, une fois
pour toutes, mais y retournait constamment et à de nombreuses reprises. » (Ross, Aris-
tote, éd. Pavot, 1930. d. 30Λ
2. La légende selon laquelle Diogène le Cynique aurait prouvé le mouvement, au nez
de Zénon, en marchant devant lui, a ses variantes. Divers auteurs attribuent le même
trait, non seulement à Diogène (Diogène, L. VI, 39 ; Simpl. 236 b, mil., 278 b, inf.),
mais aussi à Antisthène (le Schol. d'Ar., in Categ., p. 22 b, 40), ou à un Cynique non
nommé (Sext., Hyp. Pyrrh., III, 66). On sait, d'ailleurs, que Diogène le Cynique naquit,
sans doute, beaucoup trop tard. Dour avoir du connaître zénon.
3. Cf. L1 Imitation : « Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien et doit être compte pou
rien. » (Chap. XXXI, Trad. Lamennais.^
4. « Éloigne ta pensée de cette voie de recherche [celle de l'opinion foridée sur les sensj,
Revue de Meta. - N° 1-2, 1953. 6
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S2 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
le témoignage de ceux-ci pour prouver le mouvement. Les anecdotes,
selon lesquelles il eût suffi de se promener de long enlarge devant Zenon,
pour le réfuter, concrétisent Vignoratio elenchi commise par tout philo-
sophe qui se fût fondé sur l'observation et l'expérience pour réfuter
l'immobilisme éléate *. Elles ont le mérite d'illustrer assez bien le prin-
cipe qu 'Aristote d'abord tenta de suivre lorsqu'avec le problème du
mouvement il aborda la définition même de la Physique. Dès les premières pages de ce traité, consacré, en effet, à la nature en tant que
principe de mouvement 2, il se heurte à la doctrine éléate de l'immobilité,
contre laquelle il est obligé de polémiquer avant le moindre progrès au delà.
Mais, en ce moment initial de sa polémique, l'existence du changement
lui paraît si évidente, que ceux qui la nient lui semblent raisonner comme
dies niais, ou du moins comme des aveugles s. Et, à la vérité, c'est bien
d'aveugles qu'il s'agit, d'aveugles volontaires, comme ces premiers
aréomètres qui, à peu près dans le même temps, fermaient délibérément
ieurs yeux de chair sur les propriétés de l'espace, pour ne les plus apercevoir qu'avec leur raison pure, se fiant « à la parole pour les conduire
dans l'espace en aveugles clairvoyants 4 ». C'est seulement en termes de
raison pure qu'il eût fallu tenter de répondre aux objections de Zenon
ou de ses continuateurs pour prouver le mouvement ' Mais Aristote se
borne à juger celui-ci évident et à déclarer ignares tous ceux qui ne
l'en tiennent pas, comme lui, au simple témoignage de l'observation
la plus courante 6. Si l'on devait considérer cette réponse comme une
réfutation, sans doute son auteur mériterait-il l'accusation à'ignoratio
eïenchi. Mais à y regarder d'un peu plus près, ni la position des immobilistes, ni celle d'Aristote, en ce premier moment du débat, ne résultent
encore de raisonnements, et, par conséquent, ne peuvent apparaître
l'une comme la réfutation de l'autre. En considérant le mouvement
iomme évident, en effet, Aristote n'a ni raisonné, ni opposé une antithèse
i ane thèse, et si son exposé, cependant, revêt ensuite la forme antithéiiique7 c'est, il le déplore assez, parce que des penseurs antérieurs pariaitement dépourvus de l'universel bon sens avaient imaginé d'adopter,
auï ee point, une conviction absurde dont il est bien obligé, en passant,
de rappeler l'absurdité. En soulignant celle-ci, Aristote ne s'est même
pas proposé de les réfuter, mais seulement d'inaugurer son exposé par
et ne laisse pas l'habitude aux multiples expériences te forcer à jeter sur ce chemin des
yeux aveugles, des oreilles assourdies et des mots d'un langage grossier....» (Parménide,
*. I, Trad. Chambry.)
1. Auguste Comte devait commettre une erreur du même type, en défiant tout phi-
Ktfsophe idéaliste de démontrer sa thèse, une fois pendu par les pieds.
Ζ Phus., II, 192 b, 8-23.
3L Phys., II, 193 a, 6-9.
4P, Valérv, Variété, 66« éd., p. 26.
St Examinant la possibilité de prouver le mouvement parla raison pure, Kant déclarera,
y voir « une pierre d'achoppement. En effet, si vous ne trouviez pas par l'expérience
gtt'èUfr est réelle, jamais vous ne pourriez imaginer a priori comment est possible cette
succession perpétuelle d'être et de non-être » {Crû. Raison pure. Ex. de l'ant. cosm.).
& Phgs., Γ, S, 191 b, 34.
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L. MALVBKNE. - aristotè Et les aïoriës de zénon. 83
une vérité qu'il fallût être « faibles d'esprit » * pouf mett
sans prendre le moindre engagement dans un Sens} que
cette vérité, il ne peut pas avoir moins de foi que n'en ont
d'esprit, à l'unanimité.
Seulement les éléates dont il a du rappeler au passage le c
avaient autant de foi dans la doctrine immobiliste, de sort
propre conception et la leur, si le rapport n'est pasencore c
deux raisonnements, à un observateur juché au-dessus du d
raît déjà comme celui qui sépare deux actes de foi diffé
que la croyance d'Aristote en le mouvement, en effet, c
les éléates en l'immobilité de l'être seul réel n'était le résultat d'un enchaî-
nement discursif. C'est sous la forme d'un poème sacré, d'une révélation
analogue à celle des mystères f, que Parménide avait prononcé la rigoureuse immobilité de l'être, « défendant 8 » comme la transgression
d'un impératif religieux, comme une tentation pécheresse, toute confiance
en l'apparent devenir. Sans doute n'e&t-il guère de doctrine inspirée de
Parménide qui n'ait hérité ce sentiment profond, d'ailleurs très grec4,
de la staticité ontologique, et en lui communiquant une expression
dialectique, Zénon ne s'était proposé rien d'autre que de dessiner, en
négatif, le contour de l'affirmation parméftidienne 5. Au point de l'exposé
d'Aristote qui nous occupe, au surplus, il n'est pas encore questionnes
arguments de Zénon, mais simplement de l'attitude générale des éléates
à l'égard du changement, et encore une fois, s'ils ferment les yeux sur
lui, bien loin que leur cécité soit aveuglement, c'est que la fascination
de l'être immobile en soi leur fait refuser tout crédit aux vaines appa-
rences de la successivité. Entre leur conviction immobiliste et la con-
1. « Το μεν ούν πάντ' ηρεμεΐν και τούτου ζητεΐν λόγον άφέντας την αϊσθησιν,
άρρωστία τίς έστι διανοίας. » (Phys., VIII, 3, 253 a, 32-34.)
2. L'éléatisme chez Parménide, est une véritable ivresse de l'être. Il se présente
comme une initiation, comme une révélation, à la manière des mystères, dont il revêt
la solennité; c'est de la Divinité même qu'après avoir franchi les portes du jour sous
la conduite des filles d'Hélios, l'initié, débarrassé des voiles qui lui cachaient la Vérité,
reçoit l'enseignement suprême. Cf. Diels, Vorsokr., 18 b.
3. « ... Quelle naissance, en effet, lui chercherais-tu ? Par où, de quoi évolué ? Pas non
plus de non-existant : je ne te laisserais ni le dire ni le Denser.... » (Fras. 8. Trad. Dies.)
4. Aristotè lui-même en fournit l'exemple à plusieurs reprises : définissant la science
par l'universel et celui-ci par l'essence éternelle, il a réduit la cause motrice à cette essence
éternelle, et, par là, éliminé ce qu'il y a de mouvement et. de progrès dans les choses con-
naissables. (Cf. Hamelin, Syst. d'Ar., Alcan, 1931, p. 237.) Distinguant, dans l'essence
animale, ce qui varie et ce qui ne varie pas avec l'individu, il prononce que les êtres naturels deviennent ce qu'ils sont, bien loin d'être ce qu'ils deviennent, c car le devenir
suit l'être et a l'être pour but, et non vice-versa ». (De gen. an., 778 a, 16 b, 1-6. Cf. Ross,
Aristotè, p. 175.) Sa théorie générale du changement fait, d'ailleurs, de celui-ci, une puissance infirme, condamnée à n'avoir d'autre acte que de ne jamais pouvoir passer à l'acte.
5. C'est ce que précise Socrate s'adressant successivement à Parménide et à zénon
dans le Parménide : c Ainsi toi, dans ton poème, tu affirmes que le Tout est un, et tu en
donnes force belles preuves ; lui, à son tour, affirme la non-existence du multiple, et de
preuves, lui aussi, fournit beau nombre et de belles tailles. Quand le premier affirmant
l'Un, le second niant le multiple, vous parlez chacun de votre côté de façon à sembler ne
rien dire de pareil, bien que disant tout juste la même chose... », etc. (Parmén., 128 a,
7; 128 b, 6.)
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84 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
viction mobiliste d'Aristote, celle-ci imposée par le bon sens et ce
par une sorte de fidéisme mystique, il n'y a ici ni démonstration, n
tation possible, et pour tout dire d'un mot qui fournisse matière à
première remarque sur ce débat : c'est pure affaire d'option. Envi
ainsi comme un choix inconditionné, la position d'Aristote apparaît
donc légitime aussi longtemps qu'elle consiste à ne même pas mettre
en question le changement.
Mais les choses pouvaient -elle s en rester là ? Ayant du citer l'opinion
de ceux qui le mettent en question et vont jusqu'à le nier, il a, ipso facto.
érigé en problème leur paradoxale attitude, ce qui déjà n'était pas loin
de mettre en problème le changement lui-même. D'ailleurs, Platon avait
été trop préoccupé par le soin de concilier le devenir avec l'être x pour,
qu'à son tour, il n'y accordât pas l'attention la plus profonde, et l'ampleur
croissante des développements qu'il consacrera, dans le corps de la Physique, à réfuter Zenon ou les néo-éléates de Mégare, atteste l'importance,
en réalité profonde, qu'il y attache. Force lui est donc d'accorder ici
au moins une parenthèse 2 à la question posée par les négateurs du chan-
gement, - parenthèse qu'avant même de l'ouvrir, d'ailleurs, il déclare
superflue 8, - en formulant, entre le point de vue doctrinal du métaphysicien et le point de vue méthodologique du physicien, une distinction
qui permette de remettre le problème à plus tard. L'existence en soi du
changement, re marque -t -il, « n'est plus du ressort de la physique * »
et « de même que le géomètre ne peut que se taire devant qui renverse
ses principes, car c'est l'objet d'une autre science 5 », de même le physi-
cien doit renvoyer au métaphysicien les objections qu'on a soulevées
contre le mouvement. « Pour nous, conclut-il 6, posons comme principe
que les êtres de la nature, en tout ou partie, sont mus. » Le point de vue
doctrinal ainsi réservé en termes formels, rien n'empêche plus d'accorder
la réalité du changement comme un fait d'observation, ou, si l'on veut,
comme une hypothèse directrice ; et c'est bien à titre d'u7uóÔ£ffi; que, rap-
pelant encore une fois cette distinction entre doctrine et méthode, il
répétera que le problema de l'existence du changement ne regarde pas
le physicien, lequel s'accorde par hypothèse que la nature est principe
de mouvement : « Ετι ο' at περί των άρχων ενστάσεις, ώσπερ εν τοΤς περί τχ
μαθήματα λόγοι; ουδέν ε'ισι προς τον μαθηματικόν, ομοίως δέ και επί των άλλων,
οΰτως ουδέ περί του" νυν ^μθέντος προς τον φυσικόν ύπόθεσις γαρ οτι ή φύσις αρχή
τής κινήσεως 7. » Mais pour qu'une distinction entre doctrine et méthode
1. En particulier, dans le Sophiste, à l'aide de Γ «effrayante doctrine » du παντελώς ov
en qui le mouvement et la vie se retrouvent dans l'être (Soph., 248 e-249 a), puis dans le
Timée, où sont harmonisés le Même et Γ Autre en une synthèse cosmologique.
2. Phys., I, 185 a, 17; 187 a, 11.
3. Phus.. I. 185 a. 5-15.
4. Phiis., I, 184 b, 25; 185 a.
5. Phus., I, 185 a, 2.
6. Phus., I, 185 a, 12.
7. Phys., VIII, 3, 253 b, 2-5.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 85
ait quelque sens, il importe qu'une fois faite, elle subsiste, c'est-
que toute question doctrinale soit écartée aussi longtemps q
cours de résolution le problème méthodologique, puis, qu'une foi
ci résolu, la question doctrinale fasse l'objet de l'examen mét
et complet qui fut promis. Or, il ne semble pas qu'en l'occurr
deux conditions aient été scrupuleusement respectées. Aussitôt f
le principe méthodologique cité ci-dessus, « posons comme princ
les êtres de la nature, en tout ou partie, sont mus », simple hyp
ou simple définition de la nature, Aristote ajoute que « c'est d
manifeste par l'induction : δήλον δ'έκ της επαγωγής * », et beauc
que constater simplement le changement comme un fait sen
que l'accepter comme une hypothèse, c'est déjà prononcer aff
vement sonexistence-en-soi, en la concluant d'un raisonnement 2
sement, lors qu 'Aristote abandonne la perspective méthodolo
physicien pour aborder la Métaphysique, sa promesse d'exam
fondements non physiques de la Physique, et, par, là de dém
enfin que la nature est en soi principe de mouvement s, reste irr
En fait, comme l'ont remarqué Hamelin 4 et Ross 5, l'existe
changement lui semblait tellement évidente qu'il ne lui parut
pas utile de réfuter ceux qui la niaient. Cette conviction dem
légitime aussi longtemps qu'elle se donnait pour ce qu'elle était :
de foi opposé à un autre. Mais en la présentant, tour à tour, com
hypothèse plus ou moins subrepticement doctrinale et comme un
trine dont la démonstration, remise à plus tard, ne serait jamais
Aristote n'eût pas beaucoup fait pour empêcher, qu'en fin de
on y vît une affirmation purement et simplement indémontr
réfutation des arguments éléates contre le changement n'eût com
1. Phys., I, 185 a, 13-14. Commentant ce passage (en note 1, p. 31 de son
Physique aux Belles-Lettres), Carteron souligne ce pur et simple recours à l'e
pour attester l'existence du mouvement.
2. Sans doute, le raisonnement utilisé ici, est-il linduction, et l'induction procède-t-elle
de la sensation. (An. Post, I, 18, 81 b, 5, ad. fin. Éth. Nie, VI, 3, 1139 b, 26-31. Métaph.,
A, 9, 992 b, 30-35.) Mais l'induction diffère de la sensation en ce qu'elle use de celle-ci
comme d'une intuition déjà rationnelle : αυτή δ'έστι νους (Éth. Nie, VI, 12, 1143 b, 5),
en ce que dans la sensation elle saisit l'universel nécessaire. (Cf. Lachelier : Fond. Ind.
2e éd., p. 7.) Induire le mouvement des choses mues, ce n'est donc plus lui accorder la
contingence du fait : c'est déjà lui reconnaître la nécessité de la loi.
3. Aristote lui-même, lorsqu'il cite les derniers Livres (V, VI et VIII) de la Physique,
les désigne sous le nom de περί κινήσεως, usage qu'observera ensuite Damasius, disciple
d'Eudéme, et qui implique qu'étudier la nature ce soit, ipso facto, étudier le mouvement.
4. « II [Aristote] estime que... le physicien n'a pas à. établir les principes de la physique.
Pourtant, on ne voit pas que, comme métaphysicien, Aristote se soit davantage préoccupé de les établir. La vérité est que l'existence d'êtres en mouvement lui paraît aller
de soi. Il n'y a même pas besoin d'en apporter une démonstration indirecte en réfutant
ceux qui le nient.... » (Hamelin, Syst. d* Ar., 298.)
5. « Nous devons considérer, dit Ross exposant la pensée aristotélicienne sur ce point,
l'existence du changement comme un fait d'expérience et la prendre pour fondement.
Mais la doctrine des Éléates a joué un tel rôle dans la pensée grecque qu'Aristote ne
peut pas en faire table rase par un simple recours à l'expérience, et il s'applique (I, 2, 3)
à relever les diverses contradictions sur lesquelles elle se fonde » (Ross, Aristote, p. 93)
ce qui, évidemment, est quitter l'expérience et aborder la démonstration a priori.
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86 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
que ce premier moment, où, en réalité, il faut voir une simple int
duction.
* *
Au second moment, cette réfutation apparaît surtou
où, d'ailleurs, elle consiste, en réalité, à reproduir
Livre III ■ entre l'infini par division et l'infini par co
ne croit pas qu'Achille rattrapera la Tortue, c'est
tinguer entre ces deux infinis, dont l'un est parcour
il les confond en un seul, auquel il attribue l'imparco
térise uniquement le second. Sans doute, Achille, pour
ou le Coureur pour couvrir le stade, doivent-ils parco
qui est infime en divisibilité. Mais, infiniiaent divisibl
niment longue, et il leur suffira d'un temps non infi
venir à bout·. « Sans doute, pour les infinis selon la q
possible de le» toucher en un temps fini. Mais pour l
division, c'est possible, puisque le^temps lui-même
manière 4 ».
Que vaut cette argumentation dans la perspectiv
entre Zenon et Aristote ? Le peu de textes dont
permet guère d'établir si Zenon ignora effectivement
les deux infinis 6. Mais l'eût-il connue qu'elle ne four
attendu ici. Le stade à parcourir ou la distance à supp
et la Tortue, en effet, sont des longueurs finies par h
donnée desquelles le seul infini dont il puisse s'agir est
Introduire l'infini par composition pour regrette
distingué de l'infinie divisibilité mise en question, c'
blème une donnée supplémentaire, sans rapport a
surplus, Aristote avait déclaré ailleurs qu'elle doit êtr
1. VI, 2, 233 a, 24 : € Διχώς γάρ λέγεται κχί το μ,ήκος χαί
όλως παν τό συνεγίζ. "ήτοι κατά διαιοεσιν η το?; έσνάτοις ».
2. III, 6, 206 b, 16-33, et 7, 207 a, 33 ; 207 b, 21. Par division ou
l'infini « c'est d'abord ce qui ne peut, par nature, être parcouru
lité en soi (III, 4, 204 a, 3-4). Dans le Livre VI, cependant (233 a,
parcourabilité au seul infini par composition : « Sans doute, pour l
tité, il n'est pas possible de les toucher en un temps fini ; mais, p
division, c'est Dossible. »
3, C'est également à cette confusion entre l'infinie divisibilité et l'infinie grandeu
John Stuart Mill réduit l'aporie : Examination of Sir William Hamilton's, philos
3· éd., 533.
4. Phys., VI, 2, 233 a, 25-28.
5. Dans les trois fragments que nous a laissés Simplicius (Phys., 140-34), Zenon demontre l'absurdité (Je l'hypothèse qui affirmerait le multiple, en remarquant que chacune
des choses multiples devrait présenter à la fois, c'est-à-dire contradictoirement, l'indivisibilité et V infinie divisibilité, puis Yinfinité en grandeur et en nombre, et la privation
de toute grandeur. Ces deux concepts de divisibilité infinie et de grandeur infinie, clairement distingués, semblent bien préfigurer chez Zenon les concepts aristotéliciens d'infini par division et d'inünj par composition.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 8?
disait-il: « Selon l'accroissement, il n'y a pas d'infini qui sur
grandeur1», car: « II n'y a pas d'infini] dans le sens de Γ augm
La seule vraie difficulté à résoudre était de déterminer comment le
Coureur franchira l'infinité des points en lesquels est divisible la distanc
qui le sépare, soit d'un but fixe, soit d'un but mobil«, mais plus lent qu
lui. Or, en ce moment de sa réfutation qui nous occupe, on vient de voir
qu'Àristote fournissait bien à cette question une réponse provisoire
ce qui permet de parcourir l'infini par division, c'est le temps, « puisque
le temps lui-même est infini de cette manière 8 ». Mais, outre que s'accorder le temps pour prouver le mouvement, c'est ne donner à lasucee*
sivité d'autre preuve qu'elle-même, et plutôt que démontrer c'est opter
nous allons voir4 que, revenant plus tard sur cette solution, lorsqu'il sera
parvenu au cœur de la difficulté, Aristote lui-même en dénoncera l'échec
la déclarant tout juste propre à retourner aux Sophistes leurs mauva
procédés, et parfaitement insuffisante, « relativement à la chose même
1. Phys., III,
2. Phys., III,
serait réel, lui
3. Phys., YI, 2,
7, 207 a 33.
7, 207 b, 17 ; on sait que l'hypothèse d'un infiai par composition, quî
paraît inacceptable. Cf., Hamelin, Syst. d'Arist., 258.
233 a, 25-28. Examinée en détail, la preuve du mouvement parle
temps, avancée ici, vaudrait, si l'infini dont elle fait état devait être conçu comme virtuel,
jamais réel. Mais bien que cette conception de l'infini résulte déjà, en principe, des analyses du Livre III, elle n'intervient pas ici, et apparaîtra seulement, au dernier moment
de la réfutation, dans le Livre VIII, comme on va voir plus loin. En l'absence provisoire
de cet indispensable moyen terme, l'argumentation reste sans portée. On peut la résumer ainsi : étudiant, méthodiquement, les données mises en question par Zénon et en
vue de préparer sa réfutation de celui-ci, Aristote (VI, 7) distingue soigneusement le
fini et l'infini à propos du temps, de la grandeur et du mouvement. A grandeur finie et
vitesse uniforme, dit-il, doit correspondre un temps fini : « II est bien évident que si la
vitesse reste égale, le mouvement, selon une grandeur finie, doit forcément avoir Heu
en un temps fini .» (237 b, 26-28.) Par là, il s'apprête à mettre en évidence (239 b, 27)
la finitude, l'épuisabiJité du temps que mettra Achille à rattraper la Tortue, * pour peu
qu'on accorde que c'est une ligne finie qui est parcourue », Mais la démonstration daat
il appuie ce théorème préparatoire consiste à invoquer l'exemple d'une partie finie de
la trajectoire totale, sans prendre garde qu'en vertu de l'infinité par division qui, seien
Aristote lui-même, caractérise tout continu, chacune des parties finies enveloppe une
infinité de parties infiniment petites : « Soit, dit-il, une partie qui mesurera la trajectoire
totale ; en autant de temps qu'il y aura des parties, s'achèvera le mouvement selon la
totalité de celle-ci ; par suite, ces parties étant finies, chacune en quantité et teutts selon
le nombre qui les multiplie, le temps sera également fini : il sera égal au produit du temps
d'une partie par le nombre des parties » (VI, 7, 237 b, 27-34.) Mais «le temps d'une partie ■
étant comme cette partie elle-même infiniment petit, tandis que le « nombre qui les
multiplie » est infini, il reste indémontré, sinon, même improbable, que le produit de
cet infiniment petit par ce nombre infini soit fini. La même insuffisance semble réapparaître un peu plus loin, sous une autre iorme : « Prenons une partie de la distance AB,
soit AE, qui mesurera AB. Le mouvement, sur cette partie, se produira en une partie
du temps infini : non pas, en effet, dans un temps infini, c'est impossible, puisque c'est
sur le tout qu'il se produit en un temps infini » (238 a, 7-11.) Mais, en vertu de Γ in fini
par division, et, par conséquent, de Tinhexaustible divisibilité qui caractérise le temps,
une partie du temps infini n'est-elle pas, à son tour, infinie ? Pour mettre un ternie â cet
difficultés, il faudrait nier l'existence réelle de l'infini, argument qui manquii, ici, et
n'interviendra que plus tard.
4. Ci-dessous, p. 91.
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88 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
et à la réalité1». Bref, il laisse ici l'argument sans réponse, et son
demande explication.
Peut-être serait-on tenté de l'imputer à une certaine incompé
en matière de mathématiques, si les quelques indices 2 permett
le conjecturer n'attestaient plutôt une simple précaution oratoi
effet, lorsqu'à propos de l'infini par division, Aristote étudie l'exe
d'une grandeur limitée que ni l'enlèvement de parties régulièr
décroissantes n'épuiserait, ni l'addition successive de ces parties - b
que convergeant vers elle - ne reconstituerait3, il formule, ave
rigueur parfaite, la loi dont nous venons de reconnaître qu'elle est
fois celle des raisonnements de Zénonet celle des progressions géomé
décroissantes illimitées. Les termes mêmes dont il se sert pour dém
Tinépuisabilité d'un tout fini conviendraient merveilleusement à d
trer, en faveur de Zenon, l'imparcourabilité de l'espace fini qui s'o
devant les foulées progressivement décroissantes d'Achille ou d
reur, et il a si bien discerné le raisonnement mathématique utilisé
Zenon qu'il l'utilise, à son tour, dans presque toute l'étendue du Li
de la Physique, pour établir, et contre Zenon, l'essence de tout con
en tant qu'indéfiniment divisible. On sait, en effet, qu'à peu près
l'objet du sixième Livre de la Physique est d'étudier le continu, de
trer que sa division ne s'arrêterait devant aucun insécable, et d'en
clure à la fausseté des arguments que Zenon avait tirés d'une conc
discontinuiste du mouvement : « J'appelle continu, dit-il, ce q
1. Phys., VIII, 8, 263 a, 15. Cf. la note de Carteron, p. 132 du Tome II de
aux Belles-Lettres.
2. Notamment, dans Met. A, 8, 1073 b, 10-17, où Aristote « rapportant ce que disent
les mathématiciens, de manière que notre esprit puisse appréhender un nombre déterminé»,
et « interrogeant les chercheurs » pour le cas où « il se manifesterait quelque différence
entre les opinions des hommes compétents et les nôtres », semble s'en rapporter à plus
autorisé que lui. Carteron commente ainsi ce passage : « Comme il le laisse entendre,
[Ar.] était peu versé dans ces sciences [mathématiques]. Par exemple, la seule formule
qu'il connaisse bien est celle de la proportion directe ; il lui arrive de s'embrouiller dans
les proportions inverses ; il ne réussit pas, malgré des efforts remarquables, à donner une
théorie mathématique du mouvement. » (Carteron, Introduction à son éd. de la Physique,
p. 16.) Dans Arch. f. d. Gesch. d. Phil, XVI, 367-392, G. Milhaud a également signalé
d'Aristote quelques sérieuses méprises. Toutefois, remarque W. D. Ross : « En ce qui
concerne les mathématiques, la plus grande partie des connaissances de son temps lui
étaient familières .» {Aristote, éd. Payot, 1930, p.f 159.)
3. Phys., III, 6, 206 b, 5-12 : « Dans la mesure, dit-il, où le corps apparaît divisé à
l'infini, dans cette mesure, les additions successives apparaissent converger vers le corps
fini. En effet, si sur une partie prise dans une certaine proportion sur une grandeur limitée, on en prend une autre dans la même proportion, n'enlevant pas ainsi, au tout, la
même grandeur, on n'arrivera pas au bout du corps limité. » (Ce n'est que α si l'on augmente
la proportion au point d'enlever successivement toujours la même, qu'on y arrivera,
car tout corps limité est épuisé par une soustraction finie quelconque ».) Ainsi, la somme
des additions successives tend vers le tout fini comme vers une limite, et la soustraction
de parties qui décroissent régulièrement d'une même proportion n'épuise pas le fini en
totalité. Tel est, précisément, selon Zenon, le principe en vertu duquel Achille ou le Coureur n'en finiront jamais avec la distance qu'ils ont à parcourir.
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L. MALVERNE· - aristote et les apories de zénon. 89
divisible en partie» toujours divisibles1 », définition qu'il illustre
tôt en remarquant que le temps mis par un mobile à parcourir u
taine distance permettrait à plus lent que lui de parcourir une di
plus courte, laquelle lui demanderait, à son tour, un temps plus c
en sorte que « le plus rapide divisera le temps, le plus lent, la grand
et, qu'en fin de compte, on se trouvera en présence d'une div
sans terme 3. Même raisonnement qui divise le continu en partie
lièrement décroissantes, sans jamais finir, et qui, parla, réédite c
Zénon, lorsqu'il démontre successivement sa définition du contin
la divisibilité des diverses formes de celui-ci4, par la divisibilité
voir δ, par la non-existence du moment premier du changement
au sujet 6 et quant à la grandeur % ou à propos du changement a
par opposition au changement en train de se faire 8, enfin, par l
divisibilité du temps pendant lequel a lieu tout changement 9.
Ces démonstrations sont diverses manières d'appliquer un se
cédé ; elles n'en sont qu'une seule et n'ont qu'un but, c'est d
l'impossibilité de diviser le continu en indivisibles, c'est-à-dire l'i
bilité d'accorder à Zénon que, pour exister réellement, le mou
doive traverser une infinité d'indivisibles infiniment petits. Tel e
son ensemble, en effet, ce troisième moment de la réfutation de
contenu dans le chapitre IX du Livre VI. Opposant à Zénon la
bilité indéfinie du continu, Aristote lui oppose son propre raisonn
ou, du moins, comme il va rester à le préciser, quelque chose de son
raisonnement. Comme Zénon avait indéfiniment fractionné en fractions
de fractions la continuité de tout déplacement pour montrer le néant
de celui-ci, il invoque l'inachevable fractionnabilité de tout continu en
fractions de fractions, mais pour montrer la réalité du mouvement. Le
1. VI, 2, 232 b, 24-25. Cf. 231 b, 15-17, et surtout 231 a, 24-25, où il précise :« αδύνατον
ες αδιαιρέτων είναι τι συνεπές, οίον γραμμή ν εκ στιγμών. »
2. Phys., VI, 2, 233 a, 8.
3. ΡΛϊ/s., VI, 2, 232 b, 26 : 233 a, 10.
4. Phys., VI, 4, 235 a, 18-25 Un mouvement ayant lieu dans un temps donné, la
moitié de ce mouvement occupera la moitié de ce temps, une plus petite partie de ce
mouvement une plus' petite partie correspondante de ce temps, « et ainsi de suite ».
Réciproquement la division du mouvement entraînera celle correspondante du temps.
5. Car la division indéfiniment poussée du mouvement entraînerait, pour le mouvoir,
une division indéfinie correspondante. (VI, 4, 235 a, 25-28.)
6. VI, 5, 236 a, 27-34. Car s'il y en avait un, le temps qu'aurait duré ce premier mo-
ment du changement serait, en sa qualité de temps, indéfiniment divisible, et le moment
premier devrait résider dans une partie de ce temps qui fût antérieure à toutes les autres,
en sorte que l'on pousserait à l'infini ces divisions sans jamais isoler cette infinitésimale
partie antérieure à toutes les autres.
7. Car s'il y avait un moment premier de l'achèvement d'un moment antérieur à son
terme final, il y en aurait « un autre encore, antérieur à celui-ci, et ainsi de suite, indéfiniment, parce que la division ne s'arrête iamais ». (VI. 5. 236 b. 10-15Λ
8. Car, dans le cas du changement achevé, « si les instants sont en nombre infini, tout
ce qui change aura passé par une infinité de changements accomplis ». (VI, 6, 237 a, 15-1 7).
9. Car, tout temps étant divisible, « dans le temps moitié elle [la chose qui change]
aura accompli un autre changement, et de nouveau un autre dans la moitié de celuici, et ainsi sans fin ». (VI, 237 a, 25-28.)
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90 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
moins qu'on en puisse conclure est évidemment qu'à l'inverse d
pothèse soulevée tout à l'heure, rien des raisonnements de Zenon n
échappé à son réfutateur. Reste donc entière, mais cette fois singu
rement enrichie, la question posée : l'infini par composition un
écarté, comment Aristote prouve -t -il contre Zenon, et en retour
contre Zenon le principe de ses propres raisonnements, qu'un m
parcourt effectivement l'infinité des points en lesquels est divisib
distance parcourue ?
La réponse à cette question ne constitue, avec le quatrième m
de la réfutation de Zenon, son moment suprême, celui en lequel la
des trois précédents trouve son total achèvement, que parce qu'en
temps elle élargit le débat au point de transformer une contro
étroitement limitée au mouvement en une controverse entre deux onto-
logies, celle de Parménide et celle d'Aristote. Déjà nous savons que la
négation zénonienne du mouvement était simplement l'envere de l'ontologie ρ armé ni die nne. En lui substituant une affirmation du mouvement, Aristote ne pouvait donc éviteT, et, en fait, il se proposait explicitement d'engager dans la polémique contre les éléates sa propre conception de l'être et du non-être. A travers l'être ou le non-être du mouvement, sous leur prétexte, à leur occasion, c'est l'être ou le non-être
en soi qui sont en jeu d'un bout à l'autre, et nous pouvions en discerner
l'indice dès les deux premiers livres de la Physique, où, pour définir
la Nature comme principe de mouvement *, nous avons vu Aristote
obligé de commencer par critiquer en la personne des maîtres éléates,
Parménide et Mélissos 2, une philosophie de l'être qui fixât celui-ci dans
l'immobilité de l'Un. De telles prémisses une fois adoptées ne pouvaient
manquer de conduire, puisque l'objet de la Physique est le mouvement
par définition, à fonder contre l'immobilisme éléate l'existence du mou-
vement sur une ontologie nouvelle qui s'opposât à celle des éléates.
Aussi est-ce toute l'ontologie aristotélicienne qui intervient dans le
débat lorsqu'apparait, dans le VIIIe Livre de la Physique, le moment
ultime de la réfutation de Zenon, et, à ce signe., on peut présumer que les
apories zénoniennes ont préoecupé Aristote plus que n'eussent permis
de le croire, au début, (I, 2, 3 ; II, 1, 193 a, 1-9), ses expressions dédai-
gneuses à l'endroit de l'éléatisme.
Gomment le mobile peut-il parcourir l'infinité par dhision ? Gomment
ce concept d'infini par division qui avait servi, chez Zenon, à nier le
mouvement, sert-il chez Aristote à le prouver ? Reprenant la discussion
dans un passage 8 du VIIIe Livre de la Physique, Aristote rappelle la
1. Phys., II, 1, 192 b, 8^6.
2, Phys., I, 2 et 3.
3. Phys., VIII, 8, 263 a, 11-23.
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L. MALVERNE· - aristote et les apories de zénon. 91
première réponse qu'il avait fournie dans le Livre VI, mais, nou
annoncé tout à l'heure, pour déclarer aussitôt que si elle suffis
visoirement à écarter tel Sophiste uniquement soucieux d'em
tout le monde *, « elle ne suffirait plus relativement à la chos
et à la réalité », C'est que, dans l'intervalle, la considération du
Moteur, couronnement de la Physique et véritable introduc
Métaphysique 2, Ta conduit à considérer le concept de mouvem
toute son ampleur, et, par suite, à préciser toutes les conséquenc
particulier, les conséquences ontologiques - de la notion du con
tinu et indéfiniment divisible, on le sait, se définissent l'un pa
Ce qui les caractérise, c'est l'irréalité des points en nombre
jalonneraient la translation si l'on considérait chacun d'eux
la fois un arrêt et un nouveau départ 8. Envisagé dans sa définition
alors ainsi achevée^ le continu n'est plus seulement cet infini par division
dont Zénon avait fait usage et dont nous avons vu Aristote eignaler
l'insuffisance. Il n'apparaît plus comme une division réelle en une infinité de points réels dont chacun posséderait assez d'être pour arrêter,
par exemple, la Flèche. Plus précisément, l'infinité des points en lesquels
il est par essence divisible ne possède d'être que -ce qu 'Aristote en avait
assigné à l'infini, en général, lorsqu'il avait étudié celui-ci, au Livre III, parmi les autres conditions du changement. L'infini, avait-il démontré, ne peut
exister que d'une existence inférieure 4, et c'est à condition de bien préciser le sens du mot être qu'on peut lui supposer de l'être. Son être en
est à peine un, il se distingue à peine du néant, il apparaît comme un
relatif non-être 5, et recourant à son vocabulaire ontologique habituel,
Aristote lui avait concédé seulement l'être en puissance, dont tout l'acte
possible est de demeurer perpétuellement en puissance sans jamais
pouvoir atteindre l'actualisation ß. Ainsi, dès le Livre III, cet infini placé
par Zénon devant tout mobile, tel un obstacle insurmontable, apparaissait-il comme un fantôme de réalité, comme un être méritant à peine
le nom d'être, se distinguant à peine du néant; et avec l'infini, c'est tout
ce qu'il suppose ou manifeste qui avait été ainsi réduit presqu'à rien,
en particulier le changement et ses espèces ■ - dont le mouvement et, en général, toute continuité sensible. Chaque fois qu'Aristote étudie
le continu sous l'un de ses aspects, infini par division, changement,
temps ou mouvement, ses analyses portent non sur quelque chose qui
est, mais sur quelque chose qui peut être, et dont tout l'être consiste,
1. Phys., VIII, 8,263 a, 15.
2. « La connaissance de la vérité sur ce point [c'est-à-dire sur l'éternité du mouvement ^
première preuve de l'existence du Premier Moteur], sera utile, non seulement pour la
science de la nature, mais pour celle dont l'objet est le premier principe. * (VIII, 8, 251 a,
5-7.) Cf. Hamelin : « Le dernier livre de la Φυσική ακρόασις est donc déjà presque une
étude de métaphvsiaue. » (Le Sust. d'Ar.. 2e éd.. d. 316Λ
3. Phys., VIII, 8, 262 a, 17: 262 b, 8.
4. Cf. le rang ontologiaue assigné Dar Platon à l'infini dans le Philèbe.
5. Phys., III, 5.
6. Phys., III, 6, 206 a, 14-25.
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92 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
peut-on dire, à ne pas vraiment être. Ses démonstrations reposent sur
ce principe capital, non rappelé, mais posé une fois pour toutes 1, qu
c'est à peine si leur objet existe, et que sa condition ontologique es
simplement le pouvoir-être. C'est ainsi, qu'en particulier, ni l'infinit
des points en lesquels se divisibilise le parcours, ni ces points eux-même
ne sont quoique ce soit de vraiment réel. En acte, c'est-à-dire du point
de vue où l'on doit se pjacer lorsqu'on parle de la réalité, il n'y a ni division, ni point, ni infinité, et il doit être sous-entendu que lorsqu'on fai
état d'une infinité de points divisant un parcours, on parle de chose
privées de ce qu'il faudrait d'existence réelle pour opposer au mouvemen
un obstacle effectif.
Ce postulat fondamental de la Physique, simple application aux choses
naturelles de la distinction acte -puissance, demeurait dans l'ombre aussi
longtemps qu'il s'agissait seulement, pour Aristote méditant les apories
zénoniennes, d'étudier et de dé finir l'infini par division sans s'interroger sur
son existence et le degré ontologique de celle-ci (c'est pourquoi, enfermé
dans les limites d'une définition technique, Aristote avait utilisé à peu
près tels quels, nous l'avons vu, les procédés de raisonnement employés
par Zenon à l'endroit de la division indéfinie d'un continu). Mais l'infini
par division une fois conçu, restait à décider s'il constitue ou non, devant
le mobile, cet obstacle indéfiniment renaissant qu'avait décrit Zenon,
ou pour s'exprimer dans le langage ontologique, si son infinité existe.
Depuis les conclusions du Livre III, la réponse d'Aristote ne pouvait
être douteuse. Il la livre, cette fois, définitive, à la suite du passage du
Livre VI que nous venons de citer : en lui-même, dit-il, le continu n'est
pas effectivement divisé ; il n'est que divisible, et l'erreur de Zenon est
précisément d'avoir jugé réelle une divisiion simplement possible, c'està-dire d'avoir attribué l'être en acte à ce qui, par nature, ne peut exister
qu'en puissance. C'est seulement en puissance, virtuellement, que le
parcours d'un mobile oppose à celui-ci une infinité d'arrêts, ou que chaque
point de ce parcours menace de se dédoubler en un arrêt et un nouveau
départ. C'est seulement dans l'hypothèse où, par impossible, l'infini serait
réel, qu'il s'avérerait imparcourable, et c'est précisément en voulant
le nombre r que, créant dans le continu des divisions effectives qui n'y
sont point, Zenon - et son mobile, si celui-ci « avait la pensée 3 » - y
rencontrent de l'imparcourabilité.
***
Telle est, sommairement décrite dans son moment ultime, la réfutation qu'Aristote opposait à Zenon, et, de façon générale, aux penseurs,
1. Phys., III, 5, 206 a, 7-8 : « "οτι jjlJv ουκ ενεργείς ουκ εστί σώμα άπειρον, φανερον
εκ τούτων. »
2. Phys., VIII, 8, 263 a, 4 : 263 b, 6.
3. Phys., VIII, 8, 262 b, 6.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 93
sophistes ou mégariques, qui avaient nié la réalité du devenir
d'un immobilisme ou d'un discontinuisme plus ou moins
issus de la philosophie d'Élée *. Etait-elle propre à les convai
moins, à fournir au mouvement, malgré Zénon, un fondement in
Remarquons tout d'abord que distinguant de l'être en ac
puissance pour en caractériser l'infini par division, elle supp
ment, qu'à l'investigation ontologique, ce qui peut être s'off
titre que ce qui est ; supposition parfaitement légitime du p
où Aristote s'était placé lorsqu'il avait entrepris de défin
sens du mot être qu'il avait précédemment distingués, pu
admis de l'être en puissance ou du possible, plus rien n'empê
tribuer à l'infini par division l'espèce de demi-néant qu'ils ca
Mais une philosophie qui nierait toute autre existence que ce
en acte, qui regarderait la puissance ou le possible comm
dépourvus de sens, et s'en tenant à l'être sans imaginer le po
ne nierait le devenir que précisément parce que le devenir im
la puissance ou du possible, une telle philosophie demanderai
démonstration du mouvement fût précédée d'une démon
la puissance. Science de l'être en tant qu'acte, c'est-à-dire
rien n'autorise à distinguer dans l'être [des degrés inférieur
tion, une pareille philosophie objecterait à la thèse d'Aristot
loin d'admettre le mouvement parce qu'il y a du moins-être,
ser le mouvement parce qu'il n'y a pas de moins-être ; ou
que l'existence de ce moins-être, et avec celle-ci, l'existen
vement, restent à établir.
Or, cette philosophie niant le possible, la puissance, et
mouvement, est justement celle qui, née de Parménide, mise
par Zénon, enrichie par les Mégariques et achevée par Diodor
d'Aristote qu'il la réfutât pour prouver le mouvement. O
poème De la Vérité exclut déjà formellement cette idée de
qu'Aristote devait invoquer sous le nom de puissance :
Car il ri y a point ici un plus qui romprait sa continuité
Ni là un moins ; mais tout est plein d'être 2.
Tout est plein d'être, l'être est partout plein ; nulle part en
place pour le pouvoir-être, il n'y a pas d'être qui ne possède
de l'être ; il n'y a ni possible, ni puissance, ce qu'on exprime
gage aristotélique en disant que tout est en acte. Dans le mon
de la σφαίρα de Parménide, où tout est ce qu'il doit être,
où le nécessaire partout souverain ne laisse rien d'irréalisé n
1. Après les éléates et plus ou moins directement à leur suite, il faut c
les négateurs du changement, les mécanistes (Empédocle, Anaxagore, D
mégariques. Mais Platon, lui-même, qui, comme les mégariques, avait rédui
à une série discontinue d'instantanés (Parm., 156-d-e), compta probable
d'Aristote parmi les négateurs du changement.
2. Frag. 8.
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94 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
sequent, de contingent, et dans la perspective duquel s'installent Z
puis les Mégariques pour nier le mouvement, il faudrait donc,
prouver celui-ci, que d'abord fût démontrée l'existence d'un être n
nécessaire, inachevé, en cours de réalisation, imparfaitement p
lui-même. Or, on sait que, nulle part, Aristote n'a fourni cette dé
tration. La distinction entre l'acte et la puissance, qui partout
son système, sert à démontrer, n'est elle-même jamais démont
mais simplement induite d'analogies empipiques, car, remarque
« il ne faut pas chercher à tout définir, mais il faut savoir se con
d'analogies2», et, pour tout dire, le terme de δύναμ,ις apparaît une
métaphore, une solution verbale s. A la thèse d' Aristote, qui prou
le mouvement par du non-être relatif, les adversaires du mouv
n'eussent donc eu aucune peine à répondre que leur propre phijoso
de l'être pleinement acte était en droit de regarder ce non-être re
comme un flatus voeis, et rétablissant l'ordre de données inver
Aristote, de démontrer la non-existence du mouvement par la non
stence du possible ou de la puissance. Tel est bien, au moins, l'un de
de la critique dirigée par les Mégariques contre ces notions, et don
sait combien elle préoccupa Aristote. Si, dit notamment celui-ci, o
la puissance, le debout n'ayant plus la puissance de s'asseoir, ni
de se lever, « l'être debout sera toujours debout et l'être assis touj
assis 4 », c'est-à-dire qu'une fois la puissance écartée, rien ne perm
plus d'expliquer le changement. Un Diodore eût observé, sans pein
ne s'agissait pas d'expliquer le changement après l'avoir admis,
de le démontrer avant d'y croire. Et lorsque, poursuivant son e
Aristote s'accorde purement et simplement la puissance et le possi
ou qu'il déclare absurde de les nier, parce que, «si l'on ne veut pas ad
ces conséquences [à savoir que l'assis ne pourrait se lever ni le d
s'asseoir], il est évident que la puissance et l'acte doivent être des
différentes 6 », son raisonnement équivaut à fonder sur le change
qui reste à démontrer, la puissance, destinée à le démontrer.
avait remarqué ce cercle vicieux 7. Ross 8 a tenté d'écarter le repr
en considérant ici un critérium d'ordre pratique plutôt qu'une défin
Mais c'est bien une définition qu'Aristote entend développer jusqu
conséquences, lorsqu'il en conclut que « supposer l'existence ac
ou passée d'un être qui n'existe pas, mais est possible, n'engendre
1. Voir ci-dessous, dernière note, p. 106 et 107.
2. Met Θ, 6, 1048 b ; cf. Phys., I, 7, 191 a, 7.
3. A propos de l'acte corrélatif de la puissance, Haroelin déclare cette « termi
un peu métaphorique à l'origine. » (Essai sur les éléments principaux de la représen
2· éd., p. 436.)
4. Met. Θ, 3, 1047 a, 15.
5. Met 0, 3, 1047 a, 25.
6, Ibid.
7. Met., S87.
8. II, 45.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 95
impossibilité x ». Une telle formule, si elle n'est pas purement ta
gique, signifie, tout au plus, qu'il est possible de supposer le p
c'est-à-dire qu'elle fait de celui-ci une hypothèse. Mais on aperço
ficilement comment l'hypothèse du changement pourrait être v
par une autre hypothèse, sans que soit commis le cercle déno
Bonitz 2.
Ainsi, la réfutation aristotélicienne de Zénon laisse -t-elle, en r
indémontrée, l'existence du changement. Entre l'immobilisme élé
qui, tantôt avec Parménide, affirme l'immobilité sans se préoccu
la démontrer, tantôt avec Zénon s'ôte le moyen de démontrer
existence du mouvement une fois celui-ci donné, et la thèse mob
d'Aristote, qui, lorsqu'elle ne s'accorde pas le mouvement, le
par ce qu'il appartiendrait au mouvement de prouver, aucun argu
théorique, aucune considération rationnelle ne dicte le choix. Nou
retrouvons encore ici devant l'option que nous avions précéde
rencontrée, une première fois3, en examinant ce problème d'u
de vue extra-historique et abstrait, selon que ses données nous av
paru exclure ou admettre de la successivité; une seconde fois4, lo
moment initial de la controverse, les thèses en présence ne nous
semblé comporter, l'une par rapport à l'autre, ni démonstration,
futation possibles. Comme sur beaucoup d'autres points où s'affr
la philosophie platonico-aristotélicienne du concept et la pen
gique ou ironique de ses adversaires, sophistes et post-socratiq
positions en présence, font, de part et d'autre, l'objet immédiat d'
qui précède et engendre, bien loin qu'il en résulte, toutes les d
trations.
Entre les deux thèses que ce choix oppose ici l'une à l'autre, en définitive, il faudrait qu'une considération fût produite qui fît pencher
la balance dans un sens ou dans l'autre. Entre l'immobilisme éléate,
qui ne cherche ou ne trouve aucune démonstration, et le mobilisme
aristotélicien, qui ne parvient pas à s'évader de son cercle, il faudrait
qu'un argument également accepté par les parties, c'est-à-dire constitué de prémisses réalisant leur accord, les conduisît ensemble à une conclusion tranchant définitivement le débat par la défaite d'une d'elles.
Éventualité improbable, puisque la méthode éléate se meut par essence
1. Met G, 4, 1047 b, 10.
2. Que l'infini placé par Zénon devant le mobile ne puisse exister en acte et n'ait
qu'une ombre de réalité, cet argument proprement technique de la réfutation aristoté-
licienne soulève, on vient de le voir, les difficultés mal surmontables du concept de puis-
sance. Pour en finir ici, ajoutons qu'un éléate, à la vérité isolé et surtout ambitieux
d'intégrer à l'ontologie les richesses de l'ancienne vision ionienne, Melissos, avait conçu
l'être comme infini, et, par suite, l'infini comme la réalité la plus actuelle qui fût. Sous
cette forme infinitiste, sans doute, ni l'ontologie d'Élée, ni la conception zénonienne de
la translation n'eussent eu beaucoup à redouter les arguments d'Aristote contre Tin fini
en acte. En fait, chez Melissos, l'inflnitisme apparaît surtout comme une survivance de
l'esprit ionien, bien éloignée de l'esprit éléate.
3. Ci-dessus, p. 81.
4. Ci-dessus, p. 82.
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96 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
dans l'absolu et récuse l'expérience comme lieu des apparences,
que la méthode aristotélicienne prend toute ses données dans l
rience jugée source de vérité *.
***
Pourtant, avant qu'Aristote s'en mêlât, un débat s'était déjà ouvert
entre la thèse éléatique dédaigneuse du témoignage des sens et celle du
sensualisme antique, où la première était précisément soutenue par
Zenon, et la seconde par Protagoras. C'est la fameuse aporie des grains
de millet. Son intérêt ici est quintuple. En premier lieu, l'exemple des
grains de millet constitue, pour Zenon, l'occasion d'une de ses aporie s les
plus remarquables en ce qu'elle permet d'envisager le problème du mou-
vement à travers celui, voisin, mais plus proprement ontologique, do
l'Un-multiple, et, par là, d'engager le tout de la philosophie éléatique
dans le débat. En second lieu, l'empirisme y est défendu par un philosophe, Protagoras, qui, à la vérité, s'attirera d'Aristote les plus sévères
critiques, mais dont Aristote héritera du moins si pleinement la confiance
accordée aux sens que, sur beaucoup de points, la philosophie aristotélicienne adoptera des conclusions d'esprit tout protagoricien f, en sorte
que le débat peut-être historique entre Zenon et Protagoras préfigure
le débat intemporel qui nous occupe et, par là, contribue à en éclairer la
signification. En troisième lieu, Aristote a consacré à l'aporie des grains
de millet une étude attentive8, parce qu'il y voyait l'occasion de rap-
peler sa propre solution au problème de Γ Un-Multiple, en même temps
1. « L'esprit expérimental est même si développé chez Aristote qu'il faut voir, en lui,
le plus puissant des promoteurs de la science expérimentale chez les anciens », dit Hamelin. (Syst. d' Ar., p. 79.)
2. En de nombreux endroits de son œuvre, Aristote critiquant le dédain des éléates
et des mégariques à l'égard du témoignage des sens, accorde, à celui-ci, une confiance
qui fait songer à celle de Protagoras. Contre la théorie de l'universel repos, il objecte
que « ce n'est pas du tout ce qui apparaît selon la sensation, mais, au contfaire, que beau-
coup d'êtres se meuvent. » (Phys., VIII, 3, 254 a, 25.) Distinguant entre les sensibles
propres et les sensibles communs, soit à peu près entre les sensations et les perceptions,
il dénonce le jugement virtuel, c'est-à-dire le risque d'erreur, qui habite celles-ci, et
conclut que celles-là ne peuvent pas tromper, puisqu'elles se situent en deçà de l'opposition entre le vrai et le faux, et, que par là, elles sont, en quelque sorte, toujours vraies.
(Met., 1051b, 24; 1052 a, 21.) Ainsi la φαντασία, dans le cas des sensibles propres, demeure
infaillible aussi longtemps que demeure la sensation, laquelle apparaît, par excellence,
le critérium de la vérité. (De An., II, 6.) Hamelin précise, avec raison, qu'Aristote eût
vigoureusement repoussé la proposition de Protagoras, qui met dans la sensation la mesure
de l'être, car il n'y a « rien de plus éloigné du sensualisme de Protagoras que le sensua-
lisme d'Aristote. » (Syst. d1 Ar., 403.) Mais s'il importe, en effet, de ne pas pousser le
rapprochement, c'est précisément parce qu'il tend trop à s'imposer ; et, de fait, l'éthique
aristotélicienne a développé des conséquences toutes protagoriciennes, sinon même toutes
héraclitéennes : après Heraclite (t les ânes préfèrent la paille à l'or »), elle déclare que
« ce qui est naturellement propre à chacun est ce qu'il y a de meilleur et de plus agréable
pour chacun ». (Eth. Nie, K, 7, 1178 a.)
3. A la fin du Livre VII. Malgré Eudème, Thémistius et Rose, l'authenticité du Uvre
VII semble pouvoir être définitivement admise, à la suite de Simplicius, Saint-Thomas „
Brandis, Zeller, Hamelin et Carteron.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 97
que de compléter par une exception qui la confirmât sa
proportionnalité directe entre le moteur, le mu, le tem
d'un mouvement donné, et, par suite, il a été amené à inte
Zénon et dans un but analogue à celui de Protagoras, l'expé
invoque, ce qui fait de cette aporie un moment capital de l
de Zénon par Aristote. En quatrième lieu, l'aporie des gr
permet indirectement de jeter sur le débat entre immobili
îisme une lumière tirée du débat entre discontinuisme et c
en sorte qu'à travers la question de savoir si la structure d'
soriel donné s'avère ou non corpusculaire, discrète, nous di
à nouveau, comme par transparence, la question de savoi
dont la série constitue le trajet du mobile sont réels ou
cinquième et dernier lieu, l'esprit a-prioriste de la méthod
confronte avec l'esprit empiriste à propos d'une expérien
valable aux yeux de chacun d'eux, précisément conçue pa
dans le but de parler au second le langage expérimental
en conséquence bien faite pour départager définitiveme
saires, et en conclusion de laquelle - par un paradoxe ina
l'a-priorisme éléatique qui ambitionne de s'en tenir au fa
que l'empirisme aristotélicien tente de justifier par l'ex
préconception théorique.
Dans une note en forme de dialogue entre Protagoras e
laquelle il commente le passage du Livre VII où Aristote étu
des grains de millet, Simplicius nous a laissé un exposé
Zénon se propose de prouver à Protagoras la non-existence
et la fausseté du témoignage des sens; en tombant à terre, re
le contenu d'un boisseau de grains produit du bruit, et
chute de chaque grain isolé n'en produit aucun. Voici do
d'une totalité une, le bruit de la masse des grains, dont
empiriste alléguerait volontiers la structure en réalité m
qu'elle consiste en la sommation de ces parties bien distinct
en droit les bruits propres à chaque grain, et dont pourt
effectivement une, ne peut faire de doute, puisqu'en fait, a
parties prise isolément n'a d'existence réelle. Si le Mult
si nos sens enseignaient la vérité, chaque grain versé nous l
en produisant son bruit propre. Mais l'expérience est là p
qu'il n'en est rien, et, par suite, l'existence du Multiple et l
sensations constituent des hypothèses sans fondement.
Or, l'existence du Multiple et la véracité des sensation
d'Aristote et sous les réserves par lesquelles celui-ci dépa
pective protagoricienne, ne laissaient aucun doute. Un fait
qui parût les nier ne pouvait donc, de son point de vue, qu'
interprété : il exigeait une interprétation nouvelle qui resta
1. Fragm. der Vors,, de Diels, 19 A, 29. Cf. Timon, Fr. 10.
Revue
de
Meta.
-
N<>
1-2,
1953.
7
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98 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
Zenon, en faveur de Protagoras et de l'empirisme aristotélicien
stence du Multiple et la vérité des sensations. Le fait qu'aucun de s
de millet ne produise le moindre bruit, quoique leur masse en produ
si par d'autres voies et pour démontrer une autre hypothèse que cel
Aristote était amené à l'expliquer, ne pouvait donc manquer, selon
d'apporter une seule et même preuve, et à cette autre hypothèse,
celle niée par Zenon, lesquelles, du même coup, se trouveraien
défini et résolu un seul et même problême. Telle est, sans doute, la
pour laquelle, dans le dernier chapitre du Livre VII, Aristote em
l'aporie zénonienne à la fois à compléter sa propre théorie du mouve
par la considération d'un seuil de divisibilité, à écarter l'interpréta
de Zenon, et à nourrir, par l'exemple de la partie dans le tout,
sa propre distinction entre la puissance et l'acte pouvait démontre
faveur du multiple et de la sensation.
Ce n'est pas, en effet, dans le but de prouver ceux-ci qu'il ex
l'aporie et qu'il l'interprète dans un sens défavorable à Zenon
pour achever l'étude consacrée tout au long du Livre VII à la né
d'un Premier Moteur, au rapport entre moteur et mu, à la compar
des changements et aux éléments du mouvement, par une théorie
plète. Mais si là n'est pas son but, du moins est-ce au passage et pa
croît un commencement de résultat, en sorte qu'achevée par cette
sidération, la théorie du mouvement se trouve en même temps cons
une réponse à Zenon en faveur du Multiple ou de la sensation,
une même solution, avoir fait des deux problèmes les deux don
d'un seul.
Procédant par comparaison entre les éléments du mouvement local,
il distingue la force propulsive du moteur, la quantité du mobile, l'espace parcouru, le temps de ce parcours 1, et obtient ainsi, entre les dimen-
sions du mouvement local, une formule de proportionnalité directe 2
aisément extensible à l'altération et à l'accroissement 3, en vertu de
laquelle, selon l'excellent résumé de Carte ron:« Io Les distances parcourues
sont entre elles et les poids déplacés sont entre eux comme les temps
entre eux ou les forces entre elles, et réciproquement ; 2° a. Les distances
parcourues sont en raison inverse des poids déplacés, et réciproquement ;
b. de même les temps à l'égard des forces, et réciproquement4. » Ainsi,
entre l'activité du moteur et la résistance du mû, considérées comme des
quantités, existe-t-il une proportionnalité inverse qui pourrait être
aussitôt érigée en loi s'il était acquis qu'elle ne souffrît exception en
1. Phys., VII, 5, 249 b, 30; 250 a, 1 : Ει δη το [χεν Α το κινούν, το δε Β το
κινούαενον, όσον δε κεκίνηται μήκος το Γ, εν ό'σω δέ ò χρόνος εφ' ου το Δ,. .. ».
2. Phys., VII, 5, 250 a, 1-9.
3. Phys., VII, 5, 250 a, 28 ; 250 b, ad fin.
4. Carteron, note 1, p. 88, du Tome II, de son éd. de la Phys. aux Belles-Lettres, (ΙΛ.
sa « Notion de Force dans le Syst. d' Ar. », 1923, p. 11 et suiv. Cf. également : Ross, Aristote, p. 126, note 1.) La même formule se retrouve dans De Coelo, 1, 7, 275 a, 20, et III,
2, 301 b, 4-13.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 99
aucun cas, c'est-à-dire en l'occurrence s'il n'existait à la d
l'effort moteur aucun seuil en dessous duquel eût chance
une zone d'exception. Est-ce par souci d'être complet ou
célèbre aporie des grains de millet attestait précisément l'ex
tel seuil, d'une telle zone d'exception, qu'ayant énoncé le
théorème de proportionnalité, Aristote signale aussitôt *
culier où, trop faible parce que résultant d'une division it
le moment moteur pourtant non nul n'engendrerait plus
cement ? De toutes façons, c'est pour illustrer ce cas particu
tote introduit la considération d'une force collective dont au
composante ne produit d'effet, par les exemples successifs d
de hâleurs dont aucun ne parviendrait isolément à déplac
« ni de telle quantité, ni en tel temps qu'on voudra2», fût-c
tance égale au quotient de la distance totale par le nombre d
puis d'un boisseau de grains dont aucun « ne déplace cet
boisseau tout entier a mû en tombant a ».
Ainsi, ni la force ni le corps ne sont desgrandeurs indéfiniment divisibles,
puisqu'au-dessous d'un minimum déterminé leur effet moteur tombe à
néant. A la divisibilité d'une force en forces plus petites, d'un corps en
parties, d'une cause de déplacement en causes plus faibles, il existe une
limite précise qui partage force, corps ou cause - et plus généralement
l'existant dans son ensemble : - en deux régions bien distinctes. Dans
la région au delà de cette limite, la force, la partie ou la cause, bien que
non nulles, sont comme nulles, puisque de nul effet : les causes de dépla1. C'est sans transition, et a fortiori, sans la moindre restriction convenant pourtant à
introduire une exception, mais par un simple κ*ί '« Και, et το.. Ε. », qu'après avoir
formulé la proportion directe qui règne entre les éléments du mouvement local (250 a,
1-9), Aristote signale aussitôt le cas excepté où, dans le temps donné, une force moitié
de la force donnée ne déplacerait la masse donnée ni de la moitié de la distance donnée,
ni même d'absolument aucune distance (« il pourra se faire qu'elle ne meuve absolument
rien »), car, alors, « un seul homme mouvrait le bateau si l'on divisait la force des hâleurs
selon leur nombre et selon la distance dont tous l'ont mû ». (250 a, 10-18.) De là, faut-il
conclure qu'Aristote aurait invoqué, ensuite, l'aporie des grains de millet, non pas pour
prouver l'existence d'un seuil de divisibilité et compléter ainsi l'énoncé de sa loi par une
exception la confirmant, mais bien au contraire, parce que, dans le moment même où
il énonçait cette loi, songeant à Paporie zénonienne comme à une exception qui, par
avance, la démentît, il se fût aussitôt réservé un moyen de neutraliser ce démenti possible en intégrant, immédiatement à l'énoncé de sa loi, le cas-limite d'un seuil de divisi-
biblité ?
Contre cette hypothèse, on peut rappeler l'ordre de succession de son exposé, et proposer de traduire le mot και par mais. On peut aussi remarquer qu'avant même d'invoquer, pour exemple d'une force collective dont aucune partie n'agit par elle-même, le
cas des grains de millet, Aristote cite qui lui appartienne, en propre, l'exemple des hâleurs,
exemple dont le contenu et la signification se retrouvent, ensuite, dans celui d'une goutte
d'eau creusant une pierre. (253 a, 14-23.) Mais si les ^nécessités rhétoriques d'un exposé
le mieux fait pour convaincre - et il est vrai qu'Aristote n'est pas rhéteur - suffisaient
à rendre de ces objections un compte assez exact pour que fût retenue l'hypothèse, celleci inviterait à présumer que l'aporie de Zénon eût opposé à la théorie continuiste et mo-
biliste d'Aristote une contradiction mal surmontable.
2. VII, 5, 250 a, 15-20.
3. VII, 5, 250 a, 22.
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100 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
cement ou les parties, une fois réduites à cet état infinitésimal que
crétisent les grains de millet, y perdent ce pouvoir qu'elles avaient
gendrer la trompeuse apparence, celles-ci du multiple, par juxtaposi
celles-là de témoignages sensoriels, par déplacement d'air, et le proc
de réduction à l'infinitésimal appliqué ici est celui-là même qui
déjà permis d'ôter au Coureur ou à la Flèche leur pouvoir de nous im
ser l'apparence du mouvement. Multiple, sensation et mouvemen
ce procédé partout le même, ces trois illusions dénoncées par l'ontol
éléate tombent. Ou plutôt, selon une distinction aristotélicienne que
verrons intervenir, elles tomberaient si cette région de l'extrêmem
divisé s'avérait ontologique ment irréductible à l'autre. Dans la r
en deçà, au contraire, « la force se proportionne au poids, de sorte q
chaque force mouvra chaque corps d'une quantité égale dans un t
égal * » : excédant le minimum nécessaire, la force, la partie d'un to
ou la cause, représentées par des grains de millet ou des hâleurs,
sèdent l'efficace qu'il faut pour nourrir, par juxtaposition ou par dé
cement, la réalité du multiple ou du mouvement, et la vérité de la s
sation.
Bref, un seuil de divisibilité sépare et nous montre ici deux ordres
de faits, dont celui en deçà vérifierait le système d'Aristote en même
temps que le bon sens, et celui au delà le système de Zenon. Concluerat-on, si nous nous trouvons une fois de plus en présence de l'option déjà
rencontrée, que du moins chacun des systèmes en présence aperçoive,
cette fois dessinée dans la pleine lumière des faits, la frontière en deçà
ou au delà de laquelle cette nécessité d'un libre choix invite à prendre
définitivement position ? Pareille conclusion tendrait, sans doute, à
s'imposer, si, de part et d'autre de la ligne de partage, égal et de sens
contraire, ambitieux d'emporter à lui seul toute la décision, le dogmatisme de chaque thèse ne prétendait, par principe, confisquera son seul
profit tous les faits invoqués : celui de Zenon à l'aide de considérations
empruntées à l'ordre infinitésimal, et celui d'Aristote grâce à la distinction entre puissance et acte.
*' *
Le système de Zenon, dans toutes ses parties accessibles à notre con-
naissance, paraît caractérisé par un recours méthodique à la considération de l'infinitésimal. C'est en procédant à la division indéfinie du
parcours que Zenon se propose de démontrer l'impossibilité pour le
mobile de couvrir ce parcours ou de rattraper un mobile plus lent que
lui2. C'est par une répétition indéfinie du rapport de contenu à conte-
nant, c'est-à-dire grâce à une sorte d'intégration qualitative, qu'il nie
1. VII, 5, 250 a, 9.
2. Aristote, Phys., VI, 9, 239 b, 9 et suiv.
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lu MALVERNE. - aristote et les aporïes de zénon. 101
l'espace en alléguant que chaque existant logé en celui-ci
à son tour, à loger dans un second espace, puis celui-ci dans u
et ainsi de suite à l'infini 1. Même recours, pour nier l'exist
tiple, à la notion d'indéfiniment répété ou d'intervalle co
l'infini : les choses multiples devraient tout à la fois n'êt
grandeur (puisque l'unité de chacune serait alors indivisible),
niment grandes (puisque l'existence de chacune lui supp
grandeur indéfiniment divisible en grandeurs à leur tour in
divisibles), et être infinies en nombre, « car il y aura toujou
choses entre elles et de nouveau d'autres choses entre celles-c
la même méthode, on vient de le voir, inspire l'exemple d
millet, et conduit, par celui-ci, à une vision infinitésimale de
du corps et de la cause motrice. Quel est le sens de cette mé
on a remarqué depuis longtemps qu'elle constituait une a
origine du calcul de l'infini ? On sait que le seul but de ses a
de défendre contre le sens commun - et contre les sensa
autorité du sens commun - l'ontologie de Parménide, c'es
conception de l'être qui débarrassât celui-ci de toute apparen
Pour écarter de l'être immobile et absolu tout φαινόμ,ενον, ou, d
s'ouvrir au travers de ce φαινόμενον un accès direct et certai
immobile et absolu, il lui fallait une méthode. Envisagé d
vue, le recours systématique à l'infinitésimal apparaît précisé
cette méthode : il constitue, à l'égard de l'absolu, comme un
touche, un véritable réactif de Γον : divisant indéfiniment
spatial, mobile et sensible que lui opposait le sens commu
proposa de le démontrer illusoire et, par là, de dévoiler, à la
cette division, l'être réel en tant qu'inétendu, immobile e
niveau infinitésimal où ils se réduisent à une poussière d'ins
biles ou de points discontinus, nous avons vu qu'il s'effo
surprendre successivement le mouvement, au moyen des qu
dirigées contre celui-ci, puis la cause motrice et la corporéit
de l'aporie des grains de millet. Réduisant à néant les dét
sensibles telles qu'espace, mouvement ou multiplicité, ce
réduisait à néant l'univers sensible et mobile où se meuvent
et les masses proportionnalisées entre elles par Aristote dan
qui nous occupe. Les faits observables dans cet univers (et la
tion d'un Diogène en présence de Zénon eût constitué l'un d
par avance elle les récusait, leur déniant tout droit à se prése
des faits, et elle ne reconnaissait plus d'existence réelle
dévoilé par une division poussée au delà de tout seuil. Bre
deux univers dont l'un vérifiât la thèse de Zénon et l'autre r
à vérifier celle d'Aristote, celui-là seul subsistait, tandis
1. Aristote, Phus., IV, 3, 210 b, 22. Cf. Simolicius. Phus.. 562.
2. Frag. 1, 2 et 3, dans Simplicius, Phys., 140-34.
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102 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
nié ou déclaré phantasmatique, se trouvait avoir été purement et simplement confisqué 1.
Mais par une espèce de symétrie entre les deux systèmes opposés,
celui d'Aristote ambitionne, lui, de confisquer à son profit l'univers au
niveau duquel la considération de faits infinitésimaux pourrait lui être
objectée. De .ce qu'une petite partie du tas de millet ne produit aucun
bruit ou « ne meut même pas autant que lorsqu'elle est dans le tout 2 »,
il ne résulte pas, selon Aristote, que ce bruit non produit ou cette partie
non efficace aient été démontrés non existant, ou du moins que leur nonexistence doive être affirmée au sens absolu du terme qui est celui adopté
par les éléates. Sans doute, à ce niveau de réalité où 1 'in finite simalisme
de Zenon nous a conduits, leur être cesse -t-il totalement de nous apparaître, et sommes-nous invités par cette disparition à prononcer leur
néant. Mais leur non-apparaître n'est pas du non-être, et puisqu'au -dessus
d'un certain seuil de divisibilité le sensible et le multiple nous apparaissent
effectivement, il faut bien que l'existence réelle, dont alors nous les reconnaissons dotés, leur ait à tous moments appartenu, fût-ce d'une façon
relative et qui nous échappe. Déclarer qu'en deçà d'un degré défini
de division ils acquièrent l'existence, tandis qu'au delà ils en auraient
été privés, équivaut à soutenir que l'être pourrait s'engendrer du néant,
et, contre une pareille hypothèse, ce n'est pas seulement la conception
aristotélicienne de la génération qui s'insurge, c'est l'ontologie d'Aristote
toute entière. On connaît les nombreux passages de son œuvre où sont
1. Ces quelques remarques ne sauraient prétendre à fournir, de la philosophie zénonienne, une explication nouvelle. Peut-être inviteraient-elles, du moins, à reconsidérer
l'hypothèse de Tannery. On sait que, selon Tannery, Zenon, préoccupé de défendre la
thèse parménidienne de l'Un contre celles du multiple, aurait visé, par là, non pas les
cosmologies ioniennes critiquées par son maître, mais la thèse pythagoricienne qui regarde
les choses comme des nombres, ou, plus généralement, comme des unités discrètes, telles
des points. C'est pour démontrer absurde cette discontinuité pythagoricienne qu'il
aurait conçu ses apories, princi paiement celles dirigées contre le mouvement, en démontrant par les exemples du Coureur, d'Achille, de la Flèche et du Stade, que l'hypothèse,
réduisant la grandeur à des points, rendrait le mouvement impossible. Ainsi, aux yeux
de Zenon, l'erreur fondamentale du discontinuisme pythagoricien aurait été d'équivaloir
une négation du mouvement. Certes, une philosophie de l'Un, comme celle de Parménide,
et de Zenon, ne pouvait admettre l'existence d'un nombre infini de points, sans admettre,
a fortiori, celle du multiple, c'est-à-dire sans se contredire. L'hypothèse discontinuiste
semble donc bien avoir fourni matière, chez Zenon, à une réfutation par l'absurde, même
ou surtout s'il faut regarder la méditation éléate comme une dissidence qui se serait
produite au sein de l'école pythagoricienne. Mais comment attribuer à Zenon, négateur
du mouvement par système, un système qui consisterait à reprocher au discontinuisme
pythagoricien d'entraîner V impossibilité du mouvement ? En opposant, au mobile,
l'impossibilité de se mouvoir dans un univers constitué d'une infinité de points, le seul
but qu'il se proposât - et que, d'ailleurs, selon Platon (Parm., 128 c-d) il déclarât se
proposer - était d'apporter à l'immobilisme de son maître une preuve par l'absurde.
Envisagée à la lumière de ce but explicite, l'hypothèse discontinuiste apparaît seulement
comme l'instrument de cette preuve. Loin que la considération du mouvement ait pu
servir à la nier, c'est elle, semble-t-il, qui servit à nier le mouvement. Si donc, par accident,
Zenon l'emprunta aux pythagoriciens, peut-être avait-il considéré en les unités discrètes
et infiniment petites dont elle avait fait consister le multiple, un aspect de celui-ci qui
lui parût le plus propre à nourrir une démonstration fondée sur l'ordre infinitésimal.
2. VII, 250 a, 24-25.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 103
distinguées, entre elles, la génération absolue et la génératio
la première étant déclarée impossible, parce qu'elle va du non-
et la seconde, seule concevable, parce qu'elle va du non ce
c'est-à-dire d'un contraire à l'autre conçus comme extrêm
Le seul être qui puisse surgir, et le seul non -être qui puisse
sont l'être et le non-être d'un objet défini, le second ne cons
la privation du premier, et, pour rappeler une célèbre formul
physique, ce non-être relatif seul concevable est la puissance
être absolu, « négation totale de tous les êtres en général 3 », e
telle, ne saurait permettre que surgisse aucune réalité, il fau
la notion d'un non-être relatif qui permet et même promet
de ce qu'il nie, qui en constitue le germe, et auquel conv
excellence, le terme de puissance. Ainsi, le non-multiple et le
ne sont pas pur non-être : ils doivent être conçus comme du
et du sensible en puissance. La partie dans le tout, et, par
le multiple dans l'un ou le sensible dans le non-sensible, n
purement et simplement du néant, et l'on ne pourrait, avec
noncer leur néant que s'il fallait donner à ce mot l'acception
que Zénon leur refuse. Bien qu'au delà d'une certaine division
privés d'existence, ils existent déjà virtuellement, puisqu'il a
de pousser la division moins loin pour leur permettre de revêt
actuelle. Capables d'être et de manifester leur être, il faut dir
ne sont pas, mais qu'ils ont l'être en puissance. C'est donc par
cation naturelle de ce principe ontologique qu'Aristote, exam
rie des grains de millet qu'il vient de rapporter, conclut que
nement de Zénon n'est pas bon », car « prise en elle-mêm
n'est rien, si ce n'est en puissance, dans le tout 4 ». En soi, ou
mer à la manière d'Aristote, en acte, le tout ne contient pas
et, de ce point de vue, il faut accorder à Zénon qu'il n'y a ni
vérité des sens. Mais en puissance, c'est-à-dire en tant que le
être divisé *, il y a des parties virtuelles, dont l'ensemble
multiple et dont chacune n'a besoin que d'être actualisée
1. Au Livre V de la Physique (1, 225 a, 12-20), la génération absolue est
la génération relative, en tant que la première va du non-être à la substa
la seconde va, par exemple, du non-blanc au blanc, ce qui permet aussitôt d
(20-32) que seule la seconde est compatible avec le mouvement. Cf. égalem
I, 3, en particulier, 317 b : «S'il y avait génération absolue, quelque chose
du non-être absolu », et plus loin, 317 b, 12, où Aristote regarde le non-être
« négation totale de tous les êtres en général » et prononce qu'alors la gé
impossible, puisque l'engendré procéderait du néant.
2. Met N, 2, 1089 a, 27-30.
3. De Gén., I, 3, 317 b-c.
4. « Ουδέ νλρ ουδέν έστιν, àXk η δυνάμει, εν τω ολω. » (Phus.. VII, 5, 250 a, 25).
5. On reconnaît, ici, l'application du principe examiné ci-dessus, d'après Phys.,
VIII, 8, 263 a, 4; 263 b, 6, selon lequel le parcours du mobile n'est pas, effectivement,
divisé à l'infini, mais peut l'être.
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104 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
pour fonder les sensations1. Ainsi, comme la partie est en puissance da
le tout, le multiple est en puissance dans l'un, et le sensible est puissance
dont la sensation est l'acte 2. Loin que la division infinitésimale no
ouvre à l'être réel cet accès qu'espérait Zenon, elle nous en fait sorti
puisqu'il n'y a d'être réel, au sens vrai du terme, qu'en deçà de cett
division. Bref, la région d'être où les faits eussent semblé vérifier la thès
de Zenon n'apparaît plus ici qu'une ombre vaine de la réalité.
*
* *
En ce moment ultime du débat que nous tentons
paraît donc pas qu'une frontière pourtant claireme
faits entre les deux philosophies en présence, et clair
chacune d'elles, ait pu départager celles-ci, ou du moi
à reconnaître entre elles la nécessité d'un choix en réalité libre. Il est
vrai que cette frontière consista en un seuil de divisibilité, et qu'aucune
limite n'est plus imprécisable que celle-là. Mais on a vu que bien loin
de chercher à reculer cette limite le plus possible, chacune de ces philosophies tenta de réduire la région d'être qu'elle leur opposait à du néant,
à du quasi-néant ou à de l'apparence. C'est donc en vain qu'un penseur
ambitieux de trancher leur dispute par une expérience décisive aurai
imaginé, par exemple, le cas d'un boisseau où chaque grain fût allé grossissant régulièrement et le nombre des grains eût diminué de même jusqu'à ce qu'avec la chute de chacun apparût un bruit perceptible, et avec
celui-ci le multiple, enfin rendu sensible. A supposer réalisable une expé
rience de ce genre, elle eût laissé subsister deux zones de faits séparées
par l'apparition d'un bruit propre à chaque grain, et, avec elles, les deux
possibilités inverses : celle pour Zenon de déclarer cette apparition une
simple apparence, puisque de rien il ne peut naître rien de réel ; pui
celle pour Aristote de conclure du même principe que, rien de réel n
pouvant naître de rien, l'apparition d'un bruit réel présupposait nécessairement un bruit auparavant possible. Une fois de plus, on se fût donc
trouvé sommé de choisir entre l'être totalement en] acte, dont l'éléatisme
ôte le mouvement, la sensation et le multiple pour les nier ou les condam
ner comme vains, et l'être partiellement en acte, dont l'aristotélisme
regarde le mouvement, le multiple et le sensible comme un momen
inférieur, qu'il appelle puissance. Une fois de plus, toute la controverse
se réduit ici à consentir ou à rejeter la distinction entre puissance et acte.
Mais, tandis qu'au début de cette étude, l'option nécessaire nous avait
paru inviter à choisir entre l'acceptation ou le refus d'une donnée étroi-
tement, techniquement liée au problème du mouvement local - celle
de la successivité - cette fois elle nous semble mettre le choix entre
1. On sait que la sensation est l'acte commun de la sensibilité et du sensible. Cf. Hame-
lin, Sust. cTAr.. d. 377 et suiv.
2. De An., III, 2.
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 105
l'ontologie des éléates et celle définie par la philosophie aristotélicienn
du concept.
Une remarque^ plutôt que de conclusion x, nous servira d'épilogue. Elle
concerne le rôle des faits dans la controverse philosophique étudiée ici :
On a déjà noté qu'à l'inverse des éléates, selon lesquels l'expérience
sensible est la source de toute erreur, Aristote puisait dans les faits
toute la matière de son système. A leur hautain a-priorisme il opposait
son empirisme méthodique ; à leur ontologie de l'être absolu et un,
son recours à l'expérience relative et multiple. On aurait donc pu
s'attendre ici à ce que l'emploi des faits comme instrument de
démonstration caractérisât le système d'Aristote, tandis que la
méthode éléate les eût délibérément ignorés. Et il est vrai que sous
la forme poétique et incantatoire plutôt que philosophique où Parmenide la conçut et l'exprima, l'ontologie éléate répondait parfaitement
à un pareil a-priorisme. Mais, beaucoup plus philosophe que poëte, et
surtout beaucoup plus apte à la controverse et à la négation qu'à
l'affirmation, Zénon choisit - ou fut obligé par les adversaires de son
maître - d'énoncer le problème en termes d'expérience. Plus précisément il mit en problème et formula dans le langage de l'expérience
ce que son maître n'avait aperçu que comme l'objet d'une sorte de
vision à peine exprimable.
C'est lui qui, rompant avec la méthode de Parménide, prit l'initiative de démontrer l'être un et immobile, et de le démontrer par des
raisonnements fondés sur des faits, tels la course d'Achille ou la chute
des grains de millet. C'est lui qui, peut-être, en particulier, pour réfuter
Protagoras ou l'empirisme de tels autres adversaires, osa puiser dans
cette expérience sensible que son maître avait dénoncée comme le lieu
de là δόξα. Le paradoxe de cette méthode, destinée à founir l'hypothèse
éléate de preuves par l'absurde, est que Zénon semble s'être proposé
de produire à ses adversaires empiristes des faits de nature à détruire
leur confiance dans les faits, des expériences propres à les mettre en
garde contre l'expérience. Par un remarquable retournement des positions
en présence, en opposant l'expérience à elle-même pour prouver par
l'absurde une hypothèse transcendant l'expérience, il confisquait par
avance celle-ci au détriment de toute philosophie empiriste ultérieure
qui entreprendrait de le réfuter, telle la philosophie d'Aristote, l'exposant
du même coup à se contredire par principe.
D'où chez Aristote occupé à polémiquer contre lui, un paradoxe aisé-
ment discernable à l'endroit des définitions que les deux philosophes
se sont données de l'existant. Exprimée en langage aristotélique, nous
avons vu que la définition éléate de l'être, c'est l'acte. L'ontologie d'Élée
1. Nous nous proposons d'étudier plus attentivement dans un ouvrage en préparation,
la controverse qui opposa Aristote - et plus généralement la philosophie platonicoaristotélicienne du concept - aux antilogiques d'inspiration éléatique ou héraclitéenne.
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106 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE,
ne conçoit point d'être qui ne soit pas totalement être, ou préf
déclarer néant. Par là elle applique à l'être la méthode que nos s
appliquent aujourd'hui aux faits 1. Point de milieu, pour les faits,
l'être et le néant. Leur nature est d'exister au suprême degré, ou p
sans aucun degré, et la preuve qu'ils apportent à leur propre existe
est une sorte de preuve ontologique. Croire aux faits, c'est nier
fait puisse n'être ni absolument de l'être, ni absolument du non-êt
c'est adopter, à leur égard, la définition éléate de l'être, en les reg
comme des fragments d'être. Or, le propre de la définition de l'ex
qu'Aristote se donna est précisément de poser, au contraire, un
d'être intermédiaire entre l'être proprement dit et le néant. Cette
losophie du fait, qu'était l'aristotélisme par essence, conçut l'êtr
autrement que l'être pourtant absolu des faits. A l'être réel et, par
séquent, seul digne de ce nom, qui en même temps est celui du fai
ajouta la notion d'un être non réel, simplement virtuel, constituant c
un arrière-fonds ontologique, et d'où l'être réel surgirait par un pro
d'actualisation. Ainsi, l'être seul et totalement réel des éléates
d'occuper l'extension totale de l'existant pour n'en constituer q
partie actualisée, une autre partie consistant désormais à pouvoir ê
C'est ainsi qu'à tous les moments de la réfutation opposée à Zen
Aristote, nous avons constaté que celui-ci introduisait une conc
des faits impliquant un tel mode de se mi -existence, sous le nom
en puissance a : le mobile ne parvient à franchir l'infini que parce
l'infini existe seulement en puissance ; le multiple n'existe, sous fo
1. L'une au moins des directions intellectuelles où l'intuition de Parménide conduisit
ses disciples, semble avoir été le déterminisme. Déjà le poème De la Vérité déclare l'être :
«Maintenu par la puissante Nécessité dans les liens de la limite qui enserre tout son contour » (Frag. 8), et l'on sait que le déterminisme visé par le chapitre IX du τ«ρί έρυ ηνείας
caractérise avec les mégariques, une doctrine issue de l'éléatisme. Démocrite, qui fut
l'un des représentants les plus systématiques du nécessitarisme mécanique chez les
Anciens, semble bien avoir été, sur ce point comme ailleurs, un disciple des éléates (cf.
Aëtius, I, 24, 1 et 25, 3) ; d'ailleurs, ainsi que le remarque profondément Hamelin (Essai
sur les éléments principaux de la représentation, 2e éd., p. 500), « l'unité d'être et le déterminisme sont choses coextensives et mêmes synonymes », et l'on peut noter à quel point
chez Spinoza, surnommé tant de fois le Parménide moderne, l'unité de la substance et
le déterminisme sont corrélatifs. Peut-être n'est-il pas sans signification que Renouvier,
soucieux de répartir les systèmes en deux grandes familles, selon qu'ils furent favorables
ou non à la liberté, ait compté les éléates au nombre des necessitates. (Dilemmes de la
Métaphysique pure, p. 270.) Le déterminisme - ou le nécessitarisme - plus ou moins
doctrinal, qui semble avoir imprégné l'esprit éléatique n'a, sans doute, pas peu contribué
à préparer ce déterminisme méthodologique qu'exige toute intelligibilité du fait, et,
plus généralement, à enseigner le sens du fait.
2. Les concepts de puissance et de possible, chez Aristote, ont servi à démontrer un
très grand nombre de thèses fondamentales : ils permettent, par exemple, de rétorquer
aux antilogiques que l'unité du concept d'homme fond la dualité logique du bipède et
du raisonnable, parce que le genre «bipède » est puissance, tandis que la différence « raisonnable » l'actualise en « homme », (Met. Z, 12.) Ils permettent de résoudre l'antinomie
entre l'être et le connaître, car, si en principe, il n'y a d'être qu'inconnaissable et de connu
qu'inexistant (Met. K, 2, 1060 b, 20), du moins la distinction du genre comme puissance
et de l'espèce comme acte permet-elle d'affirmer la cognoscibilité de substances secondes,
les espèces et les genres, qui sont aussi de l'être, et dans le champ ontologique desquelles
la connaissance peut pénétrer (Cat., V, 2 b, 7-25) ; ils permettent de fonder la théorie
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L. MALVERNE. - aristote et les apories de zénon. 107
de parties dans le tout, que parce que la division du tout, en
possède le pouvoir-être ; la sensation tire son être et sa valeur a
tiques de l'actualisation du sensible. Bref, les faits invoqués par
sophie a-prioriste de Zénon et reconsidérés par la philosophie em
d'Aristote, apparaissent chez Zénon dans la perspective d'un
qui conçoit l'être comme doivent l'être les faits, et chez Aris
celle d'un système qui attribue à l'être un statut ontologique aut
celui des faits.
En présence de ce fait que la chute d'un grain dé millet ne produit
aucun bruit, la philosophie des éléates qui, cependant, récusait l'expérience, s'en tient purement et simplement à cette absence de bruit,
tandis que la philosophie d'Aristote, expérimentale par principe, préfère
supposer un bruit en puissance là où elle n'en constate point de réel.
M. de W ae lhe ns nous semble avoir exprimé avec bonheur la signification de tels paradoxes, lorsqu'il a écrit que l'ambition d'étayer un système philosophique sur des faits attestait une naïveté insondable.
Lucien Malverne.
de la connaissance en distinguant de l'intellect actif un intellect passif, et
la connaissance universelle en acte comme issue d'une connaissance en puis
la sensation. Ils permettent, sous cette autre forme de l'indéterminé qui a
opposition à Γειδος, de fonder la théorie des causes, et, sous cette autre form
l'indéterminé, qui consiste en la contingence des futurs, de regarder l'ave
ouvert à la liberté. (Périhermènéias, chap. IX, etc.) Si les mégariques ont d
ces concepts une critique aussi acerbe que systématique, c'est qu'ils puisaien
ration dans le sentiment - hérité des éléates - d'une plénitude immédiate et
de l'être qui excluât, pour celui-ci, tout degré inférieur de réalisation. On d
peut-être mieux cette signification ontologique de leur attitude en la rapproch
critiques du possible ou du potentiel qui, beaucoup plus tard, ont été inspir
sentiment. - Mise à part, cette différence, en soi capitale, mais en l'occur
geable, entre le bergsonisme et l'éléatisme, que celui-ci est une philosophie
celui-là une philosophie du devenir, il faut remarquer que chez Bergson, c
les éléates, le sens de la plénitude absolue du réel amène à nier le possible. L
marque serait valable à l'égard de Spinoza (« je ne peux assez m'étonner de l'e
subtilité d'esprit de ceux qui ont cherché, non sans grand dommage pour
intermédiaire entre l'Être et le Néant », Pensées métaphysiques, chap. Ill, §
sibilité et la contingence... ne sont rien que les défauts de notre entendeme
et de Sartre (« [le possible] a l'être d'un manque et, comme manque, il man
Le possible n'est pas, le possible se possibilise... », VÊtre et le Néant, 14«
chez lesquels la substance ou l'en-soi excluent tout être ou tout sous-être
et du potentiel. Quelques différents que soient entre eux, par ailleurs, les
ces philosophes, leur accord est, en somme, total, lorsqu'il s'agit de déclarer
sible est simplement, projeté sur le réel, un fantôme de réel que l'esprit ajo
pour tenter de concevoir, de surmonter le mystère de la successivité ou du
que tel événement est possible, que telle réalisation est en puissance, c'est n
sinon qu'ayant d'abord été réels, mieux vaudrait déclarer qu'ils se sont p
mêmes dans le temps à l'état de promesse, plutôt que d'admettre qu'avan
n'étaient absolument pas. Or, la philosophie néo-éléatique de Mégare était p
imprégnée de ce sentiment absolutiste de l'être, et du point de vue qui étai
notions aristotéliciennes de possible et de puissance apparaissaient comme
par lequel l'esprit se fût consolé de constater l'apparence du devenir, sans
intégrer le concept, en qualité de moment, dans une hiérarchie notionnell
cette perspective, en fin de compte, que nous semblent situées, tout à la foi
éléatique ou mégarique du mouvement ou du possible, et la réfutation aris
de cette critique.
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