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La socialisation des apprenti-e-s F - Panorama 4-2004

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PANORAMA
4|2004
DOSSIER
21
UN ENJEU DE SOCIÉTÉ
La socialisation des apprenti-e-s
Sylvie Rochat et Nadia Lamamra
Dans un conte xte professionnel de plus en plus incertain et face aux
questionnements intrinsèques à l'adolescence, le développement de l'identité
professionnelle des apprenti-e-s est l'un des enjeux centraux de la formation
professionnelle. Une démarche pertinente à cet égard consiste à socialiser
les apprenti-e-s à leur profession de manière structurée.
Alors même qu'elle devient une notion
incontournable, l'identité professionnelle
est de plus en plus ébranlée par les profondes transformations que connaît le monde
du travail.
L'IDENTITÉ PROFESSIONNELLE CHAHUTÉE
Trois phénomènes au moins sont susceptibles de se répercuter sur l'identité professionnelle. En premier lieu, une flexibilisation des tâches se manifeste dans le fait
que les unités fondamentales de travail ne
sont plus les emplois et les postes, mais les
processus et les projets. Du coup, on attend
des employés qu'ils soient «dynamiques»,
«prêts au changement» ou encore «capables de prendre des responsabilités», des
exigences de souplesse et d'interchangeabilité qui sont encore augmentées par le recours à la notion de «compétences-clé».
Cette flexibilisation a pour conséquence
une insécurité par rapport aux tâches qui
s'avère problématique pour définir les spécificités d'une profession. De plus, la contradiction entre les exigences d'interchangeabilité et les exigences liées à la maîtrise
de connaissances et de savoir-faire spécialisés est susceptible d'être difficile à vivre
pour des jeunes en formation.
Deuxièmement, de nombreux métiers connaissent des changements technologiques
– liés notamment à l'informatique – qui
entraînent une transformation des repré-
sentations et des pratiques professionnelles. Comment les institutions de formation
font-elles face à ces mutations du tissu professionnel et quelles représentations du
métier transmettent-elles aux jeunes en
formation? La question de l'identité professionnelle se pose aussi de manière cruciale
pour les «nouveaux métiers» qui émergent
dans le cadre du développement de nouvelles technologies (p. ex. médiamaticien).
Enfin, une flexibilisation des emplois se
manifeste dans la part croissante de contrats de travail à durée déterminée et dans
l'augmentation du taux de chômage. L'une
des répercussions de ces phénomènes est
la diminution des places d'apprentissage
qui conduit de nombreux jeunes à se former dans une profession qu'ils ont choisie
«par défaut», voire qui ne correspond pas
du tout à leurs intérêts. L'insécurité qui résulte de cette précarisation peut rendre
problématique le développement d'une
identité professionnelle.
De nombreux jeunes doivent
se former dans une profession
choisie par défaut.
L'IDENTITÉ, UNE PROBLÉMATIQUE
SPÉCIFIQUE À L'ADOLESCENCE
La question de l'identité est également au
cœur des problématiques adolescentes. En
effet, la tâche développementale centrale
de l'adolescence est la recherche identitaire, tant personnelle que sociale. Selon Erik
Erikson (1971), le développement d'une
identité professionnelle constitue l'aspect
le plus exigeant de ce processus. Les jeunes
ont cependant tendance à plus se préoccuper de leurs relations amoureuses et amicales et de leur scolarité que de leur avenir
professionnel. Une étude de Janique Sangsue (1999) a ainsi montré que les angoisses des adolescents romands concernent
essentiellement le besoin de se sentir accepté par les pairs, la pression à la réussite
scolaire, l'apparence physique et les relations familiales. Par ailleurs, on sait que les
jeunes investissent plus que les adultes
dans les domaines des loisirs et du développement personnel.
La question de l’identité
professionnelle se pose de
manière cruciale pour les
«nouveaux métiers»
technologiques.
Dans le même temps, le moment particulier où intervient la formation professionnelle est susceptible d'amener les jeunes à
expérimenter des conflits identitaires entre
des sphères d'investissement véhiculant
des valeurs différentes, voire opposées.
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Ainsi, les adolescents qui s'identifient fortement à une sub-culture (p. ex. la mouvance hip-hop ou la mouvance hardcore)
sont probablement pris dans des conflits
entre les valeurs qui y sont associées et les
normes et conventions du monde professionnel qu'ils rencontrent dans leur formation. Quant aux «pionniers» et «pionnières», il se peut qu'ils expérimentent une
contradiction entre l'identité associée à
une profession traditionnellement réservée
à l'autre sexe et leur identité de genre en
pleine constitution.
LA SOCIALISATION EN SIX POINTS
Comment les écoles professionnelles et
les employeurs peuvent-ils aider les apprenti-e-s à faire face à la double problématique – socio-économique et psychologique – à la quelle ces derniers sont confrontés quant au développement de leur identité professionnelle? La socialisation professionnelle – c'est-à-dire, selon Claude Dubar
(1996), «la transmission et l'incorporation
des manières d'être (de sentir, de penser,
d'agir) d'un groupe professionnel, de sa vision du monde et de son rapport à l'avenir,
de ses postures corporelles comme de ses
croyances intimes» – nous paraît constituer
une réponse intéressante. Six domaines de
socialisation semblent particulièrement cruciaux dans la formation des apprenti-e-s.
L’incorporation dans un groupe
professionnel peut aider
les jeunes.
Un premier domaine de socialisation concerne la performance, c'est-à-dire le degré
auquel l'apprenti-e doit maîtriser les tâches
qu'implique sa profession, et par conséquent les connaissances, aptitudes et habiletés requises. Ceci fait donc référence à
l'apprentissage des tâches et aux aptitudes
acquises de ce fait. Un second domaine de
socialisation concerne les relations sociales. Il s'agit de fournir aux apprenti-e-s des
informations sur les personnes-ressources
dans leur domaine ainsi que sur les relations, formelles et informelles, avec leurs
confrères et consœurs. La socialisation des
apprenti-e-s devrait également recouvrir
des aspects politiques afin de leur permettre d'acquérir une connaissance des enjeux
liés à leur profession, des relations et
structures de pouvoir formelles et informelles (associations professionnelles, syndicats, etc.) et de certains enjeux spécifiques (p. ex. augmentations de salaire dans
les métiers du bâtiment, nocturnes et ouvertures dominicales dans la vente, âge de
la retraite) Il importe aussi de socialiser les
apprenti-e-s au langage de leur profession,
c'est-à-dire au expressions techniques, aux
acronymes et au jargon spécifiques au
métier. Ces éléments leur permettront de
comprendre l'information et de communiquer efficacement avec leurs confrères et
consœurs. Un cinquième domaine de socialisation concerne la connaissance des valeurs spécifiques à la profession et des règles et principes qui maintiennent l'intégrité du métier (éthique, codes de déontologie, etc.). Enfin, les apprenti-e-s devraient
être introduits aux aspects historiques de
leur métier, à savoir tout ce qui touche à la
culture et aux traditions, habitudes, mythes, rituels, célébrations et histoires associés à leur champ professionnel.
professionnelle, en ce qu'elle contribue au
bien-être ou a contrario au stress des jeunes, a des conséquences bien au-delà du
lieu de formation et de travail, par exemple sur leurs relations avec leurs pairs et
leurs parents ou sur leurs activités de loisirs. En fin de compte, la socialisation professionnelle des apprentis ne contribue pas
uniquement à leur intégration scolaire et
professionnelle, mais elle peut aussi – et
surtout – les aider à trouver leur place
dans la société.
Références,
information sur les auteures en page 30
Complement d’information cf.
http://www.panorama.ch/f/2004/4/
Plus leur identité professionnelle sera structurée et claire,
plus les apprenti-e-s se
sentiront en adéquation avec
leur environnement.
DES EFFETS BÉNÉFIQUES
La socialisation professionnelle des apprenti-e-s constitue un important enjeu de
société. En effet, la constitution et le développement de leur identité professionnelle
est susceptible d'apporter aux adolescents
des réponses tant au niveau professionnel
(flexibilité, changements technologiques,
chômage) que personnel (transformations
physiques et physiologiques, développement de son identité de genre). On peut
penser que plus leur identité professionnelle sera structurée et claire, plus les apprenti-e-s se sentiront en adéquation avec
leur environnement scolaire et professionnel. De plus, la socialisation à l'identité
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