Vers un cadre macroéconomique de l'économie islamique

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Mohamed Talal LAHLOU UNIVERSITE MOHAMED V
Doctorant FSJES - SOUISSI - RABAT
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0661413813
52 Rue Jbel Ayachi - Agdal
L’ECONOMIE ISLAMIQUE EST-ELLE UN SYSTEME ?
VERS UN CADRE MACROECONOMIQUE
Encadrée par le professeur : Dr Mohammed NADIF
Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales - Souissi
Equipe de recherche : Finance, politique économique et compétitivité de l’entreprise
L’ECONOMIE ISLAMIQUE EST-ELLE UN SYSTEME ?
VERS UN CADRE MACROECONOMIQUE
sumé de la communication :
La finance islamique fait partie d’un ensemble plus global que l’on nomme économie
islamique (Causse Broquet, 2012). Ce concept s’inspire de pratiques remontant aux premiers
siècles de l’Islam mais n’a été appelé de la sorte qu’au vingtième siècle. D’un point de vue
scientifique, le chercheur ne peut se cantonner à l’appellation pour considérer un concept
donné comme système économique. Aussi, l’existence d’un système économique et d’une
pensée économique dans le monde islamique est assez ignorée, voire totalement dans la
pensée occidentale. « Dans son Histoire de l’analyse économique J.A. Schumpeter écrit : «
Pour ce qui concerne notre sujet (l’économie), nous pouvons sans crainte franchir d’un bond
cinq cents ans, jusqu’à l’époque de Saint Thomas D’Aquin (1225-1274) », (Verrier, 2004)…
Ainsi, les différentes facettes du système économique doivent êtres démontrées afin qu’il
puisse être considéré comme un système complet. Il est aussi nécessaire de remettre en
valeur les racines historiques de la pensée économique islamique, si pensée il y a.
Tout d’abord, ce sont des éléments de jurisprudence islamique relatifs au domaine
économique qui permettront de comprendre dans quelle mesure l’économie islamique peut-
elle être qualifiée de système. Abu Hamdane (2013, p34) soulignait que « se lancer dans la
recherche dans ce domaine sans maitriser ou savoir utiliser au minimum les notions, méthodes
et outils relatifs aux sciences islamiques ferait preuve d’une absence de rigueur scientifique,
sans parler d’honnêteté intellectuelle ». Rappelons qu’un système peut être défini par
« L’ensemble organisé de principes coordonnés de façon à former un tout scientifique ou un
corps de doctrine » (Larousse)
1
. A coté de ces éléments fondamentaux, c’est aussi l’existence
de théories économiques provenant du monde islamique, ainsi que d’un cadre de référence
qui permettront d’évaluer cette qualification de système. En analysant l’historique de la
pensée islamique, nous découvrons que les concepts de cycles, de crises, de politique
monétaire et budgétaire, de financement de l’économie, de régulation étatique, de fiscalité,
d’institutions sociales, de marchés financiers sont loin d’êtres étrangers à l’économie
islamique. La finance islamique est aujourd’hui une des principales manifestations du système
économique islamique, et ses institutions et composantes sont nombreuses et se complètent.
Parmi ces institutions nous évoquerons les institutions financières islamiques, les sociétés
d’assurance takaaful, le waqf (système de charité durable), la microfinance islamique, la zakat
et les marchés financiers islamiques. La compréhension du fonctionnement de ces institutions
éclairera notre analyse initiée par une perspective davantage conceptuelle. Un graphique
schématisera notre récapitulatif global des piliers, composantes et cadre du système
économique islamique.
Mots Clés : Système économique, système économique islamique, finance islamique,
macroéconomie
1
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/syst%C3%A8me/76262 (3/9/15)
Introduction :
Faisant partie du cercle très étendu des sciences dites humaines, l’économie islamique,
et plus particulièrement la finance islamique, repose sur un certain nombre d’axiomes, de
théories, de règles et de principes directeurs qui la régissent. Dans la tradition de ce type de
sciences, ces principes sont sujets à débat pour certains d’entre eux. Cette économie
alternative, nouvelle mais dont les principes remontent à l’arrivée du dernier des prophètes il
y a de cela plus de quatorze siècles, demeure peu documentée lorsqu’il s’agit de la présenter
comme un modèle économique intelligible et intégré reposant sur des institutions abouties et
complémentaires. La remise en cause de l’existence même d’un modèle économique
islamique est le fait de penseurs tant occidentaux que musulmans. La principale raison
derrière cette remise en cause est que l’économie islamique est représentée bien souvent
comme une série d’interdits, que l’on viendrait greffer sur un système économique capitaliste
déjà bien en place et ancré dans nos sociétés modernes.
Cette représentation pose en réalité plus de questions qu’autre chose. Si l’on part du
principe que le capitalisme est un système économique, comme le serait le marxisme, à part
entière, la représentation précédemment évoquée supposerait implicitement que l’économie
islamique n’est pas un système, c'est-à-dire qu’elle n’est pas un ensemble d’éléments
interagissant entre eux selon des principes et des règles connues. Rappelons qu’un système
peut être défini par « L’ensemble organisé de principes coordonnés de façon à former un tout
scientifique ou un corps de doctrine » ou encore un « ensemble d'éléments considérés dans
leurs relations à l'intérieur d'un tout fonctionnant de manière unitaire » mais aussi un
« ensemble de procédés, de pratiques organisées, destinés à assurer une fonction finie »
(Larousse)
2
. Un système économique est défini par le dictionnaire de l’économie du Larousse
3
comme étant un :
« Ensemble interdépendant d'institutions (droit, propriété) encadrant les activités
et les comportements économiques, en général dans l'espace national. L'analyse
systémique finit un système comme un ensemble d'éléments en relation
réciproque et en rapport avec son environnement. Elle insiste sur les notions
d'interdépendance, de cohérence, de permanence à travers les changements et
l'évolution. Elle prolonge la thèse d'Aristote selon laquelle le tout est davantage
que la somme des parties qui le composent. Dans le domaine de l'économie, le
concept de système s'applique à de nombreux niveaux. L'organisation ou la firme,
un ensemble local ou régional d'activités, une branche ou un secteur, l'économie
nationale ou même mondiale peuvent être analysées en termes de système. Ces
différents niveaux peuvent être considérés à la fois dans leur autonomie relative et
leurs interdépendances, un système se décomposant en sous-systèmes et ainsi de
suite.
Deux grands ordres historiques modernes ont été analysés comme des systèmes
économiques.
Le capitalisme est caractérisé par la propriété privée, la coordination par le
marché, le salariat (K. Marx) ou le rôle de l'entrepreneur (J. Schumpeter).
Le socialisme est défini par la propriété d'État, le plan ou la coordination
verticale, l'économie de pénurie. L'approche en termes de système considère les
liens entre les institutions, les comportements et les tendances évolutives dans les
2
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/syst%C3%A8me/76262 (3/9/15)
3
http://www.larousse.fr/archives/economie/page/237 (3/9/15)
grands ensembles économiques. Elle cherche à relier l'analyse économique et la
démarche historique. »
La définition reconnaît implicitement que l’on n’a que deux systèmes économiques
aujourd’hui. Si l’on prend les éléments soulignés par toutes ces définitions, supposer que
l’économie islamique n’est pas un système reviendrait à supposer qu’elle ne dispose pas des
principes suffisants, des théories nécessaires, des institutions adéquates ou encore des
pratiques appropriées intrinsèques à tout système. On ignorerait alors une partie des
éléments constitutifs de l’économie islamique, comme par exemple le financement de
l’économie ou encore la solidarité sociale et le système de redistribution des richesses. Les
carences seraient peut-être aussi du coté des principes et des frontières, éléments nécessaire
à l’identification de tout système, qui définissent ce qui appartient et ce qui n’appartient pas
au système. Enfin, il pourrait s’agir de lacunes au niveau de la conceptualisation des
interactions entre le système économique islamique, son environnement, et son régulateur.
Précisons d’ores et déjà que nous entendons par notre distinction entre l’économie
islamique, le capitalisme et le marxisme, une distinction institutionnelle et de principes de
fonctionnement. A aucun moment il ne s’agira d’analyser les fonctions d’utilité, les
conséquences de l’accélérateur ou du multiplicateur d’investissement, car nous partons de
l’hypothèse que les comportements humains à l’échelle microéconomique et
macroéconomique relèvent plus de lois naturelles que de choix absolument rationnels (bien
que les analystes divergent sur les causes, les caractéristiques et les conséquences de ces lois,
ce qui donna lieu aux nombreuses théories économiques). L’égoïsme, l’utilitarisme, la
propension à épargner ou les conséquences d’une demande supplémentaire sont des
phénomènes expliqués par l’économie et non institués par cette dernière. L’individu modeste
aura toujours une préférence pour la liquidité en situation de crise, quel que soit l’endroit du
monde où il se situe et le système économique dans lequel il vit, car c’est l’instinct protecteur
qui s’active. Par contre, ce qui diffère radicalement d’un système à l’autre, ce sont d’une part
les principes directeurs et les lois, et d’autre part les institutions majeures et le rôle du
régulateur (l’Etat, dans la plupart des systèmes). Notre orientation se justifie aussi par le fait
qu’il n’existe pas actuellement de système économique islamique intégré, voire avec des
variantes, comme c’est le cas du système capitaliste, et comme ce fut le cas dans une
moindre mesure pour le socialisme. Notons, pour la clarté des éléments qui vont suivre, que
la finance islamique sera qualifiée de sous-système de l’économie islamique. La finance
islamique en tant que sous-système économique sera plus particulièrement liée au
fonctionnement du financement de l’économie (banques…), du système des assurances, du
fonctionnement des marchés financiers… à coté d’autres sous-systèmes (Zakat, Waqf…).
Etant donc une construction théorique que forme l’esprit sur un sujet précis,
l’économie islamique peut-elle être qualifiée de système complet et intégré ? Est-elle régie
comme tout système par des axiomes, des principes, de propositions et de conclusions qui
forment l’essentiel de tout système de pensée, de toute doctrine scientifique ? Contient-elle
suffisamment de méthodes, de procédés organisés, de composantes et d’institutions pour
assurer un fonctionnement durable de l’économie et la société ? Quelles sont les lois les plus
déterminantes? D’abord, nous retracerons l’histoire du système économique islamique, ainsi
que ses fondements jurisprudentiels avant d’analyser la jurisprudence économique en Islam.
Ensuite, nous analyserons les principes positifs de l’économie islamique puis son cadre
théorique illustré par l’évolution de la pensée dans ce domaine. Enfin, nous détaillerons les
différentes composantes et institutions du système économique islamique, avec une certaine
insistance sur les institutions financières islamiques et leurs produits, étant l’institution phare
de la finance islamique, sous-système le plus connu de l’économie islamique.
SECTION I : Sources et fondements jurisprudentiels de l’économie islamique
Comprendre et appréhender un système nécessite de passer par l’étape
incontournable de l’identification de ses fondements théoriques et ses principes directeurs.
Dans le cas du système économique islamique, il s’agit de la jurisprudence islamique, ses
sources et ses principes. Ces éléments seront détaillés après un bref aperçu historique de son
évolution.
a. Historique
Si l’on est amené à parler des premiers écrits doctrinaux liés à la conceptualisation
moderne de la finance islamique, c’est au début du vingtième siècle que l’on devra les situer
(Chepellière, 2009), notamment avec Al Mawdudi
4
et Sader
5
(Gamal, 2006), bien que
l’évolution de la législation islamique se poursuive jusqu’à ce jour avec l’ijtihad
6
(Khallaf, 1999,
cité par Abu Hamdane, 2013). Ce fut surtout en réaction au mouvement colonial, portant en
son sein le système bancaire, que ces courants ont émergé. Cependant, les sources et les
fondements de la discipline sont à situer dès le début du huitième siècle avec la propagation
de l’Islam et des sciences qui y sont rattachées. Ainsi, l’on peut identifier dès le second siècle
de l’Hégire des ouvrages entiers consacrés à la chose économique comme « Al Kharaj »
(L’impôt) de Abu Yusuf ou encore « Al Iktisab fi Rizq al Mustatab » (l’acquisition des biens) de
Muhammad ibn al-Hasan al-Shaybānī (745-805). C’est le début d’une longue tradition qui
mêlera bien souvent science sociale et science économique et dont nous pouvons identifier
de nombreux penseurs clés comme Al Maqrizi qui rapporte la crise financière Egyptienne de
son époque à des causes liées à la politique monétaire, qu’il aborde très en détail
7
, ou encore
Ibn Khaldoun qui évoque les principales caractéristiques de la théorie des cycles dans son
« Prolégomènes » (Al Muqaddima). Cette tradition est généralement omise dans les traités
d’économie occidentaux. « Dans son Histoire de l’analyse économique J.A. Schumpeter écrit :
« Pour ce qui concerne notre sujet, nous pouvons sans crainte franchir d’un bond cinq cents
ans, jusqu’à l’époque de Saint Thomas D’Aquin (1225-1274) », un curieux contre-sens
historique et philosophique de la part d’un tel penseur (Verrier, 2004)…
Dans sa version moderne, l’économie islamique s’est surtout exprimée à travers son
sous-système le plus avancé, la finance islamique. Cette dernière est elle-même dominée par
l’institution phare qu’est l’IFI
8
. « On ne peut saisir la signification, les origines et les fondements
de la FI, si l’on ne revient pas à ladite Ecole (ou Courant) de l’Economie en Islam, comme
l’appelle Sader (1987) » (Abu Hamdane, 2013, p68). Ce dernier souligne d’ailleurs l’importance
de distinguer les deux niveaux de cette discipline, théorique et pratique. En 1956 est institué
un premier fond d’investissement conforme aux principes islamique en Malaisie, alors qu’en
1963 en Egypte et surtout 1975 à Dubai, sont créées les premières IFI privées, la banque
islamique de développement étant une institution assez unique et transnationale, fondée par
l’OCI
9
en 1974. L’économie islamique est remise au goût du jour par la révolution iranienne
de 1979 à laquelle succède l’Islamisation du système économique entier en 1983, qui a été
précédée par le Soudan dès 1979 (Khan & Mirakhor, 1990). Ces pays sont à ce jour les seuls à
s’être dotés d’une économie islamique au sens même les autorités monétaires, la banque
4
http://www.britannica.com/biography/Abul-Ala-Mawdudi
5
http://www.bostani.com/livre/notre-economie-mohammad-baqer-al-sadr.htm
6
Ijtihad : Effort (de raisonnement effectué par le savant en vue de déceler la réponse à une problématique
7
http://www.universalis.fr/encyclopedie/al-maqrizi/
8
IFI : Institution financière islamique
9
OCI : Organisation de la coopération islamique
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