Stratégie dexploration fonctionnelle et de suivi thérapeutique
Analyse de la rupture de tolérance
vis-à-vis de la p53 dans le cancer du sein en Tunisie
Analysing of the tolerance against p53 in Tunisian patients with breast cancer
W. Troudi
a,b,*
, S. Sadkaoui
a
, B. Yacoubi Loueslati
a
, M. Ben Abdallah
b
, W. Ben Ayoub
b
,
K. Mrad
b
, F. Ben Ayed
b
, K. Ben Romdhane
b
, A. Benammar El Gaaied
a
a
Laboratoire de génétique moléculaire, dimmunologie et de biotechnologie, faculté des sciences de Tunis, campus universitaire El-Manar-I, 1060 Tunis, Tunisie
b
Institut de carcinologie Salah-Azaiz de Tunis, boulevard du 9-Avril, 1006 Bab-Saadoun Tunis, Tunisie
Reçu le 23 septembre 2005 ; accepté le 10 novembre 2005
Disponible sur internet le 18 janvier 2006
Résumé
Le cancer du sein constitue la première pathologie maligne chez la femme tunisienne. Le délai entre le premier symptôme et le diagnostic est
souvent très long, ce qui explique la prédominance des tumeurs volumineuses et latteinte ganglionnaire fréquente. Cette situation a été exploitée
pour lanalyse de la rupture de tolérance vis-à-vis de lanti-oncogène p53. Notre étude a porté sur 108 patientes âgées de 23 à 67 ans, colligées au
service de chimiothérapie de lISA (institut Salah-Azaiez de Tunis) du mois davril au mois de juillet 2002. Nous avons étudié laltération de la
p53 dans le cancer du sein par deux approches : sérologique (anticorps anti-p53 circulants) et immunohistochimique (accumulation intratumorale
de la p53). Nos résultats montrent que la p53 est altérée dans environ 40 % des cancers mammaires. Limmunohistochimie positive corrèle avec
le grade histologique élevé de la tumeur, alors que lenvahissement ganglionnaire ainsi que labsence de récepteurs hormonaux sont associés à
une sérologie anti-p53 positive. La rupture de tolérance vis-à-vis de la p53 semble dépendre de plusieurs facteurs ce qui implique que la sérologie
anti-p53 ne présente pas un intérêt diagnostique dans le cancer du sein pour les patientes tunisiennes.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Breast cancer is the first malignant pathology among tunisian women. The delay between the first symptom and the diagnoses is often very
long, which explains the predominance of tumors with great size and frequent lymph node envadement. This situation was followed up for
analysing the tolerance breaking against p53 anti-oncogen. Our investigation is based on 108 patients aged between 23 and 67 years diagnosed
at the chemotherapy service of Salah Azaiez Institute in Tunis from April to July 2002. We studied the p53 alteration in breast cancer by
serological (circulating anti-p53 antibodies) and immunohistochemical (accumulating p53 in tumor cells) tests. Considering both methods, we
showed that the p53 protein was altered in about 40% of the cases of mammary carcinoma studied. Positive immunohistochemical test correlates
with the high histological grade of the tumor and the lymph node envadement, as well as the absence of steroid hormon receptors correlates with
anti-p53 positive the serology. It appears that the tolerance towards p53 depends on several factors, which implies that the anti-p53 serology is
not for interest in diagnosis of breast cancer for Tunisian patients.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Oncogène p53 ; Sérologie anti-p53 ; Immunohistochimie anti-p53 ; Cancer du sein ; Population tunisienne
Keywords: p53 oncogen; Serology anti-P53; Immunohistochemistry anti-P53; Breast cancer; Tunisian population
http://france.elsevier.com/direct/IMMBIO/
Immuno-analyse & Biologie spécialisée 21 (2006) 3844
*
Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected] (W. Troudi), [email protected] (S. Sadkaoui), [email protected] (B. Yacoubi Loueslati),
[email protected] (M. Ben Abdallah), [email protected] (W. Ben Ayoub), [email protected] (K. Mrad), [email protected] (F. Ben
Ayed), [email protected] (K. Ben Romdhane), [email protected] (A. Benammar El Gaaied).
0923-2532/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.immbio.2005.11.005
1. Introduction
Lanti-oncogène p53 est une protéine impliquée dans de
multiples voies antiprolifératives et son activation en réponse
au stress génotoxique [43,41] conduit à larrêt transitoire du
cycle cellulaire en phase G1 [24] après altération de lADN, à
la réparation de lADN endommagé [19],àlinduction de la
mort cellulaire programmée ou apoptose [21,25] et même à
linduction de langiogenèse tumorale [12].Lensemble de
ces fonctions confère à la p53 un rôle anti-oncogénique. Toutes
ces fonctions sont réalisées, en partie, grâce aux propriétés
transactivatrices de cette protéine, qui active une série de gènes
impliqués dans la régulation du cycle cellulaire [32].
En 1989, Vogelstein et Minna publièrent la première mise
en évidence de mutations du gène p53 dans des cellules de
cancers colorectaux et bronchiques [28,38]. Par la suite, ces
travaux ont été confirmés par dautres équipes et de très nom-
breuses publications font état de mutations du gène p53 dans
divers cancers humains [17,6]. Les mutations du gène p53 sont
retrouvées au niveau de la tumeur primitive dans environ 50 %
des cancers humains toutes localisations cancéreuses confon-
dues [6] avec un taux particulièrement élevé dans les cancers
les plus fréquents (poumon, sein et côlon) [18].
La p53, qui est normalement indécelable dans les cellules
normales, vu sa demi-vie extrêmement courte. Son altération
par mutation du gène ou par dautres mécanismes entraîne
une inactivation biologique de cette protéine qui se stabilise
et saccumule dans le noyau des cellules tumorales [32]. Cette
accumulation peut être mise en évidence par immunohistochi-
mie.
Dans certains cas, laltération de la p53 dans les cellules
tumorales saccompagne de lapparition danticorps anti-p53
dans le sérum des malades [37]. Plus dun tiers des patients
ayant une altération génétique du gène p53 développent une
réponse humorale vis-à-vis de la protéine correspondante qui
se traduit par lapparition danticorps anti-p53 circulant dans
le sérum des malades [36]. Cette réponse humorale saccom-
pagne dune réponse cellulaire avec apparition de cellules T
reconnaissant la protéine p53 [40].Lapparition danticorps an-
ti-p53 est liée à une réaction immunitaire en réponse à une
accumulation intratumorale de la protéine, mais les mécanis-
mes précis qui gouvernent cette auto-immunisation ne sont
pas encore élucidés [32]. Ainsi, leur présence serait spécifique
de létat tumoral car ils ne sont détectés que chez 0,5 % des
sujets normaux [22].
Le cancer du sein est sans conteste le cancer qui a fait lob-
jet du plus grand nombre danalyses des altérations du gène
p53. Depuis 1998, des centaines darticles ont analysé létat
du gène p53 et ses conséquences dans le cancer du sein. Les
altérations du gène sont retrouvées dans 20 à 40 % des cas
analysés dans cette pathologie [35]. La protéine mutante sac-
cumule dans le noyau [13] et lorsque le cancer est invasif, la
positivité de la p53 nucléaire varie entre 16 et 46 % [7].En
1992, une première analyse sérologique sur 100 patientes at-
teintes de cancer du sein avait montré que 12 % de ces patien-
tes avaient des anticorps anti-p53 dans leur sérum [10]. Des
observations plus récentes confirment ce résultat sur de plus
grandes séries [33,27]. La réponse immunitaire vis-à-vis des
antigènes tumoraux semble dépendre dun certain nombre de
facteurs inhérents à la présentation de la maladie, son type his-
tologique et son niveau dévolution ; ces facteurs pouvant agir
à la fois sur la présentation de lantigène ainsi que sur lacces-
sibilité des cellules immunitaires à la cellule tumorale.
Ainsi, létude de la réponse immune antitumorale et de la
production danticorps anti-p53 doit inclure des données de
nature épidémiologiques tel que le grade de la maladie, son
stade, létat de lenvahissement ganglionnaire, létat des récep-
teurs hormonaux
Notre objectif est dessayer de comprendre les mécanismes
immunologiques à lorigine de la rupture de tolérance vis-à-vis
de la p53 nucléaire dans le cancer du sein en rapport avec la
spécificité pathologique de ce cancer. À cet effet, nous nous
sommes intéressés à des patientes tunisiennes et à leurs profils
épidémiologiques, génétiques et immunologiques.
Le cancer du sein demeure chez les femmes tunisiennes le
cancer le plus fréquent. Il représente 29,8 % de lensemble des
tumeurs de la femme, avec un âge moyen au moment du diag-
nostic de 49,4 ans [4].
Dans le présent travail, nous avons testé lhypothèse du rôle
de laccumulation de la p53 dans les cellules tumorales dans la
rupture de tolérance du système immunitaire vis-à-vis de cet
auto-antigène en adoptant deux approches : une approche im-
munohistochimique pour étudier laccumulation de la p53 dans
les cellules tumorales et une approche sérologique pour détec-
ter lapparition danticorps anti-p53 dans le sérum de ces mê-
mes malades par Elisa.
La corrélation des données immunohistochimiques et séro-
logiques a été analysée en vue de conclure quant à lhypothèse
avancée.
2. Matériels
2.1. Patientes
Cette étude a porté sur 108 patientes atteintes de cancer du
sein primitif, recensées en 2002 sur une période de quatre mois
(du mois davril au mois de juillet), au service de chimiothéra-
pie de linstitut Salah-zaiez (ISA) de Tunis. Létude sérolo-
gique a porté sur 108 patientes, alors que létude immunohisto-
chimique na porté que sur 88 patientes. Leur tranche dâge
varie de 23 à 67 ans. Pour chaque patiente, les données clini-
ques et anatomopathologiques relatives au type histologique,
au grade histologique SBR, à lenvahissement ganglionnaire
et à létat des récepteurs hormonaux ont été établies.
2.2. Matériel biologique
Pour chaque patiente le tissu tumoral est inclus dans un bloc
de paraffine au service danatomopathologie de lISA et 5 ml
de sang périphérique total sont prélevés.
W. Troudi et al. / Immuno-analyse & Biologie spécialisée 21 (2006) 3844 39
2.3. Kit et anticorps
Nous avons utilisé pour létude immunohistochimique des
anticorps monoclonaux anti-p53 nucléaire DO-1 (Immunotech
Réf : 1407) et DO-7 (Immunotech Réf : M7001). Ces anticorps
sont dirigés contre la partie N-terminale de la p53 et reconnais-
sent aussi bien sa forme sauvage que sa forme mutée.
Le Kit Elisa (Pharmacell Réf : ELAP5302) a été utilisé pour
mettre en évidence la présence danticorps anti-p53 dans le sé-
rum des 108 sujets analysés.
3. Méthodes
3.1. Mise en évidence de la p53 par étude
immunohistochimique
Cest une technique fondée sur la détection in situ de la p53
nucléaire accumulée dans les cellules tumorales grâce à un an-
ticorps monoclonal dirigé contre un épitope immunodominant.
Nous avons effectué lanalyse immunohistochimique sur
des coupes histologiques de tissus tumoraux inclus dans la pa-
raffine comme il a été décrit par Angelopoulou et al.,1996 [3].
Limmunoréaction est considérée négative ou disséminée si
la proportion des cellules tumorales marquées est inférieure à
10 %, faible si la proportion des cellules marquées est entre 10
et 50 %. Le marquage est considéré modéré à fort si la propor-
tion de cellules tumorales marquées est supérieure ou égale à
50 % (Fig. 1 : A, B, C, D).
Quant à linterprétation des lames dIHC anti-p53,linten-
sité de la coloration des tissus revêt de limportance. En effet,
on peut effectuer une classification des tissus positifs en trois
intensités colorimétriques, que nous notons (+), (++) et (+++)
(Fig. 1 : E).
3.2. La sérologie anti-p53
La sérologie anti-p53 a été effectuée par le Kit Elisa (Phar-
macell Réf : ELAP5302). Le principe de ce test repose sur
lutilisation de plaques de microtitration sensibilisées avec la
p53 humaine sauvage recombinante ou avec des antigènes dif-
férents utilisés comme témoins négatifs. La fixation des anti-
corps anti-IgG conjugués à la peroxydase sur les anticorps anti-
p53 est révélée par laddition du TMB (substrat de la peroxy-
dase), donnant une réaction colorimétrique, chaque échantillon
est testé en double.
3.3. Lanalyse statistique
Le calcul de « χ2 » ainsi que le coefficient de corrélation
entre la sérologie anti-p53,limmunohistochimie et les paramè-
tres cliniques et anatomopathologiques ont été réalisés grâce au
logiciel « Epi info 6 ». La signification statistique est évaluée à
5%.
4. Résultats
4.1. Patientes : données cliniques et épidémiologiques
sur les patientes atteintes de cancer du sein
Au cours de la période 19951998, il a été enregistré parmi
une moyenne annuelle de 492 cas de cancer du sein traités à
lISA à Tunis, uniquement 14 cancers in situ, avec des carci-
nomes canalaires plus fréquents et des médullaires très rares.
Par ailleurs, les tumeurs ayant un grade 3, selon la classifica-
tion de Scraff, Bloom et Richardson, restent très fréquentes
(38 %) [4].
Dans la population tunisienne, la consultation tardive des
patients peut expliquer la prédominance des stades avancés
Fig. 1. A. Coupe histologique dun carcinome mammaire avec des cellules
tumorales négatives en immunohistochimie avec lanticorps anti-p53 DO-7
(G*400).
B. Accumulation de la p53 nucléaire dans les cellules tumorales dun
carcinome mammaire analysée par IHC avec lanticorps monoclonal DO-7.
Marquage modéré avec un taux de cellules marqués inférieur à 10 % (G*400).
C. Accumulation de la p53 nucléaire dans les cellules tumorales dun
carcinome mammaire analysée par IHC avec lanticorps monoclonal DO-7.
Marquage modéré avec un taux de cellules marquées entre 10 et 50 % (G*400).
D. Accumulation de la p53 nucléaire dans les cellules tumorales dun
carcinome mammaire analysée par IHC avec lanticorps monoclonal DO-7.
Marquage intense dans 95 % des cellules (G*400).
E. Accumulation de la p53 nucléaire dans les cellules tumorales dun carcinome
mammaire avec les trois intensités de coloration (+, ++, +++) (G*1000).
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des tumeurs. Cette situation particulière paraît favorable à lé-
tude de la rupture de tolérance vis-à-vis de la p53 qui a été
décrite comme facteur de mauvais pronostic dans les tumeurs
mammaire.
La présente étude a concerné 108 patientes atteintes de can-
cer du sein recrutées à lISA provenant essentiellement du
grand Tunis et du Nord Ouest de la Tunisie.
Les patientes recrutées ont un âge variant entre 23 et 67 ans
avec une moyenne de 45 ans parmi lesquelles 24 % sont âgées
de moins de 35 ans. Sur les 108 cas colligés, 97 ont des carci-
nomes mammaires de type carcinome canalaire infiltrant CCI
soit 89,9 %. Six cas sont de type carcinome lobulaire infiltrant ;
les cas restant étant de type, carcinome mixte, carcinome mu-
cineux et carcinome colloïde muqueux.
Le grade SBR III est retrouvé dans 38,8 % des cas, le grade
II dans 44,4 % des cas ; uniquement 13 % des malades sont de
grade I. Pour les 80 cas dont nous disposons de létat de len-
vahissement ganglionnaire, nous comptons 61 malades dont les
ganglions sont envahis et 19 qui nont pas denvahissement
ganglionnaire. Létat des récepteurs hormonaux est déterminé
pour 49 patientes, avec 38 cas positifs pour lun et/ou lautre
des récepteurs et 11 cas négatifs.
4.2. Étude immunohistochimique de laccumulation de la p53
dans les cellules tumorales
Il sagit de détecter in situ laccumulation de la protéine p53
dans le noyau des cellules tumorales grâce à un anticorps mo-
noclonal.
Parmi les 88 coupes histologiques incluses dans la paraffine
étudiées en IHC, 33 (37,5 %) sont immunoréactives pour la
p53 nucléaire.
Pour les 33 patientes atteintes de cancer du sein positives en
IHC, la confrontation entre la réactivité tissulaire anti-p53 éva-
luée quantitativement et lintensité de marquage des cellules
montre que dans 13 cas, plus de 50 % des cellules sont mar-
quées avec un marquage intense (+++). En outre, on nobserve
aucun cas où un pourcentage faible de cellules marquées (entre
10 et 50 %) est associé à une intensité de marquage forte (++
+). Cela indique que lorsque la p53 est accumulée dans un
grand nombre de cellules tumorales, cette accumulation est in-
tense et que dans les tissus à positivité moyenne à faible, la p53
saccumule dans un pourcentage modéré de cellules tumorales.
Le cancer canalaire infiltrant (CCI) montre une expression
de la p53 dans presque la moitié des cas (41 %), contrairement
aux autres types histologiques (CLI : carcinome lobulaire infil-
trant et CC : carcinome colloïde) qui sont négatifs en IHC.
Une corrélation significativement positive (p= 0,0006) en-
tre laccumulation de la p53 dans les noyaux des cellules tu-
morales et le grade histologique le plus élevé de la tumeur a été
établie (Tableau 1). En examinant uniquement les cas positifs
en IHC, on constate que 21/33 cas (63,6 %) sont de grade III.
Aucune corrélation de la positivité histologique de la p53 nu-
cléaire avec lenvahissement ganglionnaire ni létat des récep-
teurs hormonaux na été observée.
4.3. Résultats de létude sérologique
Sur les 108 sérums testés 15 dont 14 présentant un cancer
canalaire infiltrant sont positifs pour les anticorps anti-p53.
Nous avons trouvé dune part une corrélation positive
(p= 0,041) entre lapparition danticorps anti-p53 et le degré
denvahissement ganglionnaire (Tableau 2)etdautre part une
association significative négative (p= 0,017) entre la séroposi-
tivité anti-p53 et la négativité des cellules tumorales quant aux
des récepteurs hormonaux (estrogènes et progestérone)
(Tableau 3). Aucune corrélation na été mise en évidence entre
la présence danticorps anti-p53 dans le sérum et le grade his-
tologique SBR (p= 0,141) ni avec laccumulation nucléaire de
la p53 dans les cellules tumorales (p= 0,24) (Tableau 4).
5. Discussion
Dans la présente étude, notre objectif est de contribuer à la
compréhension des mécanismes immunologiques à lorigine de
la rupture de tolérance vis-à-vis de la p53 nucléaire dans le
cancer du sein dans le contexte du profil épidémiologique des
patientes tunisiennes. Ainsi, nous avons testé une méthode di-
recte (immunohistochimique) et une méthode indirecte (sérolo-
Tableau 1
Corrélation entre létude immunohistochimique et les différents grades
histologiques dans le cancer du sein
Grade III Grade II Grade I
IHC+ 33 21 (58,3 %) 11 (30,5 %) 0 (0 %)
IHC53 15 (41,7 %) 25 (69,4 %) 13 (100 %)
Total 86 36 36 13
Pourcentage 41,8 % 41,8 % 15,1 %
p= 0,0006 ; X
2
= 14,71.
Tableau 2
Corrélation entre les résultats de la sérologie anti-p53 et lenvahissement
ganglionnaire (N) dans le cancer du sein
N Anti-p53 + Anti-p53 - Total
N01717
N+ < 3 0 11 11
N+ 3 8 (17 %) 37 45
Total 8 65 73
p= 0,041 ; X
2
= 6,36.
Tableau 3
Corrélation entre la sérologie anti-p53 et létat des récepteurs hormonaux dans
le cancer du sein
RH Anti-p53+ Anti-p53Total
RH+ 3 (8 %) 34 37
RH4 (36 %) 7 11
Total 7 41 49
p= 0,017; X
2
= 5,65.
Tableau 4
Confrontation des résultats de la sérologie anti-p53 et des résultats de
limmunohistochimie anti-p53 nucléaire dans le cancer du sein
IHC Anti-p53+ Anti-p53Ambiguë Total
IHC+ 7 (21,2 %) 25 (75,7 %) 1 (3 %) 33
IHC4 (7,2 %) 48 (87,2 %) 3 (5,4 %) 55
TOTAL 11 73 4 88
p= 0,24 ; X
2
= 1,34.
W. Troudi et al. / Immuno-analyse & Biologie spécialisée 21 (2006) 3844 41
gie anti-p53) pour létude des altérations de la p53 humaine
chez 108 femmes tunisiennes atteintes du cancer du sein. Nous
avons également cherché des corrélations possibles entre la ré-
ponse de lorganisme vis-à-vis de la p53 et certaines données
cliniques connues pour leur valeur pronostique.
Les anticorps anti-p53 révélés par Western Blot ont été dé-
crits pour la première fois en 1982 par Crowford et al. [10]
dans le sérum de 9 % des patients ayant le cancer du sein. Plus
récemment une quinzaine détudes utilisant la méthode Elisa
ont évalué la présence danticorps anti-p53 dans le cancer du
sein [37]. La fréquence de ces anticorps anti-p53 est de 15 à
20 %, mais la majorité de ces études ont été réalisées soit en
Europe, soit aux États-Unis, aucune étude na été réalisée en
Afrique du Nord ni précisément en Tunisie où la fréquence du
cancer du sein (29,8 %) est proche de celle des populations
européennes [4].
Nous avons montré par une analyse sérologique que 14 %
des patientes sont séropositives pour les anticorps anti-p53.Ce
pourcentage de positivité se situe dans lintervalle des valeurs
trouvées (1 à 26,5 %) dans des études analogues [2,27,37,42].
Nos analyses statistiques ont montré dune part, une corré-
lation négative entre la production de ces anticorps et lexpres-
sion des récepteurs hormonaux démontrant ainsi que la réponse
immune anti-p53 serait un marqueur dagressivité tumorale,
elle-même connue pour être associée à labsence de récepteurs
dhormones stéroïdiennes [30,33,27].Dautre part, on démon-
tre une corrélation positive entre lapparition danticorps anti-
p53 et lenvahissement ganglionnaire ; cette corrélation na pas
été démontré par certaines études [27].
Parmi les hypothèses sur la rupture de tolérance vis-à-vis de
la p53,lapparition des anticorps dirigés contre cette protéine
serait la conséquence de son accumulation dans les cellules
tumorales. Normalement la p53 est indétectable in situ dans
un tissu sain, son altération peut induire une augmentation de
sa demi-vie qui passe de 1520 minutes à 412 heures [20,31].
Il en résulte une accumulation nucléaire qui est mise en évi-
dence par analyse immunohistochimique. Ainsi, nous avons
révélé laccumulation de la p53 dans les cellules tumorales de
37,5 % des patientes. Cette positivité vis-à-vis de la p53 nu-
cléaire a été déjà démontrée dans 20 à 50 % des cas des can-
cers mammaires [26]. Dans notre étude, laccumulation de la
p53 nucléaire est corrélée significativement avec le grade his-
tologique élevé (p= 0,0006) puisque dans 63,6 % des cas où la
p53 est accumulée, la tumeur est de grade III. Pour le grade I,
toutes les tumeurs analysées sont négatives conformément aux
résultats de la littérature. Dans les cas de carcinomes canalaires
infiltrants, une corrélation hautement significative a été trouvée
entre la proportion de cellules positives pour la p53 et le grade
histologique SBR III [15]. Ces résultats signifient que laltéra-
tion de la p53 est associée au grade le plus agressif du cancer.
La surexpression de la p53 altérée et/ou de la p53 sauvage
peut entraîner sa reconnaissance par le système immunitaire.
Elle sera ainsi considérée comme un antigène tumoral [39,
11]. Bien que la présente étude nait démontré aucune corréla-
tion entre les résultats de limmunohistochimie et de la sérolo-
gie, nous avons observé que dans 21 % des cas étudiés, laccu-
mulation de la p53 nucléaire est accompagnée dune synthèse
danticorps anti-p53. Cette situation concorde avec une étude
réalisée par [32] sur des patients thaïlandais où il avait été dé-
montré que la présence des anticorps anti-p53 était fortement
associée à une accumulation tumorale de la protéine p53 ; ce
qui implique que cette réponse immune est déclenchée par lac-
cumulation de la p53 dans les tumeurs comme cela a été décrit
dans le cas du cancer du poumon [44]. Mais, il semble que cet
effet dose stipulé par la plupart des auteurs [10,37] ne soit le
seul responsable de la rupture de tolérance de lorganisme vis-
à-vis de la p53.
Nous avons démontré que dans 75,7 % des cas analysés, il y
a une accumulation tumorale de la protéine p53 sans quelle
soit associée à une synthèse danticorps anti-p53. Cela signifie
bien que leffet dose à lui seul est insuffisant pour avoir la
rupture de tolérance. Laccessibilité des cellules immunitaires
àlantigène pourrait constituer une condition importante pour
induire une réponse immunitaire. Cette accessibilité est norma-
lement observée en cas denvahissement ganglionnaire. En ef-
fet, nous avons montré que la production danticorps anti-p53
nétait pas observée en absence denvahissement ganglionnaire
(Tableau 5). Ce dernier facteur semble donc déterminant pour
lobtention danticorps anti-p53. Ainsi, sur lensemble de ces
analyses, nous avons observé que 50 % des patientes séroposi-
tives pour la p53 sont positives en immunohistochimie et pré-
sentent un envahissement ganglionnaire. Selon le modèle pré-
conisé, leffet dose dun côté et laccessibilité des cellules
immunitaires à lantigène de lautre permettrait la réponse an-
ti-p53. Cependant, 50 % des patientes séropositives pour la p53
sont négatives en immunohistochimie et présentent un envahis-
sement ganglionnaire. Ces patientes représentent 7,2 % des cas
étudiés pour lesquelles la p53 nest pas décelable par IHC dans
les cellules tumorales. Ce résultat indique encore une fois que
laccumulation de la p53 qui traduit normalement laltération
du gène p53 nest pas forcément associée à la rupture de tolé-
rance.
Dans les cas où lon détecte des autoanticorps anti-p53 en
absence dune accumulation de la protéine cible p53 dans les
cellules tumorales, il est à noter que labsence daccumulation
de la p53 nindique pas forcément labsence de mutation du
gène. En effet, il a été décrit des mutations de la p53 qui nin-
duisaient pas daccumulation de la protéine dans les cellules
tumorales [29,5,34]. Ce type de mutations affecte cependant
la structure et la fonction de la protéine et pourrait donc géné-
rer de nouveaux épitopes T reconnus comme non soi par les
lymphocytes T CD4
+
qui par coopération avec les lymphocytes
B induiraient la production dautoanticorps, ces cellules vont
activer ces derniers malgré la faible accumulation dautoanti-
gène p53. Ce type de mécanisme a déjà été invoqué pour ex-
pliquer la réponse antitumorale.
Tableau 5
Confrontation de létat de lenvahissement ganglionnaire (N) avec les résultats
de la sérologie et de limmunohistochimie anti-p53 dans le cancer du sein
Envahissement
ganglionnaire
Antip53
IHC
Antip53+
IHC
Antip53
IHC+
Antip53+
IHC+
Total
N+ 29 4 16 4 53
N1006016
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