Fin de vie : des enjeux pour le système de santé

FIN(S) DE VIE ET SYSTEME DE SANTE | DES ENJEUX POUR LE SYSTEM DE SANTE
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Fin de vie : des enjeux pour le système de santé
Introduction
L’augmentation considérable de
l’espérance de vie des personnes at-
teintes d’une maladie grave, évolutive
et dont on sait qu’elles ne guériront
pas est une réalité nouvelle qui met
en évidence, comme le ferait un ins-
trument d’optique grossissant, l’une
des sources de la fragilité actuelle du
système de santé : l’insuffisante prise
en compte des conséquences induites
par les progrès dans le champ de la
santé (HCAAM, 2010).
En rendant incertaines les frontières
de la vie et en repoussant sans cesse
celles de la mort, la médecine mo-
derne a mis les professionnels de san-
et les patients face à des questions
jusqu’alors impensées : comment
prendre en charge et accompagner
une personne atteinte d’une maladie
cancéreuse ou d’une maladie neuro-
dégénérative évoluant depuis plu-
sieurs années ? Quelle place donner à
la parole des proches dans la prise de
décision de réanimer un patient très
âgé, malade d’un cancer bronchique
en phase avancée et victime d’un in-
farctus ? Comment accompagner les
équipes de néonatalogie dans la prise
en charge des grands-prématurés, ré-
animés et devenus autonomes sur le
plan respiratoire mais porteurs de lé-
sions neurologiques très graves ?
Ces problématiques, si elles ne sont
pas nouvelles, prennent, avec le vieil-
lissement démographique et avec les
progrès technologiques considérables
de ces dernières années, une impor-
tance accrue dans le système de san-
té. Sur la base des constats effectués
dans les chapitres précédents,
l’Observatoire livre ici quelques ré-
flexions sur les enjeux que soulève la
fin de vie dans le système de santé.
La problématique de la fin de vie est un enjeu qui, au-delà des struc-
tures de soins palliatifs, concerne l’ensemble du système de san
La fin de vie est un enjeu de santé
publique dans un pays la popula-
tion vieillit, les maladies graves
deviennent de plus en plus des mala-
dies chroniques, et la médecine dé-
ploie une technicité qui permet
d’allonger la vie, souvent sans empê-
cher in fine la dégradation de l’état de
santé des personnes. En France
comme dans d’autres pays dévelop-
pés, l'amélioration des conditions de
vie, le développement de l’hygiène
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Focus | La transition épidémiologique
Avant la transition épidémiologique, la mortalité était très élevée du fait des maladies
infectieuses et de carences dont l’impact était particulièrement fort aux premiers âges de
la vie. L’espérance de vie n’atteignait pas trente ans. La phase de « transition épidémio-
logique », qui donne son nom à ce modèle démographique, intervient à partir du 18ème
siècle en Europe.
Au cours d’un second stade, on assiste au lent déclin des maladies infectieuses létales. Le
régime de la mortalité se transforme : désormais ce sont des nouvelles maladies qui pro-
voquent la mort, et ce à un âge plus avancé. Entrent alors en scène, les cardiopathies, les
affections cérébro-vasculaires, les cancers, et toutes les maladies chroniques et dégénéra-
tives. De fait, l’espérance de vie progresse tandis que la mortalité infantile diminue.
Au cours de la troisième période, on observe une quasi-disparition des maladies infec-
tieuses et une augmentation des taux de mortalité due aux maladies chroniques létales,
tant à la fin de la vie adulte qu’au sein des populations les plus âgées. L’espérance de vie
augmente encore.
Aujourd’hui, la quatrième étape se caractérise par une relative maîtrise de la mortalité
due à plusieurs maladies chroniques (certains cancers, le diabète ou bien encore
l’insuffisance rénale). D’une certaine façon, il s’agit moins d’une éradication de ces patho-
logies, comme ce fut le cas des maladies infectieuses, que d’un « apprivoisement ». Nous
apprenons à vivre plus longtemps avec ces maladies et en mourrons plus tardivement.
publique et les fantastiques progrès
de la médecine ont conduit à une véri-
table "transition épidémiologique"
(Picheral, 1989).
Celle-ci se traduit par un passage
progressif d'une espérance de vie
courte, la mort est d'abord causée
par les maladies infectieuses et infan-
tiles, à une espérance de vie plus
longue dominée par d'autres types de
pathologies chroniques prédomi-
nantes avec l'avancée en âge.
Combiné à cette transition épidémio-
logique, le régime démographique de
l'après seconde guerre mondiale
(marqué par une très forte hausse
puis par une diminution des nais-
sances) entraîne aujourd'hui un vieil-
lissement significatif de la population
avec une augmentation du nombre et
de la proportion des personnes âgées
et très âgées.
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Or ce vieillissement s’accompagnera
inéluctablement dans les années qui
viennent d’une hausse d’une mortalité
dont les causes principales sont les
maladies chroniques, cancéreuses,
cardio-vasculaires, et dégénératives
comme on a pu le voir
dans la partie sur «
l’estimation de la po-
pulation requérante
en soins palliatifs ».
Combiné à ce proces-
sus continu de « chro-
nicisation » des mala-
dies graves, les pro-
grès obtenus dans le
champ de la médecine
transforment les con-
ditions de la fin de vie et engendrent
de nouvelles vulnérabilités et des si-
tuations cliniques mal connues : poly-
pathologies, maladies dégénératives à
des stades très avancés, etc.
La question de la fin de vie ne renvoie
alors pas seulement aux problèmes
de la mort imminente et aux causes
directes de décès. Elle concerne aussi
les conditions de vie dans des états
précaires et fragiles la guérison et
l’amélioration de l’état
fonctionnel ne sont
pas envisageables, et
ceci sans que la mort
soit toute proche. Ces
nouvelles formes de
vie nécessitent des ac-
commodements avec
la maladie grave et/ou
handicapante.
Ce qui engendre de
nouveaux types de dé-
cision pour les personnes qui y sont
confrontées : on pense ici notamment
aux décisions, toujours très difficiles,
de limitation ou arrêt des traitements
susceptibles de maintenir en vie
(chimiothérapies pour les cancers mé-
tastatiques), ou de suppléance vitale
(dialyse, nutrition artificielles…).
La prise en charge des personnes en fin de vie : une réalité à laquelle
tous les professionnels de santé doivent faire face
Les questions soulevées par la fin de
vie en France sont spécifiques mais
elles engagent la grande majorité des
acteurs quels que soient les pratiques,
les secteurs et les institutions dans
lesquels ils interviennent. Du fait de
la multiplicité des situations des per-
sonnes concernées, la fin de vie est
une problématique transversale qui
concerne le système de santé dans son
ensemble.
Les structures de soins palliatifs sont
pour faciliter le développement de
la démarche palliative dans tout le
Combiné à ce
processus continu de
«chronicisation » des
maladies graves, les
progrès obtenus dans le
champ de la médecine
transforment les condi-
tions de la fin de vie
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système sanitaire et médico-social et,
pour les unités de soins palliatifs pour
accueillir les situations les plus com-
plexes.
Depuis la fin des années 1980, cer-
tains professionnels de santé et ser-
vices de soins ont orienté leur activité
en direction spécifiquement aux soins
palliatifs. Toutefois, seuls 5% des dé-
cès hospitaliers ont lieu dans l’une
des 108 unités de soins palliatifs, et
10% dans l’un des 4800 lits identifiés
de soins palliatifs (LISP) (Comité Na-
tional de Développement des Soins
Palliatifs, 2011).
La grande majorité des fins de vie et
des décès se déroulent donc dans les
services hospitaliers non spécialisés
en soins palliatifs, dans les maisons
de retraites et au domicile.
On le voit, la prise en charge des per-
sonnes en fin de vie ne relève pas
loin s’en faut - d’un seul secteur du
système de santé : si les acteurs im-
pliqués dans le développement des
soins palliatifs jouent à l’évidence un
rôle très important dans
l’accompagnement des situations les
plus complexes et dans la diffusion
des repères cliniques et éthiques liés
à la fin de vie, les enjeux de la fin de
vie concernent tous les professionnels
confrontés à des patients atteints de
pathologies graves, aux personnes
âgées, et à l’expérience de la mort.
La plupart des spécialités médicales
sont concernées par la fin de vie et
par la mort. Les cancérologues, les
réanimateurs et les urgentistes, les
cardiologues et les internistes, les gé-
riatres et les neurologues sont, à
l’hôpital, les plus confrontés à ces
questions. L’enquête « Fin de vie en
France » menée par l’Ined montre
ainsi que 46% des cancérologues ont
certifié plus de 10 décès au cours des
trois mois précédent l’étude.
Les médecins généralistes sont éga-
lement amenés à accompagner des
patients en fin de vie, qu’ils soient
soignés à leur domicile, à l’hôpital, ou
en maison de retraite. Selon la litté-
rature existante, cette confrontation à
l’expérience de la mort est toutefois
beaucoup plus limitée qu’en milieu
hospitalier : les médecins généralistes
accompagnent, en moyenne, 3 à 4 pa-
tients en fin de vie chaque année.
Enfin, les professions paramédicales
(au premier rang desquelles les infir-
mières et les aides-soignantes) tra-
vaillent directement auprès de ces pa-
tients, quel que soit leur lieu de prise
en charge. L’expérience et le vécu de
ces professionnels est particulière-
La grande majorité des fins
de vie et des décès se dérou-
lent donc dans les services
hospitaliers non spécialisés
en soins palliatifs, dans les
maisons de retraites et au
domicile.
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ment riche : ils sont quotidiennement
confrontés aux difficultés cliniques,
éthiques, sociales ou encore familiales
que traversent ces personnes.
Un vécu riche, donc, mais pourtant
très peu exploré par les travaux de
recherche…
L’enjeu d’une acculturation de
tous les professionnels à la dé-
marche des soins palliatifs
Dans notre pays, pour permettre, con-
formément à la loi, un accès aux soins
palliatifs à « toute personne malade
dont l’état le requiert » (a.L1110-9 du
CSP), la politique de santé s’est em-
ployée à faciliter le développement
d’une expertise en soins palliatifs.
C’est l’objectif des différents plans de
santé publique depuis 1999 et en par-
ticulier du dernier Programme Natio-
nal de Développement des Soins Pal-
liatifs 2008-2012.
Plus fondamentalement, l’enjeu est de
permettre une « acculturation » de
tous les professionnels à la démarche
des soins palliatifs quelque soit le lieu
où est soigné le patient.
Cela est possible grâce à
l’intervention d’équipes transversales
(équipes mobiles et réseaux de soins
palliatifs) et à des dispositifs ad hoc
hors secteur spécialisés en soins pal-
liatifs (lits identifiés dans les services
hospitaliers), les unités de soins pal-
liatifs étant dédiées à s’occuper des
cas les plus complexes.
Une problématique bien plus
complexe qu’il n’y paraît
Bien au-delà de la prise en charge de
la douleur, les besoins des personnes
en fin de vie sont multiples et propres
à chaque situation. Il en résulte que
les réponses apportées par les profes-
sionnels sont nécessairement multi-
formes. Dès lors, la notion de « qualité
» des soins en fin de vie est difficile à
cerner.
Ainsi pour mieux comprendre les con-
ditions de la fin de vie, il est néces-
saire d’aller « voir de plus près » et de
ne pas restreindre l’analyse à des
données statistiques.
La fin de vie est une problématique
complexe, les besoins sont multiples
et les réponses multiformes. En
termes médicaux, la prise en charge
en fin de vie est souvent émaillée de
nombreux problèmes du fait de l'ag-
gravation de la maladie et de ses con-
séquences.
Les symptômes morbides et les effets
secondaires des traitements nécessi-
tent des adaptations thérapeutiques
afin d'assurer une sécurité clinique. Il
ne s’agit plus de maintenir l'état de
santé et la vie du patient mais d'anti-
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