Telechargé par François Suen

3303331600596

publicité
Questions
internationales
Comité scientifique
Gilles Andréani
Christian de Boissieu
Yves Boyer
Frédéric Bozo
Frédéric Charillon
Georges Couffignal
Alain Dieckhoff
Robert Frank
Nicole Gnesotto
Pierre Grosser
Pierre Jacquet
Pascal Lorot
Guillaume Parmentier
Fabrice Picod
Philippe Ryfman
Jean-Luc Sauron
Ezra Suleiman
Serge Sur
Équipe de rédaction
Serge Sur
Rédacteur en chef
Jérôme Gallois
Rédacteur en chef adjoint
Céline Bayou
Ninon Bruguière
Rédactrices-analystes
Anne-Marie Barbey-Beresi
Sophie Unvois
Secrétaires de rédaction
Isabel Ollivier
Traductrice
Marie-France Raffiani
Secrétaire
Teodolinda Fabrizi
Houda Tahiri
Stagiaires
Cartographie
Thomas Ansart
Benoît Martin
Patrice Mitrano
(Atelier de cartographie de Sciences Po)
Conception graphique
Studio des éditions de la DILA
Mise en page et impression
DILA, CORLET
Contacter la rédaction :
[email protected]
Questions internationales assume la responsabilité du choix des illustrations et de leurs
légendes, de même que celle des intitulés, chapeaux et intertitres des articles, ainsi que des
cartes et graphiques publiés.
Les encadrés figurant dans les articles sont rédigés par les auteurs de ceux-ci, sauf indication
contraire.
Éditorial
’
L
image de l’Italie est souvent associée à de nombreux clichés,
le dernier en date étant celui d’une économie d’un pays « Club
Med ». Loin de ces lieux communs, l’Italie est avant tout une
grande puissance européenne, un État-nation au développement
économique brillant, une puissance industrielle, une société
civile active, une intelligentsia remarquable, l’un des principaux pôles
culturels et artistiques de l’Europe. Ce sont ces caractères qui font de
l’Italie l’un des piliers de la construction européenne, et que le présent
dossier entreprend d’analyser. Son fil rouge est que l’Italie est une
composante indissociable de cette construction, qui lui imprime sa marque
et oriente sa politique, même si l’attraction de l’Alliance atlantique et des
États-Unis est parallèlement forte.
Le dossier, y compris avec les « Histoires de Questions internationales »
et les « Documents de référence », ne néglige pas la dimension historique
de l’État italien, encore relativement récente. Il s’attache à la réalisation de
l’unité italienne, à la construction de l’État et à l’implantation progressive
d’un régime démocratique, mais aussi aux difficultés contemporaines,
difficultés politiques et institutionnelles, stagnation économique, déclin
démographique, clivages objectifs et subjectifs, régionaux, économiques
et sociaux de la société civile, modestie de la politique extérieure. Sur
ces différents points, l’Italie possède certes sa spécificité, mais nombre
d’entre eux sont communs aux membres de l’Union européenne.
Pour les rubriques récurrentes, on retrouvera les « Chroniques d’actualité »,
mais aussi une étude sur la dernière élection présidentielle américaine. De
façon plus synthétique, deux études sur l’Ukraine d’un côté, l’Azerbaïdjan
de l’autre. Ces deux États récents, à la périphérie de l’Union européenne
mais membres du Conseil de l’Europe, ont un passé commun comme
républiques de la défunte URSS. En dépit de cette proximité, beaucoup
de traits les opposent, langue, religion, traditions, ressources naturelles,
dimension, situation géographique, voisinage… À des titres divers, les
deux États illustrent les difficultés de la sortie de l’héritage soviétique et
cherchent leur place aux frontières non stabilisées de l’Union européenne
ou de l’OTAN, voire à l’intérieur. Avant cependant que ces perspectives
ne leur soient ouvertes, un long chemin reste à parcourir.
Cette première livraison de Questions internationales en 2013 est aussi
l’occasion de souhaiter à ses lecteurs une année qui réponde à leurs projets
et à leurs espérances.
Questions internationales
Questions internationales no 59 – Janvier-février 2013
1
Dossier
L’Italie : un destin européen
Des rayons et des ombres
L’Italie a toujours été au cœur de l’Europe, si
même elle n’est pas son origine, historique,
intellectuelle, esthétique, politique, culturelle,
une sorte de matrice et de modèle réduit de ses
rayons et de ses ombres. L’idée européenne doit
beaucoup à l’Empire romain d’Occident. Le
césarisme a inspiré beaucoup d’hommes d’État
jusque dans la période contemporaine, pas
toujours à bon escient au demeurant.
Sa vision impériale et expansionniste a nourri
les rêves des conquérants européens. Son droit
civil a inspiré nombre de législateurs. Le latin
est la mère de plusieurs de ses langues. Capitale
du christianisme puis du catholicisme, Rome a
donné à l’Église, avec la papauté, son armature
politique, dogmatique et spirituelle jusqu’à
nos jours. Rome, aujourd’hui simple capitale
nationale, a longtemps été centre politique du
monde, Urbs, la Ville par excellence, avant de
devenir capitale des arts et séjour obligé des
artistes de toutes nationalités et de tous genres.
Il est vrai que l’Italie, s’il n’est pas anachronique d’en parler comme d’une entité, a connu
au cours des siècles des régressions impressionnantes. Elle est passée de la maîtrise du
monde connu, de l’acmé de la civilisation, aux
invasions barbares, à la dislocation intérieure,
à la domination extérieure, après une longue
décadence, jusqu’à perdre toute identité autre
que géographique. Survivait un archipel de
villes, Venise, Florence, Gênes, Naples, cœur
de principautés, duchés, petits royaumes ou
républiques parcellaires et souvent en butte aux
conflits civils ou aux appétits extérieurs.
Il est vrai aussi que l’Europe dans sa diversité et dans sa division s’est développée à
partir d’autres foyers politiques et culturels,
germanique, anglo-saxon, slave, voire latins,
tous héritiers de la chute de Rome plus que
de son triomphe. Il n’en demeure pas moins
que l’influence diffuse de la civilisation
romaine dans ses différents registres continue
4
Questions internationales no 59 – Janvier-février 2013
à caractériser l’Europe même si elle n’est plus
dominante.
Au fond, il existe aujourd’hui deux Italie,
celle qui est l’héritière intellectuelle et esthétique d’un pays qui semble avoir un pacte avec
la beauté et qui rayonne de par le monde. Ce
n’est pas seulement l’Italie des nobles ruines
antiques, des musées, d’un patrimoine artistique sans égal. C’est aussi celle qui a connu
une créativité constante, l’effervescence
d’une société civile toujours en mouvement et
souvent aux avant-postes des mutations culturelles occidentales, mais aussi des évolutions
économiques et sociales.
L’autre Italie, beaucoup plus récente, est celle
qui a résulté de son unité politique voici un siècle
et demi. Vieille civilisation toujours renouvelée,
État encore jeune qui peine parfois à exercer
son emprise sur la société civile. Il a connu
et connaît nombre de tribulations politiques
internes, il a du mal à trouver une posture
internationale autonome, et la construction
européenne représente depuis six décennies
l’élément le plus stable de son orientation avec
l’engagement transatlantique. Les deux Italie
ont chacune leur part de rayons et d’ombres.
Une société civile vibrante
Elle a toujours connu, dès quelques siècles
après la chute de l’Empire, une vitalité
intellectuelle, artistique, même politique avec le
repli sur des communes redevenues cités puis
cités-États. La recherche de la cité chrétienne
selon saint Augustin, l’autorité papale, la
synthèse du thomisme ont marqué et contribué
à civiliser l’Europe médiévale, le latin est la
langue des clercs. Dans tous les domaines
avec la Renaissance et ensuite, l’Italie a été à
la tête de la civilisation européenne. Jusqu’à
l’Unité, les temps se télescopent, elle semble
échapper à l’histoire pour une existence divisée
et contrastée, brillante mais dominée.
Le rayonnement
Les noms se pressent qui jalonnent une
reviviscence sur tous les registres de l’esprit.
L’architecture et l’urbanisme ont inscrit dans la
pierre la splendeur durable des villes, grandes
ou moyennes. L’art pictural a été illustré par une
profusion de chefs-d’œuvre entretenus pas des
écoles diverses, et la création soutenue par un
mécénat religieux ou aristocratique. Pêle-mêle,
Antonello de Messine, Botticelli, le Caravage,
Michel-Ange, Raphaël, Véronèse, Léonard de
Vinci, parmi d’autres, sont des arbres puissants
qui émergent d’une forêt immense de peintres.
Et la musique, des madrigaux à l’opéra en
passant par l’univers de la musique religieuse…
Inutile d’insister.
S’agit-il de politique ? Machiavel continue de
dominer le courant de la pensée réaliste, l’Italie
exporte ses hommes d’État, Vico fait renaître
l’histoire universelle et anticipe les grandes
synthèses du xixe siècle, Gramsci actualise le
marxisme, Malaparte analyse la technique du
coup d’État. De science ? Galilée change la
vision de l’univers, Léonard de Vinci est génie
universel. D’économie ? Le capitalisme et les
banques se développent dans les grandes cités.
D’ouverture sur le monde ? Venise maintient les
liens avec l’Orient, Marco Polo suit la route de la
soie jusqu’en Chine, c’est un Génois, Christophe
Colomb, qui découvre l’Amérique tandis qu’un
Florentin, Amerigo Vespucci, lui donne son nom.
L’apport intellectuel de l’Italie est décisif en
Europe, avant d’être affecté par la Réforme et
les guerres de religion, mais le pays reste la terre
des arts et un séjour obligé pour les meilleurs.
Il faut attendre le Risorgimento et l’aspiration
à l’unité en partie inspirée par la Révolution
française et par Napoléon pour que se développe
jusqu’à nos jours une nouvelle vision de l’Italie,
moins universaliste et plus populaire.
L’éclat, la créativité du cinéma italien au
xxe siècle, surtout après la guerre, en sont une
expression forte. Vision analytique et critique
de la société, comique ou dramatique, intimiste
ou en forme d’épopée, récit national, satire
sociale, moralisme politique – le néoréalisme
puis des réalisateurs comme Antonioni, Fellini,
Ferreri, Germi, Monicelli, Pasolini, Risi, Scola,
De Sica, Visconti, Zeffirelli, d’autres encore ont
marqué le cinéma européen voire mondial, et
cette génération est aujourd’hui remplacée par
de nouveaux talents.
Les vicissitudes
La société italienne durant les longs siècles
de l’émiettement passe de la division voire
de la violence à la décadence, qu’incarne
l’engourdissement de Venise.
« Laissons la vieille horloge
Au palais du vieux doge
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis »
chante Musset. Sans légitimité politique, ce sont
des familles d’aventuriers, chefs de guerre et
grands prédateurs qui font souche et dominent la
plupart des grandes cités. Leurs noms accolent
raffinement et cruauté, ou une morne tyrannie
vécue par exemple par Casanova puis par
Fabrice del Dongo. Devenue pouvoir temporel,
la papauté n’échappe pas à ces dérives, guelfes
et gibelins s’opposent tandis que la cité de Dieu
retrouve les vices et les excès du paganisme.
C’est ailleurs en Europe que rois ou empereurs
s’efforcent de reprendre le projet organisateur
de Rome, de construire des États et des
institutions publiques. L’Italie est pour eux une
belle proie, et les expéditions des Normands,
les guerres de magnificence de Louis XII, les
conquêtes autrichiennes ou espagnoles puis
napoléoniennes sont des tentatives de partage
de l’Italie, comme si de nouveaux Barbares
entreprenaient de dépecer ses restes.
La grande criminalité organisée, les mafias
régionales qui se développent apparaissent au
départ protectrices d’une population exploitée
avant de lui surajouter leur propre exploitation.
Corleone est d’abord foyer des vêpres
siciliennes, révolte contre les Français occupant
la Sicile avant de devenir lieu mythique de
naissance de la mafia – dont les initiales, très
politiques, signifieraient, selon l’une des
étymologies au demeurant invérifiables du mot,
« Morte Alla Francia! Italia Avanti! ».
L’émigration italienne, très forte à la fin du xixe et
durant la première moitié du xxe siècle, est certes
postérieure à l’unité politique. Cette déperdition
humaine a été avant tout liée à des difficultés
économiques. Elle est aussi un constat d’échec
Questions internationales no 59 – Janvier-février 2013
5
DOSSIER
L’Italie : un destin européen
de la société italienne de l’époque, confrontée
aux contraintes de la révolution industrielle
dans un État naissant, société marquée par des
inégalités profondes et une évidente difficulté
d’intégration de populations si longtemps
séparées. Mais elle appartient aux fragilités d’un
État nouveau, longtemps et peut-être encore en
quête de lui-même.
Un État en quête de lui-même
L’unité politique a résulté d’une double logique,
patriotique d’un côté, celle des élites, devenue
nationale et populaire avec Mazzini, Garibaldi,
Verdi, celle d’un État, le Piémont, avec Cavour
et Victor-Emmanuel II, de l’autre. Alors société
civile et construction étatique allaient de pair,
et le nouvel État est parvenu à se développer
en État moderne, à l’imitation des grands États
européens. Son histoire politique, économique
et sociale est intimement liée à celle de l’Europe
occidentale dans son ensemble, même si elle y
ajoute ses fragilités propres.
Un État moderne
L’Italie a précédé de peu l’Allemagne sur la voie
de l’unité, et les deux sont les expressions les
plus puissantes du principe des nationalités au
xixe siècle. Cherchant à rattraper le temps perdu,
ils se sont lancés dans le développement des
instruments de puissance des autres – éducation
populaire, économie industrielle, armée
redoutable pour l’Allemagne, compétition
coloniale en Afrique pour l’Italie.
Simplement, l’Allemagne après 1871 était
un État repu, qui assumait vigoureusement
sa montée de puissance en Europe avant de
nourrir des ambitions mondiales, là où l’Italie
cherchait plus laborieusement les premiers
rôles. Elle conservait certaines frustrations,
son espace national n’était pas à ses yeux
pleinement réalisé, et la France occupait à son
gré une place encombrante en Méditerranée et
en Afrique du Nord. La relation avec la France
était particulièrement équivoque, ce pays ayant
soutenu son unification avant de s’opposer à la
conquête de Rome pour ménager la papauté.
Aussi l’Italie se rapprochait avec la Triplice de
6
Questions internationales no 59 – Janvier-février 2013
l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, pourtant
son ennemi historique.
Le développement économique et industriel
du pays en fait parallèlement, surtout au Nord,
un partenaire économique important, avec les
vicissitudes qui s’associent à l’industrialisation
de l’époque, naissance d’une classe ouvrière et
d’intellectuels pauvres, d’un prolétariat actif qui
se tourne vers le communisme ou vers l’anarchie
violente. De celle-ci, le président Sadi Carnot
ou l’impératrice Élisabeth d’Autriche, la célèbre
Sissi, font les frais avant 1914, puis la résurgence
de l’action sanglante avec les Brigades rouges
dans les décennies 1970 et 1980 culmine au
moment de l’assassinat d’Aldo Moro.
Aujourd’hui, si l’Italie partage les difficultés
f i n a n c iè r e s d e nomb r e d’é c o nom ie s
européennes, elle demeure économiquement
solide, avec des entreprises brillantes, dans
le domaine automobile ou celui de la mode
notamment. Elle a été l’un des membres
fondateurs des Communautés européennes puis
de la zone euro et demeure l’un des piliers de
l’Union. Le rôle des hommes d’État italiens,
De Gasperi à l’origine, Prodi, Monti, Draghi
aujourd’hui, s’est même accru en son sein,
en dépit de la méfiance parfois exprimée en
Europe du Nord contre « l’Europe Club Med ».
Mais c’est sur le plan du système institutionnel
et politique interne que l’État italien apparaît le
plus fragile.
Un système institutionnel
et politique fragile
L’Italie n’est pas le seul grand pays européen
qui ait connu d’importantes tribulations
institutionnelles et politiques, et depuis sa
naissance l’Allemagne ou la France n’ont pas
été en reste. Mais ils semblent aujourd’hui
plus stabilisés que ne l’est ce pays. L’Italie est
passée de la monarchie constitutionnelle au
fascisme puis à la république parlementaire,
avec des pratiques évolutives qui font que l’on
parle aujourd’hui d’une « IIe République ». Au
fond, le pays a toujours éprouvé de la difficulté
à assumer l’alternance, et souvent recherché une
sorte d’orthodoxie consensuelle contrebattue
par des minorités extrémistes.
Téléchargement