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Billen 2017 AESN note continuite qualite

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Février 2017
NOTE SUR LA CONTINUITE DES COURS D'EAU ET LA QUALITE DE L'EAU
Gilles Billen (biogéochimiste, UPMC), Philippe Baran (biologiste spécialiste des poissons, ex-Onema, Ecogéa),
Stéphane Le Bourhis (évaluateur, AESN), François Lamy (chargé d'études milieux aquatiques, AESN), Sarah Feuillette
(chef de service, AESN)
Quelques résultats sur la politique de continuité de l'agence
Une évaluation, commanditée par l'Agence, en cours d'achèvement a notamment questionné l'efficacité de la politique
de continuité de l'agence sur la vie piscicole. Le comité de pilotage a souhaité que l'efficacité des effacements soit
également étudiée par rapport au critère de qualité de l'eau, mais du fait du peu de données disponibles sur le sujet à
l'échelle appropriée, et de la compétence des prestataires, l'analyse de l'efficacité a été centrée sur les poissons.
 des résultats très positifs sur les amphihalins au niveau de l'arc normand où on observe les effets d'une
synergie entre différentes actions. En effet, en parallèle de la mise en place d'équipements favorisant la libre
circulation piscicole (passes à poissons, dispositifs de dévalaison...), puis d'une politique active d'effacement
qui a eu un impact non seulement sur la libre-circulation des poissons mais aussi sur la restauration de leurs
habitats (radiers, frayères...), l'amélioration de la qualité a permis, comme sur la Touques, de provoquer un
« palier de réponse »
 en contextes « intérieurs » sans amphihalins (Haute Marne, Eure et Loire, Loing...), on observe
◦ des résultats positifs des efforts de reconnexion de l’axe principal avec ses affluents (et leurs zones
humides annexes), dans les zones à truites (sur socle granitique, comme le Morvan) avec des effets sur
d'autres espèces patrimoniales comme la lamproie, l'écrevisse à pattes blanches
◦ une efficacité faible des passes à poissons en zone holobiotique hors truite, où l'enjeu de libre-circulation
des poissons n'est pas de premier ordre. C'est plutôt leur effacement qui a de l'effet, en permettant de
retrouver des habitats (en zone lotique = de courants)
Ces résultats encouragent à bien réfléchir le traitement des ouvrages (effacement, équipement) en fonction des
potentialités piscicoles à une échelle de bassin versant.
Réflexions/échanges au sujet de la pertinence de l'indice poisson
La question de fond soulevée est : le jugement sur la qualité des cours d'eau n'est-il pas trop « orienté poisson » alors
que les cours d'eau remplissent d'autres fonctions (épuratoires, paysager, loisirs...) et alors que les cours d'eau ont été
modifiés par l'homme depuis très longtemps (avec notamment de nombreux étangs et moulins au XVIIème siècle) ? Les
cours d’eau naturels, ça n’existe pas.
Il est vrai que l’'indice poisson DCE évalue l’état biologique des cours d’eau, en comparant des observations avec une
référence établie sur la base de grandes caractéristiques environnementales que sont la pente, la largeur et le régime
thermique de la rivière. Dans de nombreux cours d’eau du bassin, les références piscicoles sont plutôt dominées par
des poissons rhéophiles (= se reproduisant sur des substrats minéraux en zone lotique, c’est-à-dire de courant) plutôt
que par des poissons d’eau calmes. Ainsi, tous les changements d’habitats visant à ralentir les écoulements à l’étiage,
notamment ceux provoqués par les seuils, sont de nature à privilégier les espèces d’eaux calmes au détriment de celles
d’eaux courantes et donc à être considérés comme pénalisants pour la qualité biologique DCE de la rivière.
Cependant, par rapport à l'aménagement ancien des cours d'eau, les enjeux ont évolué depuis, qui rendent nécessaire
la restauration de zones de courants : notamment phénomènes de ruissellement-érosion accrue des bassins versants
depuis les années 60, qui ont pour effet de colmater les frayères et d'apporter des polluants dont des nutriments, avec
globalement une pression sur la qualité plus forte qu'au XVIIème siècle, s’y ajoute également l’enjeu croissant du
changement climatique (augmentation de la température des cours d'eau et baisse des débits).
Par ailleurs se pose la question des attentes de la majorité des riverains : préfèrent-ils une « rivière qui court », qui
« chante », ou une rivière profonde où l’on puisse se baigner ? Préfèrent-ils une eau transparente ou une eau opaque,
verte en cas d'eutrophisation ? Les pêcheurs préfèrent-ils la carpe ou le barbeau ? Il est difficile d'apporter une réponse
objective ou statistiquement fondée à ces questions, tous les goûts sont dans la nature... chacun a en tête une rivière de
préférence qui est souvent héritée de son enfance.
Les retenues sont-elles bonnes pour la dénitrification ?
Un des arguments souvent opposé à la politique de continuité par ses détracteurs est que les retenues créées par les
seuils peuvent être vues comme des « digesteurs » (de station d’épuration) dans lesquels les nitrates sont éliminés. Si
la réalité du phénomène de dénitrification dans les sédiments des retenues ou des zones à cours lent n’est pas
contestable (cf. brochure du PIREN sur la « cascade de l'azote »), l’importance de ce phénomène comme moyen de
lutte curative contre la contamination nitrique doit cependant être fortement relativisée (cf. note du PIREN jointe) : les
simulations montrent que l'effet sur l’ensemble du bassin de la Seine d'un équipement très poussé des cours d'eau en
retenues (comme si on revenait à la situation du XVIIIème, où le bassin était couvert de très nombreux étangs, dont
témoigne la carte de Cassini), la réduction maximale que l’on pourrait espérée des flux de nitrates serait de l’ordre de 3
% seulement soit de l'ordre de grandeur du mg/l. Des mesures préventives sont donc largement préférables, portant
sur les pratiques agricoles (systématisation des CIPAN, diminution des apports d'engrais azotés, diversification des
cultures,…). Leur intérêt est qu’elles permettent d’agir à la source et donc de préserver de la contamination nitrique les
cours d'eau et les ressources d’eau souterraines. Les pressions en jeu sont telles, qu'il ne faut pas compter sur les
cours d'eau comme stations d'épuration et qu'il vaut mieux agir au niveau des bassins versants : les simulations
montrent qu'il s'agit clairement du levier le plus efficace.
L’action au niveau des zones humides riveraines (efficaces pour la dénitrification en période de basses eaux), par leur
restauration et l’amélioration de leur connectivité avec les cours d'eau est également une voie – curative, cependant –
prometteuse et complémentaire.
Plus globalement, quid du lien continuité-qualité ?
Se pose aussi la question du rôle des retenues/obstacles par rapport au phosphore. Les apports urbains de phosphore,
naguère prédominants, ont été réduits dans des proportions considérables et sont aujourd’hui minoritaires, grâce à la
généralisation des lessives sans phosphates et du traitement du phosphore en stations d’épuration. Reste que l'érosion
des terres agricoles, qui a considérablement augmenté depuis les années 60 avec le remembrement, les engins lourds,
le tassement des sols, l'appauvrissement des sols en matière organique, entraine avec elle le phosphore (conservatif)
stocké dans les sols. Actuellement le bilan (apports au sol de phosphore - consommation par les plantes) est négatif :
les plantes en exportent plus qu'il n'en est apporté. Les stocks accumulés sur les terres arables, peuvent permettre de
nourrir les plantes en phosphore pendant plusieurs dizaines d’années encore (sous réserve que les sols soient
maintenus en place, donc que l'érosion soit contenue, sachant qu'au niveau mondial le phosphore devient une
ressource rare dont nous manquerons avant la fin du siècle). En eau douce, le phosphore est déterminant pour
l'eutrophisation, sachant que les eaux calmes et l'augmentation de la température sont également des facteurs
aggravants. Les obstacles à la continuité représentent donc un facteur de risque par rapport à l'eutrophisation en amont
des ouvrages.
Sur le phosphore, élément majeur de déclassement des cours d'eau, sur lesquels les actions sur les pressions
ponctuelles ont porté leurs fruits, il faut aujourd'hui majoritairement agir sur l'érosion, via les pratiques culturales
adaptées, la couverture des sols, et leur teneur en matière organique, l'hydraulique douce.
Il faut également interroger la problématique du stockage des sédiments dans les retenues et les zones d’eaux calmes
en amont des ouvrages. L’absence quasi générale de gestion des organes mobiles équipant certains seuils est de
nature à favoriser l’accumulation des sédiments et notamment des sédiments fins. Les risques de relargage accidentel
de ces sédiments ne sont pas à négliger et ne vont pas sans poser de problèmes en aval, avec très souvent des
situations de déficits en oxygène, de fortes teneurs en ammoniac et nitrites, autant de facteurs très préjudiciables à la
faune aquatique, voire à la production d'eau potable le cas échéant. Se pose également la question des polluants (y
compris toxiques) accumulés dans les sédiments en amont des ouvrages, qui peuvent être re-largués brutalement lors
d'une vidange ou d'une rupture de digue. Cette question est peu étudiée.
Pour ce qui concerne l'effet supposé des effacements sur le « pouvoir auto-épurateur » des cours d'eau (élimination de
la matière organique au niveau des radiers, du fait de la circulation), il faut être très prudent : les quelques éléments
observés sont très locaux, il est très discutable et dangereux de les extrapoler, en l’état actuel des connaissances.
L'effet n'est flagrant que sur la température. Se baser sur cet argument revient aussi et surtout à considérer la rivière
comme une station d'épuration naturelle, de la même manière que le font les détracteurs de la politique de continuité,
qui en appellent au pouvoir dénitrificateur des retenues (cf. plus haut) : au final, on se retrouve piégé dans une
argumentation qui n’est guère cohérente (considérer la rivière comme une station d’épuration dans un cas et pas dans
l’autre), donc difficilement compréhensible et communicable, et développant une vision partielle et simpliste des
fonctions d’une rivière, exonérant d'un effort de prévention à la source et in fine une escalade sans fin des
arguments/contre-arguments.
Il ne faut pas oublier également que les cycles biogéochimiques vont au-delà des transformations de certaines formes
de l’azote et du phosphore et concernent plus généralement l’ensemble des processus de transformation de la matière
organique. Ces processus sont très variés et peuvent se dérouler alternativement en conditions anaérobies (sans
oxygène) comme dans les sédiments des retenues ou en conditions aérobies (avec oxygène) comme dans les sousécoulements des substrats de galets et graviers des radiers. C’est donc la diversité des conditions d’habitats et de
débits qui constituent la meilleure garantie du bon déroulement des processus biogéochimiques. Mais là encore, il
importe de ne pas perdre de vue les ordres de grandeur de la dépollution assurée par les cours d’eau (très faible au
regard des flux en jeu et de l’efficacité des stations d’épuration) et ne pas entretenir d’illusions contre-productives à ce
sujet.
Enfin, il est important de souligner que dans chaque type d’habitat, les processus biogéochimiques sont intimement liés
à des édifices biologiques spécifiques, qui comprennent des champignons, des bactéries, des mollusques, des
invertébrés, des poissons…La complexité et la diversité de ces édifices doit également être considérée comme un
critère de bon fonctionnement des rivières. Un cours d’eau dont les fonds ne seraient composés que de sédiments fins
désoxygénés n’accueillant que des bactéries, des champignons et quelques mollusques ne pourrait être considéré
comme fonctionnant bien.
Retenues et changement climatique : entre énergie renouvelable et résilience des cours d'eau
Un autre argument opposé à la continuité est celui du conflit d'intérêt avec le développement des énergies
renouvelables, nécessaires à la politique d'atténuation. Cependant :
 Du fait de la morphologie du bassin Seine Normandie, l’hydroélectricité du bassin ne représente que 1% de la
production hydroélectrique française et 0,6 % de la consommation électrique du bassin ;
 10 % des ouvrages du bassin assurent 2/3 du productible ;
 Si on équipait au maximum tous les cours d’eau on n’arriverait qu’à 2% de la production nationale
d’hydroélectricité, ce qui reste très peu
 En se contentant d’optimiser l’équipement actuel on arriverait à 1,5%, sans altérer de nouvelles masses d’eau
(sinon, on impacterait plus de 150 nouvelles masses d’eau)
Cette réalité est biaisée par les tarifs de rachat actuels très intéressants proposés aux particuliers pour encourager les
énergies renouvelables.
Quelques pistes de recommandations
 Il vaut donc mieux équiper le bassin avec d'autres types d'énergies renouvelables et développer l'énergie
hydroélectrique dans les bassins français à fort potentiel, d'autant que pour ce qui concerne l'arc normand, le
bassin devrait être une « zone refuge » pour de des populations de migrateurs d'importance européenne qui
remonteraient du sud avec l'augmentation de la température probable de la mer dans le futur.
 Il est peu efficace (dans les faits et dans l’argumentation) de vouloir développer un prétendu pouvoir épurateur
des rivières. Il faut plutôt agir sur l'aménagement des bassins versants (modification des pratiques agricoles et
hydraulique douce) et ses zones d’interfaces (zones humides) : c'est là que se trouvent les leviers d'action les
plus efficaces.
 Il faut insister sur le rôle multifonctionnel des zones humides ripariennes : zones de dénitrification en basses
eaux, zones d'expansion des crues en hautes eaux, zones de frayère, zones de biodiversité terrestre et
humide.
 Adapter la politique de continuité des cours d'eau au potentiel piscicole spécifique de chaque territoire (hydroécorégions)
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