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Mais on distinguera deux espèces de jugement en général : des jugements analytiques, tout
d’abord, toujours a priori et fondés sur le principe de non-contradiction, mais qui ne nous
apprennent rien de nouveau et qui requièrent forcément une synthèse antécédente, seule en
mesure de fournir la prémisse d’une quelconque analyse. Les jugements synthétiques, second
genre du jugement, s’avèrent ainsi logiquement les premiers. Or il y a deux types de synthèse :
1. la synthèse a posteriori qui réunit après coup deux éléments (sujet et prédicat), sur la base
d’une constatation ou d’une expérience, nécessairement partielle et donc contestable ou révisable.
Pourtant même une telle synthèse renvoie à l’homogénéisation des termes réunis, sans laquelle
nulle ré-union, fût-elle la plus discutable, ne serait envisageable. D’où la nécessité de penser
2. La synthèse a priori dont les différentes opérations mathématiques, à commencer par
l’addition, offrent un exemple approximatif.
Seulement la synthèse mathématique ne forme pas une synthèse absolue, entièrement a priori
ou pure, dès lors que cette discipline s’appuie, nous l’avons dit, sur l’intuition ou le sensible.
" Le caractère essentiel de la connaissance mathématique pure, celui qui la distingue de toutes les autres
connaissances a priori, c’est qu’elle ne doit pas progresser par concepts, mais toujours par la construction
de concepts seulement." (28)
C’est pourquoi la mathématique reste d’ailleurs obligatoirement sous la juridiction du principe
de non-contradiction qui s’applique par essence au dé-«fini» ou au «dé-limitable» (perceptible),
et s’interdit d’accéder à l’Absolu/l’Idée/l’Infini qui ne saurait être saisi de manière exclusive.
Au demeurant, et tout comme la synthèse a posteriori, elle suppose fatalement une réduction
à l’unité, déjà acquise, des termes sur lesquels elle opère, soit une synthèse originaire.
Comment additionnerait-on, soustrairait-on, multiplierait-on, diviserait-on autrement des
entités sans rapport entre elles ?
Par contre la Métaphysique ne peut recourir, si elle se veut science suprême, qu’à la
synthèse a priori effective.
" Cependant, c’est la production de la connaissance a priori, au point de vue de l’intuition comme des
concepts, enfin celle aussi de propositions synthétiques a priori, précisément en matière de connaissance
philosophique qui forment le contenu essentiel de la métaphysique." (31)
Elle interroge ainsi la condition d’existence ou la racine de tout savoir et ouvre l’espace de
3. La synthèse a priori réelle, notion paradoxale certes, vu qu’elle conjoint deux aspects
apparemment incompatibles, une unification qui précèderait la séparation même des termes, et
qu’elle échapperait du coup au diktat de la non-contradiction, ou, ce qui revient au même,
qu’elle n’obéirait plus à la forme disjonctive ou bien … ou bien de l’argumentation ordinaire.
Mais cette connaissance étant pour le moins problématique, la question de sa propre possibilité
se pose inévitablement et ce sera justement LA QUESTION GÉNÉRALE DES PROLÉGOMÈNES :
" Une métaphysique est-elle seulement possible ?" (27)