Louis A. s Ass
Les Paradoxes du déLire
schreber, wittgenstein et LesPrit schizoPhrénique
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Pierre-Henri Castel
Extrait du livre de Louis A. Sass :
LES PARADOXES DU DELIRE, SCHREBER; WITTGENSTEIN ET L'ESPRIT SCHIZOPHRENIQUE
Traduit de l'angalis par P.-H. Castel © Les Editionsd'Ithaque 2010.
Titre original
The Paradoxes of Delusion
Wittgenstein, Schreber and the Schizophrenic Mind
Cet ouvrage a été d’abord publié par Cornell University Press,
copyright © 1994 by Cornell University.
La présente édition est une traduction autorisée par l’éditeur original et a été publiée
avec le concours de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet
Philosophie, Histoire et Sociologie de la Médecine mentale (ANR- 08-BLAN-0055).
Couverture
© Patrick Lindsay
issn 2104-6743
ISBN 978-2-916120-18-8
Dépôt légal, 1re édition : décembre 2010
© 2010, Les Éditions d’Ithaque
2, rue de Tombouctou, 75018 Paris – www.ithaque-editions.fr
Extrait du livre de Louis A. Sass :
LES PARADOXES DU DELIRE, SCHREBER; WITTGENSTEIN ET L'ESPRIT SCHIZOPHRENIQUE
Traduit de l'angalis par P.-H. Castel © Les Editionsd'Ithaque 2010.
sommaire
AvAnt-propos du trAducteur 7
préfAce de LAuteur 15
introduction 19
i. un monde vu de lœil de lesprit 43
Épreuve de réalité et régression, 43. Traits hors-norme de l’expérience
et du comportement schizophréniques, 47. Les « prétendus délires »
de Schreber, 53. Wittgenstein sur le solipsisme, 64. Schreber comme
solipsiste, 68. Les traits anormaux de la schizophrénie à la lumière du
solipsisme, 73. Le rêveur morbide, 84.
ii. souverain soumis, spectateur regardé 87
L’équivoque du subjectif et de l’objectif, 89. Soi comme tout, soi
comme rien : l’expérience de Schreber, 97. Soi comme tout, soi comme
rien : l’analyse de Wittgenstein, 107. Le pécdu philosophe, 113.
De la contradiction, 117. Les dualités de la pensée moderne, 122.
iii. un vaste musée de létrange 131
La concrétude fantôme, 133. L’inquiétante particularité, 147.
Archaïsme, modernisme et la question de « l’inquiétant », 166. Une
maladie apollinienne, 171.
conclusion 173
BiBLiogrAphie 189
index 197
Extrait du livre de Louis A. Sass :
LES PARADOXES DU DELIRE, SCHREBER; WITTGENSTEIN ET L'ESPRIT SCHIZOPHRENIQUE
Traduit de l'angalis par P.-H. Castel © Les Editionsd'Ithaque 2010.
introduction
S
iL est un Lieu commun très LArgement Admis, c’est que la folie consiste
à percevoir des choses qui n’existent pas et à croire des choses qui
ne sont pas vraies. Comme disait Karl Jaspers (qui fut un psy-
chiatre influent avant de devenir philosophe), « depuis des temps immé-
moriaux, on a considéré le délire comme la caractéristique de base de la
folie. Être fou, c’était délirer1 ». Une telle opinion prévaut sans nul doute
dans la psychiatrie contemporaine, en psychologie clinique et en psy-
chanalyse, où des perturbations de l’« épreuve de réalité », ou son échec,
sont considérées comme un critère définitionnel pour diagnostiquer ce
qu’on appelle état psychotique2. Vu son rôle-charnière dans la théorie
et le diagnostic en psychiatrie, ce signe absolument paradigmatique de
1 . JasPers, 1963, p. 93.
2 . Sur l’approche descriptive en psychiatrie, voyez par exemple le Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux, 3
e
édition révisée, connu sous le nom de DSM III-R. Sont
dits « psychotiques » une « altération importante de l’expérience de la réalité (reality testing) et
[une] création de néo-réalité (new reality) », un état morbide dans lequel « une personne […]
évalue mal la précision de ses perceptions et l’exactitude de ses pensées ; et tire des conclusions
erronées à partir de la réalité extérieure, même quand elle est confrontée à une évidence
contraire » (p. 451). L’« hallucination » est définie par une « perception sensorielle en l’absence
de stimulation externe de l’organe sensoriel concerné » et qui « procure la même sensation
immédiate de réalité qu’une perception réelle » (p. 441). L’« idée délirante (delusion) », définie
brièvement comme une « croyance personnelle erronée fondée sur une induction incorrecte
concernant la réalité extérieure » (p. 443) est le symptôme clé pour caractériser la folie (la
psychose), car, comme l’explique le DSM III-R, « les hallucinations ne témoignent d’un
trouble psychotique que lorsqu’elles sont associées à une forte altération du sens du réel
(reality testing) », autrement dit, quand l’hallucination donne naissance « à l’illusion délirante
(delusion) que la perception est réelle » (p. 444). [Ndt. Les incohérences de la traduction
française ont été conservées.] Pour une définition plus riche du délire, dans le DSM III-R, cf. le
début du chapitre I. La plus récente édition de ce manuel, le DSM IV-TR, de 2000, a maintenu
toutes ces définitions inchangées.
Sur l’approche psychanalytique, cf. l’article important de Frosch, 1975. Otto Kernberg, un
psychanalyste contemporain dont l’influence a été considérable, soutient que la présence ou
l’absence de la capacité à l’épreuve de la réalité constitue un critère de démarcation assez clair
entre états psychotiques et non psychotiques (par exemple, borderline) : « la perte de l’épreuve
de réalité dans un registre quelconque est une indication de fonctionnement psychotique […]
Extrait du livre de Louis A. Sass :
LES PARADOXES DU DELIRE, SCHREBER; WITTGENSTEIN ET L'ESPRIT SCHIZOPHRENIQUE
Traduit de l'angalis par P.-H. Castel © Les Editionsd'Ithaque 2010.
20 LES PARADOXES DU DÉLIRE
folie, connu sous le nom d’« épreuve de réalité déficitaire », a, de façon
fort surprenante, reçu bien peu d’attention critique. Eh bien, à mon
avis, ce principe fondamental de la psychiatrie est soit irrémédiablement
trompeur, soit purement et simplement faux, du moins quand on l’ap-
plique à beaucoup de patients atteints de la folie la plus grave et la plus
exemplaire : la schizophrénie.
Paul Federn, en 1949, a donné une formulation classique de l’opinion
traditionnelle :
« La base de la santé [mentale] est une reconnaissance correcte et auto-
matique de cette cassure entre les expériences mentales subjectives indivi-
duelles dans le monde et la connaissance du statut du monde tel qu’il existe
en fait. La santé mentale est la faculté de répondre aux exigences du monde
et de soi-même en les distinguant clairement. Il est donc évident que dans
la schizophrénie, c’est le moi qui est malade3. »
Selon la manière habituelle de comprendre, sont psychotiques ceux
qui échouent à distinguer adéquatement entre le réel et l’imaginaire,
du fait qu’ils traitent le monde de l’imaginaire comme s’il était réel.
Par exemple, dans le film Je ne t’ai jamais promis un jardin de roses4,
le personnage censé être schizophrène, Deborah, ne cesse d’apercevoir
dans son dos des hommes et des femmes de Neandertal qui hantent le
service où elle est hospitalisée. Bien qu’en réalité ils n’existent pas, pour
la patiente fictive du film, ces Néandertaliens hallucinatoires paraissent
aussi réels et aussi effrayants que possible.
Pareille conception du monde intérieur de la folie est généralement
acceptée tant en psychiatrie et en psychologie que par le grand public.
On suppose que, s’il y a bien des perturbations dans le contenu des
mondes des patients (ce qu’ils croient et perçoivent n’est ni réel ni
logique), la forme de ces mêmes mondes (la « structure globale » ou le
« sentiment d’ensemble », ou la façon dont ils croient ce qu’ils croient)
est pour l’essentiel normale. En fait, on suppose que ces patients
croient au contenu de leur délire – du moins qu’ils veulent y croire – en
donnant à la réalité objective la même acception que celle que les gens
normaux attribuent aux faits de leurs univers effectifs et consensuels.
« Ce que sont, en toute objectivité, les délires et les hallucinations est
il n’y a pas de continuum, aucun glissement progressif de la présence à l’absence de l’épreuve
de réalité » : kernberg, 1975, p. 182.
3 . Federn, 1952, p. 240-241. Deux articles récents ont effectivement remis en question la
conception normative du délire : berrios, 1991, et M. sPitzer, 1990.
4 . [Ndt. I Never Promised You a Rose Garden, film d’Anthony Page, de 1977, tiré du roman
éponyme que Joanne Greenberg avait publié sous le pseudonyme de Hannah Green en 1964.]
Extrait du livre de Louis A. Sass :
LES PARADOXES DU DELIRE, SCHREBER; WITTGENSTEIN ET L'ESPRIT SCHIZOPHRENIQUE
Traduit de l'angalis par P.-H. Castel © Les Editionsd'Ithaque 2010.
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !