Albert Camus Caligula Edition présentée, êtablie et annotée par PierreLouis Rey Professeur à la Sorbonne Nouvelle Gallimard Editions Gallimard, 1958, pour Caligula, 993, pour la préface et le dossier. PRÉFACE La carrièe d'écrivain de Camus commence et s'achève par le théâtre. En 1936, ágé de vingt-trois ans, il fonde une troupe d'amateurs, le Théâtre du Travail (plus tard rebaptisé Théare de l'Equipe) et collabore avec trois amis à la composition d'une pièce intitulée Révolte dans les Asturies. En 1959, quelques mois avant de mourir, il adapte pour la scène Les Possédés, de Dostoieuski. Célibrer collectivement une insurrection ouvrière correspondait à l'idéal communiste qui l'anima pendant une brève période de sa jeunesse. A l'époque où il adapte Les Possédés, il dirige seul l'entreprise, croyant au « spectacle tolal, congu, inspiré et dirigé par le même esprit, écrit et mis en scène par le même homme' »; à ses yeur, en effet, adapler une æuvTe au théatre, c'est encore l'écrire. Parce qu'il ne cessa de s'engager en faveur de la scène, voyant dans le théálre « le plus haut des genres littéraires et en tout cas le plus universel " » , s o n æuvre théâtrale mérite pour le moins autant d'attention que sesS romans ou ses essais. D'où vient donc qu'on n'en peut parler sans donner 1. « Pourquoi je fais du théâtre » (1959), in Théâtre, récits, nouvelles, Pléiade, p. 1727. 2. 1bid., p. 1726. 8 Préface l'impression de plaider? Composées par un homme de métier, les pièces de Camus devraient être appréciées d'abord comme des performances théâtrales. C'est particulièrement vrai de Caligula, qu'il écrit à partir de 1938 avec l'intention d'y interpréter le rôle principal, qu'il remanie pendant la guerre, retouche après les premières Tetprésentations de 1945, puis à nouveau en 1957 et 1958, en fonction des nouvelles circonstances de sa représentation. « Piece d'acteur et de metteur en scène », affirme-t-il, avant de s'étonner: «Je cherche en vain la philosophie dans ces quatre actes'. » D'autres ly ont trouvée pour lui. Camus lui-méme leur avait fourni des arguments dans un comple Tendu de La Nausée, de Sartre (1938), il avait affimé, d'une formule qui n'était pas sans risques, qu « un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en on appliquait la même définition tmages . Et si Dans Le au théâtre? il Mythe Sisyphe (1942), précisera heureusement sa pensée en opposant les « grands romanciers », ou «Tomanciers philosophes », aux « écrivains à thèse»: ces derniers transposent dans leur cuvre, telle quelle, une « pensée satisfaite », au contraire des écrivains philosophes qui utilisent de leurs propres personnages et leurs þropres symboles pour approfondir une pensée personnelle, toujours en recherche. Caligula offre un message assez ambigu pour qu'on lui épargne la vilaine étiquette de « piëce à thèse »; mais ne peuton y voir, sans faire offense à la qualité du spectacle, une «pièce philosophique »? « Chez certains déclare écrivains, semble que leurs euvres forment un tout Camus, où chacune s'éclaire par les aulres, et ou toutes se regardent2, » encore Chez lui, il me précisément, au sein du « 9 Préface yce 1. «Préface à l'édition américaine du p. 1729-1730. 2. Actuelles I1, in Essais, Pléiade, p. 743. de l'absurde », moitié de la guerre avant de dure jusque pendant la première révolte », romans, pièces et de s'effacer devant le « cycle la A lire ses Carnets, on a le essais s'éclairent mutuellement. sentiment qu ils forment un tout. Sources historiques de Caligula Marcel Arland avait déjà, dans La Route obscure (1924), fait d'un empereur romain, Heliogabale, un symbole de la révolte contre la condition humaine '. Grâce aux Vies des Douze Césars, de Suétone, Heny de Montherlant se découvre des affinités avec d'autresfigures impériales; il les exprimera en 1927, dans Aux fontaines du désir: « Lorsque, petit garçon, je lisais et relisais les Douze Césars, jy mettais trop de passion pour n'être pas averti que les fils les plus secrets du tempérament me liaient à ces hommes-là. Leurs excentricités, les blâmais, me paraissaient naturelles; il le mme quand je dans des circonstances pareilles. C'est par son professeur de fallait bien : je sentais en moi le terrain d'où elles fussent nées » philosophie Jean Grenier que Camus eut accès à Suétone, en 1932: « Lorsque devant Albert Camus (en r SupérieuTe) je et vantais les Vies des douze Césars de Suétone, je le Jaisais du point de vue romantique et d'annunzien. Le mot de ctlais condamnant coupables et innocents indistinctement: Caligula l l s sont tous coupables! * me ravissait par son audace impassible. Un Nietzsche barbare-voilà quel était pour mo qui Théâtre » (1958), ibid. .Le même personnage inspirera ou à Artaud un roman, Héliogabale L'Anarchiste couronné (1934). 2. Henry de Montherlant, Aurfontaines du désir, Bernard Grasset, 1927, p. 205 et Pléiade, Essais, p. 311. 10 11 Préface Préface empereur (et pas seulement un malade ou un fou'). » À vingt ans, Camus lit un essai de son professeur intitulé Les iles (1933): « L'ébranlement que j'en reçus, l'influence qu'il exerça sur moi, et sur beaucoup de mes amis, je ne peux mieux les comparer qu'au choc provoqué sur toute une génération par Les Nourritures terrestres, » Au chapitre intitulé « Lile de Paques », Jean Grenier raconle qu'iü avait un jour prêté 'ouvrage de Suétone à un boucher souffrant. Les atrocités cet commises par Caligula ravirent le malade : « Voilà des durs, disait le boucher. Ah! que la vie est belle ! Votre lecture m'a fait du bien".» Fils de Germanicus et d'Agrippine, Caius Caligula (12 ap. J.-C.-41) devint empereur de Rome en 37. I1 périt assassiné, victime d'une conjuration. D'après Suétone, son surnom (diminutif de caliga, chaussure de soldat) lui venait du fait t l avait grandi parmi des militaires. Il avait « la taille haute, le teint livide, le corps mal proportionné, le cou et les jambes tout à fait grêles, les yeux enföncés et les tempes creuses, le front large et mal conformé, les cheveux rares, le sommet de la tete chauve, le reste du corps velu L...). Quant à son vnsage, naturellement affreux et repoussant, il s'efforçait de le rendre plus horrible encore, en étudiant devant son miroir tous les jeux de physionomie capables d'inspirer la terreur et l'effroi" », 11 ne pul, des son jeune âge, contenir sa nature « cruelle et vicieuse ». Au début de son règne, pourlant, il « combla les 1. Jean Grenier, Albert Camus. Souvenirs, 1968, p. comprendre « première supérieure préparatoire», nom à la classe de lettres supérieures, ou 2. Préface de Camus à hypokhâgne (1959) Jean Grenier, naire, Gallimard, 1977, p. 9. 3. Les Iles, éd. citée, p. 106-107. et Folio, 1975. obsessions (« actes et partager 'invitait fréquemment et s'adonna à couche ses ») l'embrasser à venir relations e n t r e t e n a n t des la débauche, Drusilla. I sæurs, particulierement avec de leurs sénateurs et, en présence humilier les à lui-même se plaisait 11 se chargeait de bonne condition. aux maris, les femmes raffinements de cruauté, de procéder, avec d'incroyables Il organisait au gré de ses caprices. exécutions qu'il prononçait des c o n c o u r s donnait la vedette, ainsi que des spectacles où il se de la main de Cherea; plus de poésie. Il mourut finalement par-derrière, donnant ainsi ses incestueuses avec l'aurait frappé exactement, celui-ci l'exécution aux aultres conjurés. Alexandre Dumas La destinée de Caligula avait inspiré à son euvre plus vaguement une « tragédie ' ». Camus présente atténuer la laideur comme une « pièce en quatre actes ». Il va y ne le son indication « Il est moins laid qu'on de le signal de l'empereur, faisant implicitement référence, pour l'infléchir, à la tradition rapþortée par Suétone. Quant au Teste, il reprend à l'historien de nombreux détails et épisodes du pense généralement » 1. Caligula, tragédie en cinq actes et en vers, créée à la ComédieFrançaise le 26 décembre 1837 et qui n'eut que vingt représenta tions. La critique et le public furent scandalisés de voir dès le prologue un ivrogne sur la scène du Français. Par une singulière hardiesse, Dumas avait fait de Messaline le principal personnage 59. Il faut donné alors Les les, 4. Nous nous servons de la traduction de Henri Belles Lettres, 1932, Mais il de générosité. romain par à d'étranges v e u x du peuple effréné de puissance, s o n désir u n à bientôt plein, il dans céda brillait lune la où sa Les nuits » L'Imagi- Ailloud, Les féminin de la pièce; il avait en outre rajeuni Cherea (ainsi qu'il s'en expliquait dans une Préface); celui-ci, du reste, ne participait pas à lexécution finale de l'empereur. La pièce fut reprise en 1888 à POdéon dans une mise en scène de Porel, avec une musique de scène composée par Gabriel Fauré (Caligula, op. 52). 2. Cette indication figure dejà dans la version de 1939 qu'elle apparaît sur le manuscrit que nous donnons en annexe. Voir P. 190. telle 13 Préface 12 Préface caractère comme ou « «Je et de la vie de Caligula, et jusque certaines phrases Tue-le lentement pour qu'il se sente mourir » (IV, 4), suis encore vivant! (1, 14), prononcé par » l'empereur avant de mourir; Suétone avait éerit précisément: «Etendu à terre, les membres repliés sur eux-mêmes, il ne cessait de crier qu'il vivait encore. » Deux noms metionnés par Suétone fournissent à Camus des rôles de premier plan : Cherea et Cesonia. Cherea était un « tribun d'une cohorte prétorienne que Caius, sans considération pour son áge avancé, avait coutume de stigmatiser, par toutes sortes d'outrages, comme un homme mou et efféminé ». Un « vieux patricien », dans la pièce, reçoit ces outrages et frappe jinalement à lui lempereur dans le dos, tandis que Cherea s'oppose ainsi le tyrannicide répond-il chez lui à un idéal avec noblesse politique, non à une vengeance personnelle. Quant à Casonia, n'était pas d'une beauté remarquable ni chez Suétone, elle « dans la Jleur de l'üge; de plus, elle avait déjà eu trois filles d'un autre mari, mais elle était perdue de débauche et de vices ». Elle reçoit, dans la pièce, un rôle conforme à ces penchanls. Caligula et le cycle de l'Absurde Caligula apparaît pour la première fois dans les Carn de Camus à la date de « janvier 1937» : grands Mépris des Fuite de Caligula b) c)Mort de Drusilla. le rideau : en apparaît et là. Il est Fin: Caligula mort. Il est là, n'est pas donné, si v o u s était Non, Caligula le pouvoir Si v o u s le chacun de en aimiez la vie, si v o u s cæur, du v o u s aviez que v o u s m o n s t r e o u cet ange III ouvrant vous. verriez portez se en valeurs et déchaîner, cru aux m e u r t d'avoir époque belles et pouvaient ëtre choses les vous. que ce Notre d'être absurdes. Adieu, je si tiennent enfermé depuis rentre cesser dans l'histoire où m e craiceux longtemps qui aimer'. gnent de trop la tragédie de la Camus avait déjà manifesté son intérêt pour roman pour condition humaine dans La Mort heureuse, pour lequel il prend des notes dès 1936, et où l'on relèvera,Camus l'anecdote, que deux chats s'appelaient, comme ceux de lui-même, Cali et Gula". Dans ce premier roman, le héros, Mersaul, tuait Zagreus, nom démarqué de celui que, d'apTès Nietzsche (La Naissance de la tragédie, chap. X), les anciens attribuaient à Dionysos souffrant. Ce meurtre était celui « d'un nietzschéen qui fabrique lui-même sa liberté et son bonheur », écrit Roger Grenier, qui note que dans cette ébauche, « la notion d'absurde n'a pas encore vu le jour. MeTsault veut vivre et être heureux». La prise de conscience que les hommes meurent et ne sont pas heureux, comme exprimera Caligula (1, 4), marque un tournant décisif dans Caligula ou le sens de la mort. 4 Actes I . - a) Son accession. Joie. Discours vertueux (Cf. Suétone) II. - (mai 1935-fëvrier 1942), 1962, p. 43. 1. Camus, Carnets, ISarocchi dans Cahiers Albert b) Miroir par Jean 2.3. Publié Voir a) Ses sæurs et Drusilla 4. Roger Grenier, Albert Camus. Soleil et ombre, 1987, p. 75-76. ibid., p. 132-133. Camus, 1, 1971. 15 Préface Préface 14 par l'euvre de Camus. Quil hésite, pourformuler sa pensée, entre plusieurs formes littéraires, on en a le soupçon en lisant dans les Carnets (juillet 1937) : « Pour le Roman du joueur » ; or,le manuscrit de Caligula portera en sous-titre « Le Joueur ». En avril 1938, il note : « Bxpédier 2 Essais. Caligula. Aucune importance. Pas assez mûr. Publier à Alger », puis, en juin 1938 Juin. Pour l'été : 1) Finir Florence et Alger. deux ans 7) L'Absurde, un peu p l u s loin, toujours en juin 1 9 3 8 : « Caligula: " Ce que vOuS ne comprendrez jamais, c'est que je suis un homme simple", » En décembre 1938 enfin : Pour Caligula: L'anachronisme est ce qu'on peut inventer de plus fâcheux au théâtre. Cest pourquoi Caligula ne prononce pas dans la pièce la seule phrase raisonnable qu'il eût pu prononcer: « Un seul être qui pense et tout est dépeuplé. » Caligula. «J'ai besoin que les êtres se taisent autour de moi. J'ai besoin du silence des êtres et que affreux tumultes activilé le enchainé d'Eschyle), L'Envers de Prométhée et publication morale. d'écrivain avec année de crise débuts ses aussi une c'est la mai. Mais philosophie par de l'endroit en l'agrégation de notamment la présenterà atteintes à l'âge les pTemières subi avait il cette maladie qu'il tuberculose, dont croit condamné par se il d'un poste " dix-sept ans, ». La perspective « métaphiysique comme onsidère l'ennui, de lui donne la peur de Abbès Bel sur d'enseignant à Sidi de ces « 40 heures» « définitif du et » solitude la « de l'année, il d'écrire un essai. A la fin Empechéde se encore ces elle journalistique, intense lesquelles il projette en 1934. Que communiste auquel il avait adhéré le parti quitte trouwe nulle besoin éperdu d'absolu ne faire de sa vie quand le aime le monde avec la force du part de réponse, quand on en fait mieux désespoir et avec une crainte de le perdre qui 3) Impromptu d'été. 4) Essai sur théâtre. 5) Essai sur 40 heures. 6) Récrire Roman. taisent l'ébaucher. » 2) Caligula. se à une marquée 1937 est monte Son année t h é ä a t r a l e (il et politique consacre du coeur. ressortir les beautés ? Entre l'exaltation lyrique, qui aboutira à Noces, et l'ironie cruelle qui inspirera Caligula, la frontiere est ténue, comme celle qui sépare le sentiment du tragique et le jeu. Pendant ces mois de gestation, Camus « parlait constanmment » de Caligula et surtout le « jouait2 ». Sans doute continue-t-il à le « jouer»à l'époque où il compose vraiment sa prece. 1l écrira plus tard dans sa «Préface à lédition américaine du Théâtre » (1958) : « Je destinais cette pièce au peit théâtre que j'avais créé à Alger et mon intention, en oule simplicité, était de créer le rôle de Caligula. Les acteurs uebulants ont de ces ingénuités. Et puis j'avais 25 ans, age ou » 1. Ainsi, alors qu'il avait esquissé le plan et le dénouement de la pièce au début de 1937, Camus continua-t-il pendant près de Témoignage de Max-Pol Fouchet, cité par Herbert R. tman, Albert Camus, 1978, p. 58. Lot 2. Témoignage de Christiane Galindo, cité par A. James Arnold, dans Cahies Albert Camus, 4, 1984, p. 136. 17 Préface Préface 16 lâge attribué bar l'on doute de tout, saufde soi". devient il empereur, et que Camus Suétone à Caligula quand mentionne jusqu'à l'édition de 1944 inclusivement dans la » C'est bien distribution de la piéce. Avec son personnage, ila en commun, non seulement lévidence, l'âge, soif d'absolu. Ce n'est pas, à rôle de composition abportée au physique de un rectification confirmer. Quand « mais la ll est moins laid qu'il se destine; la l'empereur tend à le créera le ôle, Philipe qu'on ne le pense généralement Gérard en » 1945, le deviendra plus franchement encore une litote. Pour A. James Amold3, la pièce a profité de l'abandon de La Mort heureuse autant que de la composition de L'Etranger. La Mort heureuse et Caligula commencent par une mort: meurtre de Zagreus par Mersault pour la premiere cuUTe, mort de Drusilla, sæur et maîtresse de Caligula, pour la seconde. (On se rappelle que dans le premier plan de la pièce, qui suivait le réit de Suétone, la mort de Drusilla devait n'intervenir qu'au fil de l'intrigue. Ce déplacement est donc capital pour l'action et le sens de l'æuvre.) La deurième phase est dans les deux cas celle de la vie effrénée (lejeu). La troisième et denière est une nouvelle mort: celle de Mersault, qui s'éteint heureux, victime de la tuberculose; celle de Caligula, qui tombe sous les coups des conjurés. Tandis que La Mort heureuse, parsemée de traits racontait la vie d'un modeste Français autobiographiques, d'Algérie, Caligula met en scène un homme investi du suprême pouvoir terrestre. Aucun des deux ne peut atteindre mais parce que l'absolu, Caligula a l'illusion de pouwoir l'approcher, l'infranchissable marge qui l'en sépare sera un cruel révélateur de l'absurdité de la condition humaine dans son ensemble. 1. Théâtre, récits, 2. Cahiers Albert nouvelles, Pléiade, Camus, 4, p. 1729. p. 141 et suiv. L ' é l a b o r a t i o n de C a l i g u l a , du inséparable 1941, est également Sisyphe, Mythe de Camus Carnets, «Teminé deux yeux, évidemment absurdes en en en et du achevés. le ses 1941 : et L'Etranger. l'homme ou dire que «Ce monde eux-memes: dile de 1942. Dans en sont Absurdes peut pas ne version 2l Jévrier du date la L'Etranger l'autre Caligula sont dans de de celles l'un et la note à Les trois Sisyphe. autres on publiés moins » Les A ses monde soient lui-meme n'est pas est dire. Mais ce qui ce désir irrationnel et de peut c'est tout ce qu'on cet confrontation de la cest absurde, résonne clarté dont l'appel de éperdu Les réponses à raisonnable, au de plus profond l'absurde énumérées dans divers illustrées à des degrés dans le Mythe la débauche de » (dont le goût de donjuanisme « a pièce: caricature), « révolte grãce une désespérante lempereur otfre ; à des manifestations dérisoires) l'art » (réduite elle aussi (Sisyphe). 'homme se retrouvent la mais c'est plus « SeJondant lhomme' ». encore le « qu'incarne Caligula, neant pour humain qui est un pur à les dieux, non temter de s'ëgaler nihilisme sur un au-delà U faut répudier en » la liberté à laquelle nous sommes eux, pour éprouver pleinement heuTeux condamnés. Tandis que Sisyplhe est abnégation et lucidité son rocher (du de rouler avec moins Camus postule-t-il du apparaître comme celle la lune, déserte la qui peut Ce bonheur avec une énergie disespoir), Caligula, en prétendant conquérir condition kumaine. Le dénouement de la pièce permettra 0utre de méditer sur la phrase initiale du Mythe en de «ll ny a qu'un problème philosophique vrament viure « envie de sereux: c'est le suicide. » Ayant affirmé une la que sur et d'etre heureux » (1II, 6) qui ne peut reposer belles que d'autres, cOnviction que certaines actions sont plus Sisyphe: Nicolas, Albert Camus », 1973, «Philosophes de tous les temps . André ou (1966), le vrai Prométhée p. 60. 19 Préface 18 Préface Cherea annonce tranquillement à son empereur, pour qui toutes les actions sont « équivalentes », qu'il doit disparaître, Prévenir Caligula de l'exécution qui l'attend, c'est changer d'avance cette exécution en une manière de suicide. En tuant de ses propres mains Casonia, complice quil accuse d'un goût bour la débauche qui ne fait que refléter le sien, Caligula accomplit le premier pas vers le meurtre expiatoire auquel il consentira finalement. Les parenlés de Caligula avec L'Etranger apparaissent d'emblée puisque l'action des deux cuvres est déclenchée par la mort d'un être cher: Drusilla pour Caugula, la mere pou Meursault. Caligula et Meursault réagissent tous deux au deuil qui les frappe d'une manière inexplicable pour leur entourage : le premier s'éclipse durant troisjours, le second fait montre d'une totale indifférence. Leur décalage par rapport au monde les conduit, le premier à multiplier les occasions de débauche, le second à chercher les plaisirs de la chair grâce à Maria. Tous deux se laissent ensuite une seule femme, entraîner au crime, Caligula délibérément, Meursault machinalement. En dépit du caractère différent des deux personnages, tout se passe comme s'ils avaient été l'un et l'autre moralement désorientés du moment qu'a été coupé le lien qui les rattachait à la femme qui, sans qu ils en eussent conscience, gouvernait leur vie. Comme Meursault, Caligula est confronté à la comédie jouée par la société. Mais, victime des pantins qui disposent de son sort, Meursault trouve en fin de compte le bonheur dans sa prison en s'ouvrant, devant une « nuit chargée de signes et d'étoiles », à la tendresse du monde; Caligula, après avoir poussé jusqu'au vertige l'exercice de son pouvoir et manié à sa guise les pantins qui le servaient, doit s'avouer, avant de mourir, que « (sa) liberté n'est pas la bonne » ; ne contemplant plus que sa propre image dans son miroir, il s'éteint dans une nuit « lourde comme la douleur humaine ». avance Camus 1938 à de décembre période de longue pièce Si une « de s a Grenier : Après composition Jean à dans la éerit rapidement mois, il exemple les 19 de ce du théatre (par 1939. Le parler juillet j'aimerais Mais en ce maturation, moment j'avais du temps, Shakespeare). chez fois que C'est la première Caligula. thèmes : des sur très différente termine m a pièce technique c'est une je toujours la même, le théâtre et pour jécris une idée simple, plutôt élémentaires, des idées simples-ou des c o n t r a s t e s frappent, c'est possible des situations qui e n t r a î n a n t s et quand mais halètement une sorte de artifices assez grossiers le récit, dans avait déjà des breves et des longues Christiane Galindo, qui »A l'action'. perpétuel de de La Mort heureuse, en 1938 le premier dactylographié va recopier le en lui annonçant qu'il 27 le juillet, il écrit, ne peux le lui envyer: «Je manuscrit de sa piece pour Il est capital que ce soit une détacher mon esprit de Caligula. il s u r l'Absurde, Avec mon roman et mon essai feuilletonesques jet réussite. maintenant je n'ai pas peur Stade négatif et difficile à réussir mais constitue le premier stade de d'appeler mon euvre. ce que qui décidera de tout le reste2, » A. James Amold croit que Jean Paulhan se trompe quand il dit avoir été « épaté » en mars 1939 par le texte de la pièce : sans doute ne le lut-il que quelques mois plus tard. Au moins est-il sür qu aprës avor achevé Caligula, Camus en soumet le manuscrit à de nombreux proches. Les avis mitigés qu'il reçoit contribuent à Tengager dans les modifications qui aboutiront à la version de 4 . D'autres raisons, d'ordre politique ou spécifiquement theatrales, entraîneront de nouveaux version dite définitive de 1958. Correspondance P. 35. Albert Camus-Jean 2. Lettre citée en note, ibid., p. 53. changements jusqu'à Grenier (1932-1960), la 1981, 21 20 Préface Préface pas n'est-ce freudienne), obsession Caligula de Le sont mss 1939 à 1958 une quelque peu faux? l mièvre et ce soit différent. premier manuscrit de Caligula date donc de 1939. 11 porte en titre Caligula ou le Joueur' et afiche le plan suivant: Sur le du même souTce? Le manuscrit de 1939 semble avoir eu pour premiers lecteurs Robert Namia (à qui Camus destinait le rôle de Scipion) et Pascal Pia, puis Malraur et Jean Grenier. Ce n'est que le 19 avril 1941 Jean Grenier ésrit à son ancien élève : que Jy ai trouvé beaucoup de mouvement et de vie, plus à la fin qu'au début. Je crois que cela peut être excellent au théâtre, sans pouvoir bien le dire. Le Caligula romantique à la Jules Laforgue du le l acte ne me plaît pas- désespoir d'amourcrépuscule- les seins des femmes (qui dans vos deux 1. Sur les manuscrits successifs, voir notre note sur le texte, p. 17/, tirades. de belles est Votre Caligula a Caligula-Hamlet. sur une qualité plutôt qu'un mouvement comme il y en a dans votre pièce. Caligula dans la À entoure sa taille et prend s'assied près de Cesonia, sur le conseil de Jean main un de ses seins »; probablement troisième notation. Caligula Grenier, Camus supprime la Grenier lui-même Tomantique ? On pourrait objecter que Jean vue romantiavait enseigné Suétone à Camus « d'un point de alors une que » mais sans doute l'expression désignait-elle lacte L'acte III devient l'acte IV au début de 1941 quand Camus se lit compose un nouvel acte, « Divinité de Caligula », où l'écho le plus direct de la pensée du Mythe de Sisyphe. Sur ce Les manuscrit ne figure pas encore Hélicon, celui que, dans Apötres, Emest Renan appelle le « railleur de prédilection» de Caligula. Renan utilise ici le De legatione ad Caium, de Philon d'Alexandrie. Faut-il supposer que Camus a puisé à la il y peut qu'au si c e le n e sais pas contradictoire, je a défaut quand il y complexe, peut-être Aussi n'est pas Acte I: Désespoir de Caligula. Acte II Jeu de Caligula. Acte III: Mort de Caligula. Caligula-monstre se théâtre 1, scène 7 de la première version, « exaltation de la force et de la passion plutôt qu'une complaisance à la rêverie. Jean Grenier a bientot l'occasion de réitérer ses réticences: Malraux, assure-t-il, pense comme lui « sur les cotés faibles (romantiques) » de la pièce. Camus se laisse ici encore persuader et réduit les dialogues où Caligula épanche auprès de Cesonia une insolite tendresseS. Le « CaligulaHamlet », qu'admire Jean Grenier, persistera jusque dans les dernières versions. On le reconnaîtrait, par exemple, à sajaçon d'exécuter ses courtisans de la même manière que le héros de exécutait Shakespeare Polonius, dont le seul tort avait peut-etre ete de prëteT aux nuages toutes les formes que lui suggérait son Seigneur; plus généralement, c'est le même vertige devant . Voir devinait L'Etranger : «Jai effleuré seins durs » (I, 4).. 2. Correspondance Albert 3. Voir Annexes, p. 198. ses seins ses Camus-Jean-Grenier, p. 51. » (1, 2), « On 22 Priface l'absolu qui fait perdre deux héros leuTs repères moraux. conseils amicaux, le train du monde aux Plus que de simples influencer le destin de la Camus a quitté l'Algérie pièce à va partir de 1941. D'abord, 1940, et cet éloignement a pu l'aider à prendre du recul par rapport à une philosophie qui, dans Noces, Sisyphe et L'Etranger, se présentait surtout comme méditerranéenne. Ensuite, la guerre et l'occupation à mettre sa l'obligent pensée en situation. Dans ses Carnets, il note au 15 mars 1941, trois semaines après avoir achevé Sisyphe «L'Absurde : Hitler).» « en le Pouvoir à creuser (cf. tremble », disait le premier séna- et La famille - teur (acte II, scène 2) ; Camus ajoute à sa formule: « Le respect du travail se perd, la patrie tout entière est livrée au blasphème », allusion transparente à la devise du régime de Vichy (Travail, Famille, Patrie). Il est vrai qu'en la mettant dans la bouche d'un ennemi du tyran, Camus contribue àà l'ambiguité politique de la piÁce, voire à son aspect subversif: dans le conservatisme frileux et la veulerie des dignitaires de P'Empire, assurément moins sympathiques que le brave Polonius, le spectaleur ne isque-t-il pas de trouver une justification excès de Caligula ? Ce yran, à tout prendre, hait pardessus tout le fumier d'où naissent les byrans. Camus exprimera meme comment, en consentant à mourir, son héros atteint à « une sorte de grandeur que la plupart des autres tyrans n'ont aux jamais connue" ». Apartir de 1943 toutefois, l'essentiel « le sens les remaniements estompent pour même de la tragédie du premier Caligula 1. Carnets, I (mai 1935-février 1942), p. 225. 2. Les « sénateurs » seront ensuite appelés « plupart des états du texte. 3.«Le programme pour le nouveau théâtre Técits, nouvelles, Pléiade, p. 1750. 23 Préface au profit de l'éthique La figure de Cherea patriciens » (1958), in dans la 7Théâtre, s'étoffe au contre le totalitarisme». de point d'équilibrer celle de Rieux et de Tarrou dans La Peste celles l'empereur, comme du totalitarisme) qui s'est au Jléau (symbole s'opposeront « cycle de l'abPlus généralement, au abattu sur la ville. commence à succéder dont Sisyphe affrait la théorie, surde », le « cycle de la révolte » qui trouvera son aboutissement en ébauche de cet Camus donne dès 1943 essai se lit dans l'analyse critique que du nihilisme, « théorie de du nietzschéisme, forme la plus aiguë condamnée à s'inscrire « la volonté de puissance individuelle », totale » que le nationaldans une volonté de puissance à socialisme a mise en euvre. Aux retouches abportées u n à Lettres les Caligula à partir de 1943 vont faire écho Camus ami allemand (juillet 1943-juillet 1944), dont ne déteste que les : résumera le sens d'une 1951 avec L'Homme révolté. La formule première «Je bourreaux°. » le 11 octobre 1943, qu'il va donner Caligula et Le Malentendu à Gallimard, il avoue sa : « Je suppose que prëjërence pour la seconde des deux piècesécrite en 38 et d'une c'est la différence d'une pièce conçue et Annonçant à faite cinq autre Jean Grenier, ans après. Mais j'ai beaucoup resserré mon lexte autour d'un thème principal. De plus les deux iechniques sont absolument opposées et cela équilibrera le volumet. » A cette lettre, il ajoute en note : «Je mettrai sa date à Caligula, mais c'est surtout pour éviter les rapprochements avec l'actualité. » Le sens de sa pièce a changé. Tandis qu'avant la guerre, 2. 170. James Arnold, Cahiers Albert Camus, 4, p. Révolte métaphy« La Voir le chapitre II de L'Homme révolté, 1. A. » de la révolte sique. Les Fils de Cain ». 219. 3. Préface à l'édition italienne», in Essais, Pléiade, p. 107. Albert Camus-Jean Grenier, p. 4. Correspondance 24 le Préface Caligula pouvait s'interpréter du sang de comme la perversion d'une légitime aspiration à l'absolu, désormais doit Tessortir 1'horreur de l'absolutisme. Encore ne faut-il pas lier celui-ci à un régime politique particulier, aussi monstrueux soit-il. La date de 1938 figurant dans l'édition de la originale pièce excusera peul-être, aux yeux du lecteur, les imperfections d'une æuvre de jeunesse; elle permeltra surtout d'élargir la portée de la tragédie. « Décor: lln'a pas d'importance. Tout est permis, sauf le genre romain », indique Camus en tête de la distribution jusqu'à l'édition de 1944. Une actualisation du décor trahirait pareillement les intentions de l'auteur : Caligula n'est pas plus un dictateur moderne qu'un empereur qui annonce la décadence de Rome. Caligula est donc édité avec Le Malentendu, chez goût Gallimard, en mai 1944; puis seul, la même année, dans un presque identique. L'édition de 1947 comportera davantage de modifications. Y apparaissent la scène 4 de l'acte II1, texte où le vieux patricien prévient Caligula du contre lui (en refusant de l'entendre, complot qui se de Paris. A la différence du Caligula de l'histoire, celui de Camus a une áme; si son apparence physique fut d'emblée modifiée, c'est la porter sur son visage. Le voici devait parce qu'il pourtant qui évoque, àforce de retouches, des tyrans plus noirs encore que les Césars » justification, de crimes contre pour la une ombre s e n s de la pièce le moteur, jetterait s u r le voilà qui humanité, exclusivement à la lumière éclairait s o n héros on troublante si à d'autres figures de sinon vaut Mieux de l'actualité. théâtre. On Ihistoire du grce le faire alors Caligula en verra un Hamlet d'action et à muées en intempérance se seraient velléités les ou un dont de multiplier les caprices permettrait d'innoqui sa puissance en ui toule nostalgie qui, ayant étoujjë ou limites le dégoût de soi-même; cence, pousserait jusqu'aux ayant résolu de bafouer pauvres, un Dom Juan qui, Lorenzacio encore femmes et honnêtes gens, ne se soucierait mëme pas de parer Au le jeu ynique où il se complaît. d'un semblant d'élégance des représentations de Caligula qu'elles mieux, on attendra craindra du personnage; au pire, on explorent les virtualités au tentation incertaine de l'empereur ne donne la que la figure vérité ailleurs que sur scène, à la spectateur de chercher sa de Camus. lumière de l'évolution de la pensée philosophique trame lempereur consent de manière moins ambiguë encore au « suicide » final) et les scènes 1 et 2 de l'acte IV, où se précise la fascination de Scipion pour Caligula. Camus retouche à nouveau la pièce en 1957, pour le Festival d'Angers, et en 1958 pour le Nouveau Théâtre de Suétone, en tout cas mieux armés- les spectateurs savaient, en 1945, de quels moyens disposent les dictateurs du xx siècle pour punir leur prochain des péchés dont ils ont décidé de l'accuser. Que l'aspiration à l'absolu, par définition déçue chez l'homme « absurde », puisse passer pour « 25 Préface Représenter Caligula manqué d'associer Sartre et Camus. Ainsi, pour Geneviève Serreau, « moralistes avant d'etre dramaturges », l'un et l'autre auraient vesé « avec Les historiens du théâtre n'ont pas dans les vieilles outres du théâtre Mieux vaut, à tout prendre, reprocher a insouciance leur vin traditionnel ». nouveau chacun des deux d'avoir mis en scène sa propre philosophie que de prétendre, comme le fit Henri Troyat dans La Nef (novembre 1945), que toute la pièce de M. Camus (Cali« gula) 1. G. de n'est qu 'une illustration des principes existentialistes Serreau, 1981, p. 26. Histoire du « nouveau théâtre » (1966), coll. « Idées », 26 M. 27 Préface Sartre Troyat, il est vrai, n'avait pas encore l'interview donnée par Camus aux Nouvelles littéraires lu novembre 1945), où il affirmait: « Non, je ne suis (15 pas existentialiste, » Sa brouille avec Sartre, au début des années cinquante, aura le pauvre mérite de convaincre les derniers ». sceptiques. Dans sa réponse à Henri Troyat, Camus avoue qu'il ne se Jait « pas trop d'illusion sur ce que vaut Caligula ». On ne saurait, sans légèreté, le taxer d' « insouciance » dans l'exercice de son métier de dramaturge. Mais les retouches qu'il apporte sans cesse à sa pièce obéissent à l'évolution de sa pensée, aux contingences des nouvelles représentations, non à l'ambition contribuer à un « nouveau théâtre ». Sl pouvait être réduit de à«une idée simple », le sujet de Caligula ne se prêtait pas pour aulant idéalement aux changements de rythme, au perpétuel halètement de l'action » auxquels Camus rêvait dès 1939. L 'emtpereur apparaissant d'emblée et à l'évidence capable de mener jusqu'à l'extrême cruauté un pouvoir sans limites, l'accumulation de ses crimes ne nourrit pas une véritable action dramatique. Méme les conjurés qui l'abattent ne sont pas Tessentis comme des adversaires : ils exécutent en effet une mise à mort que Caligula attend, du moment qu'il a condamné une humanité à laguelle il appartient. Quant aux manifestations ludiques (adoration de lempereur en Vénus, concours de poésie...), elles font figure d'épisodes, voire d'intermèdes, qui illustrent plutôt qu 'ils ne révèlent le caractère du héros. Va-t-on arguer que le drame est, dans Caligula, efacé par la dimension tragique? Mais, alors que la dérision qui s'exerce aux dépens des manifestations religieuses confime que le ciel 1. Voir la réponse de Camus dans Théâtre, récits, nouvelles, Pléiade, p. 1745-1746. 2. Voir Essais, p. 1424-1427. Préface s'est vidé de ses sur pour peser celui de la discours et dieux, le aucune autre force destin héro5. Le ceux son vient les remplacer étant il est condamné ses traduisent au mieux auquel condition humaine, que de ne n'est entourage, Caligula pas Pro- de seigneur à Dom Juan. Le grand Nous l'avons apparenté vis-à-vis de ses en efet, Molière apparaît de la comédie aussi omnipotent qu'un son créancier, méthée. de la sûr que les épisodes de et il n'est pas romain, empereur s'enchainent avec une logique plus rigoucomédie de Molière le héros de Molière de Caligula. Du moins reuse que ceux en ayant stupideadmet-il un contradicteur, Sganarelle, qui, brillantes démonstrations de son maître, ment raison contre les la distribution de la pièce. uilibre grâce à sa force comique Cherea, qui a trop Face à Caligula ne se dresse guère que raison pour que ses arguments logiquement et moralement Dom Juan se moque ou acquièrent une valeur dramatique. conquêtes d'un jour ou s'imite des remontrances de son valet; Caligula entend à peine tracé jusqu 'au son chemin étant d'avance l'effet de maximes livrées au spectateur celles de Cherea : suicide, celles-ci font d'un héros qui, quoi qu u pour mieux éclairer la monstruosilé le advienne, agit en solitaire. En outre, si Dom Juan défie à Ciel, c'est le signe qu'ily croit. Caligula, lui, ayant renoncé comédie la lune, ne s'adresse qu'au néant. Aussi, tandis que la de Molière se dénoue par l'intervention d'une statue fantasti- dramatiquement plausible puisque le héros l'attenson dait, Caligula s'achève sur le face-à-face du héros avec balcon que, mais du miroir, accessoire peu déchiffrable pour le spectateur de la et que plusieurs metteurs en scène ont préféré supprimner à TepTésentation. Un chef-d'euvre du répertoire obligerait-il sa et förce choisir entre la claire expression de son sens Camus au vide, scénique ? Peut-être, en plaçant Caligula face s'est-il donné une mission théâtrale impossible. D'autres indications scéniques de l'auteur passent malaisé ment la rampe. Le meurtre de Mereia (acte Il, scène 10) illustre, au-delà de sa cruaulé, la brutalité de Caligula. Après une « lutte de quelques instants », l'empereur « lui enfonce la iole entre les dents et la brise à coups de poing ». Ce détail ne peut valoir que pour urn lecteur. On doute, même, que le meurtre de Casonia, étranglée sous nos yeux, et le râle qui s'ensuit offrent une situation aisée pour un metteur en scène. Le «theâtre de la cruauté», tel que le révait Artaud, a pour de des qui ne pas « » la simple représentation d'une cruauté donnée pour dès réelle; que, la distanciation se réduisant, le spectateur est vocation de susciter émotions viennent invité à croire à la réalité du spectacle, le dramaturge se soustrait difficilement aux bienséances du théâtre classique. Aussi l'invisible meurtre de Camille par Horace inspiret-il plus d'horreur que cette strangulation de Cesonia que le metteur en scène s'expose à rendre soit laborieuse, soit anodine. Si, en dépit de ces embarras, les mises en scène qui se sont succédé depuis la création de la pièce plaident en sa faveur, elles le doivent d'abord aux virtualités d'interprétation de la figure de l'empereur. Malgré son talent et son physique de légenae, Gérard Philipe n'a pas « écrasé » le rôle. Mais peut-être son allure angélique' laissait-elle justement le chemin libre à des interprètes plus évidemment torturés ? On peine plus encore à identifier ce monstre à celui qui en fut le premier interprète virtuel: Albert Camus lui-même. Jean Grenier témoigne pourtant que tout en cherchant plutôt, à partir de 1947, des «valeurs moyennes », Camus a gardé jusqu'au bout « sa "fixation au meurtre (comme il disait) et cette violence 1. Voir historique de la mise en scène, 29 Préface Préface 28 p. 182. intérieure qui animait son avec Caligula vraisemblance " ». par Jeune homme épris l'auteur lui-même ou (les deux hommes d'absolu (incarné sanguinaire Philipe) ou tyran par Gérard ? Si nous a v o n s bien compris alors à contre-emploi) avant paraissent surtout le premier Caligula fut les intentions de Camus, de bout en bout, à la le second ensuile, mais, davantage 1941, concevoir les infinies Notre capacité à fois l'un et l'autre. deux saisie de vertige entre ces l'âme humaine est de possibilités double aspect. du rôle découle de ce extrémités, et la plasticité dans son suggère que jusque La genèse de La Chute (1956) la chaîne. voulu tenir les deux bouts de dernier récit, Camus a elt soi-même la fois une image de En Clamence, il projette à héros de A lexemple de Caligula, le celle de ses pires ennemis. batlant s o m m e s tous coupables et, La Chute affime que nous miroir de sa propre déchéance vers les autres le sa coulpe, dirige s'est De l'Empire romain, le décor afin de mieux les asservir. la réseau des canaux d'Amsterdam; déplacé vers le sombre exercice de cette fois à un simple Juite par le jeu se réduit le «jugedans les limites de l'euvre, Trhétorique; enfin, victime. Ainsi sont exprimés pénitent » se contente d'une unique d'où sa solitude. Dialogue son enfermement et fortement plus le texte du récit permet sont escamotées les répliques de l'autre, s'adresse en vérité qu'à luimeme de supposer que Glamence ne n'interroge La Chute, toutefois, Camus meme. Pour composer sa de personnaliu d'absolu, mais un aspect au plus juvénile de lui point rend grinçant ses propres yeux, à que l'ige, abhorre. Malgré sa donner des parentés avec ceux qu'il Calimoins périlleusement que Clamence s'unifie Complexité, sa soif Le éd. citée, p. 143. Albert Camus. Souvenirs, des au Théâtre une lecture, ne Camus fit de s a pièce 26 m a r s 1955, Soirée impressionnante, c a r il joue plutôt qu'il « 124). Noctambules. Camus. Soleil et ombre, p. I. Jean Grenier, lht, témoigne Roger Grenier (A!bert 30 Préface gula. Cette unité se produit d'autant mieux qu'au leu de se donner à voir, selon une vocalion inhérente à tout personnag théâtre, il admet l'ambiguité de représentation propre aux rsOnages Tomanesques. Il semble pour cete raison quà l'exemble de Diderot, Camus a livré dans un dialogue ironique, non destiné à la scène, le meilleur de son génie théâtral. Au moins, pour que vive Caligula, les décorateurs devront-ils continuer d'en bannir le « genre romain » : c'est à Amsterdam ou ailleurs, voire en nous-mêmes, que la piece nous apprend, comme le disait Camus à son « ami allemand », à « ne détester que les bourreaux ». Pierre-Louis Rey Caligula PIECE EN QUATRE ACTES