Dans aucune circonstance, pendant ces dernières années, je n'ai vu Foch se départir de son optimisme.
Mais cet optimisme comportait la perfection dans la mesure. Quand on lui adressait des compliments, sa
main hachait l'air d'un geste brusque « Non, non, disait-il. Ils sont prématurés. La Bête n'a plus la même
puissance, mais elle n'est pas encore en cage. Ne me parlez pas de la victoire de la Marne ni de celle de
l'Yser. Il ne faut jamais s'endormir en regardant le passé, mais il convient d'avoir toujours l'esprit en éveil,
le regard tendu vers l'avenir, vers le but. Cette guerre n'en finit pas. C'est une guerre d'usure. Il est néces-
saire de plonger le fer jusqu'au bout et d'épuiser l'Allemagne. A tout prix, il faut que les générations qui
nous suivront n'aient pas à refaire la guerre. Vous me complimenterez, si cela vous fait plaisir, lorsque
nous serons à Metz. Et nous y serons »
Quelle «force vivante » Je me souviens qu'en décembre 1916, alors que la « rumeur infâme » le repré-
sentait comme un « homme fini », il vint nous voir à Villemétrie après une promenade de six kilomètres à
pied. C'était avec son fidèle Weygand. Toujours aussi alerte, aussi confiant. On voulait voir en lui un «
homme fini » précisément parce que cette force irradiante gênait les partisans de la paix blanche. Foch
était devenu un reproche vivant.....
Le 26 mars 1918, j'ai dîné à Paris chez les Foch. La situation était extrêmement critique, la ruée alle-
mande terrible, les gothas énervants. Foch, bien entendu, ne « se livrait pas ». Mais toujours ses mots
concis « Il est possible qu'humainement la victoire apparaisse impossible. Moralement, je la sens certaine
». Il est revenu à onze heures du soir du Nord, après une soirée historique. On lui avait donné le comman-
dement général des armées « Ne me félicitez pas, avait-il dit, avant de savoir s'il n'est pas trop tard ». Un
examen de la situation et ses décisions prises avaient éclairé et éclairci l'avenir. «Il n'y a qu'un homme
comme lui, disait Lloyd George, qui puisse prendre une responsabilité aussi écrasante ».
3 janvier 1919. – Dîné à Senlis avec Foch. [J'ai conté ailleurs son récit de l'armistice]. Cette incons-
cience des Allemands est admirable ! Winterfeld, – après avoir pleuré, – ne lui a-t-il pas dit « Et mainte-
nant nous comptons sur vous pour remettre l'ordre chez nous ! »
Le grand chef a un peu changé. La tournure est toujours alerte et svelte, mais le masque s'est creusé,
sillonné, tanné. Et cependant. il a rajeuni. Miracle sur le corps de cette âme que je voudrais tellement sai-
sir jusque dans son tréfonds Il apparaît comme allégé, exhaussé, plus « fuselé. » De cet ensemble dur, ar-
rêté, râblé, sec, émanent une énergie et une volonté qui marchent. Il dégage des effluves, du potentiel. Et
le regard aigu est, de plus en plus, lumineux comme un ciel, profond comme une mer. La bonté du sourire
éclaire le visage. Il émaille ses phrases d'un « Oui, Oui » ou «Bon, Bon » qui semblent conclure ou ponc-
tuer la marche incessante de sa pensée intime. Il parle beaucoup moins qu'avant l'armistice. Paix inté-
rieure ? Repos imposé par lui-même. Absorption ? Je l'ignore. et je réfléchis en regardant toujours le geste
prompt de cette petite main aristocratique et très révélatrice. Depuis que son prestige a augmenté, on se
fait plus déférent autour de lui. Visiblement, sa simplicité s'en agace. Et cela d'autant plus qu'il aime écou-
ter. C'est un grand art que j'ai remarqué souvent chez Lyautey. L'un et l'autre estiment que, – quelque petit
que soit leur interlocuteur, – ils apprennent toujours quelque chose de lui.....
A neuf heures un quart, il se retire et dit plaisamment « Allons, Monsieur Weygand, partons faire nos
affaires. » (C'est ainsi qu'il parle toujours de ses travaux d'état-major).... Un de ses officiers demeure avec
nous et cause, confiant. Il était là quand on proposa à Foch le rang écrasant de généralissime. Rapidité, –
clarté de vues, – sens de l'autorité une minute, Foch hésite. Et puis « Je veux bien, mais à une condition
absolue II n'y aura que moi et mon chef d'état-major qui commanderons. Le salut du pays est à ce prix.
Sans unité totale, nous continuons de marcher à notre perte. Je serai seul responsable. Tant pis pour moi.
Je fais venir toutes mes réserves, car je veux battre l'ennemi devant Amiens, et je le battrai. Ils comptent
venir par cette ville et gagner Paris par Beauvais. Ils ne passeront pas. (Trait de génie, dit le général W.).
…. Le soir de l'armistice, Foch arrive à Sentis « Nous les tenons, nous les chassons à coups de bottes
maintenant qu'ils ne connaissent plus nos secrets. C'est la victoire. Je suis content, car je les ai arrêtés au
point que j'avais choisi. Dans la vie, voyez-vous, il suffit de vouloir.
– Osera-t-on vous le dire ? On aurait voulu vous voir aller encore plus loin....
– C'est vrai. Huit jours plus tard, c'était un nouveau Sedan, mais il fallait sacrifier 30 à 40 000 hommes
et, dès lors que les Allemands acceptaient nos conditions, je n'en avais pas le droit. Et puis. un sursaut de