Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés – 1re partie
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1217
priétés statiques de celui-ci entraînent par la suite une augmen-
tation de la fragilité de l’épithélium. Par conséquence, à ce sta-
de-là, de banales contraintes mécaniques physiologiques
s’exerçant sur la muqueuse, par exemple au cours de la mastica-
tion, suffisent pour briser l’intégrité de la muqueuse. Sur le plan
clinique, les premiers symptômes dans la muqueuse se manifes-
tent en général dans les 2 à 7 jours après le début de la chimio-
thérapie, sous la forme d’une réaction inflammatoire générali-
sée que le patient ressent le plus souvent comme des brûlures
(CARL 1993, PETERSON & D’AMBROSIO 1992).Au stade plus tardif,
on observe des ulcérations discrètes et une perte généralisée des
couches superficielles de la muqueuse; des symptômes qui per-
sistent tout au long de la chimiothérapie. Ces phénomènes sont
en général résumés sous le terme de «mucosite» (CARL 1986,
DREIZEN et coll. 1986).
En principe, les effets secondaires de la chimiothérapie touchent
à la même fréquence et à la même intensité les parties kératini-
sées et non kératinisées de la muqueuse. Selon DAHLLÖF et coll.
(1990), les endroits de prédilection pour des manifestations
buccales de type ulcération seraient les régions sublinguales et
vestibulaires des muqueuses buccales, ainsi que les commis-
sures des lèvres. Dans 29% des cas, on observe une atteinte gé-
néralisée touchant l’ensemble des muqueuses buccales. Les al-
térations des muqueuses et l’inflammation associée entraînent
dans la plupart des cas une limitation de l’hygiène bucco-den-
taire et des habitudes alimentaires du patient, deux conséquen-
ces qui ont tendance à aggraver encore davantage la situation
buccale (HAUSAMEN 1970). Dans la plupart des cas, la guérison
des lésions ou des ulcérations des muqueuses après la fin de la
chimiothérapie nécessite un délai de plusieurs semaines et son
évolution dépend dans une large mesure non seulement de la
sévérité des lésions mais également des infections secondaires
qui risquent de se manifester sur le fond des lésions (BARRETT et
coll. 1984).
Il semble que toutes les substances utilisées en chimiothérapie à
visée cytostatique ne provoquent pas des effets secondaires de
la même intensité dans la muqueuse buccale. Ainsi, des symp-
tômes particulièrement prononcés d’une mucosite associée au
traitement sont observés après l’administration de méthothre-
xate, de 5-fluoro-uracile, de doxorubicine, de daunorubicine et
de bléomycine (BOTTOMLEY et coll. 1977, HERZIG et coll. 1987). Il
est possible que le méthothrexate soit susceptible de provoquer
des effets délétères particulièrement importants sur les mu-
queuses buccales, du fait que cette substance n’est pas seule-
ment transportée sur le lieu d’action par voie sanguine, mais
qu’elle est également véhiculée et sécrétée à des concentrations
élevées dans la salive (OLIFF et coll. 1979). Dans de nombreux
cas, le moment de l’apparition des premiers symptômes cli-
niques consécutifs aux altérations de la muqueuse buccale coïn-
cide avec une phase de taux relativement faible de polynu-
cléaires neutrophiles dans le sang (LEGOTT 1990).
2.2 Glandes salivaires
Dans les glandes salivaires, les effets secondaires non désirables
de la chimiothérapie se manifestent le plus souvent par une dimi-
nution plus ou moins importante du flux salivaire (BOTTOMLEY
et coll. 1977). Parmi les causes de la survenue d’une xérostomie,
LOCKHART & SONIS (1981) évoquent notamment des modifica-
tions dégénératives des acinus glandulaires, de même que de
certaines parties des canaux excréteurs des glandes salivaires.
Certaines substances cytostatiques semblent influencer dans
une moindre mesure le volume absolu de sécrétion de la salive;
elles modifient plutôt les propriétés chimiques de la salive, par
exemple le pouvoir tampon de celle-ci (CARL 1993, SCHUM et al.
1979). De cette altération de composition de la salive, il serait
possible de conclure, à l’instar de la situation en cas de xérosto-
mie postactinique, à un risque accru de la survenue de lésions
carieuses, caries qu’il conviendrait dès lors d’intituler «chimio-
carie» (CARL 1993).Toutefois, l’augmentation de ce risque ne re-
vêt qu’un caractère temporaire, étant donné que jusqu’à présent,
la littérature ne fait état d’aucune lésion irréversible des glandes
salivaires consécutive à une chimiothérapie à visée cytostatique.
En outre, on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas
plutôt le relâchement des efforts d’hygiène buccale en raison des
effets secondaires pénibles de la chimiothérapie qui serait à l’ori-
gine de l’activité carieuse chez ces patients.Toutefois, force est de
constater qu’en principe, il y a la possibilité d’une atteinte primi-
tive des glandes salivaires dans différentes affections, du moins
en cas de maladies malignes du système lymphatique, par
exemple dans le cadre d’un syndrome de Mikulicz, sous la forme
d’infiltrats cellulaires et d’une limitation consécutive de la fonc-
tion (LENNERT 1990).
Il est important de relever que pour les traitements associant
une chimiothérapie et une radiothérapie, il n’y a en général pas
à craindre un effet cumulatif des effets secondaires au plan buc-
cal (ARCHIBALD et coll. 1986).
2.3 Symptômes buccaux de la myélosuppression
Outre les conséquences directes sur les différents comparti-
ments tissulaires de la sphère buccale, la chimiothérapie pro-
voque certains effets indirects dans la cavité buccale, via les ré-
percussions sur le système myélopoïétique.Ainsi, l’inhibition de
la synthèse des cellules du système immunitaire, telle qu’elle est
associée à la chimiothérapie, entraîne une réduction de la com-
pétence immunologique générale, un phénomène qui se reflète
entre autres par une susceptibilité accrue aux infections locales
(LAINE et coll. 1992). Les effets hématologiques de la myélosup-
pression provoquée par les cytostatiques utilisées dans la chi-
miothérapie en cas de leucémie sont par la force des choses plus
importants encore, raison pour laquelle ces substances ont des
effets – souhaités et non souhaités – nettement plus agressifs
par rapport aux autres cytostatiques (DREIZEN et coll. 1986).
La thrombocytopénie résultant des effets de la suppression du
système myélopoïétique exercés par les cytostatiques entraîne
une susceptibilité accrue, mais transitoire, aux saignements;
dans le domaine de la cavité buccale, cette tendance se manifes-
te entre autres par la survenue de foyers hémorragiques sous-
muqueux, sous forme de pétéchies ou d’ecchymoses (FERGUSON
et coll. 1978). A partir d’un taux de thrombocytes inférieur à
60 000/microlitre, le risque d’hémorragies spontanées dans la
cavité buccale s’accroît considérablement, cet effet pouvant être
utilisé pour estimer approximativement le degré de la myélo-
suppression du moment (LYNCH & SHIP 1967). Toutefois, le
risque de saignements spontanés n’est pas uniquement tribu-
taire du nombre absolu de thrombocytes, mais il semble qu’il
soit plutôt fonction de la proportion relative de thrombocytes
jeunes (SHULMAN et coll. 1968). Outre la diminution du nombre
absolu de thrombocytes, d’autres modifications ultrastructu-
relles des plaquettes, consécutives à la maladie de base, sont in-
criminées comme étant responsables de la susceptibilité accrue
aux hémorragies (MCGAW & BELCH 1985). Au delà de ces consi-
dérations hématologiques, des lésions affectant le système gas-
tro-intestinal et hépatique induites par le traitement peuvent
contribuer aux vices de la coagulation, en raison de la réduction
de l’absorption des vitamines liposolubles et des troubles de la
synthèse des facteurs de coagulation du complexe de la pro-