«Le job d’un oncologue qui administre
une  chimiothérapie,  c’est  d’amener
son patient aussi proche de la mort
que  possible,  sans  pour  autant  le
tuer. Le  médecin sait  pertinemment
qu’en  s’attaquant  à la  tumeur,  il  va
rendre  son  patient  très  malade  :
chambouler  son  système  digestif,
faire tomber ses cheveux, miner son
système immunitaire. Il doit fermer les
yeux  sur  ces  effets  secondaires.
C’est terrible, mais c’est exactement
ce que tout bon oncologue doit faire.»
Après  tout, la  plupart de  ces effets
secondaires ne sont que temporaires,
poursuit Gary Bennett, professeur à
l’Université  McGill  et  titulaire  de  la
Chaire de recherche du Canada en
contrôle  de  la  douleur.  Une  fois  la
chimio terminée, les systèmes diges-
tifs et immunitaires reprennent leurs
droits  et  les  cheveux  finissent  par
repousser.
Le  hic,  c’est  que  certains  effets 
secondaires  refusent  obstinément 
de disparaître avec le temps. Nombre
de survivants du cancer restent aux
prises  avec  des  douleurs  neu-
ropathiques pour le restant de leurs
jours. Un fléau auquel Gary Bennett
rêve de mettre fin.
Une douleur irréversible
Les  quatre  grandes  classes  de
médicaments  utilisées  en  chimio-
thérapie — les taxanes (qui compren-
nent  entre  autres  le  paclitaxel),  les
vinca-alcaloïdes  (comme  la  vin-
cristine),  les  inhibiteurs  du  protéa-
some (dont le bortezomib) ainsi que
les agents à base de platine (comme
l’oxaliplatine)  –  endommagent  les
nerfs  du  système  nerveux
périphérique. Ils attaquent plus spéci-
fiquement les axones, ces longs pro-
longements  des  cellules  nerveuses
qui conduisent l’influx nerveux du bout
des doigts ou  des orteils jusqu’à la
moelle épinière. 
Les dommages causés aux nerfs et
les douleurs qu’ils provoquent sont si
sévères  qu’ils  limitent  la  dose  de
chimiothérapie que l’on peut admin-
istrer à un patient. «Très souvent, les
oncologues  voient  la  tumeur  se
réduire  au  fil  des  traitements,  mais
sont forcés d’arrêter la thérapie», se
désole Gary Bennett.
Une  fois  les  patients  exposés  à  la
douleur neuropathique, impossible de
revenir en  arrière. Même  après des
mois de repos, les douleurs restent
vives. Ces patients ne pourront jamais
subir  un  autre  traitement  chimio-
thérapeutique.
Les rats pour modèles
Gary Bennett était déjà réputé dans le
domaine  de  la  recherche  sur  la
douleur quand il a décidé de s’atta-
quer  au  problème.  En  1987,  alors
qu’il  était  chercheur  au  National
Institutes of Health des États-Unis, il
avait réussi à reproduire chez le rat
les douleurs neuropathiques qui affli-
gent certains  humains  à  la suite  de
blessures. Ce modèle  animal, qui a
ouvert  la  voie  à  tout  un  champ  de
recherche, est connu mondialement
sous le nom de «modèle de Bennett».
Une dizaine d’années plus tard, alors
qu’il  était  professeur  à  l’université
Hahnemann  de  Philadelphie,  Gary
Bennett  a  répété  l’exploit  avec  son
étudiante  au  doctorat  Rosemary
Polomano. «Rosemary était infirmière
spécialisée en oncologie, se rappelle-
t-il. Elle connaissait les douleurs avec
lesquelles luttaient les patients can-
céreux. Pour explorer des pistes de
solution, elle voulait créer un modèle
animal qui reproduirait la pathologie.»
Mission  accomplie  !  Les  deux
chercheurs  ont  découvert  qu’en
administrant de très faibles doses de
paclitaxel  à  des  rats,  ils  pouvaient
provoquer  chez  l’animal  les  mêmes
symptômes que ceux observés chez
les  humains.  Une  fois  à  l’Université
McGill, Gary  Bennett  a  obtenu  des
résultats  similaires  en  administrant
aux  rats  deux  autres  agents
chimithérapeutiques : la vincristine et
la  l’oxaliplatine.  Restait  le  gros  du
boulot  :  expliquer  comment  les
médicaments  endommagent  les
axones  et  envisager  comment
prévenir les dommages. 
Une fausse piste
On  sait  que  les  agents  chimio-
thérapeutiques agissent en prévenant
la  division  des  cellules  tumorales.
Plus  spécifiquement,  les  molécules
médicamenteuses  s’attachent  aux
microtubules  du  fuseau  mitotique.
Plus  spécifiquement  aux  protéines
beta-tubulines, qui sont à la base des
Quand la 
c h i m i o t h é r a p i e
laisse des
s é q u e l l e s