prendre soin et formation infirmière

Telechargé par Marie Laforge
« PRENDRE SOIN ET FORMATION INFIRMIÈRE »
Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) | « Recherche en soins
infirmiers »
2011/4 N° 107 | pages 60 à 75
ISSN 0297-2964
Article disponible en ligne à l'adresse :
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60 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011
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ABSTRACT
The notion of care is the main thread of the nurses’ initial training. What are the
theoretical references on which these teachings on care and caring are based in
order to guide the learning and its implementation during the interview with the
patient? Each professional exercises his profession with a personal vision, but the
history of the profession reflects the evolution of the society to which it belongs.
Thus the care theories shed a new light on the framework of thinking related to
caring and care today.
For the implementation of the training engineering related to the new curriculum,
the trainers at ISFI (Institution for the nursing care training) of Pontoise wanted to
question the concepts and theories on which the teaching of clinical reasoning can be
based and thus work on the links existing between their own experiences of caring
and their missions of accompaniment and transmission based on the respect of the
potentialities presented by the students.
Key words : caring, nursing science, nursing practices, support for the potential,
interpersonal experience, intentionality, professionals’ roles in society
RESUMÉ
Le prendre soin est fil conducteur des enseignements dans la formation initiale des
infirmiers. Sur quelles références théoriques appuyer ces enseignements permettant
de penser le soin et le prendre soin afin de guider les apprentissages et la mise en
pratique lors de la rencontre avec la personne soignée ? Si chaque professionnel
s’inscrit dans son exercice professionnel avec une vision personnelle, l’histoire de la
profession témoigne de l’évolution même de la société dans laquelle elle s’inscrit. En
cela, les théories de soins éclairent le cadre de pensée permettant le prendre soin et
les soins aujourd’hui.
Les formateurs de l’IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) de Pontoise, lors
de la mise en route de l’ingénierie de formation en lien avec le nouveau référentiel,
ont souhaité questionner les concepts et théories sur lesquels appuyer l’enseignement
du raisonnement clinique et, par même, travailler les liens pouvant exister entre
leurs propres expériences du prendre soin, leurs missions d’accompagnement et de
transmission fondées sur le respect des potentialités présentées par les étudiants
rencontrés.
Mots clés : prendre soin, science infirmière, pratique infirmière, accompagnement des
potentialités, expérience intersubjective, intentionnalité, missions pour la profession
infirmière au sein de la société.
Véronique FAVETTA
Infirmière, sophrologue, titulaire d’un Master 2 en économie, formatrice à l’IFSI de Pontoise (95)
Brigitte FEUILLEBOIS-MARTINEZ
Infirmière, titulaire d’un DU sur la prévention du vieillissement pathologique, d’une maîtrise en management, formatrice à l’IFSI de
Pontoise (95)
« Prendre soin et formation infirmière »
« Care and nurse teaching »
RENCONTRE AUTOUR DU
« PRENDRE SOIN »
Pour citer l’article :
FAVETTA V, FEUILLEBOIS-MARTINEZ B. Prendre soin et formation infirmière. Recherche en soins infirmiers, décembre 2011 ; 107 : 60 - 75
Adresse de correspondance :
Véronique FAVETTA : veronique.favetta@ch-pontoise.fr - Brigitte FEUILLEBOIS-MARTINEZ : brigfl[email protected]
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INTRODUCTION
Quelques soient les programmes et férentiels de formations,
les formateurs attachent une importance particulière à
l’enseignement du soin et de son corollaire intentionnel
« le prendre soin ». Il nous a été proposé de témoigner des
flexions que suscite cet enseignement, préambule nécessaire
à la rencontre avec les étudiants autour de cet objet. Pour
ce faire, nous proposerons une lecture du concept de soin,
puisqu’il est essentiel dans nos enseignements, articulée à une
notion toute aussi essentielle, celle du prendre soin sur laquelle
viendra s’appuyer le choix d’enseignement au sein de l’IFSI1.
Il s’agit bien de cerner comment se met en place une relation
autour du prendre soin et de définir comment l’enseignement
des formateurs contribue ou non à la construction d’une
posture professionnelle chez l’étudiant.
Choisir la fonction de formateur en soins infirmiers peut s’avérer
une missionlicate, car elle secline dans l’accompagnement
détudiants issus dhorizons distincts, sur un long chemin nourrissant
la construction et l’appropriation étayante d’une identité (Collière,
1982, 239) [1] professionnelle soignante au terme des années de
formation, en réponse au rôle social attendu.
Or, les enseignements versus la pratique suffisent-ils pour
développer et acquérir cette maturation professionnelle
nécessaire pour assumer ce mandat soignant et faire face avec
compétence aux multiples situations de soins rencontrées ?
Si la compétence peut se finir comme étant « un savoir-agir
complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison
efficaces d’une variété de ressources internes et externes
[incluant les connaissances] à l’intérieur d’une famille de
situations » (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 154) [2], elle
inclut également la capacité à se situer, face à la personne ou
au groupe de personnes à accompagner dans les soins, par
une attention portée sur des valeurs humaines empathiques
et congruentes, respectueuses de nos différences avérées.
Nous ne discuterons pas autour du concept de soin mais nous
prendrons pour appui à nos réflexions les approches proposées
par l’ARSI dans son ouvrage2 où soin et prendre soin sont liés.
Caring et care peuvent être traduits comme réciproquement
prendre soin et soin. Cette approche américaine et française
facilitera l’argumentation autour du choix effectué pour
l’enseignement des théories de soins comme celle élaborée
par J. Watson enseignée à l’IFSI dans lequel nous travaillons.
« Le terme anglais caring renvoie à une action dirigée vers
quelque chose ou quelqu’un dans une attitude de sollicitude et
d’attention. La traduction la plus usitée en français est « prendre
soin. » (Vigil-Ripoche, 2009, 96-99) [3]. Le terme « care » en
« nursing » signe l’ensemble des « soins qui permettent le
bien-être physique, mental et social » et l’action de « caring »,
soigner dans une relation de sollicitude à l’autre. Plus avant,
il est précisé, « les soins sont à qualifier pour les spécifier en
soins coutumiers et habituels, liés aux fonctions d’entretien, de
continuité de la vie ou en soins curatifs et de réparation... ».
Nous verrons que cette articulation choisie et explicitée aux
étudiants aura un impact sur leur propre construction du
prendre soin. Notre intention pédagogique, tout au long de
notre travail aura pour fil conducteur cette articulation.
Le care, terme anglais « traduit des préoccupations qui sont
aussi les nôtres, ici comme ailleurs, des préoccupations
humaines. Les enjeux de ces préoccupations concernent
le monde dans lequel nous vivons, au-delà de toutes les
frontières. […] Les préoccupations du care nous sont
familières, ordinaires. […] Comment expliquer alors, la mise
à l’écart du souci des autres, une des traductions possibles du
care. Pourquoi est-il crucial de placer aujourd’hui cette façon
de se soucier des autres au centre de la réflexion politique ? ».
(Molinier, Laugier, Paperman, 2009, 7) [4].
Pour notre propos, nous nous attarderons plus précisément à
la place du care dans les soins infirmiers, au travers du soutien
structurel proposé aux professionnels infirmiers en devenir,
c’est-à-dire, la formation.
De part la responsabilité citoyenne et de fait, politique
des infirmiers (ères) dans l’engagement social avéré par
l’appartenance au sysme de santé, il est juste d’associer voire
de définir l’essence même de la nature des soins infirmiers
comme une déclinaison de cette notion du souci des autres
dans la relation de soins singulière.
Pour initier le débat, nous nous proposons de partir de l’hypothèse
de réflexion suivante : si la place accordée au prendre soin dans
la formation est significative etlée dans les enseignements
apportés et dans la posture relationnelle des formateurs,
comme une conception issue d’une pensée infirmière basée sur
le care, alors les étudiants pourront la transférer lors des soins
d’accompagnement propos et prodigués aux personnes durant
leur temps de stages et l’expérimenter pour l’intégrer à leur
propre conception soignante en devenir.
Nous allons donc dans un premier temps explorer le concept
du prendre soin et proposer une orientation du sens accordé à
la relation soignant-soigné. Nous nous attacherons dans cette
première partie à éclairer notre objet du prendre soin à l’aide
d’une explicitation philosophique, illustration pertinente selon
nous, dès lors qu’une relation s’engage entre deux acteurs,
sujets et/ou objets dans la théorie de la communication.
Dans une seconde partie, nous reviendrons brièvement sur
l’histoire du prendre soin, terme que nous avons choisi d’utiliser
pour traduire le mot care, au travers des écrits de M.F.
Collière. Puis, nous continuerons pour évoquer les objectifs
de la formation infirmière et le rôle des formateurs dans
l’accompagnement à l’intériorisation des valeurs humanistes
inhérentes au prendre soin. Enfin, dans une dernière partie, nous
discuterons autour d’un entretien mené avec un groupe de
quatre étudiants de 2ème année ayant expérimenté en stage une
activité témoignant d’une mise en pratique du prendre soin.
1 Lire partout IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers.
2 Sous la direction de Monique FORMARIER et Ljiljana JOVIC « Les concepts
en Sciences Infirmières ». ARSI Editions MALLET Conseil, 2009.
« Prendre soin et formation infirmière »
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APPROCHES DU PRENDRE SOIN ET
DE LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ
Dans cette première partie afin de débuter notre propos et
pour nous approcher plus précisément du sens du terme prendre
soin, il convient d’en rechercher son origine étymologique.
Ainsi, si nous associons l’origine de « prendre », tiré du latin
« prehendere » signifiant « prendre, saisir, s’emparer de », au
mot « soin », issu du bas latin « sunnis, sunnia, sonia » signifiant
« empêchement juridique », pouvant laisser sous-entendre
l’idée de s’arrêter à une affaire difficile, nous pouvons visiter la
notion de prendre soin comme relevant d’un déséquilibre entre
la nécessité de saisir, de tenir quelque chose ou quelqu’un et sa
ali qui serait soumise à une rudesse de mise en œuvre.
Pour compléter, en wallon, le mot « soin » signifie « peur ».
De part l’association de ces différentes origines, cette notion
pourrait nous faire penser que le prendre soin réunirait les
notions de complexité et d’appréhension dans la saisie de
quelque chose.
De plus, cette union latine étymologique ajoute une notion
de responsabilité apportée par l’image juridique du soin, lien
de déséquilibre inégal mais engageant la réciprocité.
Pour le Littré, le mot soin renvoie à la notion de charge,
de devoir de veiller sur quelqu’un ou quelque chose, une
application, une attention que l’on met en faisant quelque
chose. Il s’agirait donc de supporter, de saisir voire d’assumer
notre devoir d’attention envers autrui.
Pour l’infirmier Philippe Svandra, docteur en philosophie, « c’est
au terme d’un long cheminement que s’est dévoilé à mes
yeux la nature profonde du soin. Elle pourrait se résumer par
cette formule lapidaire : le soin est l’expression agissante de mon
humanité. » (Svandra, 2009, 11) [5] Comment ne pas finir plus
clairement le sens actuel et classiquement admis du rôle infirmier
dans son intégralité ? Même s’il s’avère que la représentation
collective du métier infirmier se traduit parfois dans les propos
des candidats au concours d’entrée en IFSI dans « j’ai envie
d’aider les autres » comme objet motivationnel pour s’apprêter à
incarner la fonction infirmre, il convient de préciser que celle-ci
s’inscrit dans l’engagement de servir, d’apporter ses services
professionnels à la personne dans sa situation de vie singulière
et de faire usage de compétences infirmières adéquates.
Selon nous, cet éclairage significatif et terminant est complété
par Virginia Henderson lorsqu’elle finit le rôle infirmier dans
son ouvrage La nature des soins infirmiers, publié en 1966. Le
mole proposé par cette infirmière américaine, retenu par un
grand nombre de pays comme support exclusif d’une conception
des soins infirmiers, semble formaliser les principes même de
cet exercice, c’est-à-dire l’expression sociale du rôle de soutien,
de suppléance, de service à rendre lors de l’identification d’un
manque dans un moment de vie particulier. L’attitude soignante
portée par son modèle restreint, selon nous, l’expérience
interpersonnelle existant lors de la rencontre avec la personne
accompagnée. Elle soutient cependant un éclairage significatif
fort sur la fonction spécifique et autonome de la profession.
« La fonction essentielle de l’infirmier (ère) est d’assister l’individu,
malade ou bien portant, dans l’accomplissement des actes qui
contribuent au maintien ou à la restauration de la san (ou à une
mort paisible) et qu’il accomplirait lui-même s’il avait assez de force,
de volonté, ou de savoir. Et de donner cette assistance de manre
à permettre à celui qui la reçoit d’agir sans concours extérieur
aussi rapidement que possible ». Cette explicitation extraite
du modèle proposé par V. Henderson ne fait pas apparaître en
tant que telle la posture du prendre soin comme peut le préciser
Jean Watson, déterminée selon elle comme la science du caring.
En effet, le modèle proposé par V. Henderson se traduit par
le retour à l’inpendance de la personne accompage dans
la satisfaction de ses besoins, et le rôle infirmier compense
la dépendance provoquée. Cette appartenance à l’école des
besoins limite donc la place professionnelle infirmière à une
fonction de suppléance, voire de substitut. Il reste nécessaire
de combiner les approches des différentes écoles de pensée
pour rendre plus complète la substance même de la discipline
infirmière.
Pour la théoricienne Hildegarde Peplau, deux hypothèses
ont guidé son raisonnement. La première serait que « la
personnalité de l’infirmière fait une différence substantielle au
niveau de ce qu’un patient peut apprendre durant l’expérience
de sa maladie » (Poletti, 1978, 26) [6]. La seconde affirmerait
que « l’une des fonctions des soins infirmiers et de la formation
en soins infirmiers est de contribuer au développement de la
personnalité dans le sens de la maturité » (Poletti, 1978, 26) [6].
C’est par le biais du rôle qui lui est attribué et qu’elle incarne, que
l’expertise infirmière va faciliter et favoriser ce développement,
en se situant comme pourvoyeur du lien d’humanité.
« Avant d’être une éthique, le care est un travail. Prendre
soin de l’autre, ce n’est pas penser à l’autre, se soucier de
lui de façon intellectuelle ou même affective, ce n’est pas
cessairement l’aimer, du moins en première intention,
c’est faire quelque chose, c’est produire un certain travail
qui participe directement du maintien ou de la préservation
de la vie de l’autre. » (Molinier, 2009, 75) [7]. Le soin relève
bien d’une implication personnelle, exercée par une intention
professionnelle éprouvée, dans le souci accordé à l’autre, allant
jusqu’à la responsabili de garantir cette implication. Selon une
approche intersubjective, nous pouvons resituer le prendre soin
dans l’identification de l’autre en tant que sujet et de la place
qu’il nous octroie en nous reconnaissant nous-même sujet,
donc légitimé dans la relation soignant-soigné à développer.
Sans le regard intentionnel3 d’une autre personne, l’être
humain n’a pas de raison d’être, puisqu’il est une créature
sociale. Cette intentionnalité décrite par E. Husserl et
3 HUSSERL E. 1859-1938, philosophe allemand fondateur de la phénomé-
nologie transcendantale, pour qui elle représenterait l’humanité même de
l’homme.
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soulignée par E. Levinas4 est « essentiellement l’acte de
prêter un sens »5 à l’objet. Le regard implique la distinction, la
différenciation, la représentation singulière de l’objet observé.
Il rend ainsi remarquable l’objet regardé, l’honore d’une
estime particulière, d’une marque de valeur6 en lui attribuant
le statut de sujet et donc d’être humain, notre semblable.
Pour nous différencier de l’objet, il nous faut donc entrer en
communication et en relation. La relation, c’est-à-dire la liaison
assurant l’échange du « je » et du « tu » nous garantit du reflet
humain accordé par autrui. C’est voir en nous notre identique
appartenance. Même si le « je » se regarde et se mire, cela ne
lui suffit pas pour avoir la certitude de son existence propre,
dans le sens cette existence n’aura pas de traduction sociale.
Elle ne représentera que ce que le « je » se donne comme sens
existentiel. Sans le « tu », réfléchissant nos attributs humains,
notre réalité peut être réduite à un état d’objet. Avant de nous
couvrir dans l’échange avec autrui, nous sommes en présence
de nous-même, sans pouvoir échapper à cette constance, alors
que nous pouvons tourner le dos au reste de l’humanité qui
nous entoure. Par la perception de notre apparence physique,
l’image de nous-même, celle-ci va se compléter par le retour
visuel que « tu » nous renvoie par sa représentation personnelle
de notre corps. Autrui nous renvoie notre reflet de part le
regard qu’il porte sur nous. C’est notre entrée en relation qui
se joue et qui détermine de cette manière la place de chacun.
Dans la relation soignant-soigné, cette re-connaissance
mutuelle et bilatérale, représente un préalable à la posture
du prendre soin, notion que nous avons choisi de présenter.
Les liens unissant les personnes font appel à la relation de
subjectivité respective qu’elles développent en se côtoyant,
entre des sujets-sujets et des sujets-objets.
L’art du prendre soin pourrait ainsi se décliner en une
explicitation en action de la re-connaissance de la personne
accompagnée comme une entité subjective impliquée dans une
expérience de vie particulière nécessitant notre intervention
engageant notre responsabilité à lui attribuer ce statut. D’un
côté comme de l’autre, chaque personne, le soigné et le
soignant, doit être reconnue comme sujet par l’autre, par
l’expérience intersubjective7 ainsi définie. Le dictionnaire
de la langue philosophique de P. Foulquier et R. Saint
Jean8, la décrit comme « la relation interpersonnelle, c’est-
à-dire de sujet à sujet en tant que sujets, de personne à
personne en tant que telles ». Par ailleurs, cette relation
ne peut exister et ne se développer qu’à partir du moment
la personne accompagnée nous attribue égalitairement
ce statut de sujet, porteur d’un rôle social déterminé par
l’appartenance au corps infirmier, symbole d’attention, de
dévouement et de compassion, donc d’un professionnel
porteur de compétence dans le soin et dans la relation
s’y rattachant. Cependant, cette place de sujet ne pourra
voir le jour que si nous plaçons la personne nécessitant
des soins comme sujet elle-même. Or, l’ensemble de nos
activités et les intentions qui les portent se destine à cette
reconnaissance. De cette nécessaire identification de la
personne accompagnée comme sujet de soin, découle la
philosophie de la discipline infirmière s’appuyant sur la
perspective humaniste considérant l’être humain comme
une fin en soi et non un moyen, ou objet des soins. La place
que nous accordons à l’autre dans la relation de soin reflète
notre partage et l’équilibration de l’échange initialement
inégal. Selon P. Molinier, 2009 « [les soignants sont] une
communauté qui inclut la reconnaissance de l’humanité des
patients comme égale et identique à la sienne propre » [7].
Si cette reconnaissance de l’humanité de l’autre dans notre
regard intentionnel est le garant de l’intégration des valeurs
infirmières en action, il convient tout de même de se
questionner sur le déséquilibre existant lors de l’entrée en
communication avec la personne accompagnée.
C’est pourquoi, dans une deuxième partie, nous énoncerons
et développerons la notion d’asymétrie, légitimement présente
dans la relation de soin et qui a suscité nos questionnements.
ASYMÉTRIE DANS LA RELATION DE
SOINS ET AJUSTEMENTS POSSIBLES
La relation de soin introduit une asymétrie entre deux
protagonistes de cette relation car certains paramètres ne
sont connus ou maîtrisés que par l’un d’eux ; cela peut créer
dès lors une inégalité dans la relation. Nous ferons référence
aux travaux et réflexions de Nathalie Zaccaï-Reyners. Cette
asymétrie est modifiée ou ajustée dès lors que ces mêmes
protagonistes engagent une dynamique d’apprentissage
réciproque. Cette approche proposée par Nathalie Zaccaï-
Reyners nous permettra de faire le lien avec la théorie de
soins enseignée à l’IFSI, celle de Jean Watson engagée dans ce
travail d’interactions entre infirmier et patient-client depuis
plusieurs années. Le parallèle sera également fait d’une
possibilité d’apprentissage réciproque, l’étudiant dans ses
apprentissages, le formateur dans ses intentions pédagogiques
avec leur nécessaire adaptation aux flexions et expériences
menées par les étudiants.
L’asymétrie dans la relation de soins a été constatée par les
professionnels. Celle-ci relève de nombreux paramètres, certains
sont d’ordre physique, par exemple dans la position, d’autres
sont reliés aux intentions conscientes ou non du professionnel
de soins, pour ne citer que quelques uns d’entre-eux.
4 LEVINAS E. 1906-1995, philosophe français d’origine lituanienne, dont
la pensée se situe au carrefour de la phénoménologie et la philosophie
existentielle. Il est l’un des premiers à introduire la pensée de Husserl,
traduisant ses méditations cartésiennes, et de Heidegger.
5 RICOEUR P. 1913-2005, philosophe français, dans sa traduction de
l’ouvrage de Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie et une
philosophie phénoménologiques pures, 1950.
6 Définition du mot distinguer donnée par le Larousse encyclopédique,
édition 1978.
7 Concept philosophique de la communication abordé pour la première fois
par Kant dans son ouvrage la critique de la faculté de juger : c’est l’idée que
les hommes sont des sujets pensants capables de prendre la pensée d’autrui
dans leur jugement propre, puis repris entre autres, par Husserl, philosophe
allemand fondateur de la phénoménologie.
8 Dictionnaire philosophique, Edition PUF, 1962, 2ème édition 1969.
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