Article en cours de réactualisation ¶ 11-048-A-10 Troubles cardiovasculaires d’origine thyroïdienne Y. Lorcy, M. Klein Les hormones thyroïdiennes agissent directement sur le cœur et le système circulatoire, ceci par une majoration de l’effet inotrope myocardique, du rythme cardiaque et une vasodilatation périphérique entraînant une augmentation du débit cardiaque. La triiodothyronine (T3) traverse la membrane myocardiocytaire pour se lier à des récepteurs nucléaires. Le complexe, ainsi formé, intervient dans la régulation de la transcription des gènes dont ceux de la Ca2+ adénosine triphosphatase (ATPase) et du phospholamban dans le réticulum endoplasmique, de la myosine, des récepteurs b-adrénergiques, de l’adénylcyclase, des protéines régulatrices de type guanine-nucleotide regulatory proteins, de l’échangeur Na+/Ca++ et des canaux potassiques voltage-dépendants. Les effets extranucléaires de la T3 sur les canaux sodiques, potassiques et calciques représentent une voie alternative de l’action des hormones thyroïdiennes. De nombreuses anomalies électriques ont été rapportées dans l’hyperthyroïdie englobant une tachycardie sinusale ou atriale, des extrasystoles ventriculaires et des anomalies de la repolarisation ventriculaire. La fibrillation auriculaire est fréquente dans l’hyperthyroïdie prédisposant à un risque emboligène. Dans l’hyperthyroïdie infraclinique, il est retrouvé une accélération du rythme cardiaque, des arythmies supraventriculaires, une augmentation de l’index de masse ventriculaire gauche, une altération du temps de relaxation ventriculaire et de la performance à l’effort. L’hypothyroïdie déclarée est susceptible d’entraîner une insuffisance coronarienne, un épanchement péricardique, une hypertension artérielle diastolique, une myocardiopathie et une insuffisance cardiaque. L’hypothyroïdie infraclinique peut être associée à une dysfonction ventriculaire gauche diastolique au repos et systolique à l’effort. Le risque d’athérosclérose et d’infarctus du myocarde est majoré. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Thyroïde ; Hormones thyroïdiennes ; Contractilité ; Résistance vasculaire ; Récepteurs adrénergiques ; Hyperthyroïdie ; Fibrillation auriculaire ; Myocardiopathie ; Hypothyroïdie ; Insuffisance coronarienne Plan ¶ Introduction 2 ¶ Interactions entre hormones thyroïdiennes et myocarde Effets directs des hormones thyroïdiennes sur le cœur Interactions entre les hormones thyroïdiennes et le système sympathique 2 2 ¶ Hormones thyroïdiennes et résistances vasculaires périphériques Volume sanguin Résistances vasculaires périphériques Athérome ¶ Autres répercussions myocardiques au cours des dysthyroïdies Hormones thyroïdiennes et troubles du rythme Pathologies auto-immunes Conséquences thyroïdiennes d’un traitement par l’amiodarone Répercussions des pathologies cardiaques sur la fonction thyroïdienne 3 3 3 3 3 3 3 3 3 ¶ Aspects cliniques Cœur et hyperthyroïdie Troubles de l’excitabilité et troubles du rythme Troubles de conduction Valvulopathie cardiaque Insuffisance coronarienne Insuffisance cardiaque Conséquences cardiaques de l’hyperthyroïdie infraclinique Cœur et hypothyroïdie Épanchement péricardique Hypertension artérielle Myocardiopathie et insuffisance cardiaque Troubles du rythme et de la conduction Insuffisance coronarienne Conséquences cardiaques de l’hypothyroïdie infraclinique 4 4 4 4 4 4 4 4 4 5 5 5 5 5 5 4 Cardiologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/11/2019 par SCD LILLE 2 (13266). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 1 11-048-A-10 ¶ Troubles cardiovasculaires d’origine thyroïdienne ■ Introduction Dès 1785, C. Parry décrivait l’association goitre et tachycardie. La relation hyperthyroïdie-arythmie et insuffisance cardiaque était reprise en 1825, puis corroborée au XIXe siècle par Graves et von Basedow. Au début du XXe siècle, l’association hypothyroïdie et cardiomyopathie était publiée par Zondek. Les hormones thyroïdiennes peuvent agir directement sur les cardiomyocytes, ou indirectement via le système adrénergique ou encore en agissant sur le système circulatoire, entraînant des modifications de la pré- et de la postcharge. ■ Interactions entre hormones thyroïdiennes et myocarde Effets directs des hormones thyroïdiennes sur le cœur L’hormone active est la triiodothyronine ou T3. Dans les cellules myocardiques, il n’a pas été mis en évidence de désiodation de thyroxine (T4) en T3. La T3 agit après fixation sur son récepteur nucléaire spécifique en augmentant la transcription de certains gènes. Un effet extranucléaire a également été rapporté. Actions des hormones thyroïdiennes médiées par un récepteur nucléaire [1] La T3 traverse la membrane cardiomyocytaire par un transport actif, traverse la cellule et la membrane nucléaire pour se lier à des récepteurs nucléaires. Ces récepteurs appartiennent à la superfamille à laquelle appartiennent également les récepteurs des hormones stéroïdes, des vitamines A et D et de leurs dérivés. Quatre récepteurs de la T3 ont été décrits : a1, b1, b2 et b3 codés par les gènes TRa et TRb, respectivement. Les différentes variétés de récepteurs sont retrouvées dans le cœur, à l’exception du type b2 spécifiquement hypothalamohypophysaire. Le récepteur TRa est prédominant dans le cœur chez l’homme comme chez la souris. Chez la souris, l’isoforme TRa1 représente 70 % des récepteurs, TRb1 et TRb3 seulement 30 %. [2] TRb1 est le plus abondant des récepteurs TRb tandis que l’isoforme TRb3 est exprimé en faibles proportions dans le myocarde. Des souris transgéniques n’exprimant pas TRa1 ont une fréquence cardiaque spontanée et après administration d’hormones thyroïdiennes, réduite de 20 %, et un allongement des complexes QRS et de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme (ECG). [3] Chaque récepteur possède un site de fixation du ligand et un site de liaison avec l’acide désoxyribonucléique (ADN). La fixation de la T3 sur son récepteur modifie la structure tridimensionnelle de ce dernier qui va se lier à l’ADN à hauteur des éléments de réponse aux hormones thyroïdiennes des gènes cibles. Le récepteur activé par la T3 peut ainsi se fixer aux hormones thyroïdiennes sous la forme de monomères, d’homodimères ou d’hétérodimères entre récepteur de la T 3 et récepteur des rétinoïdes. [4] Ces hormones thyroïdiennes s’étendent sur dix à 20 nucléotides localisés au voisinage du site d’initiation de la transcription du gène cible de la T3. L’occupation des récepteurs par la T3 suscite le recrutement de coactivateurs qui se lient au récepteur à hauteur d’une séquence spécifique de la région C-terminale. Parallèlement, une acétylation des histones entraîne un relâchement de la structure de la chromatine optimisant la transcription. Les gènes cibles sont ainsi dans un état réprimé en l’absence de T3, et s’expriment après fixation de l’hormone sur ses récepteurs. L’activation des gènes cibles par la T3 est à l’origine d’une production majorée d’acide ribonucléique messager (ARNm) transcrits qui eux-mêmes vont être traduits en protéines. Les cardiomyocytes qui ne représentent que le tiers des cellules cardiaques renferment 70 à 80 % des protéines cardiaques. L’effet nucléaire des hormones thyroïdiennes est observé après un délai nécessaire à la fixation de la T3 sur son récepteur et à l’initiation de la synthèse protéique. Ce délai peut varier de 30 minutes à quelques jours. [1] Répercussion sur la synthèse de quelques protéines cardiaques sécifiques La T3 stimule les synthèses protéiques des cardiomyocytes. L’hyperthyroïdie suscite ainsi une hypertrophie cardiaque qui peut majorer le poids du cœur de 30 à 50 %. Cette hypertrophie est réversible avec le retour à l’euthyroïdie. Les hormones thyroïdiennes induisent également des modifications qualitatives de ces protéines. Ainsi, l’hypertrophie cardiaque s’associe à des modifications des propriétés contractiles des fibres musculaires myocardiques au cours de l’hyperthyroïdie. [4] La T 3 accélère la vitesse de contraction du myocarde en modifiant le profil de synthèse et de répartition des isoformes de la myosine, protéine myofibrillaire constitutive des filaments épais de l’appareil contractile des cardiomyocytes. Chez l’animal, la T3 active la transcription des isoformes a des chaînes lourdes de la myosine tandis qu’elle réprime celle des isoformes b. Ainsi, chez l’animal rendu hypothyroïdien, du fait de l’expression prépondérante de l’isoforme b de la myosine couplée à une adénosine triphosphatase (ATPase) d’activité lente, la vitesse de contraction des muscles papillaires cardiaques est lente. Inversement, chez l’animal hyperthyroïdien, la myosine est presque exclusivement de type V1 rendant compte d’une vitesse de contraction beaucoup plus rapide. Chez l’homme, l’isoforme b prédomine. Le contrôle de la T3 sur l’expression relative des isoformes de la myosine est beaucoup moins bien connu. Toutefois, un patient myxœdémateux a vu sa fraction d’éjection ventriculaire s’améliorer de 14 à 44 % après 9 mois de traitement par T4. Parallèlement, l’ARNm de l’isoforme a de la chaîne lourde de myosine augmentait de 11 fois. Les mouvements calciques intracytoplasmiques constituent le principal système de régulation de l’amplitude des contractions myocardiques systoliques et de la relaxation diastolique. [5] Les hormones thyroïdiennes participent au contrôle positif de la fonction lusitrope (rapidité du relâchement myocardique). L’activation de la relaxation diastolique passe par une majoration de la transcription du gène de la Ca2+ ATPase (SERCa2) du réticulum sarcoplasmique sous l’action de la T3. [4] Cette pompe ionique provoque le transfert actif du calcium depuis le cytoplasme des cardiomyocytes vers le réticulum sarcoplasmique durant la diastole. Le niveau d’activité de la Ca2+ ATPase est lui-même contrôlé par une protéine inhibitrice dont l’expression est modulée par les hormones thyroïdiennes : le phospholamban. L’activité de ce dernier diminue proportionnellement à son degré de phosphorylation. La T3, en inhibant la phosphorylation du phospholamban, renforce l’activité de la SERCa2 ATPase. La T 3 majore l’expression des récepteurs b-adrénergiques myocardiques ou des protéines régulatrices de type guanine nucleotide regulatory proteins et réduit celle des adénylcyclases des types V et VI. [4] Elle contrôle enfin l’expression de systèmes de transport transmembranaires, notamment ceux impliqués dans le maintien du gradient électrochimique au sein du myocarde (Na + /K + – ATPase, échangeur Na+ /Ca ++ , canaux potassiques voltage-dépendants [Kv1,5, Kv4,2 et Kv4,3]). Effet extranucléaire ne passant pas par une étape de synthèse protéique L’effet de la T3 s’observe en quelques minutes, ce qui est trop rapide pour faire intervenir une étape de synthèse protéique. La preuve d’un tel effet est obtenue par des expérimentations sur des préparations de membranes ou de myocytes dont la synthèse protéique a été inhibée. Ainsi, la T3 majore la captation cellulaire de glucose et d’acides aminés. [6] Un impact direct de la T3 ou de la T4 sur l’ATPase calcium-dépendante de la membrane plasmique ou du réticulum sarcoplasmique est également vraisemblable. Il en résulte un efflux calcique du cytoplasme myocytaire. Des modifications du courant sodium (Na + ), à l’origine d’une plus grande concentration en sodium intracellulaire, et une stimulation d’un canal potassique relèveraient du même mécanisme. Ces fluctuations des courants ioniques pourraient être responsables d’effets inotrope et chronotrope 2 © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/11/2019 par SCD LILLE 2 (13266). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Cardiologie Troubles cardiovasculaires d’origine thyroïdienne ¶ 11-048-A-10 positifs. [7] Ces mécanismes de régulation feraient intervenir une phosphorylation T4 dépendante de résidus sérine du récepteur des hormones thyroïdiennes. l’hyperthyroïdie. En revanche, au cours de l’hypothyroïdie, la pression artérielle diastolique, reflet des résistances vasculaires, est fréquemment augmentée. Autres points d’impact cardiaque des hormones thyroïdiennes Athérome Une action mitochondriale directe est possible. La T3 stimule diverses enzymes mitochondriales myocardiques telles que la carnitine-acylcarnitine translocase et la cytochrome C oxydase. Les hormones thyroïdiennes pourraient également exercer une action directe sur les canaux potassiques, la T3 stimulant par exemple le canal IK1. Interactions entre les hormones thyroïdiennes et le système sympathique La symptomatologie de l’hyperthyroïdie et de l’hyperadrénergie des phéochromocytomes est très proche : tachycardie sinusale, tremblements, hypersudations, amaigrissement{ Par ailleurs les sympathicomimétiques et la T3 induisent des effets dromotropes et inotropes positifs. À l’inverse, les b-bloqueurs ont révolutionné le traitement symptomatique des hyperthyroïdies. Au cours de l’hyperthyroïdie, l’absence d’hyperadrénergie biologique oriente vers une hypersensibilité aux catécholamines. [8] Cette hypertonie catécholaminergique résulterait d’une augmentation de la densité en récepteurs adrénergiques myocardiques. [9] En effet, le tissu cardiaque exprime des récepteurs b1 et b2 adrénergiques. Les récepteurs b1 représentent plus des deux tiers des récepteurs cardiomyocytaires et des cellules nodales. La T3 entraîne un triplement, voire le quadruplement de l’ARNm des récepteurs b1 adrénergiques chez le rat, mais pas des récepteurs b2. Inversement, les hormones thyroïdiennes diminuent l’expression des isoformes V et VI de l’adénylate cyclase qui sont d’importants régulateurs du système adrénergique. Néanmoins, au total, la sensibilité cardiaque à des stimuli adrénergiques chez l’animal hyperthyroïdien est normale. ■ Hormones thyroïdiennes et résistances vasculaires périphériques Outre leurs répercussions sur le myocarde ou son innervation, les hormones thyroïdiennes peuvent affecter le système circulatoire, en particulier la précharge et la postcharge. Volume sanguin Le volume sanguin total est augmenté dans les hyperthyroïdies, du fait d’une augmentation des volumes plasmatique et érythrocytaire, et abaissé dans les hypothyroïdies. [10] Résistances vasculaires périphériques Un des effets les plus précoces de l’administration d’hormones thyroïdiennes est la diminution des résistances vasculaires périphériques. [11] L’hyperthyroïdie peut réduire les résistances vasculaires systémiques de 50 % et majorer le débit cardiaque. Un des mécanismes invoqués est la relaxation rapide du muscle lisse vasculaire, y compris en culture, sous l’effet de la T3. [11] On évoque aussi le rôle possible d’une libération de chaleur tissulaire ou d’une hypoxie tissulaire par augmentation de l’activité métabolique à ce niveau. Au cours de l’hypothyroïdie, les résistances vasculaires périphériques ont tendance à augmenter et le débit cardiaque à baisser. Outre un effet passant par le récepteur nucléaire et la synthèse protéique dans les cellules musculaires lisses vasculaires, un impact extranucléaire des hormones thyroïdiennes permet de rendre compte des modifications précoces induites par la T3. L’augmentation du débit cardiaque et du volume sanguin d’une part, la diminution des résistances vasculaires de l’autre, font qu’en définitive, la pression artérielle moyenne n’est que peu modifiée au cours de L’association d’une hypothyroïdie et d’une athéromatose accélérée est connue depuis les premières thyroïdectomies réalisées par Kocher à la fin du XIXe siècle. Des études autopsiques, puis cliniques cas-témoins sont venues conforter cette constatation. Trois facteurs de risque majeurs contribuent à la genèse de l’athérome coronarien au cours de l’hypothyroïdie : l’hypertension artérielle (HTA), l’hypercholestérolémie (en particulier liée à la fraction low density lipoprotein [LDL]) et l’hyperhomocystéinémie. [12] Une majoration de la cholestérolémie totale et LDL (due à un ralentissement de leur catabolisme) et de la triglycéridémie a été décrite au cours de l’hypothyroïdie. Les répercussions sur le cholestérol high density lipoprotein (HDL) sont plus controversées. L’hypothyroïdie pourrait toutefois réduire ce paramètre. L’hypothyroïdie semble enfin être responsable d’un ralentissement de la clairance des chylomicrons remnants, autre facteur athérogène. La correction de l’hypothyroïdie s’associe à une normalisation de la plupart des paramètres athérogènes. [13] L’homocystéinémie, facteur de risque indépendant des pathologies cardiovasculaires occlusives, est majorée au cours de l’hypothyroïdie, mais se corrige sous traitement. [14, 15] ■ Autres répercussions myocardiques au cours des dysthyroïdies Hormones thyroïdiennes et troubles du rythme Les hormones thyroïdiennes raccourcissent la durée du potentiel d’action à la fois aux étages atrial et ventriculaire. La période réfractaire postpotentiel se raccourcit, suscitant le risque de courants de réentrée proarythmogènes. Pathologies auto-immunes La maladie de Basedow peut être associée à des dépôts de glycosaminoglycanes dans le myocarde à l’origine d’une cardiomyopathie restrictive. Exceptionnellement, elle est à l’origine d’une authentique cardiomyopathie auto-immune. [1] Conséquences thyroïdiennes d’un traitement par l’amiodarone L’amiodarone est une molécule benzofuranique antiarythmique largement utilisée par les cardiologues, mais fortement iodée : un comprimé de 200 mg contient 74,46 mg d’iode. Or, les besoins quotidiens en iode sont, en France, de 100 à 300 µg/j. L’organisme va se protéger contre l’apport massif d’iode en multipliant son élimination urinaire par 40 et en freinant sa captation par la thyroïde. L’amiodarone inhibe aussi la conversion de T4 en T3 dans la plupart des tissus. Il en résulte sous traitement un profil hormonal évocateur : diminution de la T3 de 20 à 25 %, majoration de la T4 qui peut atteindre 40 % et dépasser légèrement les valeurs supérieures de la normale, majoration de la thyroid stimulating hormone (TSH). L’amiodarone peut induire à la fois des hypo- et des hyperthyroïdies. Dans les régions carencées en iode, elle induit plus volontiers des hyperthyroïdies ; dans les régions à fort apport iodé quotidien, elle induit des hypothyroïdies. La pathogénie des hyperthyroïdies induites par l’amiodarone relève de deux mécanismes : [7] la surcharge iodée qui apporte de la matière première pour la synthèse des hormones thyroïdiennes (type 1), et la survenue de phénomènes inflammatoires occasionnant un relargage de T4 et T3 déjà présentes au sein de la thyroïde (type 2). Cardiologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/11/2019 par SCD LILLE 2 (13266). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 3 11-048-A-10 ¶ Troubles cardiovasculaires d’origine thyroïdienne Répercussions des pathologies cardiaques sur la fonction thyroïdienne Le métabolisme des hormones thyroïdiennes est influencé par les cardiopathies sévères à l’instar de ce qui peut être observé dans d’autres circonstances de maladies graves. Il peut ainsi être observé un syndrome de basse T3 au décours d’un infarctus du myocarde avec un nadir au 4e jour au cours duquel la T3 libre peut être abaissée de 40 %. [16] ■ Aspects cliniques Cœur et hyperthyroïdie Les principales manifestations cardiovasculaires rencontrées au cours de l’hyperthyroïdie sont une diminution des résistances vasculaires périphériques, une augmentation du volume sanguin, de la contractilité myocardique, du débit et de la fréquence cardiaques. Elles sont susceptibles d’engendrer des complications à type de troubles du rythme et de l’excitation, d’insuffisance cardiaque et d’angor. Habituellement rencontrées chez l’homme de plus de 60 ans, les cardiothyréoses peuvent être induites par l’hyperthyroïdie elle-même, ou, situation plus fréquente, traduire la décompensation d’une cardiopathie sous-jacente. Troubles de l’excitabilité et troubles du rythme Les accès de tachycardie sinusale et les extrasystoles ventriculaires, fréquentes lors de la phase active de la maladie, sont réversibles sous traitement. Le flutter auriculaire est plus rare et la tachycardie de Bouveret exceptionnelle. La fibrillation auriculaire représente le trouble du rythme le plus fréquent. Parfois révélatrice de l’hyperthyroïdie, elle est présente dans 9 à 22 % des cas, comparée à 0,4 % dans une population générale. [17] Rare avant 40 ans, sa fréquence augmente avec l’âge, pouvant atteindre 25 % au-delà de 60 ans. Elle est également majorée en cas de cardiopathie préexistante et d’hypersécrétion préférentielle de T3. Le retour spontané en rythme sinusal lors de la correction de l’hyperthyroïdie est habituel avant 60 ans chez des patients sans cardiopathie sous-jacente et dont l’hyperthyroïdie a été de courte durée. Sa persistance au-delà de 3 mois doit inciter à recourir à une cardioversion électrique après échec du traitement pharmacologique. Le risque emboligène, cérébral en particulier, est important, de l’ordre de 15 %. [18] Plusieurs facteurs expliquent la majoration de ce risque chez l’hyperthyroïdien : insuffisance cardiaque congestive, HTA préexistante, antécédents thromboemboliques, dilatation de l’oreillette gauche, insuffisance ventriculaire gauche. Ce risque semble important lors du retour en rythme sinusal, mais également ultérieurement, rendant nécessaire la poursuite du traitement anticoagulant pendant plusieurs mois. Troubles de conduction Si les blocs auriculoventriculaires du premier degré sont présents dans 10 % des cas environ et réversibles lors du retour à l’euthyroïdie, les blocs du deuxième et troisième degré sont exceptionnels. Valvulopathie cardiaque Au cours de la maladie de Basedow, la prévalence du prolapsus valvulaire mitral (PVM) est significativement plus élevée que dans la population générale (16,5 % à 41 % versus 8 %). [19] Elle est la conséquence d’une accumulation de dépôts de glycosaminoglycanes au niveau des valves cardiaques comme c’est le cas dans d’autres sites (région rétro-orbitaire et prétibiale). Il en résulte un prolapsus de la valve mitrale épaissie (> 5 mm) dans l’oreillette gauche. L’intervention d’un mécanisme auto-immun et l’absence de responsabilité directe des hormones thyroïdiennes rendent compte de l’incidence également accrue du PVM dans les thyroïdites auto-immunes. Insuffisance coronarienne Si l’hyperthyroïdie ne crée pas de lésions des artères coronaires, elle peut démasquer une insuffisance coronarienne méconnue chez un sujet âgé, souvent en arythmie complète par fibrillation auriculaire. Occasionnellement, un angor peut survenir chez des sujets à coronaires saines. L’infarctus du myocarde est exceptionnel chez le sujet jeune, indemne de cardiopathie sous-jacente. Insuffisance cardiaque Elle survient chez environ 6 % des patients avant 50 ans mais sa fréquence est majorée par l’âge, la durée de l’hyperthyroïdie et l’existence d’une cardiopathie préexistante. Le tableau est celui d’une insuffisance cardiaque globale d’emblée ou à prédominance droite avec œdèmes des membres inférieurs qui peuvent masquer l’amaigrissement inhérent à l’hyperthyroïdie. Si sa pathogénie est incomplètement élucidée, elle semble résulter de la conjonction de plusieurs facteurs associant surcharge volémique, diminution de la durée de remplissage diastolique et de la réserve contractile du myocarde. [17] En dehors d’une insuffisance cardiaque à débit élevé, forme la plus commune, il a été rapporté des insuffisances cardiaques à bas débit liées à une myocardiopathie. [20] Le traitement vise à corriger prioritairement l’hyperthyroïdie. Parmi les antithyroïdiens de synthèse, la préférence sera donnée au propylthiouracile qui, outre son action intrathyroïdienne, bloque partiellement la conversion périphérique de T4 en T3. Le traitement symptomatique de l’insuffisance cardiaque vise à réduire l’hypervolémie par un diurétique de l’anse et à contrôler le rythme cardiaque. En cas de fibrillation auriculaire, les digitaliques sont indiqués en rappelant leur résistance classique mais non absolue. L’utilisation de bêtabloquants, propranolol en particulier, fait toujours l’objet de nombreuses discussions. Conséquences cardiaques de l’hyperthyroïdie infraclinique [21] Définie par des concentrations normales d’hormones thyroïdiennes et un effondrement de la TSH, l’hyperthyroïdie infraclinique est susceptible d’entraîner des troubles cardiovasculaires. Elle peut révéler les mêmes causes que l’hyperthyroïdie affirmée (hyperthyroïdie endogène) ou peut être la conséquence d’un surdosage en hormones thyroïdiennes d’une hypothyroïdie traitée ainsi que d’un traitement freinateur en cas de goitre nodulaire ou dans les suites d’un carcinome thyroïdien. Les effets de l’hyperthyroïdie infraclinique endogène sur le cœur ont été peu étudiés. Il a été montré un rythme cardiaque plus élevé par rapport aux témoins. En revanche, la prévalence des arythmies ventriculaires ou supraventriculaires ne diffère pas dans les deux groupes. La fraction de raccourcissement et le pic volumétrique de débit aortique peuvent être majorés de 14 et 19 % respectivement. [22] L’index de masse ventriculaire gauche est significativement augmenté en raison de l’épaisseur du septum interventriculaire et du mur postérieur. Toutes ces anomalies sont réversibles sous antithyroïdien de synthèse. Au cours de l’hyperthyroïdie infraclinique exogène, l’échographie retrouve une augmentation de l’index de masse ventriculaire gauche ainsi qu’une altération de la fonction systolique ventriculaire gauche comme en témoigne l’augmentation de la fraction de raccourcissement. Les extrasystoles ventriculaires sont plus fréquentes et une fibrillation auriculaire n’est pas rare. L’amélioration ou la disparition de ces anomalies sous bêtabloquants est habituelle. Cœur et hypothyroïdie Décrites initialement par Zondek en 1918 sous le terme de « cœur myxœdémateux », les manifestations cardiovasculaires de l’hypothyroïdie sont diamétralement opposées à celles observées dans l’hyperthyroïdie. Elles sont caractérisées par une diminution du débit cardiaque, une augmentation des résistances vasculaires périphériques, un rythme cardiaque normal ou ralenti. 4 © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/11/2019 par SCD LILLE 2 (13266). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Cardiologie Troubles cardiovasculaires d’origine thyroïdienne ¶ 11-048-A-10 Épanchement péricardique Dans les hypothyroïdies profondes, une échographie cardiaque est nécessaire pour confirmer l’épanchement péricardique. Celui-ci, considéré comme très fréquent dans les publications anciennes (plus d’un tiers des cas), n’a pas été confirmé dans des rapports plus récents puisqu’il n’est retrouvé que dans 3 à 6 % des cas. [23] Il est habituellement bien toléré (la tamponnade est exceptionnelle) en raison de sa constitution progressive. Son importance est corrélée avec la sévérité de l’hypothyroïdie. Sous opothérapie substitutive, il régresse habituellement sans séquelle en 2 à 15 mois. Sa pathogénie, multifactorielle, résulte à la fois d’une rétention hydrosodée, d’une extravasation de l’albumine par augmentation de la perméabilité capillaire et d’un ralentissement du drainage lymphatique. Hypertension artérielle Contestée par certains auteurs, une prévalence accrue de l’HTA, entre 15 et 28 %, est retrouvée dans la majorité des études. [24] L’HTA, à prédominance diastolique, est plus fréquente chez les femmes de plus de 50 ans. Sous opothérapie substitutive, elle régresse dans 30 % des cas. Dans la constitution de cette HTA, la diminution de l’activité rénineangiotensine, retrouvée de façon inconstante, semble jouer un rôle mineur. Il en est de même du facteur atrial natriurétique dont la synthèse est altérée dans l’hypothyroïdie. En revanche, l’augmentation des résistances vasculaires périphériques joue un rôle essentiel. Myocardiopathie et insuffisance cardiaque L’hypothyroïdie est rarement responsable, en tant que cause unique de myocardiopathie. Aucun critère ne la distingue des autres causes de myocardiopathie en dehors de sa réversibilité sous traitement substitutif. Exceptionnellement, elle peut se compliquer d’une insuffisance cardiaque qui résulte d’une augmentation des besoins périphériques non compensés par une adaptation du débit cardiaque altéré par différents mécanismes, bradycardie, diminution de la contractilité myocardique notamment. Reconnaître l’origine thyroïdienne de cette insuffisance cardiaque est essentiel car le traitement substitutif est capable d’améliorer, dans un délai souvent très court, les performances myocardiques. Troubles du rythme et de la conduction À l’inverse de l’hyperthyroïdie, les troubles de la conduction sont plus fréquents dans l’hypothyroïdie que les troubles du rythme. Il a été observé un allongement de l’espace PR et un bloc de branche droit, mais exceptionnellement un bloc sinoauriculaire, des torsades de pointe, une tachycardie ou fibrillation auriculaire. Insuffisance coronarienne Les études cliniques et autopsiques ont montré la plus grande fréquence de l’athérome coronarien par rapport à une population d’âge comparable et qui contraste avec la rareté de l’angine de poitrine et de l’infarctus du myocarde au cours de l’hypothyroïdie non compensée. Lorsqu’il survient, l’infarctus est plus sévère. Deux facteurs de risque majeurs contribuent au développement de l’athérosclérose : l’HTA et l’hypercholestérolémie, en particulier sa fraction LDL. Les difficultés de la mise en œuvre du traitement substitutif sont connues de longue date. Les effets chronotropes et inotropes des hormones thyroïdiennes, en augmentant la consommation en oxygène du myocarde, peuvent accélérer l’ischémie chez des patients avec obstruction vasculaire. Sous réserve de précautions élémentaires, devenues bien classiques (doses initiales faibles, 25 µg/j de L-thyroxine, augmentation posologique de 12,5 à 25 µg toutes les 4 à 6 semaines), le traitement hormonal est plus souvent favorable que nocif sur la coronaropathie. Dans plus de 80 % des cas d’hypothyroïdie compliquée d’angor, il en résulte une amélio- ration. En cas d’aggravation de l’ischémie myocardique, les doses de L-thyroxine doivent être réduites, en association avec l’administration de bêtabloquants. Conséquences cardiaques de l’hypothyroïdie infraclinique [21] Une meilleure sensibilité du dosage de la TSH a permis de définir l’hypothyroïdie infraclinique, entité caractérisée par une augmentation isolée de la TSH au-dessus de la zone de normalité (4,5 ou 5 mUI/l selon les laboratoires). Cette situation, devenue très fréquente en raison de la banalisation du dosage de la TSH, n’est pas anodine sur le plan cardiovasculaire. Des études récentes ont confirmé que le développement de l’athérosclérose peut être accéléré par l’hypothyroïdie. Une large étude épidémiologique, la Rotterdam Study, a montré qu’il existait une corrélation entre les taux de TSH, les signes ECG évoquant un infarctus du myocarde et des stigmates radiologiques d’athérosclérose aortique. [25] Cette étude retrouve un risque d’infarctus du myocarde similaire à celui observé au cours du diabète, de l’HTA, de l’hypercholestérolémie ou du tabagisme. De plus, une étude angiographique canadienne a démontré que les sténoses coronariennes progressaient plus rapidement chez les patients hypothyroïdiens insuffisamment traités que chez ceux bénéficiant d’un traitement adapté. [26] La conclusion de méta-analyses récentes est que l’hypercholestérolémie est présente en cas d’hypothyroïdie infraclinique. Une association entre hypothyroïdie infraclinique et hyperhomocystéinémie, facteur de risque cardiovasculaire, a également été établie. Récemment, il a été montré qu’au cours de l’hypothyroïdie infraclinique il existait un dysfonctionnement ventriculaire gauche de repos secondaire à une augmentation du temps de relaxation isovolumétrique et un dysfonctionnement systolique à l’effort responsable d’une adaptation inadéquate à l’effort physique. [27] En revanche, l’atteinte de la fonction systolique ventriculaire gauche reste sujette à controverse. En conclusion, il semble que l’hypothyroïdie infraclinique doit être considérée comme une forme d’hypothyroïdie débutante associée à des signes de dysfonctionnement cardiaque. ■ Références [1] Dillmann WH. Biochemical basis of thyroid hormone action in the heart. Am J Med 1990;88:626-30. [2] Gloss B, Trost S, Bluhm W, Swanson E, Clark R, Winkfein R, et al. Cardiac ion channel expression and contractile function in mice with deletion of thyroid hormone receptor a or b. Endocrinology 2001;142: 544-50. 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Disponibles sur www.emc-consulte.com Arbres décisionnels Iconographies supplémentaires Vidéos / Animations Documents légaux Information au patient Informations supplémentaires 6 © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/11/2019 par SCD LILLE 2 (13266). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Autoévaluations Cardiologie