Document 1 : Beaucoup de créants parlent du respect de la religion d’autrui, ils invitent à reconnaître la
dignité des autres religions. Le texte suivant de Gandhi l’illustre bien. Mais en réfléchissant au-delà des
apparences de tolérance (chose toujours appréciable en soi), cet appel au respect et à la dignité des autres
religions souffre d’une grave problématique. Ce respect est proposé de l’intérieur même de la sphère
religieuse et en vertu de la croyance religieuse, non en vertu d’une objectivité de la dignité des religions. En
fait, dans ce système de références morales, respecter la religion de l’autre ne se fait pas parce que la
religion de l’autre est respectable en soi, mais parce qu’elle repose sur les mêmes fondements de croyance
que la sienne. La remettre en cause, la critiquer, reviendrait alors à rendre sa propre religion vulnérable à la
critique.
Je n’aime pas le mot tolérance, mais je n’en trouve pas de meilleur. La tolérance peut
impliquer la supposition, toute gratuite d’ailleurs, que la foi d’un autre est inférieure à la
nôtre, tandis que l’AHIMSA nous enseigne à conserver, pour la foi religieuse d’autrui, le
même respect que nous accordons à la nôtre - dont nous reconnaissons ainsi
l’imperfection. Cette admission sera facile pour celui qui cherche la vérité, pour celui qui
obéit à la loi de l’amour. Si nous étions parvenus à la pleine vision de la vérité, nous ne
serions plus des chercheurs, nous serions devenus un avec dieu, car la vérité est dieu.
Mais puisque nous n’en sommes encore qu’à chercher, nous poursuivons notre
recherche et nous sommes conscients de notre imperfection. Or, si nous sommes nous-
mêmes imparfaits, la religion telle que nous la concevons doit être imparfaite aussi. Nous
n’avons pas réalisé la religion dans sa perfection, de même que nous n’avons pas réalisé
dieu. Puisque la religion telle que nous la concevons est imparfaite, elle est toujours
susceptible d’évolution et de réinterprétation. Le progrès vers la vérité, vers dieu, n’est
possible qu’en raison de cette évolution. Toutes les croyances constituent des révélations
de la vérité, mais toutes sont imparfaites et faillibles... le fait d’accepter la doctrine de
l’égalité des religions ne fait pas disparaître la distinction entre religion et irréligion. Nous
n’avons pas l’intention d’encourager l’intolérance envers l’irréligion. Il incombe alors à
chacun de décider pour soi ce qui est religion et ce qui est irréligion. Si nous obéissons à
la loi de l’amour, nous ne ressentirons aucune haine pour notre frère irréligieux. Nous
l’aimerons au contraire et, par conséquent, ou bien nous l'amènerons a voir son erreur,
ou bien il nous fera comprendre la nôtre, ou bien chacun tolérera l’opinion différente de
l’autre. Gandhi (1869-1948)
Paroles de tolérance
Document 2 : Toutes les religions sont des anti-humanismes. En voici un exemple concernant les religions
chrétiennes.
Toutes les passions ont une période où elles sont seulement néfastes, où elles
rabaissent leur victime de tout le poids de la bêtise, - et plus tard, une autre, beaucoup
plus tardive, où elles se marient à l'esprit, se «spiritualisent». Autrefois, à cause de la
bêtise de la passion, on faisait la guerre à la passion elle-même : on jurait sa perte, - tous
les monstres moraux anciens sont là-dessus d'accord : «il faut tuer les passions ». La
plus fameuse maxime de ce genre se trouve dans le Nouveau Testament, dans ce
Sermon sur la montagne où, soit dit entre parenthèses, l'élévation de la vue fait
totalement défaut. C'est là qu'il est dit par exemple, avec application à la sexualité : «si
ton œil entraîne ta chute, arrache-le (1)» ; par bonheur aucun chrétien ne suit ce
précepte. Anéantir les passions et les désirs à seule fin de prévenir leur bêtise et les
conséquences désagréables de leur bêtise, voilà qui ne nous paraît aujourd'hui qu'une
forme aiguë de bêtise. Nous n'admirons plus les dentistes qui arrachent les dents pour
qu'elles cessent de faire mal... Reconnaissons d'ailleurs en toute justice que l'idée de
«spiritualisation de la passion» ne pouvait absolument pas être conçue sur le terrain qui a
donné naissance au christianisme. Car l'Église primitive luttait, on le sait, contre les
«intelligents» au bénéfice des “pauvres en esprit” : comment attendre d'elle une guerre
intelligente contre la passion ?
- L'Église combat la passion par l'excision : sa pratique, son «traitement» c'est le
castratisme. Jamais elle ne demande : «comment spiritualiser, embellir, diviniser, un
désir ?» - de tout temps elle a insisté, dans sa discipline, sur l'extirpation (de la
sensualité, de l'orgueil, de la passion de dominer, de posséder et de se venger). Or
attaquer les passions à la racine, c'est attaquer la vie à la racine : la pratique de l'Église
est hostile à la vie.Friedrich Nietzsche (1844-1900)
Crépuscule des Idoles (1888)
(1) Évangile de Marc, 9: 47
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-052 : “L’Indignité des religions” - 06/03/2006 - page 5