L. MALVBKNE. - aristotè Et les aïoriës de zénon. 83
une vérité qu'il fallût être « faibles d'esprit » * pouf mettre en doute,
sans prendre le moindre engagement dans un Sens} quelconque. Dans
cette vérité, il ne peut pas avoir moins de foi que n'en ont les gens sains
d'esprit, à l'unanimité.
Seulement les éléates dont il a du rappeler au passage le cas singulier
avaient autant de foi dans la doctrine immobiliste, de sorte qu'entre sa
propre conception et la leur, si le rapport n'est pasencore celui qui oppose
deux raisonnements, à un observateur juché au-dessus du débat il appa-
raît déjà comme celui qui sépare deux actes de foi différents. Pas plus
que la croyance d'Aristote en le mouvement, en effet, celle qu'avaient
les éléates en l'immobilité de l'être seul réel n'était le résultat d'un enchaî-
nement discursif. C'est sous la forme d'un poème sacré, d'une révélation
analogue à celle des mystères f, que Parménide avait prononcé la ri-
goureuse immobilité de l'être, « défendant 8 » comme la transgression
d'un impératif religieux, comme une tentation pécheresse, toute confiance
en l'apparent devenir. Sans doute n'e&t-il guère de doctrine inspirée de
Parménide qui n'ait hérité ce sentiment profond, d'ailleurs très grec4,
de la staticité ontologique, et en lui communiquant une expression
dialectique, Zénon ne s'était proposé rien d'autre que de dessiner, en
négatif, le contour de l'affirmation parméftidienne 5. Au point de l'exposé
d'Aristote qui nous occupe, au surplus, il n'est pas encore questionnes
arguments de Zénon, mais simplement de l'attitude générale des éléates
à l'égard du changement, et encore une fois, s'ils ferment les yeux sur
lui, bien loin que leur cécité soit aveuglement, c'est que la fascination
de l'être immobile en soi leur fait refuser tout crédit aux vaines appa-
rences de la successivité. Entre leur conviction immobiliste et la con-
1. « Το μεν ούν πάντ' ηρεμεΐν και τούτου ζητεΐν λόγον άφέντας την αϊσθησιν,
άρρωστία τίς έστι διανοίας. » (Phys., VIII, 3, 253 a, 32-34.)
2. L'éléatisme chez Parménide, est une véritable ivresse de l'être. Il se présente
comme une initiation, comme une révélation, à la manière des mystères, dont il revêt
la solennité; c'est de la Divinité même qu'après avoir franchi les portes du jour sous
la conduite des filles d'Hélios, l'initié, débarrassé des voiles qui lui cachaient la Vérité,
reçoit l'enseignement suprême. Cf. Diels, Vorsokr., 18 b.
3. « ... Quelle naissance, en effet, lui chercherais-tu ? Par où, de quoi évolué ? Pas non
plus de non-existant : je ne te laisserais ni le dire ni le Denser.... » (Fras. 8. Trad. Dies.)
4. Aristotè lui-même en fournit l'exemple à plusieurs reprises : définissant la science
par l'universel et celui-ci par l'essence éternelle, il a réduit la cause motrice à cette essence
éternelle, et, par là, éliminé ce qu'il y a de mouvement et. de progrès dans les choses con-
naissables. (Cf. Hamelin, Syst. d'Ar., Alcan, 1931, p. 237.) Distinguant, dans l'essence
animale, ce qui varie et ce qui ne varie pas avec l'individu, il prononce que les êtres na-
turels deviennent ce qu'ils sont, bien loin d'être ce qu'ils deviennent, c car le devenir
suit l'être et a l'être pour but, et non vice-versa ». (De gen. an., 778 a, 16 b, 1-6. Cf. Ross,
Aristotè, p. 175.) Sa théorie générale du changement fait, d'ailleurs, de celui-ci, une puis-
sance infirme, condamnée à n'avoir d'autre acte que de ne jamais pouvoir passer à l'acte.
5. C'est ce que précise Socrate s'adressant successivement à Parménide et à zénon
dans le Parménide : c Ainsi toi, dans ton poème, tu affirmes que le Tout est un, et tu en
donnes force belles preuves ; lui, à son tour, affirme la non-existence du multiple, et de
preuves, lui aussi, fournit beau nombre et de belles tailles. Quand le premier affirmant
l'Un, le second niant le multiple, vous parlez chacun de votre côté de façon à sembler ne
rien dire de pareil, bien que disant tout juste la même chose... », etc. (Parmén., 128 a,
7; 128 b, 6.)
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