Pratique
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La revue de l’infi rmière ● Août-Septembre 2019 ● n° 253
professionnel qui «délivre à la
personne une information adap-
tée à ses facultés de compré-
hension»[9], rappelle la Haute
Autorité de santé.
La recherche « du p lus
haut degré d’information et de
participation pour tout soin»
constitue un impératif, souligné
par la Charte de l’usager en santé
mentale. Il s’agit de construire
une «véritable alliance thérapeu-
tique» et de veiller à ne pas infan-
tiliser le patient[10].
La reconnaissance du «droit
de la personne malade à être, res-
sentir, désirer, refuser» est réaf-
firmée par la Charte Alzheimer,
éthique et société, qui énonce
unprincipe fondamental: «To ut e
personne atteinte d’une maladie
d’Alzheimer […] conserve des capa-
cités à ressentir des émotions et
à réagir en fonction de son vécu,
de son environnement matériel et
humain, de ses goûts et préférences.
Son identité, ses réactions, ses
capacités sont à respecter»[11].
L’adoption hâtive d’une atti-
tude paternaliste en situation
de vulnérabilité est par ailleurs
déconseillée, dans son avis n°87,
par le Comité consultatif national
d’éthique, qui recommande au
contraire de «ne pas présumer
l’absence totale de liberté pour
éviter de prendre en compte un
refus de traitement»[12].
Discussion
Modèle de Beauchamp
et Childress
Le modèle nord-américain des
quatre principes de bioéthique
de Beauchamp et Childress
complète l’analyse que nous fai-
sons de la situation précédem-
ment décrite[13].
Il semble que l’infirmière
soit principalement motivée
par la bienfaisance et la non-
malfaisance: elle veille à la stabi-
lité de l’état de santé de MmeB. et
souhaite prévenir une crise d’épi-
lepsie. La dissimulation semble
motivée également par l’évite-
ment du conflit. Le caractère
illégal du changement de mode
d’administration et les effets
négatifs d’un écrasement ina-
dapté ne semblent pas mesurés.
L’infi rmière semble animée
par une volonté de justice à
l’égard de l’équipe et des autres
patients: elle dissimule les trai-
tements pour ne pas modifier
l’organisation du service.
L’infirmière semble consi-
dérer la maladie neurodégé-
nérative de MmeB. comme une
situation de vulnérabilité qui
altérerait sa capacité à faire les
bons choix. «L’autonomie signi-
fi e le droit pour une personnede
se régir d’après ses propres lois.
L’autonomie se situe au niveau du
jugement et implique que la per-
sonne ait le pouvoir de décider
des attitudes à adopter dans sa
vie»[14].
L’infi rmière adopte une atti-
tude qui peut être qualifiée de
“paternaliste”. Entre paternalisme
et respect absolu d’une opposi-
tion supposée, d’autres voies
seraient-elles possibles ?
Consentement et
troubles cognitifs
L’alliance thérapeutique
semble nous indiquer la voie
d’un entre-deux. Il s’agit pour
le soignant de «créer progres-
sivement un lien de confiance
réciproque sur lequel se fonde
une relation d’aide»[15]. C’est
alors la manière d’accompa-
gner qui devient un problème à
résoudre. Or, «la confiance ne
se décrète pas. Elle se ressent. Elle
s’acquiert pour le soignant par-
fois laborieusement, lentement
[…]. Elle se gagne, mais elle peut
aussi sereprendre»[15]. Fragile
confi ance, puisque MmeB. oublie
souvent qui sont les soignants et
où elle se trouve. Il semble donc
important de lui reconnaître
ledroit de manifester un refus.
Ne sommes-nous pas tous parfois
ambivalents, indécis ?
Deux types de désirs peuvent
ici être décrits, selon Michela
Marzano, philosophe[16]:
• les désirs de premier ordre,
les pulsions, sont des expressions
d’aff ects immédiats. Recenser les
comportements opposants de
MmeB. ou ses préférences, ainsi
que les circonstances d’accepta-
tion permettrait d’être orientés sur
les sources de plaisir ou de peine
actuelles. MmeB. signifi e-t-elle sim-
plement par son comportement
un dégoût lié à l’amertume des
médicaments écrasés ?
• les désirs de second ordre,
plus rationnels, sont en rapport
avec le but que le sujet poursuit
dans sa vie. Interroger les préfé-
rences passées de MmeB. consis-
terait à se demander quels étaient
les choix de vie de cette femme
lorsqu’elle était bien portante.
Était-elle observante ? Quels
étaient ses critères de “vie
bonne” ?
La recherche d’un juste milieu
entre ces désirs est recommandée
par certains auteurs.
Conclusion
Le sentiment premier d’indigna-
tion des étudiants a laissé place à
un questionnement fécond. Ainsi,
il apparaît que l’infi rmière visait le
bien de la patiente et qu’elle n’était
sans doute pas assez éclairée sur
les risques liés à l’écrasement
et sur les dilemmes soulevés par
le consentement dans le cadre
de troubles cognitifs. L’analyse
menée collectivement met en
évidence la complexité de la
démarche clinique et démontre
l’impact des décisions indivi-
duelles sur la qualité des soins et
la qualité de vie. •
[7] Barry-PerdereauV, MoreauC,
Friocourt P, Harnois C.
Écrasement des médicaments
en gériatrie: mise au point et
recommandations de bonnes
pratiques. La Revue de gériatrie.
2015;8:463-70.
[8] CaussinM, MourierW,
PhilippeS et al. L’écrasement des
médicaments en gériatrie: une
pratique «artisanale» avec de
fréquentes erreurs qui nécessitait
des recommandations. La Revue de
médecine interne. 2012;10:546-51.
[9] Haute Autorité de santé
(HAS). Délivrance de l’information
à la personne sur son état de
santé. Principes généraux:
recommandation de bonne
pratique. La Plaine Saint-Denis:
HAS; 2012. p.11
[10] Secrétariat d’État à la
Santé et aux Handicapés, FNAP
Psy. Charte de l’usager en santé
mentale. 8décembre 2000.
[11] Espace national de réfl exion
éthique sur la maladie d’Alzheimer.
Charte Alzheimer, Éthique et
société, Alzheimer. 2010. http://
www.espace-ethiquealzheimer.org
[12] Comité consultatif national
d’éthique (CNE). Avis n°87:
refus de traitement et autonomie
de la personne. 2005. p.33.
[13] BeauchampTL, ChildressJF.
Les principes de l’éthique
biomédicale. 39eéd.
Paris: Les Belles Lettres; 2008.
[14] PaillardC. Dictionnaire
des concepts en soins infi rmiers:
vocabulaire professionnel de la
relation soignant-soigné. Noisy-le-
Grand: SETES; 2016: p.27-8.
[15] MoncetMC, HernandezA,
OrtardMJ. Soins de confort et de
bien-être, soins relationnels, soins
palliatifs et de fi n de vie: unités
d’enseignement4.1, 4.2 et 4.7.
Paris: Vuibert; 2015. p.86-7.
[16] MarzanoM. Je consens, donc
je suis… Éthique de l’autonomie.
Paris: Presses universitaires
de France; 2006.
Références
Remerciements
Cet article a été écrit à partir
d’une analyse de situation
réalisée par Clément Filomar,
Damien Fontana, Djédie
Forbin, Marine Gaudin,
Alexandre Grondin, étudiants
en soins infi rmiers à l’Institut
de formation interhospitalier
de Neuilly-sur-Marne (93).
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne
pas avoir de liens d’intérêts.
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