Questions internationales no 59 – Janvier-février 2013
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Le rayonnement
Les noms se pressent qui jalonnent une
reviviscence sur tous les registres de l’esprit.
L’architecture et l’urbanisme ont inscrit dans la
pierre la splendeur durable des villes, grandes
ou moyennes. L’art pictural a été illustré par une
profusion de chefs-d’œuvre entretenus pas des
écoles diverses, et la création soutenue par un
mécénat religieux ou aristocratique. Pêle-mêle,
Antonello de Messine, Botticelli, le Caravage,
Michel-Ange, Raphaël, Véronèse, Léonard de
Vinci, parmi d’autres, sont des arbres puissants
qui émergent d’une forêt immense de peintres.
Et la musique, des madrigaux à l’opéra en
passant par l’univers de la musique religieuse…
Inutile d’insister.
S’agit-il de politique? Machiavel continue de
dominer le courant de la pensée réaliste, l’Italie
exporte ses hommes d’État, Vico fait renaître
l’histoire universelle et anticipe les grandes
synthèses du esiècle, Gramsci actualise le
marxisme, Malaparte analyse la technique du
coup d’État. De science? Galilée change la
vision de l’univers, Léonard de Vinci est génie
universel. D’économie? Le capitalisme et les
banques se développent dans les grandes cités.
D’ouverture sur le monde? Venise maintient les
liens avec l’Orient, Marco Polo suit la route de la
soie jusqu’en Chine, c’est un Génois, Christophe
Colomb, qui découvre l’Amérique tandis qu’un
Florentin, Amerigo Vespucci, lui donne son nom.
L’apport intellectuel de l’Italie est décisif en
Europe, avant d’être affecté par la Réforme et
les guerres de religion, mais le pays reste la terre
des arts et un séjour obligé pour les meilleurs.
Il faut attendre le Risorgimento et l’aspiration
à l’unité en partie inspirée par la Révolution
française et par Napoléon pour que se développe
jusqu’à nos jours une nouvelle vision de l’Italie,
moins universaliste et plus populaire.
L’éclat, la créativité du cinéma italien au
esiècle, surtout après la guerre, en sont une
expression forte. Vision analytique et critique
de la société, comique ou dramatique, intimiste
ou en forme d’épopée, récit national, satire
sociale, moralisme politique –le néoréalisme
puis des réalisateurs comme Antonioni, Fellini,
Ferreri, Germi, Monicelli, Pasolini, Risi, Scola,
De Sica, Visconti, Zeffirelli, d’autres encore ont
marqué le cinéma européen voire mondial, et
cette génération est aujourd’hui remplacée par
de nouveaux talents.
Les vicissitudes
La société italienne durant les longs siècles
de l’émiettement passe de la division voire
de la violence à la décadence, qu’incarne
l’engourdissement de Venise.
«Laissons la vieille horloge
Au palais du vieux doge
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis»
chante Musset. Sans légitimité politique, ce sont
des familles d’aventuriers, chefs de guerre et
grands prédateurs qui font souche et dominent la
plupart des grandes cités. Leurs noms accolent
raffinement et cruauté, ou une morne tyrannie
vécue par exemple par Casanova puis par
Fabrice del Dongo. Devenue pouvoir temporel,
la papauté n’échappe pas à ces dérives, guelfes
et gibelins s’opposent tandis que la cité de Dieu
retrouve les vices et les excès du paganisme.
C’est ailleurs en Europe que rois ou empereurs
s’efforcent de reprendre le projet organisateur
de Rome, de construire des États et des
institutions publiques. L’Italie est pour eux une
belle proie, et les expéditions des Normands,
les guerres de magnificence de LouisXII, les
conquêtes autrichiennes ou espagnoles puis
napoléoniennes sont des tentatives de partage
de l’Italie, comme si de nouveaux Barbares
entreprenaient de dépecer ses restes.
La grande criminalité organisée, les mafias
régionales qui se développent apparaissent au
départ protectrices d’une population exploitée
avant de lui surajouter leur propre exploitation.
Corleone est d’abord foyer des vêpres
siciliennes, révolte contre les Français occupant
la Sicile avant de devenir lieu mythique de
naissance de la mafia – dont les initiales, très
politiques, signifieraient, selon l’une des
étymologies au demeurant invérifiables du mot,
«Morte Alla Francia! Italia Avanti!».
L’émigration italienne, très forte à la fin du e et
durant la première moitié du esiècle, est certes
postérieure à l’unité politique. Cette déperdition
humaine a été avant tout liée à des difficultés
économiques. Elle est aussi un constat d’échec