Article original Reçu le : 28 mars 2007 Accepté le : 18 mai 2007 Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité Mandibular osteoradionecrosis: part I: severity factors C. d’Hauthuille1,*,2, S. Testelin2, F. Taha2, G. Bitar2, B. Devauchelle2 1 Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, CHU de Nantes, place Alexis-Ricordeau, 44000 Nantes, France 2 Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, CHU d’Amiens, France Summary Résumé Introduction. The severe evolution for some patient presenting with osteoradionecrosis, even if classified in the same stages as other patients, suggests that there are aggravating factors. Material and method. A retrospective study was made between 1992 and 2002 on all patient operated for mandibular osteoradionecrosis. Fifty-nine patients were included and the mandibular defects were reconstructed with a bone or a composite free flap (fibula 21%, iliac crest 49%, scapula 6%, antebrachial 3%), and with a periosteal free flap (13%). Results. The study included severe cases (87% of stage II or III) operated on several times without success. Free flap reconstruction was successful in 90% of the cases. However, complications were present in 60% of cases (24% minor complications, 48% major complications), and were more frequent with a higher stage. The analysis allowed identifying morbidity factors. Discussion. Studying the morbidity allowed identifying severity factors of osteoradionecrosis; spontaneous onset, important irradiation (important dose, bone proximity of the tumor, bilateral damage), vascular damage (symphyseal localization, lack of sequestrum, facial artery ligature, active tobacco addiction), actinomycosis colonization, non-observance of medical treatment. Understanding aggravating factors should allow us to offer more efficient surgery on an early osteoradionecrosis stage, also decreasing the morbidity linked to reconstructive surgery. © 2007 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction. L’évolution redoutable de certains patients atteints d’ostéoradionécrose mandibulaire, pourtant classées dans les mêmes stades que d’autres, laisse supposer qu’il existe des éléments aggravant l’évolution de la maladie. Ce travail a cherché à identifier ces facteurs. Matériel et méthode. Une étude rétrospective a été menée entre 1992 et 2002 sur tous les malades opérés d’une ostéoradionécrose mandibulaire. Cinquante-neuf patients ont été inclus. Les modalités de reconstructions ont été des lambeaux libres osseux ou composites (21 % de lambeaux de fibula, 49 % de crête iliaque, 6 % de scapula, 3 % de lambeau antébrachial) et 13 % de lambeaux périostés. Résultats. La série se constituait de malades à des stades avancés de la maladie (87 % de stades II et III), multi-opérés sans succès. La reconstruction par lambeau libre a été efficace dans 90 % des cas. Les complications, présentes dans 60 % des cas, étaient non négligeables (24 % de complications mineures, et 48 % de complications majeures), d’autant plus lorsque le stade l’ostéoradionécrose était avancé. L’analyse des résultats a permis d’identifier des facteurs de gravité : l’apparition spontanée, l’importance de l’irradiation (dose totale, proximité osseuse de la tumeur, bilatéralité de l’atteinte osseuse), l’atteinte vasculaire (localisation symphysaire, absence de séquestre osseux, la ligature de l’artère faciale, la persistance de l’intoxication tabagique), la présence d’une actinomycose, et la non-observance du traitement médical. Discussion. La connaissance de ces facteurs de gravité permettra de proposer une chirurgie plus efficace à un stade moins évolué de la maladie, afin d’en diminuer les risques. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Osteoradionecrosis, Reconstructive surgical procedures, Oral surgical procedure, Radiotherapy, Microsurgery Mots clés : Ostéoradionécrose, Intervention chirurgicale reconstructrice, Intervention chirurgicale buccale, Radiothérapie, Microchirurgie * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] 513 0035-1768/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 10.1016/j.stomax.2007.05.003 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 C. d’Hauthuille et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 Introduction Données recueillies Conséquence d’une cascade d’événements, l’ostéoradionécrose ne survient heureusement que peu fréquemment, mais lorsqu’elle apparaı̂t, le temps compte alors plus que jamais. Ce n’est que lentement que naı̂t cette redoutable nécrose de l’os, fruit de lésions invisibles. « Le visible ouvre le regard sur l’invisible », et « tout ce qui se manifeste est vision de l’invisible » (Anaxagore, philosophe grec). Conséquence de l’hypoxie, et de l’infection osseuse, l’ostéoradionécrose est traitée, sur le plan médical, par une antibiothérapie prolongée et par une oxygénothérapie hyperbare. Mais sa prise en charge ressemble parfois à une passivité inconsciente, laissant évoluer ce « cercle vicieux cellulaire autoentretenu » vers des dégâts plus importants. Si les lésions radiques ne deviennent visibles qu’au stade de l’ostéoradionécrose, la persistance de l’évolution de cette dernière n’est pas non plus toujours visible. Par ailleurs, les tentatives de curetage de cavité, de régularisation de crête peuvent alors se comporter comme de véritables facteurs déclenchants d’une nouvelle poussée évolutive masquée par un recouvrement muqueux temporaire et inefficace. L’évolution des définitions de l’ostéoradionécrose au cours du temps montre à quel point le diagnostic peut être parfois difficile, mais doit être réalisé au début de la maladie. En même temps que ces définitions s’affinent, sont proposées également différentes classifications cliniques visant à guider l’attitude thérapeutique [1-3]. Mais on constate bien leurs limites, car il reste à expliquer pourquoi certains patients, pourtant classés initialement dans le même stade clinique, répondent mal à un traitement bien conduit [1, 4]. Alors que nombreux sont ceux qui pensent qu’il vaut mieux réserver la chirurgie pour des cas avancés et écrivent « qu’il peut être plus dangereux d’intervenir tôt que de trop attendre » [5], la morbidité d’une chirurgie à un stade évolué autorise-t-elle un tel raisonnement ? Plutôt que de se demander « quand faut-il opérer ? » en fonction du stade clinique, il faudra s’interroger sur « qui faut-il opérer ? » selon des critères de gravité spécifiques que ce travail a cherché à identifier. L’ensemble des dossiers ont été relus, et les données recueillies sur un formulaire. Données administratives : nom ; prénom ; date de naissance ; sexe ; lieu de résidence principale. Matériels et méthodes L’étude a été continue et rétrospective entre 1992 et 2002 ; 62 cas d’ostéoradionécroses faciales opérées ont été retrouvés. Les trois cas d’ostéoradionécroses maxillaires ont été exclus pour plus d’homogénéité de l’étude des 59 cas d’atteintes mandibulaires. 514 État antérieur Prise en charge de la tumeur (date de première consultation pour la tumeur, classification TNM, mode de traitement (chimiothérapie, radiothérapie externe, curiethérapie, chirurgie), date de la chirurgie, présence ou non d’un lambeau osseux de reconstruction, présence ou non d’un évidement cervical, radical, ou non, localisation de la tumeur, nature anatomopathologique) ; radiothérapie initiale (dose totale d’irradiation, dose d’irradiation en zone d’ostéoradionécrose, fractionnement de la dose, homolatéralité de la lésion tumorale et de l’ostéoradionécrose, présence de dents au moment de l’irradiation, préventions effectuées) ; oxygénothérapie hyperbare (date de la première séance, durée totale, évaluation de l’efficacité clinique) ; évaluation des traitements antérieurs (date de la première intervention à visée curative, nombre total d’interventions avant la chirurgie étudiée, types et dénombrement des chirurgies tentées (curetages osseux, résections en baguette, résections bicorticales, lambeaux locaux, lambeaux pédiculés, lambeaux libres, greffons costaux). Évaluation de l’ostéoradionécrose Clinique : date de première consultation, présence d’un facteur déclenchant, date du facteur déclenchant, classification étiologique de Wong et al. [1] (1 : nécrose en cours d’irradiation, 2 : récidive tumorale, 3 : traumatisme, 4 : de novo), et clinique d’Epstein [2] (I : stabilisée, asymptomatique, II : symptômes stables supérieurs à trois mois, III : évolutive), ou descriptive de Breton et Seguin [3] (I : asymptomatique, II : symptomatologie modérée, III : symptomatologie sévère), présence de signes cliniques (douleur, limitation de l’ouverture buccale, dénudation muqueuse, fistule cutanée, fracture, signe de Vincent), taille de la dénudation muqueuse, mesure de la limitation de l’ouverture buccale ; évaluation de la perte de substance mandibulaire, gradée selon une classification des pertes de substance interruptrice de la mandibule (PSIM) proposée en 1992 [6] ; traitement médical de l’ostéoradionécrose (proposé [oui/ non], nature du traitement médical) ; Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité radiologique : orthopantomogramme et TDM (localisation, taille, fracture) et modèle stéréolithographique. Traitement chirurgical Évaluation de la chirurgie : opérabilité (index de masse corporelle [IMC], score de risque anesthésique ASA, amaigrissement, date de réalisation, présence d’une éventuelle difficulté de dissection, nature du pédicule, résection interruptrice [oui/non], nature du lambeau, nombre de fragments osseux, nature de l’ostéosynthèse, position de la palette cutanée, taille de la résection osseuse) ; évaluation du temps microchirurgical (difficulté de réalisation, vaisseaux receveurs, type d’anastomose, qualité de l’anastomose, anastomose refaite [oui/non], qualité du retour veineux, recours à un pontage veineux [oui/non]) ; évaluation anatomopathologique (présence de cellules tumorales, d’une actinomycose, d’une infection bactérienne, d’une fibrose aspécifique, ou de lésions typiques d’ostéoradionécrose). Évaluation du résultat Évaluation des suites opératoires : complications majeures et mineures, durée de l’hospitalisation, délai de réalimentation (définie comme la prise d’un repas complet), puis à six mois, entre six mois et un an, et à distance, morbidité du site donneur, morbidité liée au matériel d’ostéosynthèse ; morbidité de l’intervention chirurgicale, définie à partir de l’analyse de sept critères (durée de l’intervention chirurgicale de revascularisation, durée d’hospitalisation postopératoire, délai avant la reprise de l’alimentation orale, nombre total d’interventions cumulées pour traiter l’ostéoradionécrose, perte de poids (poids habituel moins le poids le jour de l’intervention), score de risque préanesthésique ASA, mortalité précoce, dans les six mois suivant l’acte opératoire) ; complications postopératoires, classées en deux grades : complications mineures (hématome, fistule cutanée, dénudation muqueuse, infection, exposition du matériel sensible aux traitements locaux ou médicamenteux en moins de six mois), et complications majeures (fistule cutanée, dénudation muqueuse, infection, exposition de matériel, nécrose de palette cutanée, morbidité du site de prélèvement du lambeau, nécessitant une reprise chirurgicale) ; évaluation radiologique à distance (date du dernier contrôle radiographique, analyse qualitative de la lyse osseuse, intégration radiologique de l’os apporté (fusion complète, liseré résiduel, aspect de pseudarthrose asymptomatique, ou pseudarthrose), nature du cliché (radiographie ou scanner). Les orthopantomogrammes de contrôle ont été évalués en moyenne 16 mois après l’intervention. Quinze dossiers n’ont pas été évalués radiologiquement compte tenu de l’absence de contrôle radiologique présent dans le dossier, ces derniers ayant été confiés au praticien proche du domicile du patient réalisant la réhabilitation dentaire ; évaluation qualitative de la faisabilité, de la réhabilitation dentaire ou prothétique (qualité de l’os en hauteur, et en épaisseur, du vestibule, contour externe de la mandibule, présence d’une latérodéviation, présence d’une limitation de l’ouverture buccale) ; évaluation dentaire (date de la réhabilitation, nature de la réhabilitation) ; mortalité (patient décédé [oui/non], cause du décès, date du décès [pour les décès survenus dans les 18 mois postopératoires]). Analyses statistiques Les variables qualitatives ont été analysées à l’aide de test de Khi2 ou de Fischer lorsque le nombre de sujets l’imposait. Les variables quantitatives ont été analysées entre elles par un test de corrélation de Spearman, et avec les variables qualitatives à l’aide des tests de Student, ou de l’Anova en fonction des cas. Ces critères ont été retenus pour analyser l’efficacité des différentes techniques chirurgicales, pour comparer les différents stades, et pour la discussion. Résultats L’étude portait sur 59 dossiers répartis en 54 hommes (92 %) et cinq femmes (8 %) âgés de 54 ans en moyenne (37 à 70 ans) au moment du diagnostic. Les dossiers ont été inclus entre 1992 et 2002. L’origine géographique des patients était départementale dans 27 % des cas, régionale dans 47 % des cas, et nationale dans 26 % des cas. Le diagnostic d’ostéoradionécrose a été posé en moyenne quatre ans (trois mois à 14 ans) après la prise en charge initiale de la tumeur. La localisation tumorale la plus fréquente était le plancher buccal (26 patients, soit 44 %). Pour 92 % d’entre elles, il s’agissait d’un carcinome épidermoı̈de, les autres tumeurs retrouvées étaient un adénocarcinome, un lymphoépithéliome, un carcinome spinocellulaire de la joue, un papillome inversé dégénéré des fosses nasales, et un lymphosarcome à grandes cellules. Le traitement tumoral initial a été chirurgical pour 61 % des patients. La radiothérapie adjuvante a consisté en une irradiation externe pour 56 patients (95 %), associée à une curiethérapie locale pour six patients (10 %). Un traitement 515 C. d’Hauthuille et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 par chimiothérapie a été proposé pour 26 % des patients avant, ou en même temps que la radiothérapie. La dose totale d’irradiation, lorsqu’elle était connue (26 patients), était de moins de 60 Gy pour sept patients, de 60 à 65 Gy pour cinq patients, et de plus de 65 Gy pour 14 patients (dont quatre ont reçu 75 Gy). Mode de survenue de l’ostéoradionécrose 41 % de lyse bicorticale. Dans les cas où l’atteinte était unicorticale sur l’orthopantomogramme, le scanner a précisé l’extension en montrant dans 40 % des cas une atteinte médullaire associée. Par ailleurs, neuf patients (soit 15 %) présentaient une atteinte bilatérale radiologique. Tentatives de traitements antérieurs Traitement médical Un facteur déclenchant (tableau I) a été retrouvé dans 46 % des cas (27 patients) : quatre cas de récidive tumorale découverte à l’occasion de la prise en charge de l’ostéoradionécrose : un cas de nécrose tumorale au cours de la radiothérapie (stade Wong 1) et trois cas de récidive tumorale à distance de la radiothérapie (stade Wong 3) ; 23 cas d’origine traumatique dentaire ou chirurgicale (stade Wong 3), dont 17 cas après une extraction dentaire, quatre cas par irritation prothétique, un cas d’exposition osseuse chirurgicale, et un cas par parodontopathie évoluée ; dans 35 cas (59 %), aucun facteur déclenchant n’a été retrouvé (stade Wong 4). Évaluation clinique préopératoire En utilisant la classification clinique de Breton et Seguin [3], la série était constituée essentiellement de stades II et III (40 et 47 %), avec 13 % de stades I. Évaluation radiologique Un traitement médical a été tenté avant la chirurgie de revascularisation pour 43 patients (soit 73 % des cas). Dans la majorité des cas, il a consisté en une antibiothérapie prolongée, associée à des antalgiques. Les antibiotiques les plus classiquement utilisés étaient l’amoxicilline plus acide clavulanique en association avec la pristinamycine. Oxygénothérapie hyperbare Un traitement par oxygénothérapie hyperbare a été proposé à 18 % des malades. Traitements chirurgicaux (tableau II) Un traitement chirurgical antérieur a été tenté sans succès pour 38 patients (64 %). L’intervalle entre la première tentative chirurgicale, et la chirurgie de revascularisation a été de 18 mois en moyenne (entre un mois et dix ans). Trente et un patients (soit 82 %) ont subi moins de trois interventions, cinq (13 %) en ont subi trois, et deux ont subi respectivement cinq et six interventions. Les techniques utilisées étaient : le curetage osseux (28 cas), la résec- Tableau II La branche horizontale était atteinte dans 86 % des cas (isolée à la branche horizontale dans 32 % des cas), l’angle mandibulaire dans 42 % des cas (isolée dans 5 % des cas), la symphyse 24 % (isolée dans 3 % des cas), et la branche montante 17 %. L’évaluation qualitative de l’atteinte osseuse sur l’orthopantomogramme se répartissait en 25 % de lyse unicorticale, 34 % de lyse « floconneuse » corticale et médullaire, et Nombre d’interventions chirurgicales antérieures. Nombre d’interventions Nombre de patients Pourcentage de patients 1 2 3 5 6 Total 21 10 5 1 1 38 55 26 13 3 3 100 Tableau I Facteur déclenchant de l’ostéoradionécrose. Facteur déclenchant ORN Récidive tumorale Extraction dentaire après la radiothérapie Irritation prothétique Nécrose d’un lambeaude couverture Parodontopathie Aucun facteur déclenchant Total 516 3 17 4 1 1 33 59 Stade Wong 5,1 % 28,8 % 6,8 % 1,7 % 1,7 % 55,9 % 100 % g Stade 2 5% Stade 3 39 % Stade 4 56 % 100 % Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité tion non interruptrice (trois cas), interruptrice (13 cas), une couverture par un lambeau local (11 cas), pédiculé (huit cas), un lambeau libre osseux (six cas), musculaire (deux cas), périosté (trois cas), greffon costal (trois cas). Chirurgie de revascularisation Quatre-vingt-dix-sept pour cent des patients ont été reconstruits par un lambeau libre. Les autres patients (deux cas) ont été opérés en utilisant un lambeau pédiculé (lambeau de grand pectoral de couverture), car leur état général ne permettait pas une intervention longue. La moyenne d’âge au moment de l’intervention était de 56 ans (39 à 72 ans). Indication et importance de la résection osseuse Pour les autres dossiers présentant une atteinte mandibulaire, la résection osseuse a été interruptrice pour 77 % des atteintes mandibulaires, avec une importance de résection entraı̂nant une perte de substance PSIM 1 dans 20 % des cas, PSIM 2 dans 65 %, PSIM 3 dans 13 %, PSIM 4 dans 2 %. La taille de la résection osseuse a été de 87 mm en moyenne (20 à de 180 mm). 85 % des cas de synthèse par miniplaque n’ont pas présenté de complication due au matériel. Nécessité d’une palette cutanée Une palette cutanée a été utilisée pour 29 patients (49 %) : pour la couverture endobuccale chez 21 patients (72 %), cervicale pour cinq patients (17 %), et mixte (endobuccale et cervicale) pour trois patients (10 %). Temps microchirurgical La dissection cervicale a été qualifiée par l’opérateur de « difficile » dans 34 % des comptes-rendus opératoires. Soixante-deux pour cent des patients ont eu un curage ganglionnaire au cours du traitement chirurgical carcinologique, étendu sur le mode radical avec sacrifice de la veine jugulaire interne dans 7 % des cas. Le temps microchirurgical a été qualifié de « difficile » par l’opérateur dans 25 % des comptes-rendus opératoires. Dans les 18 cas où la dissection cervicale avait été difficile en début d’intervention, la microchirurgie a été qualifiée de difficile dans 44 % des cas. Dans les cas où une résection interruptrice n’a pas été nécessaire, la reconstruction a fait appel à huit lambeaux périostés (57 % des cas non reconstruits), trois lambeaux cutanés de couverture (21 %), et trois lambeaux musculaires (21 %). L’anastomose artérielle était terminoterminale sur une branche de la carotide externe, ou terminolatérale majoritairement lorsqu’elle était réalisée sur l’artère carotide externe. L’anastomose veineuse a également été réalisée en terminoterminal, sauf pour la veine jugulaire interne, en terminolatéral dans tous les cas. Un pontage veineux a été nécessaire pour quatre malades (trois greffons de veine saphène, et un greffon de veine du bord radial). Le retour veineux était de bonne qualité pour 51 anastomoses (86 %). Lambeaux osseux Analyse anatomopathologique Lambeaux de couverture Lorsque la résection était interruptrice, la reconstruction osseuse a été réalisée par 25 lambeaux osseux (56 %), et 20 lambeaux osseux composites (44 %), associés à une palette cutanée. Tous les patients ayant eu une résection interruptrice de leur mandibule ont été reconstruits immédiatement par un lambeau osseux. Les lambeaux osseux utilisés ont été la crête iliaque dans 65 % des cas, la fibula dans 29 % des cas, la scapula dans 4 % des cas, et le lambeau libre de grand dorsal associé à une côte dans un cas (2 %). Choix du matériel d’ostéosynthèse Dans 16 dossiers sur 45 (33 % des cas), le matériel d’ostéosynthèse a été à l’origine de complications (exposition, fistule chronique, et/ou fracture). Pour 81 % de ces cas, il s’agissait d’une plaque de reconstruction. Aucune plaque de reconstruction n’a été utilisée après 2001. Pour les 28 cas où une plaque de reconstruction a été utilisée, une exposition a été constatée dans 46 % des cas, alors que L’analyse anatomopathologique des pièces opératoires a conclu à une atteinte typique d’ostéoradionécrose dans la majorité des cas. Dans les autres cas, elle concluait à des lésions de fibrose aspécifique, mais évocatrice d’ostéoradionécrose compte tenu du contexte clinique. Dans quatre cas, une atteinte actinomycosique était associée. Une atteinte tumorale associée a été mise en évidence dans cinq cas : un cas de nécrose tumorale pendant la radiothérapie (stade Wong 1), trois cas de récidive locale (stade Wong 2) et un cas de récidive tumorale de découverte fortuite, c’est-à-dire non suspectée cliniquement et radiologiquement en préopératoire. Analyse des suites opératoires immédiates Quatre-vingt-dix pour cent des reconstructions ont réussi. Dans 10 % des cas (six patients), un second lambeau cutané, ou musculocutané a été nécessaire pour remplacer une 517 C. d’Hauthuille et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 palette cutanée nécrosée (trois cas), ou en apporter une, alors qu’elle n’était pas nécessaire initialement (trois cas). une complication majeure). Vingt-cinq patients (42 %) n’ont présenté aucune complication postopératoire. Huit patients sont décédés dans l’année suivant l’acte chirurgical de revascularisation, cette mortalité était importante pour ceux dont le lambeau s’était nécrosé. Quatre décès sont survenus au décours de l’hospitalisation : dans le service de soins intensifs postchirurgicaux pour trois d’entre eux (une hémorragie massive, un syndrome de détresse respiratoire aiguë associé à un delirium tremens sévère, et un arrêt cardiorespiratoire par défaillance multiviscérale) et en unité d’hospitalisation classique pour le dernier (hémorragie carotidienne postopératoire pour laquelle le clampage de la carotide a été fatal). Parmi les six décès postopératoires précoces, on ne retrouvait aucun stade I. Les causes de décès étaient toutes liées directement à l’acte opératoire (deux cas d’hémorragie carotidienne), ou indirectement (SDRA, delirium tremens, défaillance multiviscérale…). Nous avons retrouvé une corrélation entre le nombre total d’interventions, et la mortalité précoce postopératoire (p = 0,051 avec le test non paramétrique de Mann-Whitney). La durée d’hospitalisation a été de 24 jours en moyenne (7 à 145 jours), et la réalimentation a pu être complète en moyenne 17 jours après l’intervention (1 à 90 jours). Évaluation à distance Évaluation radiologique La densité osseuse était stable dans la majorité des cas. La qualité de la consolidation entre le lambeau osseux et la mandibule restante était corrélée à la qualité de la densité osseuse du lambeau. Un cas de lyse osseuse a été constaté (thrombose veineuse d’un lambeau de fibula laissé en place, et recouvert secondairement par un lambeau musculaire). Lorsqu’un lambeau périosté a été utilisé (huit cas), deux cas de production osseuse étaient visibles sur le panoramique dentaire et le scanner. Évaluation clinique La présence d’une palette cutanée en bouche a augmenté les problèmes de réhabilitation dentaire liés à la qualité du vestibule. La réhabilitation dentaire a pu être évaluée pour 36 dossiers, dans lesquels des références interprétables étaient présentes. Elle a pu être effectuée en moyenne dans les 13 mois après l’intervention (entre 4 et 26 mois). Elle se décompose en 19 prothèses adjointes, huit prothèses implantoportées, et neuf cas sans réhabilitation dentaire. Le taux de complications majeures augmentait avec le stade de l’ostéoradionécrose (fig. 1). L’analyse des critères de morbidité (fig. 2) souligne que la durée de l’intervention chirurgicale était corrélée à la durée de l’hospitalisation (p = 0,007 avec un test de Spearman), elle-même corrélée au délai de reprise de l’alimentation orale (p < 0,0001 avec un test de Spearman). Lorsque la durée de l’intervention augmentait, il existait une corrélation significative avec le nombre d’interventions complémentaires de retouches ou de reprises nécessaires (p = 0,008 avec un test de Spearman). La prolongation de la durée de l’intervention augmentait la morbidité de l’acte chirurgical (fig. 2). La morbidité postopératoire a été moins importante pour les stades I. Si on recherchait une corrélation entre le stade clinique et les différents critères de morbidité, on retrouvait le même phénomène : entre le stade de l’ostéoradionécrose selon la classification d’Epstein et la durée de l’intervention (p = 0,03 avec un test de Kruskal-Wallis) (fig. 3), et la durée de l’hospitalisation (p = 0,049 avec un test de Kruskal-Wallis) (fig. 4). Les autres critères de morbidité [délai de réalimentation (fig. 5), perte de poids, nombre d’interventions chirurgicales (fig. 6), score ASA (fig. 7)] et la mortalité précoce n’étaient pas corrélés de manière significative, bien qu’ils semblaient liés sur les résultats illustrés. Un stade I pouvait être traité par deux interventions en moyenne, et 15 jours d’hospitalisation (après la chirurgie Poursuite évolutive de l’ostéoradionécrose Quatre cas de poursuite évolutive de l’ostéoradionécrose (6,8 %) ont été constatés. Évaluation de la morbidité de l’acte chirurgical L’âge du malade au moment où l’intervention a été réalisée n’influait pas sur le nombre d’interventions nécessaires, ni sur la mortalité dans les 18 mois. Quinze patients (25 %) ont présenté des complications mineures, et 30 patients (51 %), des complications majeures (huit patients ont présenté une complication mineure et 518 Figure 1. Complications majeures en fonction du stade d’Epstein. Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité Figure 2. Paramètres corrélés à la durée de l’intervention chirurgicale. Les courbes de tendance linéaire illustrent les corrélations statistiques suscitées en fonction de la durée de l’intervention chirurgicale. Figure 4. Durée de l’hospitalisation en fonction du stade clinique. La durée de l’hospitalisation est statistiquement corrélée au stade clinique de l’ostéoradionécrose. Figure 3. Durée de l’intervention en fonction du stade clinique d’Epstein. La durée moyenne de l’intervention est statistiquement corrélée avec le stade clinique ; la durée minimale diminue pour les stades avancés compte tenu de la simplification de l’indication opératoire en cas de complications anesthésiques ou hémorragiques. de revascularisation), alors qu’un stade III a été traité par 3,2 interventions en moyenne (jusqu’à 7), suivies de 30 jours d’hospitalisation. Analyse des facteurs de gravité L’apparition de novo de l’ostéoradionécrose (35 cas sur 59) était un critère de morbidité. Elle augmentait la durée de l’intervention de manière significative (p = 0,020 avec un test de Student) : 10,5 heures dans les apparitions spontanées (écart-type de trois heures) contre neuf heures lorsqu’il y avait un facteur déclenchant (écart-type de 1,8 heure) (tableau III). Les autres critères de morbidité étaient également plus élevés, mais sans liaison statistique. La dose totale d’irradiation n’était connue que pour 26 patients. Les études statistiques n’ont conclu formellement que sur un seul critère de morbidité : le nombre d’interventions avant la chirurgie de revascularisation. Ce dernier diminuait lorsque la dose d’irradiation augmentait (p = 0,049 avec un test de Spearman). La fig. 8 explique bien ce phénomène, puisque la majorité des patients ayant reçu plus de 65 Gy étaient des stades III, et avaient bénéficié par conséquent plus rapidement d’une chirurgie 519 C. d’Hauthuille et al. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 Figure 5. Délai de réalimentation en fonction du stade clinique. Le délai moyen de réalimentation est plus important pour les stades avancés. Figure 6. Nombre d’intervention(s) chirurgicale(s) pour le traitement de l’ostéoradionécrose. Le nombre total d’interventions chirurgicales nécessaires augmente avec le stade de la maladie. Figure 8. Stades d’Epstein en fonction de l’importance de l’irradiation. Figure 7. Stade ASA en fonction du stade clinique. Même si la corrélation n’est pas significative, le risque anesthésique apprécié par le score de risque préanesthésique ASA (de l’American Society of Anestesiologists) augmente avec le stade de l’ostéoradionécrose. de revascularisation d’emblée. Le tableau IV montre également que les deux sous-groupes (le premier ayant reçu moins de 65 Gy, et le second plus de 65 Gy) présentaient une morbidité différente. Pour les patients ayant reçu plus de 65 Gy, la durée moyenne de l’intervention était allongée d’une heure, et la dissection chirurgicale était « difficile » dans un plus grand nombre de cas. L’hospitalisation était également plus longue, mais n’était pas conditionnée par la réalimentation, contrairement au reste de la série. Enfin, le nombre de décès dans les six mois suivant l’acte chirurgical était nettement plus important (21 % des patients ayant reçu plus de 65 Gy contre 7 % dans le reste de la série). Tableau III Morbidité des ostéoradionécroses sans facteur déclenchant. Critères de morbidité Apparition de novo Existence d’un facteur déclenchant de l’ORN Puissance (p) Durée de l’intervention (heures) Durée de l’hospitalisation (jours) Délai de réalimentation (jours) Nombre de chirurgies antérieures Nombre total d’interventions 10,5 27,4 19,4 1,3 3,2 9 19,6 13,7 0,8 2,5 0,02 0,15 0,18 0,21 0,82 520 Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité Tableau IV Analyse de la morbidité de la chirurgie de revascularisation en fonction de la dose totale d’irradiation. Durée moyenne de l’intervention (heures) Pourcentage de cas où la dissection a été difficile (%) Durée moyenne de l’hospitalisation (jours) Délai moyen de réalimentation (jours) Moyenne du nombre total d’interventions Moyenne du nombre d’interventions après le lambeau libre Pourcentage de patients ayant déjà bénéficié d’une chirurgie avant le lambeau libre (%) Moyenne du nombre d’interventions avant le lambeau librea Nombre de patients décédés dans les six mois suivant l’intervention Nombre de patients < 65 Gy > 65 Gy Sur les 26 patientsb Sur les 59 patients 9,5 33 20,6 21,0 3,1 0,5 10,5 43 32,6 14,8 2,7 0,8 10 38 27,1 17,9 2,9 0,7 9,9 32 24 16,9 2,9 0,7 75 1,3 43 0,7 58 1 61 1,1 1 (8 %) 12 3 (21 %) 14 4 26 4 (7 %) 59 a Seul critère significatif retrouvant un p mesuré à 0,049 avec un test de Spearman. Les moyennes pour les 26 patients pour lesquels la dose totale d’irradiation était connue sont comparables aux moyennes de la série de 59 patients (colonne de droite). b Tableau V Morbidité dans les atteintes bilatérales. Durée de l’intervention (heures) Durée de l’hospitalisation (jours) Délai de réalimentation (jours) Nombre total d’interventions Atteinte bilatérale Atteinte unilatérale Puissance (p) 10,9 27,7 24,4 3,8 9,8 23,3 15,5 2,8 0,048 0,268 0,069 0,201 NB. Un patient a été opéré des deux côtés dans le même temps opératoire, ce qui augmente la moyenne de la durée de l’intervention puisqu’elle a duré 14 heures. Pour les neuf cas d’atteinte bilatérale, la durée de l’intervention était augmentée de manière significative (p = 0,048 avec un test de Mann-Whitney). Cette dernière était de 10,8 heures dans les atteintes bilatérales (écarttype de 3,6 heures), contre 9,7 heures dans les atteintes unilatérales (écart-type de 2,1 heures). Les autres critères de morbidité étaient également plus élevés (tableau V), mais sans liaison statistique. Nous avons considéré comme proches de l’os les tumeurs localisées sur le plancher buccal, la gencive, la commissure intermaxillaire et l’amygdale. Dans notre série, les tests statistiques n’ont pas prouvé formellement que la proximité osseuse de la tumeur (45 cas sur 59) était un facteur aggravant la morbidité de la chirurgie. Dans notre série, quatre cas d’actinomycose ont été retrouvés. Le faible nombre de cas présentant l’infection n’a pas permis de réaliser de tests statistiques. Les patients dont l’atteinte était symphysaire (14 cas) ont dû recourir à un nombre d’interventions plus important pour guérir de leur ostéoradionécrose. Ces patients ont subi 4,1 interventions chirurgicales en moyenne, contre 2,5 pour les autres patients (p = 0,001 avec un test de Student). Cette différence était due à une augmentation du nombre de chirurgies antérieures soldées par un échec (il est de 2,2 contre 0,75 pour les autres atteintes [p = 0,009]). Discussion La recherche de facteurs de gravité exposant à un risque d’évolution plus sévère de la maladie a permis d’isoler les patients nécessitant une prise en charge chirurgicale de revascularisation plus précoce. Adapter la conduite thérapeutique classique, en fonction des stades cliniques, ne tient pas compte de deux notions essentielles ; la variabilité individuelle des effets des irradiations [7] et la grande diversité de formes d’ostéoradionécroses [1, 4]. La comparaison des données avec celles de la littérature (tableau VI) montre les spécificités de la série. Le lambeau de crête iliaque a été le plus souvent utilisé, comme dans la série de Ioannides et al. en 1994 [8]. Le pourcentage tolérable de lambeaux nécrosés prouvait la faisabilité de cette 521 C. d’Hauthuille et al. 522 Tableau VI Comparaison de la série avec la littérature [8, 9, 22–26]. Auteurs Obwegeser Ducan Ioannides Shaha Chang Store Ang Breton Devauchelle Date de publication Période d’inclusion Nombre de patients Intervalle diagnostic–chirurgie (mois) Intervalle RTE/ORN (mois) Premier traitement chirurgical (%) OHB antérieure (%) Nombre de lambeaux Fibula (ostéocutané) (%) Fibula (osseux) (%) Crête (osseux) (%) Crête (ostéocutané) (%) Scapula (%) Humérus Radius Grand dorsal + côte (%) Métatarse (%) Droit interne (%) Antébrachial (%) Musculaire seul Complications (%) Nécrose (%) Récidive ORN (%) Récidive cancer (%) Découverte récidive sur pièce ORN (%) Durée hospitalisation (jours) Délai réalimentation (jours) Pourcentage éventration après crête 1978 1985 1978–1983 36 7 1994 1982–1991 28 1997 1992–1997 6 2001 1989–1999 29 27 46 55 79 29 48 10 10 7 7 2002 1986–2001 16 2003 1993–2000 21 2004 1989–2002 23 48 35,6 60 22 25 44 20 0 0 20 4 2006 1992–2002 59 18 48 54 18 59 20 2 46 7 7 10 72 10 36 33 6 25 76 50 6 100 38 16 44 25 48 21 48 14 5 5 14 25 6 3 3 24 69 14 3 14 4 5 8 70 30 8 32 0 15 7 4 21 14 0 52 63 5 5 29 5 8 9 17 23 9 47 10 7 8 2 24 17 5 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 25 21 7 7 Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité Figure 9. Physiopathologie des ostéoradionécroses. L’hypocellularité, l’hypovascularité, l’hypoxie, et les troubles du remodelage osseux induits par l’irradiation de l’os peuvent interagir afin d’évoluer vers une ostéoradionécrose. Des facteurs déclenchants peuvent accélérer cette évolution (à droite), mais la présence de facteurs aggravants (à gauche) auto-entretiennent l’évolution vers une ostéoradionécrose qui peut alors être spontanée. Figure 10. Critères de gravité de l’ostéoradionécrose. chirurgie, mais l’importance de la part des complications rappelait l’hostilité du terrain sur lequel elle se réalise. La mortalité précoce augmente lorsque le nombre total d’interventions augmente. Cela pourrait s’expliquer par le retard de prise en charge, et l’augmentation des difficultés opératoires. Une chirurgie à un stade avancé allonge la durée de l’intervention, augmentant la morbidité, la mortalité postopératoire précoce, et la durée d’hospitalisation. Il est préférable de proposer un acte chirurgical de revascularisation à un stade précoce, comme l’ont déjà proposé certains auteurs en 1995 et 2003 [9]. Certes, opérer tôt, mais de manière efficace… L’apparition spontanée de l’ostéoradionécrose est un critère de gravité décrit par de nombreux auteurs [1, 2, 10, 11]. L’absence de facteur déclenchant est le reflet de la présence de facteurs aggravants. La figure 9 synthétise notre vision de la physiopathologie de la radionécrose, et permet de comprendre les différents critères de gravité déterminés par notre étude (fig. 9, 10). L’importance de l’irradiation (> 65 Gy) est un facteur de gravité très bien documenté dans la littérature [4, 10-12]. Elle justifie l’indication d’une résection interruptrice [4]. Cer523 C. d’Hauthuille et al. tains rapportent la particulière gravité de la radionécrose au-delà de 75 Gy [4]. Beumer et al. précisaient dans leur étude que le traitement médical n’est pas efficace pour les patients ayant reçu plus de 65 Gy [13]. Par ailleurs, l’importance de l’irradiation ne dépend pas seulement de la dose totale d’irradiation, mais aussi du volume traité, et de son fractionnement. La variabilité individuelle de la radiosensibilité influe également sur les effets du rayonnement. Marx rappelle les signes cliniques évocateurs d’une irradiation importante [11] : l’induration des tissus, l’apparition de télangiectasies muqueuses, la perte de la pilosité, l’atrophie cutanée, la desquamation cutanée et sa kératinisation, la xérostomie sévère, et l’agueusie importante [7]. Un surdosage peut être retrouvé, notamment lors d’une curiethérapie associée, particulièrement dans une localisation trop proche de l’os (contre-indication habituelle). Dans le sous-groupe des patients ayant reçu plus de 65 Gy, la dissection était plus difficile et l’intervention chirurgicale plus longue. L’hospitalisation était également plus longue, sans que le délai de réalimentation ne soit augmenté (difficultés de cicatrisation, réintervention nécessaire, etc.). Par ailleurs, ces patients sont moins souvent opérés avant la chirurgie de revascularisation, mais plus souvent réopérés après. La mortalité précoce était également plus importante. La bilatéralité de l’ostéoradionécrose est également considérée comme un critère de gravité par plusieurs auteurs. La morbidité opératoire était également augmentée dans notre série. À notre sens, elle doit être d’autant plus prise en compte comme telle, car une atteinte bilatérale est le reflet d’une irradiation plus importante (en volume et en dose) et/ou d’une plus grande radiosensibilité individuelle. Ce critère prédit l’évolution défavorable de la maladie dans un protocole thérapeutique classique. L’atteinte bilatérale est un facteur pronostique, mais aussi fonctionnel. La survenue fréquente d’une fracture bilatérale entraı̂ne des rétractions majorant les difficultés de reconstruction. La radiothérapie effectuée sur une tumeur proche de l’os est considérée comme un facteur de gravité pour Bedwinek et al. [14]. En dépit des artifices d’optimisation, la courbe isodose passe plus facilement par l’os adjacent dont la radiosensibilité est importante. La dose reçue par l’os est inhabituelle dans ces localisations tumorales, augmentant ainsi le risque de surdosage osseux. Des auteurs ont démontré l’allongement de la durée de prise en charge dans les cas d’atteinte actinomycosique associée. Ils proposent une biopsie osseuse systématique dans les cas d’ostéoradionécroses résistantes au traitement médicamenteux [15-18]. L’actinomyces est une bactérie 524 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:513-525 anaérobie colonisant les régions radionécrotiques du fait de leur hypoxie, activant ainsi les mécanismes de remodelage osseux pourtant altérés [16]. Faut-il pour autant introduire un traitement médical antiactinomycosique comme le préconisent Curi et al. dans leur article [15] ? Ils retrouvent cinq cas d’actinomycose sur 50 cas d’ostéoradionécrose. Ils précisent cependant les difficultés de diagnostic de l’infection, dont la suspicion clinique est peu spécifique (écoulement purulent, fistule cutanée, induration des tissus périphériques), et dont la mise en culture est peu sensible. Son protocole thérapeutique consiste en six à huit semaines d’ampicilline à la posologie de 4 g/j. D’autres proposent un traitement prolongé (pendant trois mois) [16]. Le traitement consensuel consiste en deux à quatre semaines de pénicilline G (10 à 20 millions d’unité par jour par voie veineuse), puis trois à six mois de pénicilline V (cinq millions d’unité un jour sur deux par voie orale). Les formes extensives peuvent être traitées par une biantibiothérapie par pénicilline–métronidazole associée à une oxygénothérapie hyperbare [19]. La prise en charge d’une atteinte symphysaire est difficile non seulement à cause des séquelles esthétiques et fonctionnelles, mais aussi parce qu’elle est reconnue comme un signe de gravité par certains auteurs. L’augmentation du nombre d’interventions nécessaires est le reflet de la plus grande difficulté de prise en charge et de leur sévérité. La vascularisation de cette région anatomique est différente de celle de la branche horizontale, puisqu’elle dépend des branches de l’artère faciale [20, 21]. L’atteinte symphysaire témoigne de l’atteinte du système de « revascularisation spontanée » par l’artère faciale, habituellement épargnée. L’inobservance du traitement médical est également reconnue comme une difficulté de prise en charge [10]. Le thérapeute devrait peut-être s’adapter au patient, et lui proposer un traitement chirurgical s’il sait que le traitement médicamenteux ne sera pas régulièrement suivi. L’éloignement géographique peut également être considéré comme un facteur à prendre en compte. Un autre élément est la ligature de l’artère faciale au cours de la chirurgie d’exérèse tumorale et/ou du curage ganglionnaire. Dans les territoires mandibulaires vascularisés par l’artère alvéolaire inférieure centromédullaire, lorsque cette dernière est altérée (avec l’âge, mais surtout par la radiothérapie [20]), la vascularisation périostée par les branches de l’artère faciale devient alors majoritaire. La ligature de cette dernière diminue les possibilités de « revascularisation spontanée » de la mandibule. D’autres auteurs ont montré que l’absence de séquestre osseux [1] était prédictive d’une évolution plus redoutable. Cette forme d’ostéoradionécrose sans séques- Ostéoradionécroses mandibulaires : partie I : facteurs de gravité tre se présente plus souvent comme une atteinte osseuse mal limitée. D’autres auteurs rajoutent comme facteur de gravité la persistance de l’intoxication tabagique dont l’influence sur la vascularisation terminale et la cicatrisation sont indiscutables. D’autres facteurs de sensibilisation à la radiothérapie comme la chimiothérapie doivent aussi être pris en compte. La connaissance des facteurs déclenchants a permis d’établir des recommandations afin de diminuer l’incidence de l’ostéoradionécrose. La connaissance de facteurs de gravité permet de les rechercher, afin de proposer un traitement plus efficace à un stade plus précoce. Cela facilitera la réalisation technique de la chirurgie reconstructrice et en diminuera la morbidité. Les lésions induites par la radiothérapie s’expriment longtemps après la fin de l’irradiation. L’os est atteint de troubles vasculaires et est colonisé par des agents pathogènes, ces deux phénomènes activant son remodelage. L’ « état d’hibernation » dans lequel les rares cellules osseuses se trouvaient est alors réveillé. Des lésions cellulaires et tissulaires se révèlent ainsi, empêchant l’efficacité du remodelage osseux. Ainsi, l’auto-entretien des lésions radio-induites est instauré, les rendant alors « visibles ». La chirurgie reconstructrice remplace l’os irradié par un os sain. Ces tissus non irradiés apportent ainsi des cellules inductrices de néo-angiogenèse, et ostéoinductrices. Alors que la chirurgie corrigeait le défaut anatomique « visible », soucieuse des contraintes mécaniques, elle devient aujourd’hui « inductrice ». Cette vision de l’infiniment petit rajoute une dimension biologique à la microchirurgie. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. Références 20. 1. 21. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Wong JK, Wood RE, McLean M. Conservative management of osteoradionecrosis. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1997;84:16–21. Epstein JB, Wong FL, Stevenson-Moore P. Osteoradionecrosis: clinical experience and a proposal for classification. J Oral Maxillofac Surg 1987;45:104–10. Breton P, Seguin P. Ostéoradionécroses. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Stomatologie–odontologie, 22-062-D-20, 1996, 9. Store G, Boysen M. Mandibular osteoradionecrosis: clinical behaviour and diagnostic aspects. Clin Otolaryngol 2000;25: 378–84. Piret P, Deneufbourg JM. L’ostéoradionécrose mandibulaire : épée de Damoclès de la radiothérapie cervicofaciale ? Rev Med Liege 2002;57:393–9. Divaris M, Goudot P, Princ G, Lalo J, Vaillant JM. Reconstruction mandibulaire par lambeaux libres osseux microanastomosés. Nos indications actuelles. Ann Chir Plast Esthet 1992; 37:297–308. Marx RE. Osteoradionecrosis: a new concept of its pathophysiology. J Oral Maxillofac Surg 1983;41:283–8. 22. 23. 24. 25. 26. Ioannides C, Fossion E, Boeckx W, Hermans B, Jacobs D. Surgical management of the osteoradionecrotic mandible with free vascularised composite flaps. J Craniomaxillofac Surg 1994;22: 330–4. Ang E, Black C, Irish J, et al. Reconstructive options in the treatment of osteoradionecrosis of the craniomaxillofacial skeleton. Br J Plast Surg 2003;56:92–9. Beumer 3rd J, Harrison R, Sanders B, Kurrasch M. Postradiation dental extractions: a review of the literature and a report of 72 episodes. Head Neck Surg 1983;6:581–6. Marx RE, Johnson RP. Studies in the radiobiology of osteoradionecrosis and their clinical significance. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1987;64:379–90. Reuther T, Schuster T, Mende U, Kubler A. Osteoradionecrosis of the jaws as a side effect of radiotherapy of head and neck tumour patients-a report of a thirty year retrospective review. Int J Oral Maxillofac Surg 2003;32:289–95. Beumer J, Harrison R, Sanders B, Kurrasch M. Osteoradionecrosis: predisposing factors and outcomes of therapy. Head Neck Surg 1984;6:819–27. Bedwinek JM, Shukovsky LJ, Fletcher GH, Daley TE. Osteonecrosis in patients treated with definitive radiotherapy for squamous cell carcinomas of the oral cavity and naso-and oropharynx. Radiology 1976;119:665–7. Curi MM, Dib LL, Kowalski LP, Landman G, Mangini C. Opportunistic actinomycosis in osteoradionecrosis of the jaws in patients affected by head and neck cancer: incidence and clinical significance. Oral Oncol 2000;36:294–9. Liu CJ, Chang KM, Ou CT. Actinomycosis in a patient treated for maxillary osteoradionecrosis. J Oral Maxillofac Surg 1998; 56:251–3. Hansen T, Kunkel M, Kirkpatrick CJ, Weber A. Actinomyces in infected osteoradionecrosis–underestimated? Hum Pathol 2006;37:61–7. Hansen T, Wagner W, Kirkpatrick CJ, Kunkel M. Infected osteoradionecrosis of the mandible: follow-up study suggests deterioration in outcome for patients with Actinomyces-positive bone biopsies. Int J Oral Maxillofac Surg 2006;35:1001–4. Serrano E, Percodani J. Actinomycose cervicofaciale. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Otorhinolaryngologie, 22–372-A-10, 1995, 11. Bras J, de Jonge HK, van Merkesteyn JP. Osteoradionecrosis of the mandible: pathogenesis. Am J Otolaryngol 1990;11:244–50. Pogrel MA, Dodson T, Tom W. Arteriographic assessment of patency of the inferior alveolar artery and its relevance to alveolar atrophy. J Oral Maxillofac Surg 1987;45:767–70. Obwegeser HL, Sailer HF. Experience with intraoral resection and immediate reconstruction in cases of radio-osteomyelitis of the mandible. J Maxillofac Surg 1978;6:257–65. Duncan MJ, Manktelow RT, Zuker RM, Rosen IB. Mandibular reconstruction in the radiated patient: the role of osteocutaneous free tissue transfers. Plast Reconstr Surg 1985;76:829– 40. Shaha AR, Cordeiro PG, Hidalgo DA, et al. Resection and immediate microvascular reconstruction in the management of osteoradionecrosis of the mandible. Head Neck 1997;19:406– 11. Chang DW, Oh HK, Robb GL, Miller MJ. Management of advanced mandibular osteoradionecrosis with free flap reconstruction. Head Neck 2001;23:830–5. Girod A, Bouletreau P, Freidel M, Breton P. Reconstruction mandibulaire par lambeau osseux vascularisé après ostéoradionécrose. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2004;105:255–68. 525