l’homme en est radicalement séparé. La rupture entre les deux rationalités s’explique
par la fonction cognitive que cœur revêt dans cette pensée. Le cœur est corrompu.
Suite à sa corruption, sa faculté de sentir les principes est limitée. Dans l’ordre de
l’esprit, il n’a pas d’accès à autant de connaissance indubitable que dans l’ordre du
cœur. Mais, étant donné que ni dans l’un, ni dans l’autre, l’homme n’est doté d’un
savoir absolu et immédiat, il a toujours besoin de la raison pour compléter son savoir.
D’où la nécessité de distinguer entre deux rationalités différentes l’une de l’autre.
Le principe surnaturel de l’ordre du cœur est Jésus-Christ. L’intégration de la
personne du Christ, en tant que principe, dans un ordre révèle que chez Pascal aussi, de
même que chez Descartes, Malebranche, Spinoza ou Leibniz, le rationnel repose sur le
non-rationnel. En même temps, Jésus-Christ est non seulement le principe du troisième
ordre, mais aussi le principe de la Rationalité en tant que telle. Autrement dit, comme
Pascal l’affirme, « Jésus-Christ est la raison de tout, et le centre où tout tend. Qui le
connaît, connaît la raison de toutes choses » (449). Jésus-Christ, étant la clé de la
connaissance de toutes choses, établit une rationalité dont il est le principe et qui
embrasse les rationalités différentes. Cette rationalité authentique, dont la rationalité
géométrique n’est qu’une partie, ne peut être découverte qu’à partir de l’ordre du
cœur. Dans cet ordre, l’esprit s’approprie une vue spirituelle qui assure la visibilité des
ordres inférieurs, aussi bien que leur relation hiérarchique. Le principe des principes
est donc un principe de hiérarchisation. Il rend possible de contempler les vérités des
différents ordres dans un seul ordre hiérarchique. Par cette hiérarchisation, les trois
ordres et les trois rationalités différentes s’intègrent dans un seul qui représente la
rationalité authentique.
Pascal élabore donc une rationalité qui repose sur une lumière surnaturelle et
qui incorpore plusieurs rationalités dans un ordre hiérarchique. Cette rationalité prouve
que Pascal n’est pas hostile à la raison dont la force et le bon usage sont indispensables
à sa découverte. Elle révèle également que la rationalité humaine repose sur le non-
rationnel mais que celui-ci ne devient pas moins inconcevable par cette connexion.
La reconstitution de la rationalité pascalienne a plusieurs conséquences
importantes dont je ne soulignerais ici qu’une seule. A savoir qu’elle permet de lire le
chef-d’œuvre de Pascal comme une philosophie.