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Article original
Reçu le :
28 mars 2007
Accepté le :
18 mai 2007
Ostéoradionécroses mandibulaires :
partie I : facteurs de gravité
Mandibular osteoradionecrosis: part I: severity factors
C. d’Hauthuille1,*,2, S. Testelin2, F. Taha2, G. Bitar2, B. Devauchelle2
1
Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, CHU de Nantes, place Alexis-Ricordeau,
44000 Nantes, France
2
Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, CHU d’Amiens, France
Summary
Résumé
Introduction. The severe evolution for some patient presenting
with osteoradionecrosis, even if classified in the same stages as
other patients, suggests that there are aggravating factors.
Material and method. A retrospective study was made between
1992 and 2002 on all patient operated for mandibular osteoradionecrosis. Fifty-nine patients were included and the mandibular
defects were reconstructed with a bone or a composite free flap
(fibula 21%, iliac crest 49%, scapula 6%, antebrachial 3%), and
with a periosteal free flap (13%).
Results. The study included severe cases (87% of stage II or III)
operated on several times without success. Free flap reconstruction was successful in 90% of the cases. However, complications
were present in 60% of cases (24% minor complications, 48%
major complications), and were more frequent with a higher stage.
The analysis allowed identifying morbidity factors.
Discussion. Studying the morbidity allowed identifying severity
factors of osteoradionecrosis; spontaneous onset, important irradiation (important dose, bone proximity of the tumor, bilateral
damage), vascular damage (symphyseal localization, lack of
sequestrum, facial artery ligature, active tobacco addiction), actinomycosis colonization, non-observance of medical treatment. Understanding aggravating factors should allow us to offer more efficient surgery on an early osteoradionecrosis stage, also decreasing
the morbidity linked to reconstructive surgery.
© 2007 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction. L’évolution redoutable de certains patients atteints
d’ostéoradionécrose mandibulaire, pourtant classées dans les
mêmes stades que d’autres, laisse supposer qu’il existe des éléments aggravant l’évolution de la maladie. Ce travail a cherché à
identifier ces facteurs.
Matériel et méthode. Une étude rétrospective a été menée entre
1992 et 2002 sur tous les malades opérés d’une ostéoradionécrose
mandibulaire. Cinquante-neuf patients ont été inclus. Les modalités de reconstructions ont été des lambeaux libres osseux ou composites (21 % de lambeaux de fibula, 49 % de crête iliaque, 6 %
de scapula, 3 % de lambeau antébrachial) et 13 % de lambeaux
périostés.
Résultats. La série se constituait de malades à des stades avancés
de la maladie (87 % de stades II et III), multi-opérés sans succès.
La reconstruction par lambeau libre a été efficace dans 90 % des
cas. Les complications, présentes dans 60 % des cas, étaient non
négligeables (24 % de complications mineures, et 48 % de complications majeures), d’autant plus lorsque le stade l’ostéoradionécrose était avancé. L’analyse des résultats a permis d’identifier des
facteurs de gravité : l’apparition spontanée, l’importance de l’irradiation (dose totale, proximité osseuse de la tumeur, bilatéralité de
l’atteinte osseuse), l’atteinte vasculaire (localisation symphysaire,
absence de séquestre osseux, la ligature de l’artère faciale, la persistance de l’intoxication tabagique), la présence d’une actinomycose, et la non-observance du traitement médical.
Discussion. La connaissance de ces facteurs de gravité permettra
de proposer une chirurgie plus efficace à un stade moins évolué de
la maladie, afin d’en diminuer les risques.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Keywords: Osteoradionecrosis, Reconstructive surgical procedures,
Oral surgical procedure, Radiotherapy, Microsurgery
Mots clés : Ostéoradionécrose, Intervention chirurgicale
reconstructrice, Intervention chirurgicale buccale, Radiothérapie,
Microchirurgie
* Auteur correspondant.
e-mail : [email protected]
513
0035-1768/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
10.1016/j.stomax.2007.05.003 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525
C. d’Hauthuille et al.
Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525
Introduction
Données recueillies
Conséquence d’une cascade d’événements, l’ostéoradionécrose ne survient heureusement que peu fréquemment,
mais lorsqu’elle apparaı̂t, le temps compte alors plus que
jamais. Ce n’est que lentement que naı̂t cette redoutable
nécrose de l’os, fruit de lésions invisibles. « Le visible
ouvre le regard sur l’invisible », et « tout ce qui se manifeste est vision de l’invisible » (Anaxagore, philosophe
grec). Conséquence de l’hypoxie, et de l’infection osseuse,
l’ostéoradionécrose est traitée, sur le plan médical, par
une antibiothérapie prolongée et par une oxygénothérapie
hyperbare. Mais sa prise en charge ressemble parfois à une
passivité inconsciente, laissant évoluer ce « cercle vicieux
cellulaire autoentretenu » vers des dégâts plus importants.
Si les lésions radiques ne deviennent visibles qu’au stade de
l’ostéoradionécrose, la persistance de l’évolution de cette
dernière n’est pas non plus toujours visible. Par ailleurs,
les tentatives de curetage de cavité, de régularisation de
crête peuvent alors se comporter comme de véritables
facteurs déclenchants d’une nouvelle poussée évolutive
masquée par un recouvrement muqueux temporaire et
inefficace.
L’évolution des définitions de l’ostéoradionécrose au cours
du temps montre à quel point le diagnostic peut être parfois difficile, mais doit être réalisé au début de la maladie.
En même temps que ces définitions s’affinent, sont proposées également différentes classifications cliniques visant à
guider l’attitude thérapeutique [1-3]. Mais on constate bien
leurs limites, car il reste à expliquer pourquoi certains
patients, pourtant classés initialement dans le même
stade clinique, répondent mal à un traitement bien conduit
[1, 4]. Alors que nombreux sont ceux qui pensent qu’il vaut
mieux réserver la chirurgie pour des cas avancés et écrivent
« qu’il peut être plus dangereux d’intervenir tôt que de trop
attendre » [5], la morbidité d’une chirurgie à un stade évolué autorise-t-elle un tel raisonnement ?
Plutôt que de se demander « quand faut-il opérer ? » en
fonction du stade clinique, il faudra s’interroger sur « qui
faut-il opérer ? » selon des critères de gravité spécifiques
que ce travail a cherché à identifier.
L’ensemble des dossiers ont été relus, et les données
recueillies sur un formulaire. Données administratives :
nom ;
prénom ;
date de naissance ;
sexe ;
lieu de résidence principale.
Matériels et méthodes
L’étude a été continue et rétrospective entre 1992 et 2002 ;
62 cas d’ostéoradionécroses faciales opérées ont été retrouvés. Les trois cas d’ostéoradionécroses maxillaires ont été
exclus pour plus d’homogénéité de l’étude des 59 cas
d’atteintes mandibulaires.
514
État antérieur
Prise en charge de la tumeur (date de première consultation pour la tumeur, classification TNM, mode de traitement (chimiothérapie, radiothérapie externe, curiethérapie,
chirurgie), date de la chirurgie, présence ou non d’un lambeau osseux de reconstruction, présence ou non d’un évidement cervical, radical, ou non, localisation de la tumeur,
nature anatomopathologique) ;
radiothérapie initiale (dose totale d’irradiation, dose
d’irradiation en zone d’ostéoradionécrose, fractionnement
de la dose, homolatéralité de la lésion tumorale et de
l’ostéoradionécrose, présence de dents au moment de l’irradiation, préventions effectuées) ;
oxygénothérapie hyperbare (date de la première séance,
durée totale, évaluation de l’efficacité clinique) ;
évaluation des traitements antérieurs (date de la première intervention à visée curative, nombre total d’interventions avant la chirurgie étudiée, types et dénombrement des chirurgies tentées (curetages osseux, résections
en baguette, résections bicorticales, lambeaux locaux, lambeaux pédiculés, lambeaux libres, greffons costaux).
Évaluation de l’ostéoradionécrose
Clinique : date de première consultation, présence d’un
facteur déclenchant, date du facteur déclenchant, classification étiologique de Wong et al. [1] (1 : nécrose en cours
d’irradiation, 2 : récidive tumorale, 3 : traumatisme, 4 : de
novo), et clinique d’Epstein [2] (I : stabilisée, asymptomatique, II : symptômes stables supérieurs à trois mois, III :
évolutive), ou descriptive de Breton et Seguin [3] (I : asymptomatique, II : symptomatologie modérée, III : symptomatologie sévère), présence de signes cliniques (douleur, limitation de l’ouverture buccale, dénudation muqueuse, fistule
cutanée, fracture, signe de Vincent), taille de la dénudation
muqueuse, mesure de la limitation de l’ouverture buccale ;
évaluation de la perte de substance mandibulaire, gradée
selon une classification des pertes de substance interruptrice de la mandibule (PSIM) proposée en 1992 [6] ;
traitement médical de l’ostéoradionécrose (proposé [oui/
non], nature du traitement médical) ;
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
radiologique : orthopantomogramme et TDM (localisation, taille, fracture) et modèle stéréolithographique.
Traitement chirurgical
Évaluation de la chirurgie : opérabilité (index de masse
corporelle [IMC], score de risque anesthésique ASA, amaigrissement, date de réalisation, présence d’une éventuelle
difficulté de dissection, nature du pédicule, résection interruptrice [oui/non], nature du lambeau, nombre de fragments osseux, nature de l’ostéosynthèse, position de la
palette cutanée, taille de la résection osseuse) ;
évaluation du temps microchirurgical (difficulté de réalisation, vaisseaux receveurs, type d’anastomose, qualité de
l’anastomose, anastomose refaite [oui/non], qualité du
retour veineux, recours à un pontage veineux [oui/non]) ;
évaluation anatomopathologique (présence de cellules
tumorales, d’une actinomycose, d’une infection bactérienne, d’une fibrose aspécifique, ou de lésions typiques
d’ostéoradionécrose).
Évaluation du résultat
Évaluation des suites opératoires : complications majeures et mineures, durée de l’hospitalisation, délai de réalimentation (définie comme la prise d’un repas complet),
puis à six mois, entre six mois et un an, et à distance,
morbidité du site donneur, morbidité liée au matériel
d’ostéosynthèse ;
morbidité de l’intervention chirurgicale, définie à partir
de l’analyse de sept critères (durée de l’intervention chirurgicale de revascularisation, durée d’hospitalisation postopératoire, délai avant la reprise de l’alimentation orale,
nombre total d’interventions cumulées pour traiter l’ostéoradionécrose, perte de poids (poids habituel moins le poids
le jour de l’intervention), score de risque préanesthésique
ASA, mortalité précoce, dans les six mois suivant l’acte
opératoire) ;
complications postopératoires, classées en deux grades :
complications mineures (hématome, fistule cutanée, dénudation muqueuse, infection, exposition du matériel sensible
aux traitements locaux ou médicamenteux en moins de six
mois), et complications majeures (fistule cutanée, dénudation muqueuse, infection, exposition de matériel, nécrose
de palette cutanée, morbidité du site de prélèvement du
lambeau, nécessitant une reprise chirurgicale) ;
évaluation radiologique à distance (date du dernier
contrôle radiographique, analyse qualitative de la lyse
osseuse, intégration radiologique de l’os apporté (fusion
complète, liseré résiduel, aspect de pseudarthrose asymptomatique, ou pseudarthrose), nature du cliché (radiographie
ou scanner). Les orthopantomogrammes de contrôle ont
été évalués en moyenne 16 mois après l’intervention.
Quinze dossiers n’ont pas été évalués radiologiquement
compte tenu de l’absence de contrôle radiologique présent
dans le dossier, ces derniers ayant été confiés au praticien
proche du domicile du patient réalisant la réhabilitation
dentaire ;
évaluation qualitative de la faisabilité, de la réhabilitation dentaire ou prothétique (qualité de l’os en hauteur,
et en épaisseur, du vestibule, contour externe de la mandibule, présence d’une latérodéviation, présence d’une limitation de l’ouverture buccale) ;
évaluation dentaire (date de la réhabilitation, nature de
la réhabilitation) ;
mortalité (patient décédé [oui/non], cause du décès, date
du décès [pour les décès survenus dans les 18 mois postopératoires]).
Analyses statistiques
Les variables qualitatives ont été analysées à l’aide de test
de Khi2 ou de Fischer lorsque le nombre de sujets l’imposait. Les variables quantitatives ont été analysées entre
elles par un test de corrélation de Spearman, et avec les
variables qualitatives à l’aide des tests de Student, ou de
l’Anova en fonction des cas.
Ces critères ont été retenus pour analyser l’efficacité des
différentes techniques chirurgicales, pour comparer les différents stades, et pour la discussion.
Résultats
L’étude portait sur 59 dossiers répartis en 54 hommes
(92 %) et cinq femmes (8 %) âgés de 54 ans en moyenne
(37 à 70 ans) au moment du diagnostic. Les dossiers ont
été inclus entre 1992 et 2002. L’origine géographique des
patients était départementale dans 27 % des cas, régionale
dans 47 % des cas, et nationale dans 26 % des cas.
Le diagnostic d’ostéoradionécrose a été posé en moyenne
quatre ans (trois mois à 14 ans) après la prise en charge
initiale de la tumeur. La localisation tumorale la plus fréquente était le plancher buccal (26 patients, soit 44 %).
Pour 92 % d’entre elles, il s’agissait d’un carcinome épidermoı̈de, les autres tumeurs retrouvées étaient un adénocarcinome, un lymphoépithéliome, un carcinome spinocellulaire de la joue, un papillome inversé dégénéré des fosses
nasales, et un lymphosarcome à grandes cellules.
Le traitement tumoral initial a été chirurgical pour 61 % des
patients. La radiothérapie adjuvante a consisté en une irradiation externe pour 56 patients (95 %), associée à une
curiethérapie locale pour six patients (10 %). Un traitement
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C. d’Hauthuille et al.
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par chimiothérapie a été proposé pour 26 % des patients
avant, ou en même temps que la radiothérapie.
La dose totale d’irradiation, lorsqu’elle était connue
(26 patients), était de moins de 60 Gy pour sept patients,
de 60 à 65 Gy pour cinq patients, et de plus de 65 Gy pour
14 patients (dont quatre ont reçu 75 Gy).
Mode de survenue de l’ostéoradionécrose
41 % de lyse bicorticale. Dans les cas où l’atteinte était unicorticale sur l’orthopantomogramme, le scanner a précisé
l’extension en montrant dans 40 % des cas une atteinte
médullaire associée. Par ailleurs, neuf patients (soit 15 %)
présentaient une atteinte bilatérale radiologique.
Tentatives de traitements antérieurs
Traitement médical
Un facteur déclenchant (tableau I) a été retrouvé dans 46 %
des cas (27 patients) :
quatre cas de récidive tumorale découverte à l’occasion
de la prise en charge de l’ostéoradionécrose : un cas de
nécrose tumorale au cours de la radiothérapie (stade
Wong 1) et trois cas de récidive tumorale à distance de la
radiothérapie (stade Wong 3) ;
23 cas d’origine traumatique dentaire ou chirurgicale
(stade Wong 3), dont 17 cas après une extraction dentaire,
quatre cas par irritation prothétique, un cas d’exposition
osseuse chirurgicale, et un cas par parodontopathie
évoluée ;
dans 35 cas (59 %), aucun facteur déclenchant n’a été
retrouvé (stade Wong 4).
Évaluation clinique préopératoire
En utilisant la classification clinique de Breton et Seguin [3],
la série était constituée essentiellement de stades II et III
(40 et 47 %), avec 13 % de stades I.
Évaluation radiologique
Un traitement médical a été tenté avant la chirurgie de
revascularisation pour 43 patients (soit 73 % des cas). Dans
la majorité des cas, il a consisté en une antibiothérapie prolongée, associée à des antalgiques. Les antibiotiques les
plus classiquement utilisés étaient l’amoxicilline plus acide
clavulanique en association avec la pristinamycine.
Oxygénothérapie hyperbare
Un traitement par oxygénothérapie hyperbare a été proposé à 18 % des malades.
Traitements chirurgicaux (tableau II)
Un traitement chirurgical antérieur a été tenté sans succès
pour 38 patients (64 %). L’intervalle entre la première tentative chirurgicale, et la chirurgie de revascularisation a été
de 18 mois en moyenne (entre un mois et dix ans).
Trente et un patients (soit 82 %) ont subi moins de trois
interventions, cinq (13 %) en ont subi trois, et deux ont
subi respectivement cinq et six interventions. Les techniques utilisées étaient : le curetage osseux (28 cas), la résec-
Tableau II
La branche horizontale était atteinte dans 86 % des cas
(isolée à la branche horizontale dans 32 % des cas), l’angle
mandibulaire dans 42 % des cas (isolée dans 5 % des cas), la
symphyse 24 % (isolée dans 3 % des cas), et la branche
montante 17 %.
L’évaluation qualitative de l’atteinte osseuse sur l’orthopantomogramme se répartissait en 25 % de lyse unicorticale, 34 % de lyse « floconneuse » corticale et médullaire, et
Nombre d’interventions chirurgicales antérieures.
Nombre
d’interventions
Nombre
de patients
Pourcentage
de patients
1
2
3
5
6
Total
21
10
5
1
1
38
55
26
13
3
3
100
Tableau I
Facteur déclenchant de l’ostéoradionécrose.
Facteur déclenchant ORN
Récidive tumorale
Extraction dentaire après la radiothérapie
Irritation prothétique
Nécrose d’un lambeaude couverture
Parodontopathie
Aucun facteur déclenchant
Total
516
3
17
4
1
1
33
59
Stade Wong
5,1 %
28,8 %
6,8 %
1,7 %
1,7 %
55,9 %
100 %
g
Stade 2
5%
Stade 3
39 %
Stade 4
56 %
100 %
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
tion non interruptrice (trois cas), interruptrice (13 cas), une
couverture par un lambeau local (11 cas), pédiculé (huit cas),
un lambeau libre osseux (six cas), musculaire (deux cas),
périosté (trois cas), greffon costal (trois cas).
Chirurgie de revascularisation
Quatre-vingt-dix-sept pour cent des patients ont été
reconstruits par un lambeau libre. Les autres patients
(deux cas) ont été opérés en utilisant un lambeau pédiculé
(lambeau de grand pectoral de couverture), car leur état
général ne permettait pas une intervention longue. La
moyenne d’âge au moment de l’intervention était de
56 ans (39 à 72 ans).
Indication et importance de la résection osseuse
Pour les autres dossiers présentant une atteinte mandibulaire, la résection osseuse a été interruptrice pour 77 % des
atteintes mandibulaires, avec une importance de résection
entraı̂nant une perte de substance PSIM 1 dans 20 % des
cas, PSIM 2 dans 65 %, PSIM 3 dans 13 %, PSIM 4 dans 2 %.
La taille de la résection osseuse a été de 87 mm en
moyenne (20 à de 180 mm).
85 % des cas de synthèse par miniplaque n’ont pas présenté de complication due au matériel.
Nécessité d’une palette cutanée
Une palette cutanée a été utilisée pour 29 patients (49 %) :
pour la couverture endobuccale chez 21 patients (72 %), cervicale pour cinq patients (17 %), et mixte (endobuccale et
cervicale) pour trois patients (10 %).
Temps microchirurgical
La dissection cervicale a été qualifiée par l’opérateur de
« difficile » dans 34 % des comptes-rendus opératoires.
Soixante-deux pour cent des patients ont eu un curage ganglionnaire au cours du traitement chirurgical carcinologique,
étendu sur le mode radical avec sacrifice de la veine jugulaire interne dans 7 % des cas. Le temps microchirurgical a
été qualifié de « difficile » par l’opérateur dans 25 % des
comptes-rendus opératoires. Dans les 18 cas où la dissection
cervicale avait été difficile en début d’intervention, la microchirurgie a été qualifiée de difficile dans 44 % des cas.
Dans les cas où une résection interruptrice n’a pas été
nécessaire, la reconstruction a fait appel à huit lambeaux
périostés (57 % des cas non reconstruits), trois lambeaux
cutanés de couverture (21 %), et trois lambeaux musculaires
(21 %).
L’anastomose artérielle était terminoterminale sur une
branche de la carotide externe, ou terminolatérale majoritairement lorsqu’elle était réalisée sur l’artère carotide
externe. L’anastomose veineuse a également été réalisée
en terminoterminal, sauf pour la veine jugulaire interne,
en terminolatéral dans tous les cas. Un pontage veineux a
été nécessaire pour quatre malades (trois greffons de veine
saphène, et un greffon de veine du bord radial). Le retour
veineux était de bonne qualité pour 51 anastomoses (86 %).
Lambeaux osseux
Analyse anatomopathologique
Lambeaux de couverture
Lorsque la résection était interruptrice, la reconstruction
osseuse a été réalisée par 25 lambeaux osseux (56 %), et
20 lambeaux osseux composites (44 %), associés à une
palette cutanée. Tous les patients ayant eu une résection
interruptrice de leur mandibule ont été reconstruits immédiatement par un lambeau osseux.
Les lambeaux osseux utilisés ont été la crête iliaque dans
65 % des cas, la fibula dans 29 % des cas, la scapula dans
4 % des cas, et le lambeau libre de grand dorsal associé à
une côte dans un cas (2 %).
Choix du matériel d’ostéosynthèse
Dans 16 dossiers sur 45 (33 % des cas), le matériel d’ostéosynthèse a été à l’origine de complications (exposition, fistule chronique, et/ou fracture). Pour 81 % de ces cas, il
s’agissait d’une plaque de reconstruction. Aucune plaque
de reconstruction n’a été utilisée après 2001. Pour les
28 cas où une plaque de reconstruction a été utilisée, une
exposition a été constatée dans 46 % des cas, alors que
L’analyse anatomopathologique des pièces opératoires a
conclu à une atteinte typique d’ostéoradionécrose dans la
majorité des cas. Dans les autres cas, elle concluait à des
lésions de fibrose aspécifique, mais évocatrice d’ostéoradionécrose compte tenu du contexte clinique. Dans quatre cas, une atteinte actinomycosique était associée. Une
atteinte tumorale associée a été mise en évidence dans
cinq cas : un cas de nécrose tumorale pendant la radiothérapie (stade Wong 1), trois cas de récidive locale (stade
Wong 2) et un cas de récidive tumorale de découverte fortuite, c’est-à-dire non suspectée cliniquement et radiologiquement en préopératoire.
Analyse des suites opératoires immédiates
Quatre-vingt-dix pour cent des reconstructions ont réussi.
Dans 10 % des cas (six patients), un second lambeau cutané,
ou musculocutané a été nécessaire pour remplacer une
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palette cutanée nécrosée (trois cas), ou en apporter une,
alors qu’elle n’était pas nécessaire initialement (trois cas).
une complication majeure). Vingt-cinq patients (42 %)
n’ont présenté aucune complication postopératoire.
Huit patients sont décédés dans l’année suivant l’acte chirurgical de revascularisation, cette mortalité était importante pour ceux dont le lambeau s’était nécrosé. Quatre
décès sont survenus au décours de l’hospitalisation : dans
le service de soins intensifs postchirurgicaux pour trois
d’entre eux (une hémorragie massive, un syndrome de
détresse respiratoire aiguë associé à un delirium tremens
sévère, et un arrêt cardiorespiratoire par défaillance multiviscérale) et en unité d’hospitalisation classique pour le dernier (hémorragie carotidienne postopératoire pour laquelle
le clampage de la carotide a été fatal).
Parmi les six décès postopératoires précoces, on ne retrouvait aucun stade I. Les causes de décès étaient toutes liées
directement à l’acte opératoire (deux cas d’hémorragie
carotidienne), ou indirectement (SDRA, delirium tremens,
défaillance multiviscérale…). Nous avons retrouvé une corrélation entre le nombre total d’interventions, et la mortalité précoce postopératoire (p = 0,051 avec le test non paramétrique de Mann-Whitney).
La durée d’hospitalisation a été de 24 jours en moyenne (7 à
145 jours), et la réalimentation a pu être complète en
moyenne 17 jours après l’intervention (1 à 90 jours).
Évaluation à distance
Évaluation radiologique
La densité osseuse était stable dans la majorité des cas. La
qualité de la consolidation entre le lambeau osseux et la
mandibule restante était corrélée à la qualité de la densité
osseuse du lambeau. Un cas de lyse osseuse a été constaté
(thrombose veineuse d’un lambeau de fibula laissé en
place, et recouvert secondairement par un lambeau musculaire). Lorsqu’un lambeau périosté a été utilisé (huit cas),
deux cas de production osseuse étaient visibles sur le panoramique dentaire et le scanner.
Évaluation clinique
La présence d’une palette cutanée en bouche a augmenté
les problèmes de réhabilitation dentaire liés à la qualité du
vestibule. La réhabilitation dentaire a pu être évaluée pour
36 dossiers, dans lesquels des références interprétables
étaient présentes. Elle a pu être effectuée en moyenne
dans les 13 mois après l’intervention (entre 4 et 26 mois).
Elle se décompose en 19 prothèses adjointes, huit prothèses
implantoportées, et neuf cas sans réhabilitation dentaire.
Le taux de complications majeures augmentait avec le
stade de l’ostéoradionécrose (fig. 1).
L’analyse des critères de morbidité (fig. 2) souligne que la
durée de l’intervention chirurgicale était corrélée à la
durée de l’hospitalisation (p = 0,007 avec un test de Spearman), elle-même corrélée au délai de reprise de l’alimentation orale (p < 0,0001 avec un test de Spearman).
Lorsque la durée de l’intervention augmentait, il existait
une corrélation significative avec le nombre d’interventions
complémentaires de retouches ou de reprises nécessaires
(p = 0,008 avec un test de Spearman). La prolongation de
la durée de l’intervention augmentait la morbidité de l’acte
chirurgical (fig. 2).
La morbidité postopératoire a été moins importante pour
les stades I. Si on recherchait une corrélation entre le
stade clinique et les différents critères de morbidité, on
retrouvait le même phénomène : entre le stade de l’ostéoradionécrose selon la classification d’Epstein et la durée de
l’intervention (p = 0,03 avec un test de Kruskal-Wallis)
(fig. 3), et la durée de l’hospitalisation (p = 0,049 avec un
test de Kruskal-Wallis) (fig. 4). Les autres critères de
morbidité [délai de réalimentation (fig. 5), perte de poids,
nombre d’interventions chirurgicales (fig. 6), score ASA
(fig. 7)] et la mortalité précoce n’étaient pas corrélés de
manière significative, bien qu’ils semblaient liés sur les
résultats illustrés.
Un stade I pouvait être traité par deux interventions en
moyenne, et 15 jours d’hospitalisation (après la chirurgie
Poursuite évolutive de l’ostéoradionécrose
Quatre cas de poursuite évolutive de l’ostéoradionécrose
(6,8 %) ont été constatés.
Évaluation de la morbidité de l’acte chirurgical
L’âge du malade au moment où l’intervention a été réalisée
n’influait pas sur le nombre d’interventions nécessaires, ni
sur la mortalité dans les 18 mois.
Quinze patients (25 %) ont présenté des complications
mineures, et 30 patients (51 %), des complications majeures
(huit patients ont présenté une complication mineure et
518
Figure 1. Complications majeures en fonction du stade d’Epstein.
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
Figure 2. Paramètres corrélés à la durée de l’intervention chirurgicale. Les courbes de tendance linéaire illustrent les corrélations statistiques suscitées
en fonction de la durée de l’intervention chirurgicale.
Figure 4. Durée de l’hospitalisation en fonction du stade clinique. La
durée de l’hospitalisation est statistiquement corrélée au stade clinique
de l’ostéoradionécrose.
Figure 3. Durée de l’intervention en fonction du stade clinique
d’Epstein. La durée moyenne de l’intervention est statistiquement
corrélée avec le stade clinique ; la durée minimale diminue pour les
stades avancés compte tenu de la simplification de l’indication
opératoire en cas de complications anesthésiques ou hémorragiques.
de revascularisation), alors qu’un stade III a été traité par
3,2 interventions en moyenne (jusqu’à 7), suivies de
30 jours d’hospitalisation.
Analyse des facteurs de gravité
L’apparition de novo de l’ostéoradionécrose (35 cas sur 59)
était un critère de morbidité. Elle augmentait la durée de
l’intervention de manière significative (p = 0,020 avec un
test de Student) : 10,5 heures dans les apparitions spontanées (écart-type de trois heures) contre neuf heures
lorsqu’il y avait un facteur déclenchant (écart-type de
1,8 heure) (tableau III). Les autres critères de morbidité
étaient également plus élevés, mais sans liaison statistique.
La dose totale d’irradiation n’était connue que pour
26 patients. Les études statistiques n’ont conclu formellement que sur un seul critère de morbidité : le nombre
d’interventions avant la chirurgie de revascularisation. Ce
dernier diminuait lorsque la dose d’irradiation augmentait
(p = 0,049 avec un test de Spearman). La fig. 8 explique
bien ce phénomène, puisque la majorité des patients
ayant reçu plus de 65 Gy étaient des stades III, et avaient
bénéficié par conséquent plus rapidement d’une chirurgie
519
C. d’Hauthuille et al.
Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525
Figure 5. Délai de réalimentation en fonction du stade clinique. Le délai
moyen de réalimentation est plus important pour les stades avancés.
Figure 6. Nombre d’intervention(s) chirurgicale(s) pour le traitement de
l’ostéoradionécrose. Le nombre total d’interventions chirurgicales
nécessaires augmente avec le stade de la maladie.
Figure 8. Stades d’Epstein en fonction de l’importance de l’irradiation.
Figure 7. Stade ASA en fonction du stade clinique. Même si la
corrélation n’est pas significative, le risque anesthésique apprécié par le
score de risque préanesthésique ASA (de l’American Society of
Anestesiologists) augmente avec le stade de l’ostéoradionécrose.
de revascularisation d’emblée. Le tableau IV montre également que les deux sous-groupes (le premier ayant reçu
moins de 65 Gy, et le second plus de 65 Gy) présentaient
une morbidité différente. Pour les patients ayant reçu plus
de 65 Gy, la durée moyenne de l’intervention était allongée
d’une heure, et la dissection chirurgicale était « difficile »
dans un plus grand nombre de cas. L’hospitalisation était
également plus longue, mais n’était pas conditionnée par
la réalimentation, contrairement au reste de la série.
Enfin, le nombre de décès dans les six mois suivant l’acte
chirurgical était nettement plus important (21 % des
patients ayant reçu plus de 65 Gy contre 7 % dans le reste
de la série).
Tableau III
Morbidité des ostéoradionécroses sans facteur déclenchant.
Critères de morbidité
Apparition de novo
Existence d’un facteur
déclenchant de l’ORN
Puissance (p)
Durée de l’intervention (heures)
Durée de l’hospitalisation (jours)
Délai de réalimentation (jours)
Nombre de chirurgies antérieures
Nombre total d’interventions
10,5
27,4
19,4
1,3
3,2
9
19,6
13,7
0,8
2,5
0,02
0,15
0,18
0,21
0,82
520
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
Tableau IV
Analyse de la morbidité de la chirurgie de revascularisation en fonction de la dose totale d’irradiation.
Durée moyenne de l’intervention (heures)
Pourcentage de cas où la dissection a été difficile (%)
Durée moyenne de l’hospitalisation (jours)
Délai moyen de réalimentation (jours)
Moyenne du nombre total d’interventions
Moyenne du nombre d’interventions après le lambeau libre
Pourcentage de patients ayant déjà bénéficié d’une chirurgie
avant le lambeau libre (%)
Moyenne du nombre d’interventions avant le lambeau librea
Nombre de patients décédés dans les six mois suivant l’intervention
Nombre de patients
< 65 Gy
> 65 Gy
Sur les 26
patientsb
Sur les 59
patients
9,5
33
20,6
21,0
3,1
0,5
10,5
43
32,6
14,8
2,7
0,8
10
38
27,1
17,9
2,9
0,7
9,9
32
24
16,9
2,9
0,7
75
1,3
43
0,7
58
1
61
1,1
1 (8 %)
12
3 (21 %)
14
4
26
4 (7 %)
59
a
Seul critère significatif retrouvant un p mesuré à 0,049 avec un test de Spearman.
Les moyennes pour les 26 patients pour lesquels la dose totale d’irradiation était connue sont comparables aux moyennes de la série de
59 patients (colonne de droite).
b
Tableau V
Morbidité dans les atteintes bilatérales.
Durée de l’intervention (heures)
Durée de l’hospitalisation (jours)
Délai de réalimentation (jours)
Nombre total d’interventions
Atteinte bilatérale
Atteinte unilatérale
Puissance (p)
10,9
27,7
24,4
3,8
9,8
23,3
15,5
2,8
0,048
0,268
0,069
0,201
NB. Un patient a été opéré des deux côtés dans le même temps opératoire, ce qui augmente la moyenne de la durée de l’intervention
puisqu’elle a duré 14 heures.
Pour les neuf cas d’atteinte bilatérale, la durée de l’intervention était augmentée de manière significative
(p = 0,048 avec un test de Mann-Whitney). Cette dernière
était de 10,8 heures dans les atteintes bilatérales (écarttype de 3,6 heures), contre 9,7 heures dans les atteintes
unilatérales (écart-type de 2,1 heures). Les autres critères
de morbidité étaient également plus élevés (tableau V),
mais sans liaison statistique.
Nous avons considéré comme proches de l’os les tumeurs
localisées sur le plancher buccal, la gencive, la commissure
intermaxillaire et l’amygdale. Dans notre série, les tests statistiques n’ont pas prouvé formellement que la proximité
osseuse de la tumeur (45 cas sur 59) était un facteur aggravant la morbidité de la chirurgie.
Dans notre série, quatre cas d’actinomycose ont été retrouvés. Le faible nombre de cas présentant l’infection n’a pas
permis de réaliser de tests statistiques.
Les patients dont l’atteinte était symphysaire (14 cas) ont
dû recourir à un nombre d’interventions plus important
pour guérir de leur ostéoradionécrose. Ces patients ont
subi 4,1 interventions chirurgicales en moyenne, contre 2,5
pour les autres patients (p = 0,001 avec un test de Student).
Cette différence était due à une augmentation du nombre
de chirurgies antérieures soldées par un échec (il est de 2,2
contre 0,75 pour les autres atteintes [p = 0,009]).
Discussion
La recherche de facteurs de gravité exposant à un risque
d’évolution plus sévère de la maladie a permis d’isoler les
patients nécessitant une prise en charge chirurgicale de
revascularisation plus précoce. Adapter la conduite thérapeutique classique, en fonction des stades cliniques, ne
tient pas compte de deux notions essentielles ; la variabilité
individuelle des effets des irradiations [7] et la grande
diversité de formes d’ostéoradionécroses [1, 4].
La comparaison des données avec celles de la littérature
(tableau VI) montre les spécificités de la série. Le lambeau
de crête iliaque a été le plus souvent utilisé, comme dans la
série de Ioannides et al. en 1994 [8]. Le pourcentage tolérable de lambeaux nécrosés prouvait la faisabilité de cette
521
C. d’Hauthuille et al.
522
Tableau VI
Comparaison de la série avec la littérature [8, 9, 22–26].
Auteurs
Obwegeser
Ducan
Ioannides
Shaha
Chang
Store
Ang
Breton
Devauchelle
Date de publication
Période d’inclusion
Nombre de patients
Intervalle diagnostic–chirurgie (mois)
Intervalle RTE/ORN (mois)
Premier traitement chirurgical (%)
OHB antérieure (%)
Nombre de lambeaux
Fibula (ostéocutané) (%)
Fibula (osseux) (%)
Crête (osseux) (%)
Crête (ostéocutané) (%)
Scapula (%)
Humérus
Radius
Grand dorsal + côte (%)
Métatarse (%)
Droit interne (%)
Antébrachial (%)
Musculaire seul
Complications (%)
Nécrose (%)
Récidive ORN (%)
Récidive cancer (%)
Découverte récidive sur pièce ORN (%)
Durée hospitalisation (jours)
Délai réalimentation (jours)
Pourcentage éventration après crête
1978
1985
1978–1983
36
7
1994
1982–1991
28
1997
1992–1997
6
2001
1989–1999
29
27
46
55
79
29
48
10
10
7
7
2002
1986–2001
16
2003
1993–2000
21
2004
1989–2002
23
48
35,6
60
22
25
44
20
0
0
20
4
2006
1992–2002
59
18
48
54
18
59
20
2
46
7
7
10
72
10
36
33
6
25
76
50
6
100
38
16
44
25
48
21
48
14
5
5
14
25
6
3
3
24
69
14
3
14
4
5
8
70
30
8
32
0
15
7
4
21
14
0
52
63
5
5
29
5
8
9
17
23
9
47
10
7
8
2
24
17
5
Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525
25
21
7
7
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
Figure 9. Physiopathologie des ostéoradionécroses. L’hypocellularité, l’hypovascularité, l’hypoxie, et les troubles du remodelage osseux induits par
l’irradiation de l’os peuvent interagir afin d’évoluer vers une ostéoradionécrose. Des facteurs déclenchants peuvent accélérer cette évolution (à droite),
mais la présence de facteurs aggravants (à gauche) auto-entretiennent l’évolution vers une ostéoradionécrose qui peut alors être spontanée.
Figure 10. Critères de gravité de l’ostéoradionécrose.
chirurgie, mais l’importance de la part des complications
rappelait l’hostilité du terrain sur lequel elle se réalise.
La mortalité précoce augmente lorsque le nombre total
d’interventions augmente. Cela pourrait s’expliquer par le
retard de prise en charge, et l’augmentation des difficultés
opératoires. Une chirurgie à un stade avancé allonge la
durée de l’intervention, augmentant la morbidité, la mortalité postopératoire précoce, et la durée d’hospitalisation. Il
est préférable de proposer un acte chirurgical de revascularisation à un stade précoce, comme l’ont déjà proposé certains auteurs en 1995 et 2003 [9]. Certes, opérer tôt, mais
de manière efficace…
L’apparition spontanée de l’ostéoradionécrose est un critère
de gravité décrit par de nombreux auteurs [1, 2, 10, 11].
L’absence de facteur déclenchant est le reflet de la présence
de facteurs aggravants. La figure 9 synthétise notre vision
de la physiopathologie de la radionécrose, et permet de
comprendre les différents critères de gravité déterminés
par notre étude (fig. 9, 10).
L’importance de l’irradiation (> 65 Gy) est un facteur de gravité très bien documenté dans la littérature [4, 10-12]. Elle
justifie l’indication d’une résection interruptrice [4]. Cer523
C. d’Hauthuille et al.
tains rapportent la particulière gravité de la radionécrose
au-delà de 75 Gy [4]. Beumer et al. précisaient dans leur
étude que le traitement médical n’est pas efficace pour
les patients ayant reçu plus de 65 Gy [13]. Par ailleurs,
l’importance de l’irradiation ne dépend pas seulement de
la dose totale d’irradiation, mais aussi du volume traité, et
de son fractionnement. La variabilité individuelle de la
radiosensibilité influe également sur les effets du rayonnement. Marx rappelle les signes cliniques évocateurs d’une
irradiation importante [11] : l’induration des tissus, l’apparition de télangiectasies muqueuses, la perte de la pilosité,
l’atrophie cutanée, la desquamation cutanée et sa kératinisation, la xérostomie sévère, et l’agueusie importante [7].
Un surdosage peut être retrouvé, notamment lors d’une
curiethérapie associée, particulièrement dans une localisation trop proche de l’os (contre-indication habituelle). Dans
le sous-groupe des patients ayant reçu plus de 65 Gy, la
dissection était plus difficile et l’intervention chirurgicale
plus longue. L’hospitalisation était également plus longue,
sans que le délai de réalimentation ne soit augmenté (difficultés de cicatrisation, réintervention nécessaire, etc.). Par
ailleurs, ces patients sont moins souvent opérés avant la
chirurgie de revascularisation, mais plus souvent réopérés
après. La mortalité précoce était également plus importante.
La bilatéralité de l’ostéoradionécrose est également considérée comme un critère de gravité par plusieurs auteurs.
La morbidité opératoire était également augmentée dans
notre série. À notre sens, elle doit être d’autant plus prise
en compte comme telle, car une atteinte bilatérale est le
reflet d’une irradiation plus importante (en volume et en
dose) et/ou d’une plus grande radiosensibilité individuelle.
Ce critère prédit l’évolution défavorable de la maladie dans
un protocole thérapeutique classique. L’atteinte bilatérale
est un facteur pronostique, mais aussi fonctionnel. La survenue fréquente d’une fracture bilatérale entraı̂ne des
rétractions majorant les difficultés de reconstruction.
La radiothérapie effectuée sur une tumeur proche de l’os
est considérée comme un facteur de gravité pour Bedwinek
et al. [14]. En dépit des artifices d’optimisation, la courbe
isodose passe plus facilement par l’os adjacent dont la
radiosensibilité est importante. La dose reçue par l’os est
inhabituelle dans ces localisations tumorales, augmentant
ainsi le risque de surdosage osseux.
Des auteurs ont démontré l’allongement de la durée de
prise en charge dans les cas d’atteinte actinomycosique
associée. Ils proposent une biopsie osseuse systématique
dans les cas d’ostéoradionécroses résistantes au traitement
médicamenteux [15-18]. L’actinomyces est une bactérie
524
Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525
anaérobie colonisant les régions radionécrotiques du fait
de leur hypoxie, activant ainsi les mécanismes de remodelage osseux pourtant altérés [16]. Faut-il pour autant introduire un traitement médical antiactinomycosique comme le
préconisent Curi et al. dans leur article [15] ? Ils retrouvent
cinq cas d’actinomycose sur 50 cas d’ostéoradionécrose. Ils
précisent cependant les difficultés de diagnostic de l’infection, dont la suspicion clinique est peu spécifique (écoulement purulent, fistule cutanée, induration des tissus périphériques), et dont la mise en culture est peu sensible.
Son protocole thérapeutique consiste en six à huit semaines d’ampicilline à la posologie de 4 g/j. D’autres proposent
un traitement prolongé (pendant trois mois) [16]. Le traitement consensuel consiste en deux à quatre semaines de
pénicilline G (10 à 20 millions d’unité par jour par voie veineuse), puis trois à six mois de pénicilline V (cinq millions
d’unité un jour sur deux par voie orale). Les formes extensives peuvent être traitées par une biantibiothérapie par
pénicilline–métronidazole associée à une oxygénothérapie
hyperbare [19].
La prise en charge d’une atteinte symphysaire est difficile
non seulement à cause des séquelles esthétiques et fonctionnelles, mais aussi parce qu’elle est reconnue comme un
signe de gravité par certains auteurs. L’augmentation du
nombre d’interventions nécessaires est le reflet de la plus
grande difficulté de prise en charge et de leur sévérité. La
vascularisation de cette région anatomique est différente
de celle de la branche horizontale, puisqu’elle dépend des
branches de l’artère faciale [20, 21]. L’atteinte symphysaire
témoigne de l’atteinte du système de « revascularisation
spontanée » par l’artère faciale, habituellement épargnée.
L’inobservance du traitement médical est également reconnue comme une difficulté de prise en charge [10]. Le thérapeute devrait peut-être s’adapter au patient, et lui proposer
un traitement chirurgical s’il sait que le traitement médicamenteux ne sera pas régulièrement suivi. L’éloignement
géographique peut également être considéré comme un
facteur à prendre en compte. Un autre élément est la ligature de l’artère faciale au cours de la chirurgie d’exérèse
tumorale et/ou du curage ganglionnaire. Dans les territoires mandibulaires vascularisés par l’artère alvéolaire inférieure centromédullaire, lorsque cette dernière est altérée
(avec l’âge, mais surtout par la radiothérapie [20]), la vascularisation périostée par les branches de l’artère faciale
devient alors majoritaire. La ligature de cette dernière diminue les possibilités de « revascularisation spontanée » de la
mandibule. D’autres auteurs ont montré que l’absence de
séquestre osseux [1] était prédictive d’une évolution plus
redoutable. Cette forme d’ostéoradionécrose sans séques-
Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité
tre se présente plus souvent comme une atteinte osseuse
mal limitée. D’autres auteurs rajoutent comme facteur de
gravité la persistance de l’intoxication tabagique dont
l’influence sur la vascularisation terminale et la cicatrisation sont indiscutables. D’autres facteurs de sensibilisation
à la radiothérapie comme la chimiothérapie doivent aussi
être pris en compte.
La connaissance des facteurs déclenchants a permis d’établir des recommandations afin de diminuer l’incidence de
l’ostéoradionécrose. La connaissance de facteurs de gravité
permet de les rechercher, afin de proposer un traitement
plus efficace à un stade plus précoce. Cela facilitera la réalisation technique de la chirurgie reconstructrice et en diminuera la morbidité. Les lésions induites par la radiothérapie
s’expriment longtemps après la fin de l’irradiation. L’os est
atteint de troubles vasculaires et est colonisé par des
agents pathogènes, ces deux phénomènes activant son
remodelage. L’ « état d’hibernation » dans lequel les rares
cellules osseuses se trouvaient est alors réveillé. Des lésions
cellulaires et tissulaires se révèlent ainsi, empêchant l’efficacité du remodelage osseux. Ainsi, l’auto-entretien des
lésions radio-induites est instauré, les rendant alors
« visibles ». La chirurgie reconstructrice remplace l’os irradié
par un os sain. Ces tissus non irradiés apportent ainsi des
cellules inductrices de néo-angiogenèse, et ostéoinductrices. Alors que la chirurgie corrigeait le défaut anatomique « visible », soucieuse des contraintes mécaniques,
elle devient aujourd’hui « inductrice ». Cette vision de l’infiniment petit rajoute une dimension biologique à la microchirurgie.
8.
9.
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