Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) | « Recherche en soins infirmiers » Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) 2011/4 N° 107 | pages 60 à 75 ISSN 0297-2964 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2011-4-page-60.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association de recherche en soins infirmiers (ARSI). © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI). Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) « PRENDRE SOIN ET FORMATION INFIRMIÈRE » RENCONTRE AUTOUR DU « PRENDRE SOIN » « Prendre soin et formation infirmière » « Care and nurse teaching » Véronique FAVETTA Infirmière, sophrologue, titulaire d’un Master 2 en économie, formatrice à l’IFSI de Pontoise (95) Brigitte FEUILLEBOIS-MARTINEZ RESUMÉ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Le prendre soin est fil conducteur des enseignements dans la formation initiale des infirmiers. Sur quelles références théoriques appuyer ces enseignements permettant de penser le soin et le prendre soin afin de guider les apprentissages et la mise en pratique lors de la rencontre avec la personne soignée ? Si chaque professionnel s’inscrit dans son exercice professionnel avec une vision personnelle, l’histoire de la profession témoigne de l’évolution même de la société dans laquelle elle s’inscrit. En cela, les théories de soins éclairent le cadre de pensée permettant le prendre soin et les soins aujourd’hui. Les formateurs de l’IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) de Pontoise, lors de la mise en route de l’ingénierie de formation en lien avec le nouveau référentiel, ont souhaité questionner les concepts et théories sur lesquels appuyer l’enseignement du raisonnement clinique et, par là même, travailler les liens pouvant exister entre leurs propres expériences du prendre soin, leurs missions d’accompagnement et de transmission fondées sur le respect des potentialités présentées par les étudiants rencontrés. Mots clés : prendre soin, science infirmière, pratique infirmière, accompagnement des potentialités, expérience intersubjective, intentionnalité, missions pour la profession infirmière au sein de la société. ABSTRACT The notion of care is the main thread of the nurses’ initial training. What are the theoretical references on which these teachings on care and caring are based in order to guide the learning and its implementation during the interview with the patient? Each professional exercises his profession with a personal vision, but the history of the profession reflects the evolution of the society to which it belongs. Thus the care theories shed a new light on the framework of thinking related to caring and care today. For the implementation of the training engineering related to the new curriculum, the trainers at ISFI (Institution for the nursing care training) of Pontoise wanted to question the concepts and theories on which the teaching of clinical reasoning can be based and thus work on the links existing between their own experiences of caring and their missions of accompaniment and transmission based on the respect of the potentialities presented by the students. Key words : caring, nursing science, nursing practices, support for the potential, interpersonal experience, intentionality, professionals’ roles in society Pour citer l’article : FAVETTA V, FEUILLEBOIS-MARTINEZ B. Prendre soin et formation infirmière. Recherche en soins infirmiers, décembre 2011 ; 107 : 60 - 75 Adresse de correspondance : Véronique FAVETTA : [email protected] - Brigitte FEUILLEBOIS-MARTINEZ : [email protected] 60 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Infirmière, titulaire d’un DU sur la prévention du vieillissement pathologique, d’une maîtrise en management, formatrice à l’IFSI de Pontoise (95) « Prendre soin et formation infirmière » Quelques soient les programmes et référentiels de formations, les formateurs attachent une importance particulière à l’enseignement du soin et de son corollaire intentionnel « le prendre soin ». Il nous a été proposé de témoigner des réflexions que suscite cet enseignement, préambule nécessaire à la rencontre avec les étudiants autour de cet objet. Pour ce faire, nous proposerons une lecture du concept de soin, puisqu’il est essentiel dans nos enseignements, articulée à une notion toute aussi essentielle, celle du prendre soin sur laquelle viendra s’appuyer le choix d’enseignement au sein de l’IFSI1. Il s’agit bien de cerner comment se met en place une relation autour du prendre soin et de définir comment l’enseignement des formateurs contribue ou non à la construction d’une posture professionnelle chez l’étudiant. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Choisir la fonction de formateur en soins infirmiers peut s’avérer une mission délicate, car elle se décline dans l’accompagnement d’étudiants issus d’horizons distincts, sur un long chemin nourrissant la construction et l’appropriation étayante d’une identité (Collière, 1982, 239) [1] professionnelle soignante au terme des années de formation, en réponse au rôle social attendu. Or, les enseignements versus la pratique suffisent-ils pour développer et acquérir cette maturation professionnelle nécessaire pour assumer ce mandat soignant et faire face avec compétence aux multiples situations de soins rencontrées ? Si la compétence peut se définir comme étant « un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes [incluant les connaissances] à l’intérieur d’une famille de situations » (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 154) [2], elle inclut également la capacité à se situer, face à la personne ou au groupe de personnes à accompagner dans les soins, par une attention portée sur des valeurs humaines empathiques et congruentes, respectueuses de nos différences avérées. Nous ne discuterons pas autour du concept de soin mais nous prendrons pour appui à nos réflexions les approches proposées par l’ARSI dans son ouvrage2 où soin et prendre soin sont liés. Caring et care peuvent être traduits comme réciproquement prendre soin et soin. Cette approche américaine et française facilitera l’argumentation autour du choix effectué pour l’enseignement des théories de soins comme celle élaborée par J. Watson enseignée à l’IFSI dans lequel nous travaillons. « Le terme anglais caring renvoie à une action dirigée vers quelque chose ou quelqu’un dans une attitude de sollicitude et d’attention. La traduction la plus usitée en français est « prendre soin. » (Vigil-Ripoche, 2009, 96-99) [3]. Le terme « care » en « nursing » désigne l’ensemble des « soins qui permettent le bien-être physique, mental et social » et l’action de « caring », Lire partout IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers. Sous la direction de Monique FORMARIER et Ljiljana JOVIC « Les concepts en Sciences Infirmières ». ARSI Editions MALLET Conseil, 2009. 1 2 soigner dans une relation de sollicitude à l’autre. Plus avant, il est précisé, « les soins sont à qualifier pour les spécifier en soins coutumiers et habituels, liés aux fonctions d’entretien, de continuité de la vie ou en soins curatifs et de réparation... ». Nous verrons que cette articulation choisie et explicitée aux étudiants aura un impact sur leur propre construction du prendre soin. Notre intention pédagogique, tout au long de notre travail aura pour fil conducteur cette articulation. Le care, terme anglais « traduit des préoccupations qui sont aussi les nôtres, ici comme ailleurs, des préoccupations humaines. Les enjeux de ces préoccupations concernent le monde dans lequel nous vivons, au-delà de toutes les frontières. […] Les préoccupations du care nous sont familières, ordinaires. […] Comment expliquer alors, la mise à l’écart du souci des autres, une des traductions possibles du care. Pourquoi est-il crucial de placer aujourd’hui cette façon de se soucier des autres au centre de la réflexion politique ? ». (Molinier, Laugier, Paperman, 2009, 7) [4]. Pour notre propos, nous nous attarderons plus précisément à la place du care dans les soins infirmiers, au travers du soutien structurel proposé aux professionnels infirmiers en devenir, c’est-à-dire, la formation. De part la responsabilité citoyenne et de fait, politique des infirmiers (ères) dans l’engagement social avéré par l’appartenance au système de santé, il est juste d’associer voire de définir l’essence même de la nature des soins infirmiers comme une déclinaison de cette notion du souci des autres dans la relation de soins singulière. Pour initier le débat, nous nous proposons de partir de l’hypothèse de réflexion suivante : si la place accordée au prendre soin dans la formation est significative et révélée dans les enseignements apportés et dans la posture relationnelle des formateurs, comme une conception issue d’une pensée infirmière basée sur le care, alors les étudiants pourront la transférer lors des soins d’accompagnement proposés et prodigués aux personnes durant leur temps de stages et l’expérimenter pour l’intégrer à leur propre conception soignante en devenir. Nous allons donc dans un premier temps explorer le concept du prendre soin et proposer une orientation du sens accordé à la relation soignant-soigné. Nous nous attacherons dans cette première partie à éclairer notre objet du prendre soin à l’aide d’une explicitation philosophique, illustration pertinente selon nous, dès lors qu’une relation s’engage entre deux acteurs, sujets et/ou objets dans la théorie de la communication. Dans une seconde partie, nous reviendrons brièvement sur l’histoire du prendre soin, terme que nous avons choisi d’utiliser pour traduire le mot care, au travers des écrits de M.F. Collière. Puis, nous continuerons pour évoquer les objectifs de la formation infirmière et le rôle des formateurs dans l’accompagnement à l’intériorisation des valeurs humanistes inhérentes au prendre soin. Enfin, dans une dernière partie, nous discuterons autour d’un entretien mené avec un groupe de quatre étudiants de 2ème année ayant expérimenté en stage une activité témoignant d’une mise en pratique du prendre soin. Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 61 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Introduction Dans cette première partie afin de débuter notre propos et pour nous approcher plus précisément du sens du terme prendre soin, il convient d’en rechercher son origine étymologique. Ainsi, si nous associons l’origine de « prendre », tiré du latin « prehendere » signifiant « prendre, saisir, s’emparer de », au mot « soin », issu du bas latin « sunnis, sunnia, sonia » signifiant « empêchement juridique », pouvant laisser sous-entendre l’idée de s’arrêter à une affaire difficile, nous pouvons visiter la notion de prendre soin comme relevant d’un déséquilibre entre la nécessité de saisir, de tenir quelque chose ou quelqu’un et sa réalité qui serait soumise à une rudesse de mise en œuvre. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Pour compléter, en wallon, le mot « soin » signifie « peur ». De part l’association de ces différentes origines, cette notion pourrait nous faire penser que le prendre soin réunirait les notions de complexité et d’appréhension dans la saisie de quelque chose. De plus, cette réunion latine étymologique ajoute une notion de responsabilité apportée par l’image juridique du soin, lien de déséquilibre inégal mais engageant la réciprocité. Pour le Littré, le mot soin renvoie à la notion de charge, de devoir de veiller sur quelqu’un ou quelque chose, une application, une attention que l’on met en faisant quelque chose. Il s’agirait donc de supporter, de saisir voire d’assumer notre devoir d’attention envers autrui. Pour l’infirmier Philippe Svandra, docteur en philosophie, « c’est au terme d’un long cheminement que s’est dévoilé à mes yeux la nature profonde du soin. Elle pourrait se résumer par cette formule lapidaire : le soin est l’expression agissante de mon humanité. » (Svandra, 2009, 11) [5] Comment ne pas définir plus clairement le sens actuel et classiquement admis du rôle infirmier dans son intégralité ? Même s’il s’avère que la représentation collective du métier infirmier se traduit parfois dans les propos des candidats au concours d’entrée en IFSI dans « j’ai envie d’aider les autres » comme objet motivationnel pour s’apprêter à incarner la fonction infirmière, il convient de préciser que celle-ci s’inscrit dans l’engagement de servir, d’apporter ses services professionnels à la personne dans sa situation de vie singulière et de faire usage de compétences infirmières adéquates. Selon nous, cet éclairage significatif et déterminant est complété par Virginia Henderson lorsqu’elle définit le rôle infirmier dans son ouvrage La nature des soins infirmiers, publié en 1966. Le modèle proposé par cette infirmière américaine, retenu par un grand nombre de pays comme support exclusif d’une conception des soins infirmiers, semble formaliser les principes même de cet exercice, c’est-à-dire l’expression sociale du rôle de soutien, de suppléance, de service à rendre lors de l’identification d’un manque dans un moment de vie particulier. L’attitude soignante portée par son modèle restreint, selon nous, l’expérience interpersonnelle existant lors de la rencontre avec la personne 62 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés accompagnée. Elle soutient cependant un éclairage significatif fort sur la fonction spécifique et autonome de la profession. « La fonction essentielle de l’infirmier (ère) est d’assister l’individu, malade ou bien portant, dans l’accomplissement des actes qui contribuent au maintien ou à la restauration de la santé (ou à une mort paisible) et qu’il accomplirait lui-même s’il avait assez de force, de volonté, ou de savoir. Et de donner cette assistance de manière à permettre à celui qui la reçoit d’agir sans concours extérieur aussi rapidement que possible ». Cette explicitation extraite du modèle proposé par V. Henderson ne fait pas apparaître en tant que telle la posture du prendre soin comme peut le préciser Jean Watson, déterminée selon elle comme la science du caring. En effet, le modèle proposé par V. Henderson se traduit par le retour à l’indépendance de la personne accompagnée dans la satisfaction de ses besoins, et le rôle infirmier compense la dépendance provoquée. Cette appartenance à l’école des besoins limite donc la place professionnelle infirmière à une fonction de suppléance, voire de substitut. Il reste nécessaire de combiner les approches des différentes écoles de pensée pour rendre plus complète la substance même de la discipline infirmière. Pour la théoricienne Hildegarde Peplau, deux hypothèses ont guidé son raisonnement. La première serait que « la personnalité de l’infirmière fait une différence substantielle au niveau de ce qu’un patient peut apprendre durant l’expérience de sa maladie » (Poletti, 1978, 26) [6]. La seconde affirmerait que « l’une des fonctions des soins infirmiers et de la formation en soins infirmiers est de contribuer au développement de la personnalité dans le sens de la maturité » (Poletti, 1978, 26) [6]. C’est par le biais du rôle qui lui est attribué et qu’elle incarne, que l’expertise infirmière va faciliter et favoriser ce développement, en se situant comme pourvoyeur du lien d’humanité. « Avant d’être une éthique, le care est un travail. Prendre soin de l’autre, ce n’est pas penser à l’autre, se soucier de lui de façon intellectuelle ou même affective, ce n’est pas nécessairement l’aimer, du moins en première intention, c’est faire quelque chose, c’est produire un certain travail qui participe directement du maintien ou de la préservation de la vie de l’autre. » (Molinier, 2009, 75) [7]. Le soin relève bien d’une implication personnelle, exercée par une intention professionnelle éprouvée, dans le souci accordé à l’autre, allant jusqu’à la responsabilité de garantir cette implication. Selon une approche intersubjective, nous pouvons resituer le prendre soin dans l’identification de l’autre en tant que sujet et de la place qu’il nous octroie en nous reconnaissant nous-même sujet, donc légitimé dans la relation soignant-soigné à développer. Sans le regard intentionnel3 d’une autre personne, l’être humain n’a pas de raison d’être, puisqu’il est une créature sociale. Cette intentionnalité décrite par E. Husserl et HUSSERL E. 1859-1938, philosophe allemand fondateur de la phénoménologie transcendantale, pour qui elle représenterait l’humanité même de l’homme. 3 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Approches du prendre soin et de la relation soignant-soigné soulignée par E. Levinas4 est « essentiellement l’acte de prêter un sens »5 à l’objet. Le regard implique la distinction, la différenciation, la représentation singulière de l’objet observé. Il rend ainsi remarquable l’objet regardé, l’honore d’une estime particulière, d’une marque de valeur6 en lui attribuant le statut de sujet et donc d’être humain, notre semblable. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Pour nous différencier de l’objet, il nous faut donc entrer en communication et en relation. La relation, c’est-à-dire la liaison assurant l’échange du « je » et du « tu » nous garantit du reflet humain accordé par autrui. C’est voir en nous notre identique appartenance. Même si le « je » se regarde et se mire, cela ne lui suffit pas pour avoir la certitude de son existence propre, dans le sens où cette existence n’aura pas de traduction sociale. Elle ne représentera que ce que le « je » se donne comme sens existentiel. Sans le « tu », réfléchissant nos attributs humains, notre réalité peut être réduite à un état d’objet. Avant de nous découvrir dans l’échange avec autrui, nous sommes en présence de nous-même, sans pouvoir échapper à cette constance, alors que nous pouvons tourner le dos au reste de l’humanité qui nous entoure. Par la perception de notre apparence physique, l’image de nous-même, celle-ci va se compléter par le retour visuel que « tu » nous renvoie par sa représentation personnelle de notre corps. Autrui nous renvoie notre reflet de part le regard qu’il porte sur nous. C’est notre entrée en relation qui se joue et qui détermine de cette manière la place de chacun. Dans la relation soignant-soigné, cette re-connaissance mutuelle et bilatérale, représente un préalable à la posture du prendre soin, notion que nous avons choisi de présenter. Les liens unissant les personnes font appel à la relation de subjectivité respective qu’elles développent en se côtoyant, entre des sujets-sujets et des sujets-objets. L’art du prendre soin pourrait ainsi se décliner en une explicitation en action de la re-connaissance de la personne accompagnée comme une entité subjective impliquée dans une expérience de vie particulière nécessitant notre intervention engageant notre responsabilité à lui attribuer ce statut. D’un côté comme de l’autre, chaque personne, le soigné et le soignant, doit être reconnue comme sujet par l’autre, par l’expérience intersubjective7 ainsi définie. Le dictionnaire de la langue philosophique de P. Foulquier et R. Saint Jean8, la décrit comme « la relation interpersonnelle, c’estLEVINAS E. 1906-1995, philosophe français d’origine lituanienne, dont la pensée se situe au carrefour de la phénoménologie et la philosophie existentielle. Il est l’un des premiers à introduire la pensée de Husserl, traduisant ses méditations cartésiennes, et de Heidegger. 5 RICOEUR P. 1913-2005, philosophe français, dans sa traduction de l’ouvrage de Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologiques pures, 1950. 6 Définition du mot distinguer donnée par le Larousse encyclopédique, édition 1978. 7 Concept philosophique de la communication abordé pour la première fois par Kant dans son ouvrage la critique de la faculté de juger : c’est l’idée que les hommes sont des sujets pensants capables de prendre la pensée d’autrui dans leur jugement propre, puis repris entre autres, par Husserl, philosophe allemand fondateur de la phénoménologie. 8 Dictionnaire philosophique, Edition PUF, 1962, 2ème édition 1969. 4 à-dire de sujet à sujet en tant que sujets, de personne à personne en tant que telles ». Par ailleurs, cette relation ne peut exister et ne se développer qu’à partir du moment où la personne accompagnée nous attribue égalitairement ce statut de sujet, porteur d’un rôle social déterminé par l’appartenance au corps infirmier, symbole d’attention, de dévouement et de compassion, donc d’un professionnel porteur de compétence dans le soin et dans la relation s’y rattachant. Cependant, cette place de sujet ne pourra voir le jour que si nous plaçons la personne nécessitant des soins comme sujet elle-même. Or, l’ensemble de nos activités et les intentions qui les portent se destine à cette reconnaissance. De cette nécessaire identification de la personne accompagnée comme sujet de soin, découle la philosophie de la discipline infirmière s’appuyant sur la perspective humaniste considérant l’être humain comme une fin en soi et non un moyen, ou objet des soins. La place que nous accordons à l’autre dans la relation de soin reflète notre partage et l’équilibration de l’échange initialement inégal. Selon P. Molinier, 2009 « [les soignants sont] une communauté qui inclut la reconnaissance de l’humanité des patients comme égale et identique à la sienne propre » [7]. Si cette reconnaissance de l’humanité de l’autre dans notre regard intentionnel est le garant de l’intégration des valeurs infirmières en action, il convient tout de même de se questionner sur le déséquilibre existant lors de l’entrée en communication avec la personne accompagnée. C’est pourquoi, dans une deuxième partie, nous énoncerons et développerons la notion d’asymétrie, légitimement présente dans la relation de soin et qui a suscité nos questionnements. asymétrie dans la relation de soins et ajustements possibles La relation de soin introduit une asymétrie entre deux protagonistes de cette relation car certains paramètres ne sont connus ou maîtrisés que par l’un d’eux ; cela peut créer dès lors une inégalité dans la relation. Nous ferons référence aux travaux et réflexions de Nathalie Zaccaï-Reyners. Cette asymétrie est modifiée ou ajustée dès lors que ces mêmes protagonistes engagent une dynamique d’apprentissage réciproque. Cette approche proposée par Nathalie ZaccaïReyners nous permettra de faire le lien avec la théorie de soins enseignée à l’IFSI, celle de Jean Watson engagée dans ce travail d’interactions entre infirmier et patient-client depuis plusieurs années. Le parallèle sera également fait d’une possibilité d’apprentissage réciproque, l’étudiant dans ses apprentissages, le formateur dans ses intentions pédagogiques avec leur nécessaire adaptation aux réflexions et expériences menées par les étudiants. L’asymétrie dans la relation de soins a été constatée par les professionnels. Celle-ci relève de nombreux paramètres, certains sont d’ordre physique, par exemple dans la position, d’autres sont reliés aux intentions conscientes ou non du professionnel de soins, pour ne citer que quelques uns d’entre-eux. Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 63 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) « Prendre soin et formation infirmière » Enseigner la notion de prendre soin, faire en sorte que peu à peu, elle prenne sens aussi bien à l’Institut de Formation que dans les expériences auprès des usagers des services de soins, peut relever d’un défi ou d’une tâche pour laquelle la conscience de la posture asymétrique a tout son sens. En effet, nous nous sommes souvent posés la question de laisser du temps dans l’enseignement pour laisser émerger les questions, réflexions, difficultés que peuvent susciter, pour les étudiants, d’entrer soi-même dans une posture de soignant. Notre propos n’est pas de traduire ici les différents outils qui aident à ce processus d’émergence comme les temps d’analyse des pratiques, les réflexions collectives menées autour des concepts, de leurs attributs ainsi que de l’articulation concrète dans les soins mais plutôt de laisser la possibilité, à un moment donné, d’exprimer cette prise de conscience d’une posture nouvelle pour l’étudiant où l’asymétrie est importante. Cette asymétrie est souvent vécue comme double, d’un côté, la difficulté liée aux savoirs encore insuffisants ou incomplets face aux professionnels dans les équipes, de l’autre, la prise de conscience de l’asymétrie dans la relation soignant-soigné, l’étudiant étant investi d’une 64 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés posture soignante par le soigné pour qui l’appréciation ou non des connaissances acquises et de leur articulation dans la clinique n’est que toute relative. Pour autant, et c’est le sens du travail engagé par l’équipe des formateurs de l’IFSI de Pontoise « ce qui mérite estime et respect ce sont…des capacités et des potentialités » (Ricoeur, 2002, 99) [9] des étudiants. L’intention suffit-elle à traduire et concrétiser une démarche d’enseignement autour du prendre soin ? Le choix d’enseigner plusieurs théories de soins est aussi à relier à cette intention d’ajuster ou modifier l’asymétrie dans la relation pédagogique. L’engagement d’enseigner en particulier la théorie de soins du Caring élaborée par Jean Watson participe également de cette intention. Il s’agit en effet de proposer et réfléchir avec les étudiants autour de la conception de l’homme, de sa santé et comment les professionnels engagés dans le soin à cette personne vont proposer un accompagnement humain, dans une perspective de croissance individuelle. Le choix de travailler particulièrement avec cet auteur est à relier aux choix des formateurs de proposer, certes, un modèle de soins utilisable dans la clinique comme celui de V. Henderson mais également de proposer une théorie de soins où infirmier (ère) et patient-client conservent une place dans la relation de soin interactive. Chacun « apprend » de cette interaction et évolue dans son étape de vie. Il est utile à chacun de se préoccuper du développement de ses capacités à être en relation avec autrui. Par ailleurs, J. Watson s’inscrit dans une vision des soins infirmiers actuelle, son implication dans l’évolution des soins propose une vision de l’évolution professionnelle infirmière appuyée sur les changements sociétaux comme sur l’évolution des recherches en sciences humaines. Pour J. Watson, 1998, 22 [10], la science du caring existe dans le but d’instaurer une relation interpersonnelle entre le professionnel et le patient-client. Les facteurs caratifs définis par l’auteur « sont fondés sur une vision humaniste qui est la clé de voûte de l’approche soignante et… est étayée par un corpus scientifique… ». Dans son approche développée sous forme de facteurs caratifs, l’auteure propose une vision des soins infirmiers comme promouvant des apprentissages pour la personne soignée parce que celle-ci s’inscrit dans une relation avec l’infirmier(ère). Le soignant est ici présenté comme développant lui-même des aptitudes humaines, professionnelles lui permettant de s’inscrire dans une relation entre deux adultes pour qui les apprentissages vont se conduire et s’appuyer sur la relation d’aide engagée. Il s’agit d’apprendre à développer soi-même une empathie à l’autre, appuyée sur des valeurs professionnelles humanistes et nourries par les sciences connexes aux sciences infirmières que sont les sciences humaines. Les émotions ressenties face à une situation difficile sont intéressantes en ce qu’elles permettent au soignant de développer sa sensibilité à soi-même. « Être humain signifie avoir la capacité de ressentir. Bien trop souvent, des personnes se permettent de penser mais s’interdisent de ressentir des émotions. La seule façon de développer une sensibilité à soi et aux autres est de reconnaitre ses émotions et de s’autoriser à les ressentir qu’elles soient pénibles ou agréables ». (Watson, 1998, 31) [10]. J. Watson a travaillé et s’est appuyée sur les travaux de Carl Rogers et Abraham Maslow, tous deux Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Deux paramètres liés aux intentions nous ont paru intéressants pour situer les deux acteurs engagés dans la relation et investis autour du prendre soin. Le premier paramètre est celui de la connaissance non égale autour d’un sujet pourtant partagé. Le fait de ne pas posséder le même niveau d’informations est générateur d’asymétrie entre deux sujets et peut provoquer des tensions dans la relation. Depuis plusieurs années, les usagers de soins ont accès par les bibliothèques en ligne à l’information concernant leur santé, les soins proposés et les techniques de soins. Ce changement introduit dans la relation de soins est de taille pour les professionnels qui se retrouvent confrontés à un savoir « non académique » (au sens non appris dans les académies légitimées en ce sens) avec la difficulté d’accompagner la personne soignée à se repérer entre information adaptée et information erronée. Pour autant, ce seul accès aux informations n’est pas suffisant pour réduire une asymétrie dans la relation de soin. Se pose en effet la question du respect dans la relation, comme deuxième paramètre et comme fondement de cette même relation. Cela interroge la posture conférée à chaque protagoniste « lorsque la question du respect est envisagée dans le cadre de ces relations, l’horizon normatif qui sous-tend la réflexion est généralement celui d’un état où les individus impliqués sont considérés comme matures, émancipés, indépendants, susceptibles de rencontrer alter [autrui] dans une relation équilibrée. L’état donc d’individus, en pleine possession de leurs moyens, remplissant les conditions d’une action dite autonome et responsable. » (Zaccaï-Reyners, 2006) [8]. L’asymétrie ainsi repérée dans les relations où l’on traite du soin nous semble pouvoir être mise en parallèle de la relation pédagogique en ce que l’étudiant débutant sa formation ne possède pas les éléments suffisants de connaissances, par exemple, pour aborder une relation où « les termes qui y sont impliqués ne peuvent être permutés sans que leur nature même n’en soit modifiée. » (Zaccaï-Reyners, 2006) [8]. Au-delà d’un raccourci qu’il serait tentant de faire, nous pouvons interroger la posture des formateurs engagés dans l’enseignement des soins auprès d’étudiants. « Prendre soin et formation infirmière » Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) En étudiant nous-mêmes cette approche, nous avons déterminé des limites possibles qui seront précisées aux étudiants lors de l’enseignement de cette théorie. Il s’agit en effet, de conserver comme possible le développement de ses propres capacités relationnelles, de ne pas envisager le professionnel infirmier comme un « super infirmier » dont le profil présenté ne saurait être atteignable que par une minorité d’étudiants qui auraient déjà mis en place un certain nombre d’aptitudes relationnelles. Lors de l’enseignement de cette approche des soins infirmiers, nombre d’étudiants, et ce depuis deux ans, s’étonnent de la vision de J. Watson. Prendre soin d’autrui est-il compatible avec un apprentissage interpersonnel qui favorise la croissance individuelle de la personne soignée comme du soignant ? Ne s’agit-il pas d’un leurre destiné à « cacher » l’asymétrie dans les relations de soins ? Au final, nous avons interrogé au travers de cet enseignement la posture même du soignant et la réalité du décalage liée aux savoirs. Lors des échanges et réflexions avec les étudiants, a émergé la possibilité de concevoir une relation de soin entre deux acteurs adultes, digne de respect et qui porte en elle les ressources pour vivre cette étape de vie qu’est la maladie. Nous verrons plus loin que cet enseignement et les questionnements des étudiants favorisent le développement chez certains d’une posture professionnelle centrée sur l’humain avec la conscience d’une asymétrie relationnelle dans le prendre soin. Cette asymétrie va être ajustée et corrigée par le biais d’une relation centrée sur les apprentissages possibles pour soi et pour autrui. évolution du prendre soin dans l’histoire de la profession Le soin et le prendre soin sont reliés à l’histoire et l’évolution du métier infirmier. Nous proposerons l’approche de V. Henderson, car elle a participé par sa conception et son modèle à traiter de l’évolution du prendre soin d’autrui et à l’évolution même de la profession d’infirmière en lui conférant un champ d’observation clinique singulier. Nous évoquerons à travers l’approche anthropologique de M.F. Collière la place du corps dans les sociétés et notre rapport à cet aspect intime de soi, rapport à l’intime dans le prendre soin au cœur du soin infirmier. « La première orientation est celle qui s’inscrit dans l’histoire de tous les êtres vivants depuis le début de l’histoire de l’humanité : assurer la continuité de la vie du groupe et de l’espèce en prenant en compte tout ce qui est indispensable pour assumer les fonctions vitales […] » (Collière, 1982, 24) [1]. « Assurer la survie était - et demeure - un fait quotidien, d’où l’une des plus vieilles expressions de l’histoire du monde : prendre soin de. Il fallait prendre soin des femmes en couche, prendre soin des enfants, prendre soin des vivants, mais aussi des morts. Tout cela amenait aussi à prendre soin du feu pour qu’il ne s’éteigne pas, des plantes, des instruments de chasse, des peaux, puis plus tard, des récoltes, des animaux domestiques, etc. » (Collière, 1982, 24) [1]. « Soigner, c’est donc entretenir la vie en assurant la satisfaction d’un ensemble de besoins indispensables à la vie, mais qui sont diversifiés dans leur manifestation ». (Collière, 1982, 24) [1]. Pour commenter ces différents aspects des soins, nous allons retracer brièvement l’historique de l’évolution des soins infirmiers, mettant en lumière la lente mais désormais nette progression de leur reconnaissance comme discipline à part entière. Dans l’antiquité, les soins font partie des missions du groupe familial, les personnes malades sont prises en charge au domicile par les femmes les plus âgées. Les connaissances en matière de soins sont transmises par le geste et la parole des « femmes-soignantes » expérimentées. Au Moyen-âge, la communication orale se poursuit et les décisions relatives au sort des malades appartiennent à l’Eglise, car celle-ci dispose de savoirs issus de la médecine antique consignée en latin et du pouvoir de la religion sur les phénomènes inexpliqués. Durant cette période, ce sont les religieuses et les prostituées qui assurent les soins corporels. Les premières formations concernant les religieuses et basées sur des connaissances comportementales, sont organisées par Saint-Vincent-de-Paul, même si « pendant longtemps, la religion chrétienne en général […] [a] regardé avec méfiance et mépris le corps et tout ce qui pouvait simplement être humain » (Collière, 1982, 64) [1]. Cependant, les soins sur le corps sont possibles dans la mesure où ils portent sur des corps souffrants car « le corps souffrant est digne d’attention car il est à l’image du Christ souffrant dans sa passion » (Collière, 1982, 65) [1]. L’approche du corps devient le prétexte aux soins spirituels avec une distanciation de plus en plus marquée de l’accompagnement physique. « Les pratiques d’hygiène au sens large du mot, c’est-à-dire tout ce qui est indispensable à l’épanouissement de la vie du corps (et par la même de l’esprit), seront de plus en plus délaissés, voire proscrites […] » (Collière, 1982, 65) [1]. A partir du XIIIème siècle, les médecins apparaissent grâce à la création de la faculté de médecine de Montpellier. La religion apporte la charité aux personnes vulnérables et aux pauvres. Le pouvoir médical se développe par la découverte des premiers diagnostics, les religieuses les accompagnent et réalisent les gestes techniques montrés par les médecins. Le Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 65 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) thérapeutes. Elle s’appuie sur la démarche de A. Maslow autour de la satisfaction des besoins humains pour faire sienne et développer une réponse à la satisfaction des besoins de la personne en intégrant une dimension holistique, un prendre soin global de la personne. Pour elle, comme pour A. Maslow ou C. Rogers, l’être humain est porteur de ses ressources face aux difficultés rencontrées dans la vie ; il s’agit d’accompagner les potentialités. Elle souhaite promouvoir des soins et une relation à l’autre fondés sur le respect, la satisfaction des besoins et une croissance de la personne engagée dans son parcours de vie où la maladie peut avoir pris une place importante. Cela suppose une connaissance de la personne soignée qui s’élargit et prend en compte l’ensemble des dimensions personnelles et de ce qui fait sens dans sa vie. Dans les années 1850/1860 en Angleterre, Florence Nightingale, dont la destinée est de s’occuper des malades, crée le métier infirmier lors de son audacieuse participation à la guerre de Crimée. Selon elle, les infirmières sont des femmes dévouées et disciplinées au service du corps médical. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Le mouvement de laïcisation des hôpitaux apparaissant à la fin du XIXème siècle, accélère le départ des religieuses de ces institutions ; en 1893, les municipalités par voie législative doivent créer une école d’infirmière, dont certaines davantage centrées sur les valeurs républicaines, commencent par l’apprentissage de l’écriture et de la lecture au personnel déjà en poste dans les hôpitaux. L’objectif de ces enseignements est de faciliter l’acquisition d’une culture basée sur les savoirs utiles. Cependant, ceux-ci sont essentiellement proposés pour servir les médecins et les chirurgiens dans leurs exercices. Toute la première partie du XXème siècle est encore marquée par une relation de dépendance très forte vis-à-vis des médecins. Même si la formation se structure et se professionnalise, elle reste sous l’emprise médicale, car les médecins ont besoin de collaboratrices instruites. « Depuis la circulaire du 28 octobre 1902 créant officiellement les écoles « d’infirmières », les différents programmes de formation, [...] sont construits autour du rôle idéologique et moral de l’infirmière, base des pratiques de soins aux malades, et du rôle technique, base de l’auxiliariat médical » (Collière, 1982, 111) [1]. « En fait, c’est la formation qui construit le rôle infirmier et ajuste à ce rôle la pratique des soins donnés par les infirmières ». (Collière, 1982, 111) [1]. L’exercice professionnel est règlementé par des lois et le programme officiel de deux ans est orienté vers un enseignement rendant capable les infirmiers 9 d’avertir les médecins de signes significatifs, contribuant ainsi à la participation sur l’hypothèse diagnostic et d’appliquer leurs prescriptions. Les soins prodigués ne relèvent pas encore d’un exercice autonome spécifique, car ils sont considérés comme l’exécution des ordres médicaux et la soumission reste de mise. La place de l’infirmier (ère) comme professionnel (le) autonome, capable d’axer sa pratique autour d’un raisonnement et d’un jugement clinique spécifique complémentaire de l’exercice médical, n’est pas révélée ni attendue encore à cette époque. La représentativité infirmière au Ministère de la Santé est assurée depuis 1922 par deux conseils, l’un fixant le Extrait du texte sur les infirmières du Dr Dujarric de la Rivière, tiré de l’ouvrage de COUDRAY MA., Le cadre en éveil, Editions Seli Arslan, 2002. 9 66 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés programme des études et l’autre les conditions d’exercice. Dès 1953, une réelle structuration de la profession voit le jour autour de l’apparition de la terminologie « Soins Infirmiers » à l’Organisation Mondiale de la Santé. La nature des soins requière deux particularités : le confort des patients et l’aide à la prise en charge médicale. Ces deux aspects ne sous-entendent pas la conception d’un prendre soin, guide intentionnel de la profession qui nous préoccupe ici et à ce jour, ils justifient la vision conventionnellement admise d’un métier subordonné à l’autorité médicale. C’est en 1955 qu’un tournant décisif de la profession apparait : Virginia Henderson précise par la définition circonscrite des soins infirmiers, sa vision de la discipline. « L’infirmière est une praticienne indépendante, […] ayant des jugements indépendants [et elle] détient l’autorité pour ce qui touche les soins infirmiers. » Son modèle conceptuel des soins devient un cadre de références commun permettant une modélisation collective. Issu de son expérience d’infirmière et d’enseignante, comme de l’approfondissement continu de ses connaissances, ce modèle se base sur la place de la personne accompagnée dans son milieu de vie, vision qu’elle approfondit par le vécu de son expérience professionnelle dans le domaine de la santé publique en développant ainsi sa conception holistique de la santé. L’ensemble de son approche se réfère à la mission, au devoir du professionnel en soins infirmiers synonyme de « support », « d’étayage » pour la personne présentant une dépendance, définie selon trois caractéristiques : le manque de connaissances, le manque de volonté et / ou de force physique. Selon elle, les interventions infirmières, résultantes de l’analyse singulière de 14 besoins fondamentaux communs aux êtres humains et d’un ajustement aux ressources personnelles, visent à rétablir ce déséquilibre provoqué afin de rendre la personne de nouveau indépendante dans sa situation de vie. Ce service intime et fondamental est, selon elle, l’élément universel des soins infirmiers. Pour mettre en œuvre ses actions et permettre à la personne de satisfaire de nouveau et sans aide, ses besoins fondamentaux, l’infirmier (ère) s’assure de son consentement, le plus authentique possible pour établir une relation de qualité, préalable à une prise en soins efficace. L’enseignement de ce modèle nous inspire encore à ce jour et nous l’enseignons lors du semestre 1, c’est-à-dire en début de formation. Il contribue à l’appropriation d’une conception infirmière spécifique et d’une « grille » de lecture de l’être humain par des abords consensuels reconnus par l’ensemble des professionnels, facilitant l’entrée dans la conceptualisation des soins infirmiers. Cependant, il nous est apparu également fondamental de poursuivre et de diversifier ces approches théoriques pour élargir la vision du prendre soin dans des champs complémentaires, que ce soit le modèle de V. Henderson, qui propose une vision linéaire plutôt que systémique complété par d’autres théories de soins. Précisons ici qu’un modèle conceptuel ou une conception correspond à un « guide », « un outil » qui nous aide à penser, décrire le soin, le prendre soin, lorsqu’il englobe l’ensemble du champ disciplinaire alors qu’une théorie, plus « scientifique », est un ensemble de principes structurés se rapportant à un domaine spécifique de la connaissance issue d’observations, d’expérimentations généralisables. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) soin avec les mains se transforme par l’instrumentalisation des techniques et se voit délaissé pour être réalisé par des personnels subalternes. « L’instrument viendra remplacer le rôle de la parole, au point de se substituer à elle […], il assurera la distanciation entre le corps du soignant et celui du soigné, les soins coutumiers d’entretien de la vie continuant à être minimisés, dévalorisés […] » (Collière, 1982, 65) [1]. « Prendre soin et formation infirmière » A partir des années 1970-1980, avec l’évolution des missions hospitalières, la collaboration entre les différents partenaires de soins se développe par des pratiques plus scientifiques. Sur le plan sociétal, la place du « sujet » prend de l’ampleur, laissant davantage de possibilités au citoyen pour organiser et faire ses choix de vie dans un contexte d’humanisation des hôpitaux. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Le programme de formation de 1972 intitulé « nouveau programme » même lorsque son successeur parait, apporte de nouvelles perspectives à la profession : l’approche globale et le plan de soins, outil spécifique faisant apparaître un raisonnement clinique autonome. La vision de V. Henderson présentée plus haut se voit ici clairement énoncée. Il s’agit désormais d’une approche personnalisée, légitimée dans les soins, comprenant l’analyse de l’environnement et des ressources de la personne ainsi que « l’apparition progressive de l’idée d’analyse de besoins de santé, de réponse adaptée, et donc la nécessité pour les infirmières d’une aptitude à penser et à agir par elles-mêmes ». (Coudray, 2002) [11]. Par la loi du 31 mai 1978 redéfinissant la profession infirmière, un grand virage se joue puisqu’il est reconnu officiellement un rôle propre infirmier10 dans l’exercice professionnel et un diagnostic11, reflet de la fonction spécifique et de la traçabilité d’un jugement issu du raisonnement clinique. Cette avancée attribue au métier, une autonomie professionnelle détachée et indépendante de l’exercice médical et de ses prescriptions. Les soins infirmiers deviennent ainsi une discipline à part entière dans lesquels s’ajoutent et se combinent des apports en sciences humaines. Cependant, la prise en compte de la nécessaire qualité dans la relation et de ses composantes (c’est-à-dire : du regard porté sur l’autre en tant que sujet autonome dans une expérience interpersonnelle de soins et de l’acceptation par le professionnel d’être lui-même un être vivant une situation relationnelle particulière, traduction des compétences relationnelles infirmières justes et authentiques), n’apparaît pas dans les différents programmes de formation successifs. Il convient donc d’appréhender, de développer, de construire, d’expérimenter et d’intégrer avec les étudiants, la Le terme « rôle propre » utilisé pour légitimer une fonction professionnelle autonome reste toutefois à questionner. Mais ce n’est pas l’objet de cet article. C’est en 1971 que l’ouvrage Standards of nursing practice (1973) (Normes de la pratique infirmière) de l’ANA intègre pour la première fois le diagnostic infirmier et il est toujours présent dans l’actuel Nursing scope and standards of practice (Portée des soins infirmiers et normes de la pratique) (ANA, 2004). L’article de l’ANA Scope of nursing practice (Portée de la pratique des soins infirmiers) (1987), qui définit les soins infirmiers comme étant le diagnostic et le traitement des réponses humaines à la santé et à la maladie, a permis de renforcer la définition du diagnostic infirmier. En 1980 et 1995, l’ANA inclut le diagnostic en tant qu’activité distincte dans sa publication Nursing : a social policy statement (Soins infirmiers : énoncé de la politique sociale) (ANA, 2003). En conséquence, la plupart des lois sur la pratique infirmière dans les États intègrent le diagnostic infirmier au domaine de la pratique infirmière, http://www.em-consulte.com/article/221276. 10 11 notion du prendre soin par le sens accordé dans les intentions pédagogiques retenues, ossatures de l’ingénierie de la formation infirmière que nous avons souhaitées présenter dans cet article. Après ce bref éclairage historique, nous développerons les approches proposées par les cadres de santé, les formateurs et les enseignements définis par le programme de formation 2009 au sein de notre institut pour poursuivre notre exposé, car le métier et la construction de l’identité infirmière s’accomplissent par des alternances successives entre des apprentissages théoriques coordonnés et leurs confrontations avec les expériences de stage, lieux d’approches relationnelles diversifiées privilégiés. Le prendre soin devient un objet pédagogique transversal, intentionnel, reliant les unités d’enseignements spécifiques à l’étude du raisonnement clinique et celles concourant à sa construction. C’est ce que nous vous proposons dans le paragraphe qui suit. formation ET formateur dans la transmission du prendre soin Pour initier le propos, nous nous appuierons sur une citation extraite de la Pensée Infirmière : « La formation initiale permet le développement de l’identité professionnelle et des compétences qui s’y rattachent, de sorte que les étudiants intègrent les savoirs liant théorie, pratique et recherche. […] Le centre d’intérêt de la discipline oriente la formation et permet d’en préciser les éléments, c’est-à-dire le savoir-être (les valeurs, les croyances, les attitudes), le savoir (à partir des modes personnel, esthétique, éthique, empirique, sociopolitique ou émancipatoire) et le savoir-faire (la pratique réflexive, incluant l’intégration des valeurs et des connaissances, l’intuition, l’analyse critique et le jugement clinique ; la collaboration ; les diverses expressions du soin) ». (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 154) [2] Pour H. Peplau, « le rôle de l’école est d’aider au développement graduel de chaque élève vers une maturité qui lui permettra de réellement « soigner » le patient ». (Poletti, 1978, 27) [6]. Comment mettre en œuvre une conception, reflet d’une pratique antérieure exercée par le formateur, inspirée et évolutive, lui-même guidé et porté par les enseignements qu’il a pu recevoir ? Ses expériences et son parcours professionnels ont-ils des influences sur les modèles de posture et d’intégration de valeurs à présenter et à proposer aux étudiants ? Et pour le formateur : « Comment prendre conscience de sa conception de la discipline infirmière ? ». (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 85) [2]. Le fait d’accéder à une fonction pédagogique lui confère-t-il à l’évidence la capacité à expliciter, à transmettre et à porter voire à être un porte-parole, d’une conception soignante appropriée à la réalité ? « La relation entre l’infirmière enseignante et l’élève est de toute importance car elle sert de modèle à l’élève ; cette relation compte beaucoup plus que ce que peut dire Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 67 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Non seulement le référentiel de formation préconise l’approche diversifiée, mais découvrir puis utiliser des accès théoriques distincts pour aborder la subjectivité de chacun des êtres humains rencontrés lors des situations de soins, favorise l’accommodation et l’affinement singulier du projet de soins infirmier à élaborer. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Les étudiants développent leur apprentissage identitaire par les contacts, les échanges, les observations et la confrontation de leur vision soignante en devenir aux attitudes soignantes rencontrées. Cela nécessite un ajustement régulier et une mise en actions de cette accommodation permettant à l’étudiant de façonner sa construction identitaire. « Des approches récentes, en particulier celle de la psychodynamique du travail, ont renversé la perspective du « sujet qui précède le travail » en montrant que l’expérience du travail transformait le sujet […] Bref on ne naît pas caring, on le devient. Et on le devient par le travail […] C’est sous la contrainte de devoir s’occuper des autres que la disposition au care a quelque chance de se développer. La disposition ne précède pas le travail de care, elle y trouve l’occasion de s’y exercer ». (Molinier, Laugier, Paperman, 2009, 15) [4]. Mais la formation amène aussi les étudiants à s’imprégner des références conceptuelles qui sont l’essence de leur pratique future. L’apprentissage au raisonnement clinique infirmier, le développement critique par des analyses de pratique contribuent à exacerber la capacité réflexive. L’intentionnalité du programme de formation permet de guider les différentes approches pédagogiques par le biais d’une conception en soins qui s’y rapporte. Cependant, selon M. F. Collière, l’exclusivité d’une seule conception comme base d’un programme limite « la compréhension des différentes situations de soins ». (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 163) [2]. Il devient donc fondamental de développer les théories et les modèles en soins infirmiers dans les enseignements, assurant une lecture plus affinée et ajustée de la diversité humaine rencontrée lors de la pratique. La sélection d’approcher telle théorie plutôt qu’une autre, oriente le cadrage conceptuel proposé par l’IFSI faisant ces choix, dictant de ce fait l’intention soulevée par les conceptions enseignées. Si, au sein de notre institut, la conception de J. Watson est présentée, pour étayer les références de la discipline auprès des étudiants, elle illustre également le sens accordé à la posture relationnelle pédagogique permise par les formateurs. 68 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés Le processus « enseignement-apprentissage » que J. Watson propose dans son ouvrage de 2008, s’étend à la formation infirmière et met l’accent sur la rencontre d’humain à humain (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 165) [2]. Le formateur et l’étudiant se situent ainsi dans une relation équitable de pair à pair en devenir, et avant tout d’une personne à la rencontre d’une autre dans une situation d’apprentissage, situation de vie particulière pouvant être assimilée à une situation de soins. L’expérimentation du caring dans le contexte de la formation en la vivant in situ, incite à son intériorisation et à cette intégration de l’apprentissage du prendre soin. « Cette conception fait appel à un engagement personnel dans les relations infirmière-patient et professeure-étudiante. J. Watson soutient que prendre soin de soi est un préalable pour prendre soin des autres, et qu’accompagner une personne dans une expérience liée à sa santé fait appel à l’intersubjectivité (Watson, 1997) » (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 165) [2]. Et ainsi, « comment s’y prendre pour clarifier [sa conception] et la vivre dans le contexte actuel ? » (Molinier, Laugier, Paperman, 2009, 85) [4]. De quelle manière et en conscience, acceptons-nous en tant que formateur façonné par une identité subjective intrinsèquement liée à nos expériences, d’accompagner les étudiants dans leur perception d’asymétrie, selon l’évocation de Nathalie Zaccaï-Reyners [8] et sur le chemin de cet apprentissage du prendre soin ? Nous évoquerons de manière plus globale l’enseignement du prendre soin au sein de l’IFSI de Pontoise ainsi que les aspects concrets d’un enseignement centré sur le prendre soin de manière transverse. Ceci nous amènera à évoquer les intentions pédagogiques des formateurs sous forme de regard critique. Le prendre soin ne peut se réduire aux travaux menés dans le cadre du domaine « Sciences et techniques infirmières, fondements et méthodes », simplement, ce domaine se prête particulièrement à une réflexion et des approches articulant les concepts de santé, de l’homme dans son environnement. Cela suppose pour les formateurs un regard pluriel. Cet enseignement participe à l’acquisition aux compétences 1 « Evaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier » et 2 « Concevoir et conduire un projet de soins infirmiers ». Il s’agit bien de développer un raisonnement professionnel qui s’appuie sur ses propres observations cliniques, à terme ce travail sera envisagé en équipe permettant la mise en place de projets de soins personnalisés. Le fil conducteur de ces enseignements a deux axes, d’une part permettre un raisonnement individuel professionnel, d’autre part, participer à l’élaboration plus collective d’un projet d’accompagnement de la personne soignée. Pour les formateurs, il s’agit de proposer de travailler, à partir de son propre raisonnement, pour cheminer et aboutir avec une forme de rigueur au raisonnement clinique professionnel au travers des exercices proposés. Il nous a fallu, dans un premier temps de travail, clarifier, « mettre en commun » notre vision autour du prendre soin. Nous pouvons dire que le nouveau référentiel de formation a servi de base à une réflexion renouvelée et enrichie autour des concepts de soin, de la santé, de l’homme et de son environnement. Ces Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) l’enseignante à propos de la relation malade-infirmière » (Poletti, 1978, 28) [6], elle représente ainsi le but de la relation pédagogique selon H. Peplau. Le rôle fondamental du formateur auprès de l’étudiant serait dicté par la nécessaire incitation à la confrontation et à la réflexion de celui-ci sur ses propres postulats et sur les valeurs qui les accompagnent. Chacun des supports dédiés à l’enseignement devient ainsi le « prétexte » de l’engagement de cette capacité réflexive à étudier son propre champ de représentations conceptuel. « Pour les enseignantes, il s’agit de faciliter le cheminement de l’étudiant grâce à une série de processus qui amèneront ce dernier à développer, au cours de sa formation, une capacité réflexive. Pour plusieurs, la pratique réflexive, qui fait la promotion d’un savoir intégré à l’action, est une approche d’appropriation du savoir en développement constant ». (Pépin, Kérouac, Ducharme, 2010, 157) [2]. « Prendre soin et formation infirmière » Enfin, il serait réducteur de penser que l’enseignement du prendre soin ne se traduit que dans le travail autour du raisonnement clinique infirmier. L’enseignement des processus, unités d’enseignement 2 et l’enseignement des soins infirmiers (UE 3, 4) participent sans conteste à ce travail d’élaboration. Les stages cliniques (UE 5.8) et les unités intégratives (UE 5) traduisent complètement la mise en construction d’un prendre soin « personnel » que nous pourrions qualifier de participant à la construction de l’identité professionnelle. Comme dans tout changement, les formateurs en charge des enseignements par UE initient le travail et, une prise de recul sur ce qui est enseigné dans sa globalité se fait en cours d’année ou lors du bilan d’année en équipe plénière, en appui des bilans de satisfaction renseignés par les étudiants. Nous avons énoncé plus haut nos intentions pédagogiques initiales et nous pouvons dire que le résultat autour de ses enseignements est intéressant à présenter. D’une part, il s’agit de traduire l’intérêt des étudiants à découvrir plusieurs approches du soin, pour la plupart traitant également de la place du soignant dans son quotidien. D’autre part, force est de reconnaître que l’utilisation dans les unités de soins du modèle de Virginia Henderson, réduit l’appropriation d’autres théories ou modèles. L’étudiant se trouve alors confronté aux questionnements et incompréhensions de ses pairs qui pour certains peuvent s’étonner du choix de l’IFSI dans ses enseignements. Pour certains étudiants, au changement de semestre, il ne leur reste plus aucun souvenir d’avoir étudié « autre chose »12 que le modèle cité plus haut. Nous pouvons légitimement poser la question de l’utilité d’un enseignement du prendre soin appuyé sur des références diversifiées. Nous pouvons également interroger le cadre de référence de pensées dans lequel évolue la majorité des professionnels infirmiers qui est celui d’une approche médicale prégnante. La question se pose alors également de l’articulation engagée entre enseignements et pratiques professionnelles ou tout du moins de l’évolution du cadre de pensée dans lequel prennent forme les pratiques professionnelles infirmières à ce jour. Il ne s’agit pas de polémiquer mais plutôt de raisonner quant à ces articulations. L’enseignement diversifié du prendre soin, en particulier du caring, au sein d’un IFSI ne peut contribuer à lui seul à l’évolution d’une pensée professionnelle. Nous tenons à préciser que devant la mise en place rapide du référentiel de formation (publication au journal officiel en juillet 2009 pour une application en septembre 2009), nous avons fait le choix en équipe de formateurs de travailler les articulations autour des compétences avec les professionnels, tuteurs et référents lors de rencontres. Ceux-ci sont par ailleurs très impliqués dans l’accompagnement nouveau des étudiants à travers les outils proposés comme le portfolio et le développement des compétences. Il s’agit dans ce temps d’enseignement de laisser cheminer l’étudiant vers son propre prendre soin, conscients que nous sommes que la confrontation aux modèles professionnels comme référence peut être inexistante. Pour autant, n’est-ce pas le rôle de formateur que de proposer, « semer » avec conscience et laisser le futur professionnel choisir et construire ses propres repères ? Nous avons beaucoup échangé en équipe sur l’utilité d’un enseignement qui ne retrouverait pas sa place ou tout son sens dans les pratiques. Quoiqu’il en soit, les étudiants découvrent (et des professionnels également) que V. Henderson, J. Watson avant d’être des « théoriciennes » ont été des professionnelles infirmières pour lesquelles questionner leur pratique, a permis d’enrichir leur propre prendre soin d’autrui et c’est là tout l’intérêt de relier ces réflexions à l’histoire de la profession. Enfin, peut-être pourrions nous suggérer, au sein des UE 4 qui traitent de la relation de soins et de la connaissance 12 Cf. bilans de satisfaction étudiants semestres 2 et 3, UE 3.1 et 3.2, 2011, IFSI de Pontoise. Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 69 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) quatre concepts étant à la base d’un grand nombre de théories, la pluralité des auteurs proposés à l’étude a pour objectif de « penser » plus librement la posture du soignant dans les soins donnés mais également, et c’est essentiel, l’homme soigné dans ce moment de vie. Avant de débuter cet enseignement, un temps est pris pour définir, approcher et amorcer un exercice mental d’appropriation de la notion de concept et des espaces de pensées dans lesquels ils s’inscrivent. Cet exercice est souvent difficile même s’il sera repris tout au long de la formation afin de mettre des repères dans les différents champs disciplinaires enseignés. L’enseignement de la théorie de J. Watson, semestre 2, est précédé du modèle de soins de V. Henderson au semestre 1. Au semestre 3 qui comporte une UE 3 autour du raisonnement clinique, la philosophie de soins de « l’Humanitude » est proposée aux étudiants. Le choix de cette dernière approche, très actuelle et en même temps « discutée » par un grand nombre de professionnels permet de poursuivre le cheminement autour d’une prise en soin globale de la personne, en particulier âgée. Nos réflexions préalables à ces enseignements nous ont permis de dégager une difficulté importante pour beaucoup d’étudiants, pour appréhender l’être humain âgé vieillissant tout en conservant une vision d’un prendre soin globale, stimulant des capacités restantes, dans un projet de vie à domicile ou en établissement. Il s’agit donc bien de fournir aux étudiants des éléments étayant leur façon d’appréhender l’être humain mais également de leur fournir des outils pouvant être utilisés et expérimentés concrètement. Le choix d’une philosophie de soins et techniques s’y rapportant permet également de « discuter » ensemble les points pouvant être argumentés pour entrainer également un regard critique professionnel. Il ne s’agit pas de savoir si tels aspects sont déjà connus, sont peu ou pas utilisés mais plutôt de situer ces approches dans une pratique professionnelle aujourd’hui. Il est à préciser que les concepts vus comme « les plus petits éléments » d’une science ou champ disciplinaire dans lequel ils prennent forme, sont enseignés et « manipulés comme objets de travail ». Il s’agit pour les étudiants de se familiariser avec l’utilisation des concepts mais également de les relier peu à peu à son propre champ de pratique clinique. 13 Formations des professionnels de santé, Profession infirmier, recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession, UE 4.2, S 5, p.123. Ed. SEDI Juin 2010. 14 Organisme : Organisme Lauriane Formations www.lauriane-formations. com. 70 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés Il convient maintenant de laisser la parole aux étudiants, apprentis dans le prendre soin, substance élémentaire du métier qu’ils s’apprêtent à exercer. posture des étudiants en formation Quelles suites sont données à cet enseignement ? Et comment continuer à argumenter autour de l’hypothèse dégagée préalablement en début de réflexion, évoquant la possible transférabilité par l’étudiant dans un contexte de soin et d’accompagnement à la professionnalisation par les formateurs en prenant appui sur les approches théoriques proposées ? Nous avons tenté de faire le lien avec les étudiants ayant suivi ces enseignements et avons échangé sur leur construction de leur prendre soin à travers leurs expériences, plus particulièrement pour certains d’entre eux dans la création et l’animation d’un atelier toucher-massage des mains destinés aux usagers résidents d’un EHPAD15 ainsi qu’aux professionnels des équipes de ce même établissement. Nous avons choisi en présentant cette activité menée, d’illustrer nos diverses pensées et réflexions préalablement proposées, car celle-ci témoigne manifestement, selon nous, de la construction posturale du prendre soin en action chez les étudiants en soins infirmiers de notre IFSI. Cet apprentissage par la mise au travail de la contrainte relationnelle à l’autre (Molinier, Laugier, Paperman, 2009, 15) [4] favorise leur cheminement intégratif et leur réflexivité à développer tout au long des étapes de la formation. Lors d’un entretien formalisé, nous les avons interrogés sur leurs motivations pour la création et le suivi d’un atelier de ce type ainsi que le contexte organisationnel dans lequel cet atelier venait prendre place. Un temps d’échange a été réservé dans l’entretien pour cerner le rôle de la posture des formateurs dans le souhait, la mise en action par les étudiants d’une forme singulière de prendre soin des personnes. Concernant le contexte dans lequel cet atelier voit le jour, les étudiants concernés sont au nombre de quatre et effectuent leur stage de semestre 3 dans un EHPAD. Lors du stage précédent, un atelier est initié et organisé par des étudiants d’une promotion antérieure sous forme de séances de touchermassage des mains. Pour ces nouveaux étudiants, il s’agit de mobiliser les savoirs acquis lors de l’Unité d’Enseignement 4.2 du semestre 2 où les aspects du soin par le toucher sont abordés et travaillés, accompagnant l’expérimentation des approches du prendre soin. Motivés à développer leurs compétences dans le domaine du soin relationnel avec pour support, le toucher, les étudiants proposent, après quelques semaines de stage de créer un atelier animé par eux sur cette thématique. Les objectifs posés sont de concourir à la détente 15 Lire partout EHPAD : Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) de soi, de poursuivre ce chemin autour de la construction du prendre soin. Comment ? Le référentiel situe cette unité d’enseignement au semestre 5 et aborde la connaissance de soi comme participant à la construction « d’une posture professionnelle mesurée et stable » 13. Le lien peut se concevoir entre compétence à développer pour prendre soin d’une personne et prendre soin de soi comme nécessité et respect à soi-même comme à autrui dans la relation de soin. Nous avons élaboré nos intentions pédagogiques en ce sens et décidé, par exemple, de travailler sur la prise de conscience de ses propres émotions, de l’interaction des émotions dans la relation de soin. Rien de plus banal pourrions-nous ajouter. Cependant, est-ce si banal que de proposer de réfléchir et travailler à la connaissance de soi dans la formation infirmière en le reliant au prendre soin de la personne soignée ? Nous ne sommes pas éloignés des conceptions développées plus haut par Jean Watson. Nous pourrons également aller plus avant au travers de cette unité d’enseignement dans le développement de capacités à coopérer et travailler en équipe, à communiquer sur ses propres ressentis. Le prendre soin de soi contribue, en finalité, à prendre soin de la personne. Nous avons sollicité en ce sens des professionnels intervenant au sein d’organismes dans les champs diversifiés de l’être humain au travail (qu’il soit en entreprise ou au sein de collectivités) et dont l’objectif est d’accompagner la personne. Pour cet organismes de formation14, la connaissance de soi est une priorité pour développer une qualité de vie satisfaisante au travail. Apprendre à ne pas vivre son travail comme un stress nécessite, en effet, de s’orienter de manière adaptée vers une satisfaction professionnelle durable. Il s’agit de comprendre, pour chacun, quels sont les éléments que nous trouvons dans nos vies professionnelles qui peuvent nous conduire à une forme de stress. Connaître les mécanismes du stress puis comprendre ses répercussions physiologiques et psychologiques participent à la connaissance de soi, comme un indicateur et non comme des éléments « à rejeter » de nos vies professionnelles parce que difficile à gérer au quotidien. Notre équipe de formateurs ayant des compétences de relaxologue et de techniques corporelles, les articulations avec ces enseignements sont possibles et expérimentés par les étudiants. Cela se développe également par un travail dans la relation soi-autrui, autour de la coopération en équipe dans un objectif donné. Après être passé par un éclairage étymologique, une approche philosophique de l’intersubjectivité et de l’asymétrie dans la relation de soins, puis abordé par un bref historique l’évolution du rôle infirmier au sein de notre société amenant progressivement à l’identification légiférée d’un exercice autonome, nous avons évoqué notre expérience de formateurs, contribuant à l’appropriation des sciences infirmières par nos pairs en devenir. « Prendre soin et formation infirmière » Au total, il y aura une journée complète dédiée pour cet objet avec des temps proposés pour les résidents comme pour les professionnels. L’ensemble des séances proposées sera organisé dans un local qui est aménagé comme espace détente avec fauteuils, musique de relaxation, lumière adaptée. Des huiles essentielles, crèmes de détente pour le corps seront utilisées pour le soin des mains. Pour les résidents ne pouvant se mobiliser facilement, un temps de détente leur est proposé dans leur chambre. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Après sa programmation, notre entretien avec les étudiants s’est déroulé en janvier 2011, à l’aide d’un guide16 permettant de proposer différentes questions autour des thématiques définies préalablement. Sont proposés dans les lignes qui suivront des éléments de réflexion issus de cet entretien. En introduction, nous avons questionné l’évolution dans la façon d’appréhender le prendre soin des personnes entre le début de la formation et aujourd’hui. Pour certains, la façon de prendre soin se fait plus précise, alliant les méthodes et philosophies enseignées à l’IFSI autour du prendre soin et qui traitent de la relation à l’autre dans le soin. « C’est permettre à l’autre de prendre soin de lui dans un moment de vie… il s’agit de s’adapter à la personne pour amener du bien-être ». Il s’agit bien d’expérimenter, de confronter ses propres représentations du métier infirmier. « Il y a expérimentation de ce qu’on voulait faire, appropriation du métier, orientation par rapport à la formation qui insiste sur cette expérimentation réelle. » Les liens entre savoirs théoriques abordés à l’IFSI se font ; les soins et les attitudes permettant d’être dans le prendre soin se concrétisent, sont expérimentés. « La mise en valeur de ces attitudes se développe dès la 1ère année, par des réflexions sur le toucher, l’Humanitude, l’élargissement des soins au-delà des soins techniques. Le prendre soin devient une matière à réfléchir en tant que telle. Personnellement, de part le choix du métier, ce prendre soin est inné, en nous ». Le lieu de stage est investi comme lieu où se développent la culture professionnelle et les apprentissages. Les étudiants expriment également le sens et l’intérêt des apprentissages par alternance. « Dans la formation, cela se construit avec des matériaux sur un chemin, guidé par la culture professionnelle approchée en EHPAD, lieu dans lequel le relationnel est développé, car c’est un endroit de vie, comme une famille. Il peut donc y avoir 16 Annexe. un processus d’identification, et ces expériences apportent une certaine forme d’inspiration pour nous ». A la question « qu’est-ce que pour vous prendre soin des personnes ? », plusieurs axes de réponses apparaissent. « Très globalement, c’est faire du bien à notre prochain au moment de l’instant de vie partagé et une philosophie du soin signifiant le type de relation que l’on a à l’autre afin qu’il puisse affronter de manière autonome la situation rencontrée ». « C’est en s’adaptant à la personne, car c’est elle qui décide en permanence de la façon de faire, c’est faire preuve de bienveillance, de confort, de ce dont elle a besoin et porter des valeurs ». Les éléments recueillis permettent d’illustrer au travers des propos des étudiants, les fondements même des soins infirmiers et des caractéristiques qui les constituent : une adaptabilité des soins en fonction de la personne en apportant bien être et confort, et une approche spécifique relationnelle comme base de l’accompagnement. L’explication de la capacité de l’infirmier (ère), de part sa relation, à permettre un espace pour une prise d’autonomie de la personne accompagnée, est un des fondements de la science du caring de J. Watson. Y aurait-il un lien entre l’enseignement de ce modèle et la posture soignante adoptée par les étudiants dans le cadre de ce projet d’activité ? En quoi, la discipline infirmière proposée par des théories et/ou des modèles conceptuels soutient la pratique expérientielle des étudiants ? Ces commentaires renvoient à notre hypothèse de départ et cela interroge également le processus de construction du savoir en savoirfaire et en compétence. Au cours de cet entretien seront évoquées, d’une part, la posture des formateurs comme appui aux étudiants pour expérimenter de manière personnelle le prendre soin des personnes et d’autre part, les liens pouvant exister entre contenus dispensés et expérience personnelle en stage. Il est important également de tenter de percevoir la satisfaction retirée par les étudiants suite à ce temps de travail expérimenté spécifiquement autour du prendre soin. La « satisfaction » s’entend ici dans le sens utilisé dans la science du bien-être (Cloninger, 2005) [12] comme une joie durable venant de l’intérieur de soi. Le concept de « satisfaction » est synonyme de celui de « joie », et se rapproche du sens donné par le philosophe Henri Bergson (1911, 24-25) [13]. Pour Bergson, la satisfaction, est nécessairement reliée à la notion de création, de créativité comme élément provenant de soi, d’une construction individuelle tournée vers la vie. La satisfaction provient également de l’effet produit chez la personne qui reçoit cette forme de créativité. « Il y a satisfaction parce que les personnes sont satisfaites… l’atelier est concret et amène concrètement quelque chose aux personnes… le résultat est perceptible alors qu’au quotidien, c’est plus difficile… » Il convient de proposer ici cette lecture puisque les étudiants interrogés reprendront cette notion de satisfaction dans le fait d’avoir pu mettre à disposition de manière régulière pendant le temps de stage un espace-temps dédié à cet objectif reliant le soin des mains et la détente. Les étudiants ont retiré une satisfaction dans le fait également de créer cet atelier même Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 71 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) des personnes, de réhabiliter un contact, une relation par le toucher, l’ensemble dans un espace dédié. Le projet est écrit, structuré présenté et soutenu par les cadres de l’établissement et par l’équipe. Ce sont les étudiants qui suggéreront que l’atelier soit ouvert aux professionnels. Il s’agit de prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres. Un temps de détente pendant la journée de travail semble adapté et profitable. L’idée d’une détente par le toucher des mains fait son chemin… A la question « comment dans votre pratique, prenez-vous actuellement soin des personnes ? », les étudiants s’expriment clairement sur l’importance pour eux de rester centrés sur la personne soignée. Il s’agit bien de prendre soin en connaissant la personne, ses habitudes de vie au sein de l’établissement. Il s’agit également de respecter ses souhaits au moment où le temps de détente par le biais d’un touchermassage des mains est proposé. La relation à l’autre reste donc essentielle, elle permet de faire évoluer la connaissance que l’infirmier a de cette personne. La notion de temps est ici proposée comme propice à l’installation progressive d’une relation de confiance permettant d’aller vers un prendre soin personnalisé. « En s’adaptant, en respectant les habitudes de vie de la personne, en la connaissant mieux et en allant à la rencontre de l’autre de manière humaine, synonyme d’expertise dans l’identification de la singularité, des besoins, de la sensibilité de l’autre et en faisant preuve d’attachement, en acceptant d’être plus proches de certaines personnes que d’autres, et donc faire intervenir la notion de temps dans la construction de la relation qui est pertinent pour évoquer le prendre soin. » « La relation évolue dans le soin, c’est une notion dynamique, non figée permettant de remettre en cause sa pratique et de rester attentif à la qualité de cette relation. » Dans l’ouvrage La pensée infirmière, S. Kerouac évoque la création par l’infirmière du design du soin, englobant de manière intimement liée, la pratique réflexive, la collaboration et les diverses expressions du soin. 17 72 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés « Le prendre soin, il « s’installe », avant d’être à l’aise auprès de la personne, cela met environ 2 semaines. Pour les séjours plus courts, les soins techniques prédominent et le « relationnel-minute » est-ce possible ? » « C’est proposer un contexte agréable, un état de confiance, de sérénité et pouvant faire « digérer » le soin technique, en expliquant, en maintenant une communication permanente et en réalisant des gestes délicats. » « Prendre soin, c’est une attitude professionnelle, représentative de faire mon travail de façon satisfaisante, pour que je me sente bien, car cela a un effet sur mon travail. » La discussion entre posture professionnelle et le lien avec soi est toujours présente dans l’échange comme un fil conducteur de sa propre pratique professionnelle. « Il est difficile de prendre soin de soi, donc en prenant soin des autres, je suis satisfaite de ce que j’ai fait en rentrant chez moi ». « C’est prendre soin de soi en prenant soin des autres, pour se motiver face à la réalité actuelle de la souffrance au travail, et se dire qu’on veut revenir pour l’autre ». « Il serait intéressant et pertinent de promouvoir le bien-être par le biais d’un projet proposé par l’IFSI. » Les derniers éléments énoncés seront à confronter aux unités d’Enseignement proposées au semestre 5 dans le cadre des soins relationnels et cités plus haut. La proposition d’un atelier centré sur le bien-être des étudiants pourrait être expérimentée tout au long des semestres 5 et 6. Reste à déterminer les éléments que souhaitent développer les étudiants : techniques de relaxation, apports permettant d’avoir une approche personnalisée de soi dans le développement de sa posture professionnelle… Quoiqu’il en soit, ces éléments sont porteurs d’une dynamique au sein de la formation qui peut servir d’appui à l’équipe de formateurs pour poursuivre l’enseignement et la construction d’un prendre soin qui au fil des semestres prendra la forme d’un accompagnement des étudiants, prenant en compte l’alternance dans la formation. Quant est-il de la posture des formateurs en lien avec cette expérimentation du prendre soin ? « Le partage avec les formateurs est également propice : l’ouverture d’esprit, les échanges, les débats, les discussions porteurs au quotidien des valeurs soignantes permettent le transfert auprès des personnes accompagnées ». Si les étudiants semblent valider notre hypothèse de travail, il s’agit bien de réfléchir davantage à comment créer des liens entre nos enseignements et les expérimentations concrètes menées par les étudiants dans les unités de soins, lieux de vie proprement dit. Les formateurs ne seraient que peu compris, entendus s’il n’y avait les professionnels et les usagers de soins pour engager davantage la réflexion autour du prendre soin. Sans les échanges interactifs entre ces différents acteurs, les soins et le prendre soin seraient vides de sens. La formation en alternance semble répondre aux nécessités de ces interactions. Et de s’interroger sur les possibilités offertes d’une analyse de pratique conjointement menée avec les professionnels des unités de soins. « Impossible au vu de la charge de travail » pourrait-on dire. Impossible de rendre caduque cette réalité. Mais rien ne nous empêche de réfléchir à quelques séances d’analyse de pratiques communes, d’exploiter davantage dans son opérationnalité les temps de rencontre au sein des unités de soins avec les formateurs référents de stage. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) si des préalables existaient par l’intermédiaire d’étudiants de 3e année d’une promotion précédente. L’ensemble du projet a été écrit, structuré. Les actions menées ont été évaluées de façon à poursuivre l’atelier de manière ajustée, adaptée ; l’objectif poursuivi est également celui de pouvoir « passer un relais » aux étudiants d’autres promotions. Cet aspect du projet renvoie à la capacité d’une part, de transmettre sur des bases structurées des actions de santé qui peuvent durer dans le temps et d’autre part, renvoie directement à expérimenter ce relais pour que dure l’action de manière évaluée. Nous sommes, semble-t-il, dans la construction d’un soin infirmier transmis dans la continuité avec un fil conducteur identifié. Il s’agit de mettre « à l’épreuve » les aspects de coopération à un projet, ce projet étant en tout premier lieu expérimenté à quatre avant d’être partagé puis transmis à d’autres professionnels. Nous serons d’accord pour évoquer la notion de travail d’équipe expérimentée de manière positive. « C’est difficile de monter un projet…pour le coup, c’est l’esprit d’équipe… nous nous sommes soudés, une équipe qui fonctionne bien ; le projet nous a permis de nous harmoniser et nous sommes restés soudés. » Le prendre soin désigne le comment17 des soins infirmiers, la relation à l’autre dans sa situation de vie rencontrée en interaction. Le quoi serait l’acte de soin, plus aisément montrable par le biais de la formation proposée au sein de l’IFSI et de la démonstration du geste à effectuer, lors d’ateliers de mise en pratique par exemple. « Prendre soin et formation infirmière » Conclusion Il s’agissait tout au long de cet article de proposer des éléments de réflexion sur d’une part, notre pratique de formateurs au sein de l’IFSI où nous enseignons et d’autre part de laisser une expression aux étudiants sur leur propre expérimentation du prendre soin. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) L’enseignement du prendre soin peut prendre appui sur l’enseignement des théories de soins. Il ne s’agit pas seulement d’un enseignement qui se veut théorique, il s’agit bien de proposer aux étudiants d’étayer une pensée autour du prendre soin qui est enrichie et personnelle. En ce sens, le choix des théories enseignées au sein de l’IFSI reflète le choix d’une équipe de formateurs et de sa direction, en lien avec des valeurs professionnelles énoncées aux étudiants. L’aspect conceptuel de cet enseignement, loin d’être « rébarbatif » participe à la construction d’une culture professionnelle appuyée sur l’histoire des soins infirmiers mais aussi son avenir avec l’ouverture d’une formation permettant in fine aux professionnels formés de faire le lien entre théorie et pratique professionnelle comme socle d’une pratique professionnelle évolutive reconnue et sujet d’analyse. Bref, une pratique qui se veut dynamique dans le cadre d’un exercice professionnel aujourd’hui rapide, sujet d’adaptation permanente, relié à des évolutions voire des révolutions scientifiques et à des objectifs d’efficience attendus au quotidien. Le prendre soin est sujet de l’ensemble de la formation et ne peut se concevoir tout au long des six semestres que de manière transverse. Chaque unité d’enseignement porte ce fil conducteur qu’il est parfois juste de rappeler comme pour mieux centrer notre façon de l’approcher. Nos réflexions d’équipe, nos échanges prennent place dans un contexte de construction autour d’une formation renouvelée. Le recul nécessaire à tout enseignement se fera sans doute avec une analyse dès la fin des six premiers semestres expérimentés. Pour autant, il nous semble indispensable de conduire cette première construction en gardant des temps collectifs d’équipe portant sur nos choix d’enseigner tel ou tel aspect, de faire des liens avec les enseignements dispensés, y compris quand ceux-ci le sont par les enseignants universitaires, dans un but de coopération dans le processus d’acculturation réciproque. La richesse possible autour de cette collaboration est à prendre en compte et fera sans doute l’objet de nombreuses réflexions tant au sein des équipes de formateurs, enseignants universitaires que partagées avec l’ensemble des étudiants. Enfin, nous pouvons vérifier que le prendre soin ne peut se dissocier d’un travail partagé avec les professionnels infirmiers dans les unités de soin. L’alternance est essentielle pour expérimenter, confronter, construire son propre prendre soin. Celle-ci va mener et guider le professionnel en devenir vers une appropriation et une intégration de son identité infirmière. Le témoignage des étudiants est éloquent en ce sens et permet s’il en était besoin de confirmer l’aspect incontournable et précieux de cette collaboration. Enfin, qu’en est-il de l’interaction entre cet enseignement et l’évolution des pratiques professionnelles ? Il ne peut être répondu de manière tranchée et définitive à cette question. Certes, l’enjeu semble important d’un enseignement en formation initiale permettant une évolution dynamique de la profession, soucieuse de s’adapter aux besoins humains, remplissant en cela sa mission au sein de la société dans laquelle elle évolue. Nous n’avons que très peu traité des évolutions auxquelles sont confrontés les professionnels infirmiers aujourd’hui ; quoiqu’il en soit, qu’il s’agisse d’évolutions techniques, d’expériences nouvelles dans le champ de la prévention et de l’éducation thérapeutique, les changements sont présents et nécessitent des capacités d’adaptation constantes motivées par une dynamique personnelle et collective. Ces capacités d’adaptation et le développement de la polyvalence répondront-ils aux attentes de citoyens soucieux et attentifs d’un maintien en santé pour parvenir et/ou maintenir un bien-être quotidien ? Et que dire de ces changements sociétaux dans lesquels nous évoluons au quotidien, conscients de nos difficultés à répondre aux besoins de soutien collectif dans des épisodes de vie individuels, fragilisant ? Ils questionnent chacun dans son exercice et l’ensemble des professionnels. Il est nécessaire, voire indispensable pour les étudiants d’appréhender et connaître les changements légaux. Les lois, en ce qu’elles permettent et donnent un cadre à la vie en collectif, sont essentielles pour donner du sens aux pratiques professionnelles enseignées. Nous évoquons non seulement les aspects reliés au cadre d’exercice professionnel infirmier mais également l’ensemble des lois s’intéressant à un groupe de population ou à l’ensemble des citoyens. C’est parce que l’infirmier(e) se sent impliqué(e) dans sa mission professionnelle au sein de la société dans laquelle il/elle évolue lui/elle-même qu’il/ elle pourra exercer de manière évolutive et dynamique. Participer aux missions du système de santé actuellement, c’est être porteur de sens au quotidien. Là encore, l’enjeu est important mais devant l’intérêt démontré par les étudiants, nous ne pouvons qu’être confiants dans la dynamique qui se crée. De nombreuses passerelles sont à créer avec les professionnels actuels face à ce changement de formation. Il ne s’agit pas d’opposer des formations suivies, encore moins étudiants et professionnels vivant ce changement mais, peu à peu, de cheminer ensemble vers un devenir non complètement connu actuellement mais dont les bases sont jetées. C’est bien là le sens du mot projet, « projeter en avant » même si nous ne maitrisons pas l’ensemble des éléments qui formeront la finalité. C’est également le sens donné au travail d’accompagnement des personnes, tout en faisant confiance à leurs potentialités à être. Dans son métier du prendre soin des étudiants et de concepteur d’ingénierie éclairée par des fondements portant les valeurs humanistes, le formateur favorise, encourage, motive la co-construction de ce projet, dont il assume également sa part de responsabilité. Enfin, nous souhaitons remercier particulièrement les étudiants qui ont accepté de partager avec nous leur expérience du prendre soin à travers l’atelier toucher-massage des mains. Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 73 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) L’ensemble des outils mis à disposition peuvent réellement permettre un cheminement des étudiants avec leurs référents professionnels et les formateurs afin de rendre l’apprentissage du prendre soin dynamique. L’enthousiasme des étudiants tout au long de la mise en place du projet et de sa réalisation, leur démarche volontaire et dynamique de participation et d’échange au cours de l’entretien cité, nous permettent de poursuivre nos réflexions et mises en actions dans les enseignements proposés. Merci à Cindy Vera, Déborah Lablanche, Aurélie Savry et Richard Lebailly. 3. VIGIL-RIPOCHE MA. Caring et care, prendre soin et soin. In : Les concepts en sciences infirmières, ARSI. MALLET-Conseil, 2009. 4. MOLINIER P, LAUGIER S, PAPERMAN P. Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité. Payot & Rivages, 2009. 5. SVANDRA P. Eloge du soin. Seli Arslan, 2009. 6. POLETTI R. Les soins infirmiers, théories et concepts. Le Centurion, Collection Infirmières d’aujourd’hui, 1978. 7. MOLINIER P. Ambivalence du travail de soin. Sciences Humaines, janvier 2009, 200. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Cet article laisse également la porte ouverte à d’autres étudiants pour s’exprimer et pour publier que ce soit sur des actions menées en lien avec ce thème, des réflexions sur les pratiques professionnelles, pédagogiques… Alors à vous ! 8. Z ACCAÏ-REYNERS N. Respect, réciprocité et relations asymétriques. Quelques figures de la relation de soin. Revue ESPRIT, Les nouvelles figures du soin. Janvier 2006. Références bibliographiques 10. W ATSON J. Le caring, philosophie et science des soins infirmiers. Seli Arslan, 1998. 1. COLLIERE MF. Promouvoir la vie. De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers. Masson, 1982. 2. PEPIN J, KEROUAC S, DUCHARME F. La pensée infirmière. Chenelière Education, 3ème édition, 2010. 74 l Recherche en soins infirmiers n° 107 - Décembre 2011 Copyright © ARSI tous droits réservés 9. RICOEUR P. « Le soi digne d’estime et de respect ». In : Le respect, de l’estime à la déférence : une question de limite, AUDARD C. Autrement, coll. « Morales », 2002. 11. COUDRAY MA. Le cadre en éveil. Seli Arslan, 2002. 12. CLONINGER R. Feeling good, “The science of well being”. Oxford university press, 2005. 13. BERGSON H. L’Energie spirituelle. 1e Partie, Alcan, 1911. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) L’envie de découvrir la profession d’infirmier et de l’exercer au plus juste de la réponse aux besoins des personnes soignées a été explicitée et rendue très concrète tout au long des échanges. « Prendre soin et formation infirmière » ANNEXE : Guide d’entretien Objectif Illustrer et alimenter l’article autour du « prendre soin » par une activité menée par un groupe d’étudiants lors du stage du semestre 2. Caractéristiques des étudiants Année d’entrée en formation, niveau de compétences en lien avec les soins relationnels et gestuels Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) L’activité « massage des mains » : vous avez mené un atelier pour prendre soin des personnes hébergées et des personnels lors de votre dernier stage du semestre 2 - Pourquoi avoir créé cet atelier (+ objectifs) ? - Existait-il auparavant un atelier de ce type ? - Précisez comment s’est déroulé votre atelier (+ construction) ? - Avez-vous proposé des approches identiques pour les personnes hébergées et pour les professionnels ? Précisez. - Quels sont vos ressentis sur : l Le déroulement de l’atelier l Selon les personnes hébergées et les professionnels l Les résultats du questionnaire de satisfaction l Votre propre satisfaction l Le résultat collectif et individuel - Quelles sont les perspectives : l L’atelier va-t-il se poursuivre ? si oui, de quelle manière ? l S’inscrit-il dans un projet de service ? - Quels liens faites-vous par rapport aux contenus de formation dispensés ? Lesquels peuvent porter ce concept ? - La place des formateurs est-elle déterminante dans la transmission et le développement de ce concept ? Que veut dire prendre soin de vous ? Merci pour votre participation Recherche en soins infirmiers n° 107 - décembre 2011 l Copyright © ARSI tous droits réservés - 75 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.190.113.97 - 19/11/2018 13h50. © Association de recherche en soins infirmiers (ARSI) Le « prendre soin » - Qu’est-ce que pour vous prendre soin des personnes ? - Comment dans votre pratique prenez-vous soin actuellement des personnes ? Développez - (ou) Quelles ont vos expériences à ce sujet ?