Car ce qui est surprenant, mais tout autant évident avec Nancy, c’est que «l’âme est un
nom pour l’expérience, que le corps est», l’expérience de la «différence à soi qui fait le
corps», le corps ouvert à son autre intime, ouvert au sentir, tout comme au sens, le corps
se sentant corps - tout cela s’appelle (une) âme, nous avertit Nancy
, d’une façon
étonnamment, extrêmement logique. On ne peut pas s’empêcher de lire son Corpus
comme le Peri Psyches de notre temps
. C’est plus fort que toute critique suspensive: son
affirmation nous envahit, nous y sommes, exposés sans défense, nus, au passage de cette
pensée qui nous surprend - et nous sur-prend, dirait Nancy avec sa justesse étimologique.
Ça se comprend, oui, ça se com-prend, sans raison, ça va de soi: rien de compliqué, des
idées claires, exposées, sans plus, sans parures, sans détours, dans leur juste évidence:
pensée dérobée, exposée telle qu’elle, dans sa nudité attrayante, séduisante.
Après tout, son raisonnement nous pousse à faire l’hypothèse que l’âme, mise à nu à son tour,
répondrait peut-être à l’appel de «plus-de-raison»...
Quelle serait alors la raison de l’âme/corps? Quelle serait la raison de plus qui s’affirme
dans cette doublure - et dans la duplicité de cette doublure?
Il faudrait peut-être repartir, ex nihilo, depuis l’énigme de l’affirmation, du corps qui
s’ouvre à parler, souvent sans raison... et raisonner un peu plus sur l’idée énigmatique de
l’«inarticulation ontologique pensée/corps»
abordée dans Corpus...
Nous voici donc nus, libérés de l’angoisse du propre.
Si le «hoc est» du corps propre était notre angoisse mise à nu - aujourd’hui ce n’est plus
l’angoisse, ni l’inquiétude qui décrit le mieux notre expérience du corps: une excitation
plutôt. Jean-Luc Nancy déconstruit le dernier fondement de présence, nous laissant sans
repères et sans limites: voilà ce qui nous intrigue - et nous excite.
Il faut encore plus de raison, une sorte de plus-de-raison, une sorte de pensée en excès,
suggère Jean-Luc Nancy...à l’état actuel de la pensée: dépourvue de ses parures, de ses
structures, de ses logiques, de sa guise de Logos, la pensée ne fonctionne plus de la même
façon - peut-être elle ne fonctionne plus du tout. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas
Nancy, Corpus, Paris, Métaillé, 2000, p. 115-128.
Les suggestions de Jacques Derrida à cet égard ouvrent une nouvelle ère dans la pensée du corps, une sorte de
materialisme postdéconstructif qui reste à définir (cf. Le toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2001)
Idem, p.99