LA « PHILOSOPHIE » DU MARÉCHAL FOCH
EXTRAITS D'UN JOURNAL INÉDIT
Octobre 1915.La première fois que j'ai vu le général Foch, c'était le 2 juillet dernier. Je voudrais no-
ter ici, un peu pêle-mêle, les impressions qu'il m'a produites et ce que j'ai pu retenir de ses récits de
guerre, brefs et simples1. Je ne voudrais surtout consigner que ce qui a trait à l'homme, à son âme que je
voudrais m'essayer à pénétrer, à sa philosophie de la vie que, lentement, on peut dégager. Non seulement
elle m'intéresse, car je crois que Foch demeurera au premier plan parmi les figures de cette guerre, mais
elle m'a servi à moi-même. Aucun religieux, aucun psychiatre ne m'ont paru en effet (sous des dehors aus-
si simples que lui) cacher une plus profonde connaissance de l'âme humaine, une aussi belle maîtrise de
soi. Je me demande ce conducteur d'hommes qui aurait aussi bien pu être un berger des âmes a été
chercher cette force, cette discipline ? Lecture des sages de l'antiquité ? Éducation des Jésuites qui sont
des « meneurs » lorsqu'ils savent s'inspirer très exactement de ce merveilleux psychologue que fut Loyola
? Qualités natives ? Sans doute un peu de tout cela. Je le verrai par la suite, si toutefois les circonstances
permettent de continuer les contacts.
En cette matinée de juillet, sous un soleil splendide, alors que le canon n'arrêtait de rouler, il vint donc
visiter Villemétrie que ma mère louait à sa famille pour la saison2. Vif, alerte, tout en nerfs et tout en
muscles. Le vrai type ibérien. L'homme est assez petit, râblé, la tête est forte; le menton volontaire et pas
commode, mais ce qui me frappe, c'est le regard. Emerson dit que c'est le miroir de l'âme. Jamais je n'ai
vu un « miroir » semblable, et cette âme sans doute est exceptionnelle. Je ne suis nullement timide ni
hypnotisable, mais il me semble que ce grand œil clair, lumineux, profond me pénètre et me clouerait sur
place. Je ne crois pas exagérer en disant que la flamme qui l'anime devait éclairer le visage de Napoléon.
Avant que de parler de la guerre, la conversation a naturellement roulé sur les affaires de location. Pas un
mot n'est perdu. Pas une phrase qui ne porte. Villemétrie lui plaît. Il le prend. C'est clair, net, précis. Et
combien j'aime cette manière de tout ramener du composé au simple Cette horreur des palabres qui ont
pour résultat « l'embouteillage, l'égarement dans les feux de file ! »Quelle énergie dans le verbe, quelle
netteté, quelle volonté. Mais il ne doit pas supporter l'obstacle.
.... Foch, quelque temps plus tard, me conte la bataille de la Marne et celle de l'Yser. « ...Ce qui fait la
force d'un chef, me dit-il, c'est la décision, la volonté et la nécessité absolue de ne craindre aucune res-
ponsabilité. Cela, voyez-vous, c'est dur. Car il y a des moments où il faut marcher, mais ce qui est terrible
c'est de marcher sans connaître l'avenir, sans savoir si le succès viendra. Coûte que coûte, il est nécessaire
de croire au succès de ce lendemain inconnu. Retenez bien dans la vie cette formule d'optimisme qui n'est
pas l'optimisme béat, mais l'optimisme nécessaire pour dégager des forces, pour vaincre tout ennemi exté-
rieur ou intérieur. Il faut se nier à soi-même l'obstacle, sinon. on est perdu ».
Et comme je le regarde interrogateur :
« Mais oui. Accepter l'idée d'une défaite, c'est être vaincu à l'avance3. Avant tout, dans tout acte essen-
tiel de la paix ou de la guerre, il faut la Foi. Et cette foi ne se crée pas, par de longs repliements sur soi-
même, par une introspection constante. Votre décision est prise parce que vous la croyez bonne. N'y son-
gez plus, objectivez-vous et travaillez pour mener à bonne fin votre entreprise, car tout homme qui cesse
d'agir cesse de vivre. Il ne fait plus qu'exister, ce qui est une misérable chose »
Toute cette « philosophie de la confiance » qu'elle soit discutable ou non a amené de bien beaux-
sultats. Je n'oublierai jamais en effet l'impression de force splendide que dégageait Foch en contant l'hor-
rible magnificence de la bataille de la Marne, l'angoisse au sujet de la fameuse division qui ne venait pas,
ce récit épique dans sa sobriété qui se terminait par ces mots si simples «Ma confiance a été récompensée.
Enfoncé de partout, je croyais « tenir ». Au lieu de cela j'ai avancé de six kilomètres. Pourquoi ? Com-
ment ? On l'explique. Moi je ne l'explique pas. La Providence était là ».
Providence, oui. Miracle, non. Foch n'aime pas qu'on parle du Miracle de la Marne. Il explique bien
que l'intervention et la protection divines ne doivent pas être évoquées seules, car se serait diminuer d'au-
tant le courage magnifique des hommes dont il dit sobrement d'admirables choses.
Décembre 1918. Mes notes sur Foch ont été envoyées au loin lors de la nouvelle avance des Alle-
mands sur Senlis. Les retrouverai-je jamais ? Toujours un peu pêle-mêle (mais je risquerais de déformer
les faits en donnant à mon récit haché une allure littéraire), je relève encore ici certains traits qui mettent
en lumière cet étonnant caractère que les temps grandiront encore à sa juste mesure, avec le recul.
1 J'ai supprimé ici ces récits, –trop prématurés,peut-être, – m'arrêtant sur la psychologie du chef.
2 Propriété située à 2 kilomètres de Senlis. Foch y installait les siens pour les y venir voir des Armées du Nord.
3 On verra plus loin l'expression de cette pensée développée par Foch.
Dans aucune circonstance, pendant ces dernières années, je n'ai vu Foch se départir de son optimisme.
Mais cet optimisme comportait la perfection dans la mesure. Quand on lui adressait des compliments, sa
main hachait l'air d'un geste brusque « Non, non, disait-il. Ils sont prématurés. La Bête n'a plus la même
puissance, mais elle n'est pas encore en cage. Ne me parlez pas de la victoire de la Marne ni de celle de
l'Yser. Il ne faut jamais s'endormir en regardant le passé, mais il convient d'avoir toujours l'esprit en éveil,
le regard tendu vers l'avenir, vers le but. Cette guerre n'en finit pas. C'est une guerre d'usure. Il est néces-
saire de plonger le fer jusqu'au bout et d'épuiser l'Allemagne. A tout prix, il faut que les générations qui
nous suivront n'aient pas à refaire la guerre. Vous me complimenterez, si cela vous fait plaisir, lorsque
nous serons à Metz. Et nous y serons »
Quelle «force vivante » Je me souviens qu'en décembre 1916, alors que la « rumeur infâme » le repré-
sentait comme un « homme fini », il vint nous voir à Villemétrie après une promenade de six kilomètres à
pied. C'était avec son fidèle Weygand. Toujours aussi alerte, aussi confiant. On voulait voir en lui un «
homme fini » précisément parce que cette force irradiante gênait les partisans de la paix blanche. Foch
était devenu un reproche vivant.....
Le 26 mars 1918, j'ai dîné à Paris chez les Foch. La situation était extrêmement critique, la ruée alle-
mande terrible, les gothas énervants. Foch, bien entendu, ne « se livrait pas ». Mais toujours ses mots
concis « Il est possible qu'humainement la victoire apparaisse impossible. Moralement, je la sens certaine
». Il est revenu à onze heures du soir du Nord, après une soirée historique. On lui avait donné le comman-
dement général des armées « Ne me félicitez pas, avait-il dit, avant de savoir s'il n'est pas trop tard ». Un
examen de la situation et ses décisions prises avaient éclairé et éclairci l'avenir. «Il n'y a qu'un homme
comme lui, disait Lloyd George, qui puisse prendre une responsabilité aussi écrasante ».
3 janvier 1919. Dîné à Senlis avec Foch. [J'ai conté ailleurs son récit de l'armistice]. Cette incons-
cience des Allemands est admirable ! Winterfeld, après avoir pleuré, ne lui a-t-il pas dit « Et mainte-
nant nous comptons sur vous pour remettre l'ordre chez nous ! »
Le grand chef a un peu changé. La tournure est toujours alerte et svelte, mais le masque s'est creusé,
sillonné, tanné. Et cependant. il a rajeuni. Miracle sur le corps de cette âme que je voudrais tellement sai-
sir jusque dans son tréfonds Il apparaît comme allégé, exhaussé, plus « fuselé. » De cet ensemble dur, ar-
rêté, râblé, sec, émanent une énergie et une volonté qui marchent. Il dégage des effluves, du potentiel. Et
le regard aigu est, de plus en plus, lumineux comme un ciel, profond comme une mer. La bonté du sourire
éclaire le visage. Il émaille ses phrases d'un « Oui, Oui » ou «Bon, Bon » qui semblent conclure ou ponc-
tuer la marche incessante de sa pensée intime. Il parle beaucoup moins qu'avant l'armistice. Paix inté-
rieure ? Repos imposé par lui-même. Absorption ? Je l'ignore. et je réfléchis en regardant toujours le geste
prompt de cette petite main aristocratique et très révélatrice. Depuis que son prestige a augmenté, on se
fait plus déférent autour de lui. Visiblement, sa simplicité s'en agace. Et cela d'autant plus qu'il aime écou-
ter. C'est un grand art que j'ai remarqué souvent chez Lyautey. L'un et l'autre estiment que, – quelque petit
que soit leur interlocuteur, – ils apprennent toujours quelque chose de lui.....
A neuf heures un quart, il se retire et dit plaisamment « Allons, Monsieur Weygand, partons faire nos
affaires. » (C'est ainsi qu'il parle toujours de ses travaux d'état-major).... Un de ses officiers demeure avec
nous et cause, confiant. Il était quand on proposa à Foch le rang écrasant de généralissime. Rapidité,
clarté de vues, sens de l'autorité une minute, Foch hésite. Et puis « Je veux bien, mais à une condition
absolue II n'y aura que moi et mon chef d'état-major qui commanderons. Le salut du pays est à ce prix.
Sans unité totale, nous continuons de marcher à notre perte. Je serai seul responsable. Tant pis pour moi.
Je fais venir toutes mes réserves, car je veux battre l'ennemi devant Amiens, et je le battrai. Ils comptent
venir par cette ville et gagner Paris par Beauvais. Ils ne passeront pas. (Trait de génie, dit le général W.).
…. Le soir de l'armistice, Foch arrive à Sentis « Nous les tenons, nous les chassons à coups de bottes
maintenant qu'ils ne connaissent plus nos secrets. C'est la victoire. Je suis content, car je les ai arrêtés au
point que j'avais choisi. Dans la vie, voyez-vous, il suffit de vouloir.
– Osera-t-on vous le dire ? On aurait voulu vous voir aller encore plus loin....
– C'est vrai. Huit jours plus tard, c'était un nouveau Sedan, mais il fallait sacrifier 30 à 40 000 hommes
et, dès lors que les Allemands acceptaient nos conditions, je n'en avais pas le droit. Et puis. un sursaut de
la Bête, un dernier effort désespéré de sa part étaient possibles. Nos lignes pouvaient être crevées à ….
Nous ne pouvions repousser l'offre.
– Savait-on l'Allemagne dans une telle décomposition ?
– Non.
– Les forces morales de l'ennemi doivent être toujours difficiles à connaître ?
– Il est impossible de les connaître. C'est un facteur qui échappe.
Juin 1919. Je reviens de Paris. Causé avec le Maréchal. Je sais que son voyage sur le Rhin a été
triomphal, mais je l'aurais agacé en lui en parlant. Vous vous perdez en mots, en phrases inutiles, aurait-il
dit. Et il aime tant la concision. Je le fais encore causer sur l'armistice. Oh ! les pourparlers furent brefs :
Messieurs, présentez-vous. Vous avez devant vous le généralissime Foch. Ici, mon chef d'état-major.
Maintenant, à vous de présenter vos lettres de créance. Mon chef d'état-major va les vérifier. Bon. Les pa-
piers sont en règle. Que voulez-vous ?
– Nous venons discuter l'armistice.
Je ne comprends pas ? Discuter ? Vous voulez dire « recevoir les conditions de l'armistice. Les temps
ne sont plus à la discussion. C'est à prendre ou à laisser. Sinon, la guerre continue. Vous pouvez, Mes-
sieurs, vous retirer. Vous avez quarante-huit heures pour rendre votre réponse.
(Le capitaine P.... présent à l'entretien m'a dit qu'à cette heure Foch avait « grandi » tout à coup, pris
une majesté, une dignité qu'il ne lui avait jamais vues.)
Et, comme j'évoque encore ces grands souvenirs, Foch fume sa pipe avec calme.
Oui, oui, interrompt-il. Mais ne philosophons pas trop sur les événements, sans quoi nous perdrions
pied. Dans les grandes heures de la guerre, dans toute la guerre, je me suis astreint à obéir à ma propre
consigne : Mener les grandes choses comme si c'était des petites. Apporter aux événements considérables
le soin méticuleux qu'on doit apporter aux petits incidents de la vie coutumière. Voyez-vous, me dit-il
(avec cet amour des images propre au Méridional), il fallait simplement considérer l'Europe comme si
c'était une maison à mener et qu'on voulût être bonne ménagère. A regarder l'immense, on se noie dans le
puits, – comme devant l'infini ».
Au sujet « philosophie », il a des paroles amères (les premières que je lui entende formuler) contre les
idéologues qui, précisément par le culte de l'idée, perdent trop le souci du fait, notamment contre « cet ou-
vrier de la dernière heure », expression inexacte de son pays et qui, avec ses utopies, croit devoir dic-
ter la paix du monde et laisser la parole aux vaincus autant qu'aux vainqueurs. Nous pourrions tout obtenir
de l'Allemagne, ajoute-t-il, si4 ...
– Vous devez être très occupé, Monsieur le Maréchal, après l'effort immense que vous avez soutenu ?
Il réfléchit un moment :
– Non. Et jamais je n'ai été « surmené ». Le tout dans les grandes œuvres comme dans les petites est de
savoir bien appliquer la « division du travail ». Pour être maître de maison, il faut simplement un peu re-
garder les hommes, les connaître et puis, s'ils sont bons, les employer. Et, lorsqu'on est, comme moi, bien
entouré, le travail n'est plus grand chose. D'ailleurs je vais peut-être vous étonner, mais le travail que nous
venons de faire depuis quatre ans n'est rien. C'est maintenant que commence la besogne. Une après-guerre
est plus difficile à conduire qu'une guerre (surtout avec nos garanties insuffisantes sur le Rhin nous
postons seulement quelques gendarmes en face d'un beau jardin avec ce naïf écriteau « Défense d'entrer
»). Nous en avons pour quinze ans de besogne, alors qu'avec plus de compétences et d'autorité nous au-
rions pu nettoyer la maison en deux ans. Alors vous comprenez que je ne veuille pas me « surmener ». Si
nous obtenons chez nous autorité, je le répète, cohésion et discipline, – oh! discipline, – nous pouvons en-
core faire de bonne besogne, mais à condition de « phosphorer » (il aime beaucoup cette locution), de
«phosphorer» ferme et longtemps.
4 Comme je l'ai dit plus haut, j'ai cru devoir supprimer ici les récits de Foch ne le concernant pas lui-même.
Noël 1919. Je sors de chez Foch. Cette fois, je crois l'avoir bien saisi, crayon en main, puisqu'il me
permettait de prendre des notes. J'ai retrouvé avec plaisir le cadre familier de l'hôtel de Sens chaque
objet est plus en valeur qu'avenue de Saxe. Dans une vitrine, les décorations et les souvenirs de la guerre,
çà et là des présents de souverains, sur la cheminée du salon la fameuse pendule de l'hôtel de ville de Cas-
sel qui marquait pour lui les heures de la bataille des Flandres. Dans le bureau, je retrouve aussi toutes ses
« habitudes », son installation sans faste et très sobre de militaire homme d'études. Une bibliothèque -
vèle un homme je regarde avec une émotion nouvelle ces volumes usagés qui naguère, avenue de Saxe,
parlaient de sa jeunesse et de ses études ouvrages sur Napoléon dont il est l'admirateur, ouvrages alle-
mands sur la guerre. Beaucoup de volumes techniques dont il s'est servi pour écrire ses propres livres.
(J'avoue que ceux-ci m'ont paru « durs » et que je ne les ai pas lus en entier, mais qu'à de questions
purement militaires, on y trouve – ramassées avec une rare concision – des pensées d'une philosophie pro-
fonde, ce que les Américains appellent des pensées-forces). Je remarque qu'il a beaucoup lu Taine et
Thiers. Il y a aussi la Revue des Deux Mondes, le Correspondant, la Revue hebdomadaire, un peu tout
ce qui paraît et voisinant avec Hugo Corneille, Molière, Labiche.
Hugo ? Foch en aime la puissance, mais en principe et on le comprend mieux quand on cause avec
lui – il déteste les romantiques : « Du talent, oui, oui, me dit-il, une sensibilité extrême, mais la sensibilité,
que nous avons mise depuis Rousseau au premier rang de nos facultés, devrait être classée la dernière. Ne
l'oubliez pas, la Raison doit tout primer avec la Volonté. Ne soyons pas des violons qui ne savent que vi-
brer.
– Je comprends alors pourquoi je vois ici Corneille et tous les classiques du XVIIe siècle.
– Parbleu ! Eux c'était des hommes.
– Je remarque aussi Molière voisinant avec Labiche.
Le Maréchal sourit.
Évidemment, je ne les compare pas. Le premier m'a beaucoup révé de l'âme humaine, mais le se-
cond me distrait encore. Le théâtre était avant la guerre une grande distraction pour moi. (Je me souviens
en effet qu'un soir de belle humeur, le Maréchal a mimé en perfection devant moi Baron et Lassouche).
Mais nous reparlons de la sensibilité. Sa théorie m'intéresse beaucoup, car elle me rappelle celle du
philosophe Dubois, de Berne, lequel au fond n'a été que le disciple de Sénèque, d'Epictète, de Marc-Au-
rèle et .... des grands fondateurs d'ordres.
Non, dit le Maréchal, il ne faut pas de sensibilité à un homme d'action. Que ce soit dur à lui de
l'émousser, ah! cela. peu importe. Ce n'est pas la question. Mais il doit la tuer. Ainsi donc on peut dire ou
écrire sur moi tout ce que l'on veut, j'y suis aussi sensible que ce cheval de bronze que vous voyez sur ma
cheminée.
Belle maîtrise chez un homme qui n'apparaît que comme un nerf tendu, un muscle vibrant, une chau-
dière sur laquelle il a lui-même posé la soupape. En l'écoutant, je me souviens qu'étant jeune il était si
nerveux et si sensible qu'il ne dormait pas la veille de l'ouverture de la chasse. Je sais aussi, l'ayant vu en
famille, tout ce qu'il y a de tendresse au fond de son cœur, je vois le sourire qui éclaire sa face quand ar-
rivent ses petits-enfants, je sais combien sont profonds les deuils dont il ne parle jamais, je sais qu'il ne
s'est jamais habitué – ce chef des armées – à la mort d'un homme.
Je me permets donc d'insister et de lui demander si la victoire ne lui a pas causé une émotion profonde
Entendons-nous. J'efface en moi les images et les impressions qui peuvent énerver l'énergie. Je n'en
veux pas. Les discours, les louanges, les blâmes, les manifestations, la phraséologie dont nous mourons en
France. tout cela, ah ! non !
Et la main brusquement hache le vide comme si elle fermait des bouches.
– Mais les faits ?
Cela c'est autre chose. Avoir passé sous l'Arc de Triomphe m'est indifférent. Ce n'était plus un acte.
L'acte la guerre était dénoué. Ce qui a pu me remuer par exemple et cela d'une émotion inutile à chasser
parce que salutaire c'était certains faits de cette guerre. Par exemple, à Rethondes, quand Winterfeld pleu-
rait, quand Erzberger prenait la plume rageusement et signait en geignant : hein ! hein ! hein ! j'ai eu le
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