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LES SECRETS DU CONTRÔLE DE SOI - HARIDAS CHAUDHURI

LES SECRETS DU CONTRÔLE DE SOI
HARIDAS CHAUDHURI
Comme vous le savez, la nature humaine est un phénomène des plus paradoxaux,
car il y a en nous des éléments contradictoires. Par exemple, nous avons en nous des
pulsions sauvages que Schopenhauer appelait la volonté inconsciente des humains.
Des penseurs l’appelèrent jadis le pouvoir du serpent, un réservoir immense
d’énergie latente en nous. La psychologie moderne parle de libido, les pulsions
élémentaires. Ce réservoir d’énergie apparemment infini est un aspect de la
personnalité humaine.
De l’autre côté de la nature humaine, nous trouvons le côté rationnel. Il y a la
conscience, la fille austère de la voix de Dieu. Il y a cette faculté humaine d’entendre
la voix de Dieu et d’entrer en communion avec la dimension spirituelle et les vérités
éternelles. Le sens des valeurs supérieures qui se situe au cœur de la nature humaine
exerce sur nous une influence qui nous élève, qui nous ennoblit, en conséquence de
quoi nous ne sommes jamais satisfaits de ce que nous sommes, de notre existence
d’animal incarné. Nous sommes perpétuellement à la recherche de quelque chose,
nous tendons toujours vers quelque chose de plus grand, de plus élevé, de plus
noble, nous aspirons à la perfection et à l’infini. Comme l’a dit un philosophe :
‘’L’homme est fini, mais il vise toujours l’infini.’’
Là se situe le paradoxe. Nous avons ces éléments contradictoires qui s’entremêlent
dans notre personnalité humaine. Le résultat de ce paradoxe, c’est que beaucoup de
possibilités s’ouvrent à nous. A une extrémité, nous avons la possibilité de descendre
plus bas que la bête. Et d’autre part, nous avons dans notre nature un profond
potentiel spirituel en vertu duquel nous pouvons nous élever plus haut même que
les anges. Vous pouvez vous demander comment c’est possible. Pour nous, les anges
sont le summum de la perfection, alors comment nous, humains, pouvons- nous
nous élever au-dessus d’eux ? C’est parce que les anges sont d’une nature fixe. Ce
sont des archétypes. Chacun est typé. Si vous lisez la mythologie, chaque dieu est
d’un ordre fixe. Ils sont ce qu’ils sont.
Mais les humains sont engagés dans un processus d’évolution infinie. Nous pouvons
franchir tous les obstacles, briser tous les carcans, dépasser toutes les limites et nous
élever directement jusqu’au pinacle de la perfection et entrer en communion avec le
Dieu au-dessus de tous les dieux, la divinité suprême au-delà des anges. C’est notre
potentiel, notre prérogative, si nous savons comment terminer le processus inachevé
que sont les humains.
Une autre raison pour laquelle les humains peuvent s’élever au-dessus des anges,
c’est que les anges appartiennent au royaume éthérique et donc, ils sont inefficaces
dans le monde matériel. Sans la collaboration des humains, ils ne peuvent rien faire
dans le monde physique.
Engagés dans un processus d’évolution cosmique, les humains sont chargés par Dieu
de la mission d’introduire quelque chose de la splendeur et de la beauté, du parfum
de l’infini dans le royaume de la matière.
Nous trouvons donc dans les humains la possibilité de descendre plus bas que la
bête ou de nous élever plus haut que les anges. Qu’est-ce qui fait la différence ? La
réponse, c’est le contrôle de soi intelligent ainsi qu’une vie organisée. Beaucoup
dépend de la manière dont nous utilisons cette énergie infinie qui est à notre
disposition. Allons-nous dissiper cette énergie, l’utiliser à des fins destructrices ou
bien allons-nous l’utiliser positivement, constructivement pour la réalisation de buts
et de valeurs supérieurs ? Tout dépend de cela.
Depuis l’aube de la civilisation, tous les grands instructeurs éthiques et religieux se
sont attardés sur ce thème du contrôle de soi. Dans la Bible, Dieu a dit à Adam et à
Eve : ‘’Vous ne mangerez pas du fruit de l’arbre de la connaissance.’’ Mais à la
lumière de la connaissance moderne, nous constatons que si Dieu a réellement dit
cela, Dieu a commis une erreur. Pourquoi ? Parce que la psychologie humaine nous
dit qu’aussitôt qu’on dit à un autre être humain ‘’tu ne feras pas…’’, c’est
précisément ce qu’il ou ce qu’elle fera ! Aussitôt que Dieu a dit ‘’Vous ne mangerez
pas…’’, Adam et Eve se sont mis à penser à quel point ce serait merveilleux de
croquer la pomme ! Similairement, aussitôt que nous disons à nos enfants de ne pas
faire une chose, nous les incitons précisément à faire cette chose.
Nous pouvons le constater autrement. Supposons qu’en tentant de contrôler de petits
enfants, nous les punissions sévèrement et nous leur disions ‘’Vous êtes des bons à
rien !’’, inconsciemment, nous causons beaucoup de tort à leur croissance. Cette idée
peut rester gravée dans leur esprit et un complexe d’infériorité peut commencer à s’y
développer. Leur élan pour se développer peut être bloqué à cause de cette image de
soi.
Ou supposons que nous leur disions avec colère que ce sont des imbéciles, après
qu’ils aient commis une bêtise. C’est la même chose, alors. Les enfants prennent les
choses au sérieux, et souvent sans que nous le sachions. Inconsciemment, ils peuvent
s’identifier à cette image et agir en conséquence, comme des imbéciles. Par exemple,
Jean-Paul Sartre a décrit la situation d’un orphelin qui se sentait non désiré et qui
n’avait aucun sentiment d’identité. Comme cela arrive souvent avec des personnes
qui ont soif d’amour et de sympathie, il a développé l’habitude de voler. Le vol a une
valeur psychologique en ce sens qu’il nous apporte quelque chose. C’est un moyen
symbolique de désirer, d’aspirer à l’amour. Mais un jour, le garçon fut pris la main
dans le sac et la voix sévère de la discipline et du contrôle a tonné :’’TU ES UN
VOLEUR !!!’’ L’homme qui a dit cela ignorait quel gros dommage il causait à la
personnalité du garçon. Le garçon s’est dit : ‘’Très bien, je suis un voleur, alors.’’ Et il
a adopté très sérieusement ce rôle social. Il a décidé d’être un bon voleur, parce que
c’était ce qu’il pensait être.
Une autre forme négative visant au contrôle de soi, l’autorépression, a été
désastreuse dans l’histoire de l’aspiration humaine, éthique et religieuse. Nous
pouvons adopter une attitude sévère et négative qui inflige des punitions au restant
de notre nature. Pour employer des termes freudiens, le surmoi devient un grand
punisseur qui veut contrôler le reste de notre personnalité avec un fouet. Tout au
long de l’histoire de la quête religieuse, les humains se sont donnés énormément de
mal pour s’infliger des punitions au nom d’un développement supérieur. Ils se sont
mortifié la chair afin de contrôler leur esprit. Ils se sont efforcés de réprimer toutes
leurs pulsions et tous leurs désirs et ils ont suivi la voie du puritanisme et de
l’ascétisme extrêmes. Il est vrai qu’ainsi, ils ont gagné une certaine paix de l’esprit,
mais c’était la paix du refus ou du désistement plutôt que la paix de
l’épanouissement positif.
Aujourd’hui, nous savons que c’est une mauvaise pratique. En pratiquant ce genre
d’automortification, nous instaurons en nous-mêmes une guerre civile qui finalement
divise plus ou moins notre nature en deux personnalités : un Dr Jekyll et un Mr
Hyde. Les deux parties de notre nature sont à couteaux tirés et notre personnalité
humaine devient une demeure divisée contre elle-même. En réalité, notre
personnalité humaine globale est un tout indivisible et indivis. La véritable sainteté
se trouve dans la réalisation de la complétude de notre être. La sainteté, c’est la
complétude, la plénitude, c’est l’unité. Nous ne réaliserons pas notre potentiel en
divisant notre personnalité en des éléments conflictuels et en maintenant entre eux
une éternelle tension. Nous réaliserons notre potentiel en comprenant, en amenant à
la manifestation la plénitude de notre être. Nous devons comprendre comment
utiliser toutes nos composantes multiples – ‘’supérieures’’ et ‘’inférieures’’, passion et
raison, pulsions et éthique. Nous devons les intégrer dans une collaboration
harmonieuse dans l’optique de la réalisation des buts principaux de notre vie.
Après avoir tenté de désabuser notre esprit de quelques idées fausses concernant le
contrôle de soi, je souhaite maintenant me tourner vers certains principes positifs
soutenus par des éducateurs modernes. Jadis, nous nous contrôlions en disant : ‘’Je
ne dois pas faire ceci ou je ne dois pas faire cela…’’ Généralement, cela ne fonctionne
pas ou provisoirement, parce qu’à l’intérieur, l’esprit de rébellion se renforce. A la
place de nous dire de ne pas faire quelque chose, nous pouvons nous offrir d’autres
expériences constructives qui émerveilleront notre esprit, ce qui a un effet magique.
S’impliquer dans une activité intéressante impose le contrôle de l’esprit. Le contrôle
émane de l’intérieur ; il n’est pas imposé de l’extérieur. Plus nous nous intéressons à
une saine ligne de pensée ou à une exploration saine du monde extérieur, plus nous
générons un esprit d’autodiscipline.
Si on nous dit quelque chose de désagréable, notre réaction naturelle, c’est de
riposter et on se retrouve souvent pris dans un cercle vicieux. L’approche positive,
c’est de rester tranquille. Si nous réussissons à garder le silence, cela opère comme un
miroir et les paroles dures qui sont prononcées contre nous retournent à l’expéditeur.
En surenchérissant, nous allons à l’encontre du but recherché. Mais en sachant nous
contrôler en restant tranquille, le cours des choses peut tourner en notre faveur.
Permettez-moi de partager avec vous une ancienne histoire des Upanishads qui
concerne le brahmacharya, le contrôle de soi intelligent. Une personne conduisait un
char tiré par six chevaux. Le char s’immobilisa, car les chevaux tiraient dans des
directions opposées. Le conducteur essaya bien de les contrôler à la cravache, mais ils
devinrent encore plus rebelles et insoumis. Ceci illustre les conflits à l’intérieur de
nos vies ou le conflit fondamental de la personnalité humaine entre la passion et la
raison, la chair et l’âme, la libido et le surmoi.
Le conducteur pourrait vouloir abandonner. Il pourrait détacher les chevaux pour
pouvoir retrouver la paix de l’esprit, mais l’objectif ne sera pas atteint, puisqu’il est
immobilisé. Pas moyen alors d’arriver à destination. La solution réelle serait
d’approcher la situation avec tact et compréhension. Le conducteur doit examiner ce
qui provoque la situation. Pourquoi les chevaux se conduisent-ils ainsi ? Peut-être
sont-ils fatigués. Peut-être ont-ils soif ou ont-ils faim. Peut-être sont-ils harcelés par
des insectes. Le conducteur doit être patient, permettre aux chevaux de se reposer un
peu et s’occuper de leurs besoins. Après un moment, il s’apercevra avec stupéfaction
que les chevaux sont de nouveau prêts à courir jusqu’à destination.
Cette simple analogie nous en dit beaucoup sur le contrôle de soi. Les chevaux sont
en nous. Ce sont les cinq sens extérieurs et le principe d’individuation. Le char, le
complexe corps-esprit, est tiré par ces six chevaux et avec eux, il y a différentes
impulsions. L’approche la plus sage, c’est l’accomplissement intelligent et maîtrisé
des désirs normaux et sains de la vie humaine. Alors, des valeurs toujours
supérieures apparaissent à l’horizon de notre esprit et nous sommes bien sur la route
de l’évolution qui mène à l’accomplissement de la destinée humaine.
Nous pouvons avoir dans notre esprit une image de notre vrai Soi, de notre plus haut
potentiel, de ce que nous voulons être et de ce que nous devrions devenir. Ensuite,
nous écartons de notre vie tout ce qui interfère avec son accomplissement ou sa
réalisation. Nous ne devons pas nous permettre de dévier par rapport à cela, ni
permettre à notre esprit de flancher par rapport à notre but positif. Beaucoup de
frustrations et beaucoup d’échecs sont le fruit de ne pas savoir où nous allons dans la
vie, mais une fois que nous avons une orientation positive, tout le reste se met en
place.
Permettez-moi de conclure en vous présentant les choses de cette façon. Appelons les
deux composantes de notre nature la Belle et la Bête. La Belle, dans les humains, est
appelée ‘’âme’’ par la religion. Beaucoup de gens n’aiment pas trop ce mot-là de nos
jours, aussi peut-on parler de notre potentiel spirituel profond, de ce sens intérieur
qui nous inspire à répondre à des valeurs telles que la vérité, la beauté et la bonté et à
grandir sur la voie de l’amour et de la compassion.
La Belle sommeille souvent en nous et il nous faut la réveiller. Le secret du contrôle
de soi ne consiste pas à ce que la Belle tue la Bête et à ce qu’elle suive la voie de
l’ascétisme, mais en un mariage heureux et intelligent entre eux deux, comme le
raconte le conte de fées. Et grâce au contact magique de l’amour, la Bête se
transforme alors en un merveilleux prince, parce qu’il y a beaucoup d’énergie et
beaucoup de pouvoir dans l’amour. En comprenant le but de la vie, notre
personnalité humaine s’épanouit en une image du divin.
Selon les grands sages de l’Inde d’autrefois, nous pouvons faire quotidiennement
deux choses pour nous aider sur notre chemin. La première, c’est développer une
pratique de la méditation, car celle-ci approfondit et affine notre sens intérieur des
valeurs. Notre esprit s’éveille et répond aux valeurs supérieures de la vie et nous
devenons de plus en plus conscients du but et de la destinée de notre existence.
Ensuite, la méditation a besoin d’être complémentée par l’action empreinte d’amour.
L’action désintéressée authentique et les relations harmonieuses établissent avec nos
semblables ce sens intérieur des valeurs et l’esprit d’amour s’exprime dans la sphère
de la dynamique humaine. Ce sont les deux règles d’or du contrôle de soi et du
développement personnel intelligent.
(Référence : Haridas Chaudhuri, The Essence of Spiritual Philosophy)