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Gérard Genette figures de style

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Gérard Genette
Figures III – Discours du récit, essai de méthode.
Gérard Genette commence son traité de narratologie appliquée à l'œuvre de Marcel Proust par
quelques définitions. « Récit », tout d'abord, est considéré comme un mot ambigu. Il peut désigner (1)
une succession d’événements, réels ou fictifs, c'est l'histoire ou la diégèse; (2) l’énoncé de des
événements, c'est le récit; (3) l’acte de narrer, c'est la voix. L’objet de notre étude, la narratologie, sera
le texte narratif, le récit au sens (2) ou (3).
Le récit peut être (1) l’histoire, le signifié, le contenu narratif, (2) le signifiant, l’énoncé, le discours, le
texte narratif, (3) la narration, l’acte narratif avec la situation dans laquelle il prend place. Il existe une
interdépendance entre le récit, l’histoire et la voix.
Le récit présente les problèmes suivants :
Temps : le rapport entre temps de l’histoire et temps du discours : déformations temporelles, infidélités
chronologiques.
Aspect : manière dont l’histoire est perçue par le narrateur.
Mode : type de discours utilisé par le narrateur ; distance, showing/telling, représentation/narration,
mimésis/diégésis.
ORDRE
Temps du récit?
Une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans un autre temps, de trouver la relation entre
le temps de l’histoire et le pseudo-temps du récit.
Ordre : correspondance entre l’ordre des événements de la diégèse et ceux du récit.
Durée: des événements par rapport à la durée de leur relation dans le récit (vitesse).
Fréquence: répétitions dans l'histoire et le récit.
Anachronies.
L'ordre temporel du récit confronte l'ordre des événements dans le discours narratif et l'ordre
des événements dans l'histoire (explicite ou à inférer). Si on décèle des différences, on parle
d'anachronie narrative. La question du degré zéro de l'anachronie, d'une parfaite coïncidence
temporelle entre récit et histoire, se pose. Ce degré zéro semble difficile à atteindre,
l'anachronie étant une des ressources traditionnelles de la narration littéraire. (ex: avenir
devenu présent et qui ne ressemble pas à l'idée qu'on s'en était fait dans le passé) Toute
anachronie constitue un récit temporellement second dans le récit premier.
L'anachronie peut être une prolepse: raconter ou évoquer d'avance un événement ultérieur, ou
une analepse: évocation après-coup d'un événement antérieur au point de l'histoire où on se
trouve. Ces deux figures donnent la possibilité au récit de former des emboîtements narratifs
qui donnent l'illusion d'une ubiquité temporelle.
Portée, amplitude.
Portée: l'anachronie se porte plus ou moins loin du moment présent (c'est-à-dire le moment où
l'histoire s'est interrompue pour faire place à l'anachronie) Si la portée dépasse le point de
départ le la narration, elle est externe, sinon elle est interne et peut donner lieu à des
interférences ou des problèmes de transition avec le récit premier.
Amplitude: durée de l'histoire plus ou moins longue que couvre l'anachronie.
Types d'analepses.
Analepse mixte: le point de portée est antérieur et le point d'amplitude postérieur au début du
récit premier.
Analepse interne ou externe: le champ temporel est compris (risque d'interférence) ou pas
dans le récit premier.
Analepse interne hétérodiégétique ou homodiégétique: analepse portant sur une histoire
différente du récit premier (ex: antécédents d'un nouveau personnage) ou sur le récit premier
Analepse complétive: qui vient combler après-coup une lacune antérieure au récit.
Paralipse: ellipse latérale. Le récit ne saute pas, comme dans l'ellipse, par-dessus un moment,
il passe à côté d'une donnée. La paralipse se prête au comblement rétrospectif.
Ellipse itérative: portant sur plusieurs fractions du temps semblables et répétitives.
Analepse répétitive: rappels, le récit revient explicitement sur ses traces. Ces analepses
peuvent modifier après-coup la signification des événements passés, signification différée ou
suspendue, c'est la mécanique de l'énigme. Ex. chez Proust: la dialectique subtile entre le récit
innocent et sa vérification rétrospective fait l'importance des analepses.
Analepse partielle: rétrospection qui s'achève en ellipse, sans rejoindre le récit premier, qui
donne une information isolée nécessaire à la compréhension du récit.
Analepse complète: rétrospection qui vient se raccorder au récit premier, qui récupère la
totalité de l'antécédent narratif. L'analepse complète pose la difficulté de jonction entre le récit
analeptique et le récit premier.
Prolepses.
Le début in medias res (ou même in ultimas res) donne une illusion de prolepse. Le récit à la
première personne et ses faits de voix se prête bien à la prolepse.
Prolepse interne: comme pour l'analepse interne, il y a un problème de possible interférence
avec le récit premier.
Prolepses complétives: elles viennent combler par avance une lacune ultérieure, compensent
par avance de futures ellipses ou paralipses.
Prolepses répétitives: elles doublent un segment narratif à venir, constituent un effet
d'annonce important dans le tressage du récit car elles créent une attente dans l'esprit du
lecteur, une amorce qui peut être un germe insignifiant et imperceptible, dont la valeur est
reconnue plus tard selon la compétence du lecteur.
Les prolepses itératives nous renvoient à la question de la fréquence narrative, ex. raconter
une première fois pour aider à envisager toute la série d'occurrences qu'elle inaugure.
Prolepse généralisante: concept de primultimité (chaque première fois est aussi une dernière)
Vers l'achronie.
Achronie: structure ambigüe, événement sans date et sans âge montrant la capacité
d'autonomie temporelle du récit;
Syllepse temporelle: groupements anachroniques commandés par une parenté autre que
temporelle, spatiale ou thématique par exemple.
DUREE
Anisochronies.
Le degré zéro de la durée serait la scène de dialogue, qui donnerait une espèce (espèce, car
pas d'égalité rigoureuse) d'égalité temporelle entre le segment narratif et le segment fictif. Si
un récit peut se passer d'anachronies, il ne peut se passer d'anisochronies, d'effets de rythme.
On peut établir une gradation dans les vitesses narratives de la vitesse infinie de l'ellipse à la
pause descriptive. Si TH: temps d'histoire et TR: temps du récit, la gradation est la suivante:
Pause: TR=n, TH=0. Donc TR infiniment >TH
Scène: TR=TH
Sommaire: TR<TH
Ellipse: TR=0, TH=n. Donc TR infiniment <TH
Sommaire.
C'est la narration, en quelques pages ou paragraphes, de plusieurs journées, mois ou années,
sans détail d'action ou de paroles. Le sommaire a une relation fonctionnelle avec l'analepse,
par exemple quand on présence un nouveau personnage par un sommaire de ses antécédents.
C'est aussi la transition ordinaire, dans le roman classique, entre deux scènes.
Pause.
C'est une description, un arrêt contemplatif ou une ekphrasis extra-temporelle. Chez Proust,
ce n'est pas un arrêt de l'action, mais plutôt le récit et l'analyse de l'activité de perception du
personnage contemplant, et à ce titre n'est pas une pause mais un récit comme un autre, alors
que chez Balzac, le narrateur abandonne le cours de l'histoire et se charge de décrire un
spectacle que personne ne regarde.
Ellipse.
Une ellipse peut être déterminée, quand on en connait la longueur, ou indéterminée, dans le
cas contraire.
Ellipse explicite: indication, déterminée ou non, du laps de temps qu'elle élide (type: "Deux
ans, quelque temps plus tard")
Ellipse qualifiée: type "Après quelques années de bonheur."
Ellipse implicite: dont la présence n'est pas signalée dans le texte.
Ellipse hypothétique: impossible à localiser, et même parfois à placer avec certitude, elle peut
être révélée après-coup par une analepse.
Scène.
L'alternance de sommaires non dramatiques à fonction d'attente et de liaison, et de scènes
dramatiques dont le rôle dans l'action est décisif, constitue le canon romanesque par
excellence.
FREQUENCE
Singulatif/Itératif.
La fréquence narrative est la relation de fréquence, de répétitions, entre récit et diégèse, ce
que les grammairiens nomment l'aspect. La répétition est une construction de l'esprit, qui
élimine de chaque occurrence tout ce qui lui appartient en propre pour n'en conserver que ce
qu'elle partage avec toutes les autres de la même classe. Les événements similaires ne sont
considérés que dans leur seule ressemblance.
Récit singulatif ou singulier, scène singulative ou singulière: raconter une fois ce qui s'est
passé une fois (1R/1H) ou raconter n fois ce qui s'est passé n fois (nR/nH) car les répétitions
du récit répondent aux répétitions de l'histoire.
Récit répétitif: raconter n fois ce qui s'est passé une fois (nR/1H) Il peut y avoir des variantes
stylistiques ou des variations de point de vue, comme dans un roman épistolaire par exemple.
C'est aussi le récit rituel de l'enfance (et au-delà).
Récit itératif (ou fréquentatif pour les grammairiens) : raconter (en) une seule fois ce qui s'est
passé n fois (1R/nH) Une seule émission narrative assume ensemble plusieurs occurrences du
même événement.
Il peut y avoir des passages itératifs dans des scènes singulières. L'itération est une ouverture
sur une durée extérieure à la scène (itération généralisante ou itération externe)
Si l'itération s'exerce sur la durée de la scène elle-même, on parle d'itération interne ou
synthétisante.
Pseudo-itératif: c'est une caractéristique de Proust, qui représente une scène comme itérative,
notamment par l'usage de l'imparfait, alors que la richesse et la précision des détails font
qu'aucun lecteur ne peut croire sérieusement qu'elles se sont produites ainsi plusieurs fois sans
variation. Cela fait partie de la licence narrative.
Détermination, spécification, extension.
Le récit itératif est la narration synthétique des événements d'une série itérative composée d'un
certain nombre d'unités singulières. Une série a (1) des limites diachroniques, c'est la
détermination, (2) un rythme, c'est la spécification, (3) une amplitude diachronique
(=longueur) des unités constitutives, c'est l'extension.
Détermination: l'indication des limites diachroniques d'une série peut rester implicite,
indéfinie, ou définie par date ou référence à un événement singulier. Une détermination
interne indique des phases, des modulations, une évolution, à l'intérieur d'une série.
Spécification: elle peut être indéfinie (adverbes de fréquence, parfois, souvent…), définie de
manière absolue (tous les jours, tous les dimanches), définie de manière relative et irrégulière
(quand il fait beau), définie de manière complexe (plusieurs lois de récurrence se superposent)
Une spécification interne indique une récurrence subdivisée: on obtient deux variantes en
relation d'alternance.
Extension: l'extension peut être ponctuelle quand la durée est trop faible pour un
développement narratif, ou assez longue pour faire l'objet d'un récit développé.
Le singulatif peut être au service de l'itératif, dans la forme pseudo-itérative, quand
l'événement singulier est une illustration et une confirmation d'une série itérative, quand
l'événement singulier est une exception à la règle que l'on vient d'établir.
Diachronie interne et diachronie externe.
Il peut y avoir une progression temporelle dans le récit itératif, quand des modifications sont
apportées au déroulement du récit par le temps écoulé. C'est la loi même de l'itératif que de
penser deux (ou plusieurs) moments à la fois, les identifier et les confondre.
Alternance, transitions.
Certains points sont tangents, sans relation temporelle assignable entre itératif et singulier,
neutres, aspectuellement indéterminés pour que le lecteur ne s'aperçoive pas du changement
d'aspect.
Excursus discursif au présent (statut extra-narratif)
Dialogue abruptif: sans verbe déclaratif, donc sans aspect. Abruption: figure par laquelle on
ôte les transitions d'usage dans un dialogue afin d'en rendre l'exposition plus animée et
intéressante.
Imparfaits à la valeur aspectuelle indéterminée.
Le jeu avec le Temps.
Le génie d'un écrivain est d'être en avance de ses pratiques sur toute théorie. Quand on met à
nu le procédé, la motivation invoquée devient médium esthétique.
MODE DU RECIT
On peut raconter plus ou raconter moins, choisir tel ou tel point de vue, prendre avec le récit
plus ou moins de distance.
Distance.
Platon dans La République distingue la diégésis, récit pur, où le poète parle en son nom, et la
mimésis, donnant l'illusion que ce n'est pas lui qui parle. Quant à Henry James, il reprend ces
catégories en distinguant telling et showing, cette dernière ne donnant qu'une illusion de
mimésis, car le langage ne peut que signifier sans imiter.
Récit d'événements.
C'est le détail qui donne un "effet de réel" (Barthes) en créant une illusion référentielle, un
effet mimétique, un connotateur de mimésis. (Se rappeler que toute mimésis n'est qu'illusion
de mimésis)
Montrer est une façon de raconter qui consiste à en dire le plus possible, mais le dire le moins
possible (donner des détails sans attirer l'attention du lecteur) La scène domine, le narrateur
est transparent. La mimésis donne plus d'information et moins d'informateur, alors que la
diégésis présente un rapport inverse. Mimésis et diégésis ont des effets sur la vitesse et la voix
du récit.
Proust présente un paradoxe en ce qu'il refuse l'opposition mimésis/diégésis: il ne raconte pas
une histoire, mais la trace qu'elle laisse dans la mémoire, il y a donc dans son récit à la fois
beaucoup d'information et beaucoup d'informateur.
Récit de paroles.
Discours imité: discours fictivement rapporté tel qu'il a été prononcé
Discours narrativisé/raconté: discours traité comme un événement parmi d'autres. C'est l'état
le plus distant, le plus général, le plus réducteur. Quand il s'agit d'un débat intérieur, on parle
d'une analyse, d'un récit de pensées, d'un discours intérieur narrativisé.
Par convention littéraire, les pensées et les sentiments sont traitées comme un discours.
Discours transposé, style indirect: ne donne aucun sentiment de fidélité littérale aux paroles
"réellement" prononcées, car la présence du narrateur qui les interprète est sensible.
Style indirect libre: les transpositions temporelles sont là, mais il n'y a pas de verbe déclaratif.
Cette parole peut donner lieu à confusion: est-ce une pensée ou une parole? Est-ce le discours
du personnage ou du narrateur? Le style indirect libre marque un début d'émancipation du
roman.
Discours rapporté de type dramatique: c'est la forme la plus mimétique.
La voie d'émancipation du roman moderne passe par l'idée de pousser à la limite la mimésis
du discours en effaçant l'instance narrative (monologue intérieur, discours immédiat)
Différence entre monologue immédiat et style indirect libre? DIL: le narrateur assume le
discours du personnage. La voix du narrateur et celle du personnage sont confondues.
Monologue immédiat: le personnage se substitue au narrateur. Le monologue intérieur est
souvent insincère, la vérité ressentie transparaît à travers les déguisements de ce discours.
Discours extérieur: le narrateur fait un effort de caractérisation de ses personnages par
idiolecte ou sociolecte. L'effet mimétique est atteint par la différence marquée entre le
discours du narrateur et le discours du personnage. Cette différence peut être un trait erratique
du langage, une tournure fautive, dialectale ou socialement marquée, une acquisition ou un
emprunt caractéristique, gaffe, bourde, lapsus révélateur, anglicismes, calembours, défauts de
prononciation…
Le discours stylisé est la forme extrême de la mimésis du discours, qui va parfois jusqu'à la
caricature. On voit là la limite du mimétique, où l'extrême du réalisme devient irréalité pure,
dans une circularité qui renvoie au texte.
Perspective narrative.
C'est le choix (ou non) d'un point de vue (focus of narration, foyer narratif) restrictif. Il faut
distinguer mode: quel est le personnage dont le point de vue oriente la perspective narrative,
et voix: qui est le narrateur? qui voit? qui parle?
Narrateur présent comme
personnage dans l'action
Evénements analysés
de l'intérieur
P
O
I
N
T
(1) Le héros
raconte son
histoire
D
Evénements observés de
l'extérieur
(2) Un témoin raconte
l'histoire du héros
E
VOIX
Narrateur absent comme
personnage dans l'action
(3) L'auteur
analyste ou
omniscient
raconte
l'histoire
V
U
E
(4) L'auteur raconte
l'histoire de l'extérieur
Il existe plusieurs systèmes de classification de la perspective:
Système en 8 termes:
Narration omnisciente avec/sans intrusion de l'auteur.
Narration à la première personne: je témoin/je héros.
Narration omnisciente sélective (point de vue restreint) : pdv multiple/pdv unique.
Narration objective: mode dramatique/ style caméra.
Système en 3 termes:
Narrateur>Personnage: le narrateur en sait et en dit plus que n'en sait aucun des personnages
Narrateur=Personnage: récit à point de vue, ou à champ restreint. Le narrateur ne dit que ce
que sait tel ou tel personnage
Narrateur<Personnage: récit objectif ou behaviouriste, vision du dehors, on ne décrit que les
actions des personnages sans les justifier. Le narrateur en dit moins que n'en sait le
personnage.
Focalisations.
Le récit classique est non-focalisé, à focalisation zéro
La focalisation interne peut être fixe (Les Ambassadeurs), variable (Madame Bovary),
multiple (romans épistolaires)
La focalisation externe présente les actions du héros sans ses pensées.
La focalisation n'est pas nécessairement constante sur toute la durée d'un récit, ce qui crée une
difficulté pour établir le partage entre focalisation variable et non-focalisation.
Altérations.
Paralipse: donner moins d'information qu'il n'est en principe nécessaire (l'auteur cache ce que
sait le narrateur)
Paralepse: donner plus d'information qu'il n'est en principe nécessaire (ce qui détermine le
code de focalisation)
Il ne faut pas confondre l'information donnée par un récit focalisé et l'interprétation que le
lecteur lui donnera, ce que Barthes appelle les indices.
"Le récit en dit toujours moins qu'il n'en sait, mais il en fait souvent savoir plus qu'il n'en dit"
Polymodalité.
Pour un récit autobiographique, le narrateur doit respecter les limites de la connaissance
passée du héros. Il faut donc attribuer au "romancier" ce que l'on ne peut pas attribuer au
narrateur. La polymodalité est la subversion du mode par la présence perturbatrice du
narrateur, de la voix, dans le récit.
VOIX
L'instance narrative.
La voix est l'aspect de l'action verbale considérée dans ses rapports avec le sujet, le sujet étant
celui qui accomplit et/ou subit l'action et celui qui la raconte. La voix permet de prendre
conscience de la subjectivité dans le langage (Benveniste) Attention, la situation narrative
d'un récit de fiction ne se ramène jamais à sa situation d'écriture. La voix fait le lien entre le
narrateur, le(s) narrataire(s) (=destinataires de l'histoire) et l'histoire.
Temps de la narration.
Il est presque impossible de ne pas situer une histoire dans le temps, alors qu'on peut ne pas
préciser le lieu, car on doit obligatoirement utiliser un temps, présent, passé, futur. Le lieu de
narration est rarement pertinent, sauf dans Lolita par exemple où la production en prison, puis
en hôpital psychiatrique, est un élément décisif d'annonce du dénouement.
La narration est classiquement postérieure à ce qu'elle raconte, sauf dans le cas du récit
prédictif ou au récit au présent.
On peut isoler cinq types de narration:
-ultérieure (récit classique au passé). C'est l'immense majorité des récits. Le temps du passé
indique moins le passé que la distance entre narration et histoire, distance souvent
indéterminée. La narration ultérieure vit de ce paradoxe qu'elle possède à la fois une situation
temporelle par rapport à l'histoire passée et une essence intemporelle car l'écriture est sans
durée propre. Le présent du narrateur est un moment unique et sans progression. (Lolita,
Tristam Shandy…?)
-antérieure (récit prédictif au futur ou au présent): le récit d'anticipation a souvent une
instance narrative postdatée, implicitement postérieure à l'histoire. Le récit prédictif n'est
souvent prédictif seulement par rapport à l'instance narrative immédiate, pas à l'instance
dernière (l'auteur)
-simultanée (récit au présent contemporain de l'action). C'est en principe le type le plus simple
car il n'y a pas d'interférence, de jeu temporel. Il y a deux résultats possibles: l'accent est mis
sur l'histoire, le discours narratif, les actions (récit behaviouriste) ou l'accent est mis sur la
narration, comme dans un monologue intérieur. L'action n'est plus qu'un prétexte et disparaît
(Beckett)
-intercalée: (entre les moments de l'action): c'est le type le plus complexe car c'est une
narration à plusieurs instances où l'histoire et la narration peuvent s'enchevêtrer et interréagir.
-simultanée (type reportage radio ou télé)
La distance temporelle crée deux héros successifs, dont le second est aussi narrateur, décalant
le point de vue, rendu dissonant par l'après-coup.
Niveaux narratifs.
Tout événement raconté par un récit est à un niveau diégétique immédiatement supérieur à
celui où se situe l'acte narratif producteur de ce récit.
Niveau extradiégétique: premier niveau, par exemple rédaction de Mémoires fictives dans
lesquelles s'insèrent une narration.
Niveau diégétique ou intradiégétique: événements racontés dans ces Mémoires (ex: narration
de Des Grieux)
Niveau métadiégétique: événements racontés dans le récit de Des Grieux.
Les narrateurs-auteurs se mettent au même niveau que leur public.
Le préfixe méta- indique un passage au second degré. Métarécit: récit dans le récit;
métadiégèse: univers du récit second; diégèse: univers du récit premier.
Le roman en forme de journal intime ne vise en principe aucun public ni aucun lecteur, ce qui
montre que toute narration extradiégétique n'est pas nécessairement assumée comme une
œuvre littéraire.
Le récit métadiégetique.
Il peut y avoir une causalité directe entre les événements de la métadiégèse et ceux de la
diégèse. C'est la fonction explicative du récit second: "quels événements ont conduit à la
situation présente?", il peut aussi y avoir une relation thématique, de contraste, d'analogie, de
mise en abyme, par exemple, ou une fonction de distraction et/ou d'obstruction.
Métalepses.
C'est le passage entre deux niveaux narratifs: la narration introduit dans une situation un
discours comme moyen de connaissance d'une situation autre. La métalepse est une
transgression qui consiste à raconter en changeant de niveau, c'est l'intrusion du narrateur ou
du narrataire extradiégétique dans l'univers diégétique ou inversement. Elle crée toujours un
effet de bizarrerie bouffonne ou fantastique intense, car elle met en lumière l'importance de la
limite entre le monde que l'on raconte et celui où l'on raconte.
Le trouble de la métalepse vient de l'impossibilité d'être sûr que l'extradiégétique n'est pas
diégétique, que nous sommes encore quelque récit.
Le métadiégétique réduit au diégétique, ou pseudo-diégétique: en cours de récit, le relais
métadiégétique est évincé au profit d'un narrateur premier. (trope proustien)
Personne.
Ecrire à la première ou à la troisième personne n'est pas un choix grammatical, mais un choix
entre deux attitudes narratives dont les formes grammaticales ne sont qu'une conséquence
mécanique.
Récit hétérodiégétique: le narrateur est absent de l'histoire qu'il raconte.
Récit homodiégétique: le narrateur est présent dans l'histoire qu'il raconte. Il a soit le rôle
secondaire de témoin, soit celui de héros du récit, auquel cas on parle de récit autodiégétique.
Le passage injustifié du "je" au "il" peut être une pathologie narrative (remaniements hâtifs,
textes inachevés…) ou une limite franchie sciemment par le roman contemporain, avec un
effet de logique plus libre, une idée de personnalité plus complexe.
On peut définir le récit en fonction du statut du narrateur:
1- Son niveau narratif (extra ou intradiégétique)
2- Sa relation à l'histoire (hétéro ou homodiégétique)
Niveau
Extradiégétique
Intradiégétique
Relation
Hétérodiégétique
Ex: Homère
Ex: Shéhérazade
Homodiégétique
Ex: Gil Blas
Ex: Ulysse
Héros/narrateur.
Dans la forme autobiographique à narration ultérieure, le Je narrant et le Je narré sont séparés
par une différence d'âge et d'expérience qui autorise le premier à traiter le second avec
supériorité. Quand on passe d'un temps à l'autre avec fluidité, on parle d'omnitemporalité.
Fonctions du narrateur.
Les fonctions du narrateur dépassent parfois la narration, le fait de raconter une histoire selon
les divers aspects du récit.
La seule fonction indispensable est la fonction narrative (raconter une histoire). Le narrateur
peut aussi faire référence métalinguistique au texte. Certains récits présentent une situation
narrative dont les deux protagonistes sont le narrataire, présent, absent ou virtuel, et le
narrateur. On parle alors de fonction de communication, phatique qui permet de vérifier le
contact, ou conative, pour agir sur le destinataire. Certains narrateurs sont tournés vers le
public, plus intéressés par le rapport avec le public que par le récit. La fonction émotive est le
rapport affectif, moral ou intellectuel du narrateur à l'histoire. La fonction testimoniale ou
d'attestation est celle qui exprime les sentiments qu'éveille en le narrateur le fait de témoigner
d'une histoire. Quant à la fonction idéologique, c'est le commentaire didactique et autorisé de
l'action par un narrateur tout puissant (ex: les discours explicatifs et justificatifs de Balzac.)
Ces fonctions sont interdépendantes.
Le discours auctorial est la manifestation de la présence de l'auteur (réel ou fictif), et l'autorité
souveraine de cette présence dans l'œuvre.
Le narrataire.
"Le lecteur a besoin de lire d'une certaine façon pour bien lire; l'auteur n'a pas à s'en offenser
mais au contraire à laisser la plus grande liberté au lecteur" disait Proust.
Le véritable auteur du récit n'est pas seulement celui qui le raconte, mais aussi, et parfois bien
davantage, celui qui l'écoute. Et qui n'est pas nécessairement celui à qui l'on s'adresse, disait
Genette.
Après-propos.
Il n'y a de théorie de la littérature que dans la critique du singulier, que dans le droit d'avoir
des préférences, des évaluations esthétiques, des partis pris.
Barthes, dans S/Z, disait que le scriptible est notre valeur car l'enjeu de notre travail littéraire
est de faire du lecteur non plus un consommateur, mais un producteur de texte. Le lecteur
participe, par la reconnaissance de traits inventés par l'œuvre souvent à l'insu de son auteur, à
la création de l'œuvre.
Les "lois" du récit sont partielles, défectives, hasardeuses, coutumières et empiriques, et il ne
faut pas les hypostasier en un Canon. Le code, ici, comme le message, a ses lacunes et ses
surprises.
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