Pratique quotidienne · formation complémentaire Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés re – 1 partie Maladies hématologiques, chimiothérapie et greffes de moelle osseuse, ainsi que transplantations d’organes Dans le traitement des tumeurs malignes, des maladies hématologiques et des lymphomes, la chimiothérapie à visée cytostatique, de même que les greffes de cellules souches et de moelle osseuse, revêtent une importance centrale. En raison des effets myélosuppresseurs associées, ces types de traitement s’accompagnent d’une inhibition significative des capacités de la défense immunitaire propre de l’organisme. Dans ces conditions, les foyers infectieux chroniques de la sphère bucco-dentaire sont susceptibles de subir des exacerbations aiguës et d’être à l’origine d’une dissémination quasi illimitée de l’infection dans l’organisme du patient. Des conditions similaires se rencontrent également après des transplantations d’organes, du fait que le système immunitaire des patients doit être supprimé à vie par des médicaments appropriés, afin de juguler les réactions de rejet. Matthias Folwaczny, Reinhard Hickel Policlinique de restaurations dentaires et de parodontologie, Université Ludwig-Maximilian, Munich Mots clés: Néoplasies malignes, leucémie, lymphome, santé buccale, infection, prévention Source: Publication de la DZZ Adresse pour la correspondance: Dr Matthias Folwaczny Poliklinik für Zahnerhaltung und Parodontologie Ludwig-Maximilians-Universität München Goethestrasse 70, D-80336 München Tél. +49 89 5160 3134, fax +49 89 5160 5344 E-mail [email protected] Traduction française de Thomas Vauthier (Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 1201) A Affections hématologiques malignes: chimiothérapie, greffes de cellules souches et de moelle osseuse 1 Généralités Dans le traitement des tumeurs malignes et des lymphomes, ainsi que des leucémies, la chimiothérapie par des substances cytostatiques puissantes – que ce soit en monothérapie ou en association avec une ablation de la tumeur primitive et/ou une radiothérapie –, est une routine en clinique depuis quelque 30 ans (BLAHA & REEVE 1994). Toutefois, il convient d’admettre que les effets antiprolifératifs de la plupart des substances cytostatiques se caractérisent par un manque de sélec- tivité, qui est confinée aux seules cellules malignes (DAHLLÖF et coll. 1994). De ce fait, des compartiments tissulaires sains, en particulier la Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 1215 Pratique quotidienne · formation complémentaire moelle osseuse ou les muqueuses du tractus gastro-intestinal, sont en règle générale affectés dans leur fonction physiologique par les effets cytotoxiques de la chimiothérapie (LOCKHART & SONIS 1979). Selon CARL (1993) et SONIS & KUNZ (1988), quelque 40 à 50% des patients devant subir une chimiothérapie sont atteints de complications buccales au cours du traitement. Dans la cavité buccale, ce sont notamment les muqueuses qui sont alors affectées (TOTH et coll. 1990). Il en résulte, d’une part, une diminution significative de la résistance de la muqueuse buccale et une réduction locale et systémique des capacités immunologiques, entraînant d’autre part une susceptibilité accrue aux infections; par la suite, ces deux phénomènes ont tendance à se renforcer mutuellement. Il en résulte un risque non calculable d’infections sévères, tant locales que systémiques, ayant comme origine des portes d’entrée dans la sphère buccale (MCELROY 1984). Contrairement aux protocoles thérapeutiques habituels dans les leucémies aiguës et chroniques, le traitement des récidives de leucémies ou le maintien d’une rémission durable peut également être réalisé par le remplacement complet du système hématopoïétique par le recours à ce qui est connu sous le terme de greffe autologue de cellules souches ou par une greffe de cellules d’un donneur allogénique (DAHLLHÖF et coll. 1988b). La transplantation de cellules souches autologues peut en outre représenter une alternative thérapeutique pour les patients atteints d’un lymphome malin ou d’une tumeur solide métastatique (THOMAS et coll. 1975). Finalement, la greffe de moelle osseuse allogénique est indiquée dans de nombreux cas de déficits immunitaires systémiques ou d’anémie aplasique (BORTIN & RIMM 1977, CAMITTA et coll. 1982). En raison de la perte temporaire de toute compétence immunologique, caractéristique de ce type de traitement, les patients ayant subi une greffe de moelle osseuse – indépendamment du fait qu’il se soit agi de la transplantation de cellules autologues ou allogéniques – représentent sans soute le défi le plus exigeant concernant la prophylaxie des infections d’origine bactérienne, étant donné qu’une infection bucco-dentaire banale peut constituer un risque mettant en danger le pronostic vital du patient (HEIMDAHL et coll. 1989, WILLIFORD et coll. 1989). Les effets secondaires de l’association d’une radiothérapie par irradiation de la surface corporelle totale et d’une chimiothérapie myéloablative et, d’un autre côté, la «graft-versus-host-disease» (GvHD, ou «maladie du greffon contre l’hôte»), fréquente en cas de transplantations allogéniques de moelle osseuse, peuvent induire un grand nombre de symptômes buccaux (SETO et coll. 1985). Du fait que les effets secondaires au plan buccal, de même que les infections concomitantes soient dans bien des cas un facteur qui limite la puissance du traitement antitumoral (FERRETTI et coll. 1990), alors qu’il est sans autre possible d’y remédier rapidement par des mesures relativement simples d’hygiène (HICKEY et coll. 1982), la présente contribution a comme objectif de passer en revue un résumé des conséquences les plus importantes au plan buccal de la chimiothérapie à visée cytostatique ainsi que celles des greffes de cellules souches. Seront en outre évoquées les possibilités thérapeutiques et prophylactiques actuellement disponibles pour le traitement des complications buccales associées aux chimiothérapies. Finalement, ce travail souhaite présenter un certain nombre de critères relatifs à l’assainissement préthérapeutique adéquat de la cavité buccale, à l’aide d’une revue des cas documentés dans la littérature. 1216 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 2 Effets secondaires, au plan buccal, de la chimiothérapie à visée cytostatique 2.1 Muqueuses Dans la région de la cavité buccale, des effets secondaires locaux d’une chimiothérapie peuvent s’observer surtout dans la muqueuse (BARRETT 1987, EPSTEIN & GANGBAR 1987), ainsi que dans les glandes salivaires (MAIN et coll. 1984) (tab. I). A l’instar des modifications survenant en cas de mucosite postactinique, la régénération de l’épithélium de la muqueuse est d’une part ralentie par la chimiothérapie, un phénomène qui entraîne un amincissement de l’épithélium épidermoïde en raison de la desquamation des couches cellulaires en surface (KOLBINSON et coll. 1988). Outre la réduction du taux de réplication, GUGGENHEIMER et coll. (1977) ont évoqué un autre mécanisme, à savoir la destruction des structures de la trame intercellulaire de soutien, telles que les desmosomes, par exemple, qui assurent la résistance mécanique de l’épithélium. Tant la réduction de l’épaisseur de l’épithélium que l’affaiblissement des pro- Tab. I Symptômes et causes des effets secondaires typiques, au plan buccal, d’une chimiothérapie à visée cytostatique. Symptôme Pathogenèse et conséquences cliniques Mucosite buccale généralisée ➱ répercussions cytostatiques de la chimiothérapie sur la muqueuse buccale à taux mitotique élevé ➱ affaiblissement des propriétés statiques de l’épithélium par la diminution de l’épaisseur épithéliale et par la destruction des zones de contact intercellulaires (desmosomes) ➱ colonisation/prolifération de souches de germes nosocomiaux endogènes et exogènes ➱ disponibilité réduite de vitamine A ➱ diminution du nombre de thrombocytes circulants en tant que conséquence des effets myélosuppresseurs de la chimiothérapie ➱ fragilité accrue des muqueuses en regard de traumatismes, concomitante à une augmentation générale de l’activité inflammatoire de la cavité buccale ➱ perturbation de la synthèse des facteurs de coagulation du complexe de la prothrombine dépendants de la vitamine K en raison des troubles de résorption au niveau intestinal ➱ coagulopathie de consommation en raison de l’apoptose cellulaire massive ➱ diminution du flux salivaire par une chimiothérapie moyennant des substances ayant une composante anticholinergique ➱ infiltration de la glande salivaire en raison d’une maladie hématologique maligne ➱ dégénération des acinus glandulaires et des canaux excréteurs ➱ diminution de la concentration des enzymes salivaires et des IgA ➱ diminution du pouvoir tampon Augmentation de la tendance aux hémorragies Modifications qualitatives et quantitatives du flux salivaire A s p e c t s d e l a p r i s e e n c h a r g e m é d i c o - d e n t a i r e d e s p a t i e n t s i m m u n o s u p p r i m é s – 1 re p a r t i e priétés statiques de celui-ci entraînent par la suite une augmentation de la fragilité de l’épithélium. Par conséquence, à ce stade-là, de banales contraintes mécaniques physiologiques s’exerçant sur la muqueuse, par exemple au cours de la mastication, suffisent pour briser l’intégrité de la muqueuse. Sur le plan clinique, les premiers symptômes dans la muqueuse se manifestent en général dans les 2 à 7 jours après le début de la chimiothérapie, sous la forme d’une réaction inflammatoire généralisée que le patient ressent le plus souvent comme des brûlures (CARL 1993, PETERSON & D’AMBROSIO 1992). Au stade plus tardif, on observe des ulcérations discrètes et une perte généralisée des couches superficielles de la muqueuse; des symptômes qui persistent tout au long de la chimiothérapie. Ces phénomènes sont en général résumés sous le terme de «mucosite» (CARL 1986, DREIZEN et coll. 1986). En principe, les effets secondaires de la chimiothérapie touchent à la même fréquence et à la même intensité les parties kératinisées et non kératinisées de la muqueuse. Selon DAHLLÖF et coll. (1990), les endroits de prédilection pour des manifestations buccales de type ulcération seraient les régions sublinguales et vestibulaires des muqueuses buccales, ainsi que les commissures des lèvres. Dans 29% des cas, on observe une atteinte généralisée touchant l’ensemble des muqueuses buccales. Les altérations des muqueuses et l’inflammation associée entraînent dans la plupart des cas une limitation de l’hygiène bucco-dentaire et des habitudes alimentaires du patient, deux conséquences qui ont tendance à aggraver encore davantage la situation buccale (HAUSAMEN 1970). Dans la plupart des cas, la guérison des lésions ou des ulcérations des muqueuses après la fin de la chimiothérapie nécessite un délai de plusieurs semaines et son évolution dépend dans une large mesure non seulement de la sévérité des lésions mais également des infections secondaires qui risquent de se manifester sur le fond des lésions (BARRETT et coll. 1984). Il semble que toutes les substances utilisées en chimiothérapie à visée cytostatique ne provoquent pas des effets secondaires de la même intensité dans la muqueuse buccale. Ainsi, des symptômes particulièrement prononcés d’une mucosite associée au traitement sont observés après l’administration de méthothrexate, de 5-fluoro-uracile, de doxorubicine, de daunorubicine et de bléomycine (BOTTOMLEY et coll. 1977, HERZIG et coll. 1987). Il est possible que le méthothrexate soit susceptible de provoquer des effets délétères particulièrement importants sur les muqueuses buccales, du fait que cette substance n’est pas seulement transportée sur le lieu d’action par voie sanguine, mais qu’elle est également véhiculée et sécrétée à des concentrations élevées dans la salive (OLIFF et coll. 1979). Dans de nombreux cas, le moment de l’apparition des premiers symptômes cliniques consécutifs aux altérations de la muqueuse buccale coïncide avec une phase de taux relativement faible de polynucléaires neutrophiles dans le sang (LEGOTT 1990). 2.2 Glandes salivaires Dans les glandes salivaires, les effets secondaires non désirables de la chimiothérapie se manifestent le plus souvent par une diminution plus ou moins importante du flux salivaire (BOTTOMLEY et coll. 1977). Parmi les causes de la survenue d’une xérostomie, LOCKHART & SONIS (1981) évoquent notamment des modifications dégénératives des acinus glandulaires, de même que de certaines parties des canaux excréteurs des glandes salivaires. Certaines substances cytostatiques semblent influencer dans une moindre mesure le volume absolu de sécrétion de la salive; elles modifient plutôt les propriétés chimiques de la salive, par exemple le pouvoir tampon de celle-ci (CARL 1993, SCHUM et al. 1979). De cette altération de composition de la salive, il serait possible de conclure, à l’instar de la situation en cas de xérostomie postactinique, à un risque accru de la survenue de lésions carieuses, caries qu’il conviendrait dès lors d’intituler «chimiocarie» (CARL 1993). Toutefois, l’augmentation de ce risque ne revêt qu’un caractère temporaire, étant donné que jusqu’à présent, la littérature ne fait état d’aucune lésion irréversible des glandes salivaires consécutive à une chimiothérapie à visée cytostatique. En outre, on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas plutôt le relâchement des efforts d’hygiène buccale en raison des effets secondaires pénibles de la chimiothérapie qui serait à l’origine de l’activité carieuse chez ces patients.Toutefois, force est de constater qu’en principe, il y a la possibilité d’une atteinte primitive des glandes salivaires dans différentes affections, du moins en cas de maladies malignes du système lymphatique, par exemple dans le cadre d’un syndrome de Mikulicz, sous la forme d’infiltrats cellulaires et d’une limitation consécutive de la fonction (LENNERT 1990). Il est important de relever que pour les traitements associant une chimiothérapie et une radiothérapie, il n’y a en général pas à craindre un effet cumulatif des effets secondaires au plan buccal (ARCHIBALD et coll. 1986). 2.3 Symptômes buccaux de la myélosuppression Outre les conséquences directes sur les différents compartiments tissulaires de la sphère buccale, la chimiothérapie provoque certains effets indirects dans la cavité buccale, via les répercussions sur le système myélopoïétique. Ainsi, l’inhibition de la synthèse des cellules du système immunitaire, telle qu’elle est associée à la chimiothérapie, entraîne une réduction de la compétence immunologique générale, un phénomène qui se reflète entre autres par une susceptibilité accrue aux infections locales (LAINE et coll. 1992). Les effets hématologiques de la myélosuppression provoquée par les cytostatiques utilisées dans la chimiothérapie en cas de leucémie sont par la force des choses plus importants encore, raison pour laquelle ces substances ont des effets – souhaités et non souhaités – nettement plus agressifs par rapport aux autres cytostatiques (DREIZEN et coll. 1986). La thrombocytopénie résultant des effets de la suppression du système myélopoïétique exercés par les cytostatiques entraîne une susceptibilité accrue, mais transitoire, aux saignements; dans le domaine de la cavité buccale, cette tendance se manifeste entre autres par la survenue de foyers hémorragiques sousmuqueux, sous forme de pétéchies ou d’ecchymoses (FERGUSON et coll. 1978). A partir d’un taux de thrombocytes inférieur à 60 000/microlitre, le risque d’hémorragies spontanées dans la cavité buccale s’accroît considérablement, cet effet pouvant être utilisé pour estimer approximativement le degré de la myélosuppression du moment (LYNCH & SHIP 1967). Toutefois, le risque de saignements spontanés n’est pas uniquement tributaire du nombre absolu de thrombocytes, mais il semble qu’il soit plutôt fonction de la proportion relative de thrombocytes jeunes (SHULMAN et coll. 1968). Outre la diminution du nombre absolu de thrombocytes, d’autres modifications ultrastructurelles des plaquettes, consécutives à la maladie de base, sont incriminées comme étant responsables de la susceptibilité accrue aux hémorragies (MCGAW & BELCH 1985). Au delà de ces considérations hématologiques, des lésions affectant le système gastro-intestinal et hépatique induites par le traitement peuvent contribuer aux vices de la coagulation, en raison de la réduction de l’absorption des vitamines liposolubles et des troubles de la synthèse des facteurs de coagulation du complexe de la pro- Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1217 Pratique quotidienne · formation complémentaire thrombine, dépendants de la vitamine K (MCGAW & MAIN 1983). Finalement, la destruction massive de cellules, résultant de la chimiothérapie, provoque la libération non contrôlée d’un grand nombre de substances de dégradation et de médiateurs cellulaires métaboliquement actifs, dont une partie contribue à augmenter encore la diathèse hémorragique. Répercussion immédiate, la tendance aux saignements s’accroît davantage dans le cadre de la coagulopathie de consommation qui se manifeste en tant que conséquence des phénomènes évoqués précédemment (DREIZEN et coll. 1975, GOEPFERT & TOTH 1979). Parmi les facteurs prédisposants au plan local, il convient d’évoquer la xérostomie, souvent observée, les lésions de la muqueuse en raison du traitement, ainsi que les parodontopathies marginales préexistantes, qui peuvent favoriser la survenue d’hémorragies spontanées dans la sphère buccale (LOCKHART & SONIS 1979). 3 Greffes de moelle osseuse 3.1 Généralités Lors de la préparation en vue d’une transplantation de moelle osseuse, il faut dans la plupart des cas détruire au préalable l’ensemble des cellules souches du système hématopoïétique présentes dans la moelle osseuse du patient; cette étape initiale est réalisée par une radiothérapie et chimiothérapie combinée hautement agressive (THOMAS et coll. 1977). En cas de greffe de cellules souches autologues et de transplantation de moelle osseuse entre patients de la même fratrie, il est possible de renoncer à une radiothérapie préalable par irradiation du corps entier. En raison de l’élimination de la moelle osseuse naturelle, le patient perd temporairement toute la protection par son propre système immunitaire. En outre, l’érythro- et la thombocytopoïèse sont également inhibées de façon complète durant cette phase. Il s’ensuit que pendant cette étape particulièrement vulnérable du traitement, la moindre infection par des germes banals, normalement non pathogènes ou facultativement pathogènes, par exemple ceux de la flore bactérienne naturelle du tractus gastro-intestinal ou des voies aériennes, peut être à l’origine d’une dissémination non contrôlée de micro-organismes dans l’organisme du patient (COHEN et coll. 1983, SOLBERG et coll. 1979). A partir d’un taux de polynucléaires neutrophiles (PMN) inférieur à 1000/µl, le risque d’une infection systémique augmente significativement (OTIS et coll. 1985). Lorsque le taux des PMN est inférieur à 1000/µl, il est fréquent d’observer chez ces patients la survenue d’états septiques gravissimes, qui s’installent en quelques jours (NAUSEEF et coll. 1981). Une substitution provisoire des fonctions des cellules de la lignée blanche n’est possible qu’à condition de respecter des conditions de stérilité absolue, ainsi qu’en ayant recours, selon les besoins, à des médicaments antibactériens, antifongiques et antiviraux (OTIS & TEREZHALMY 1985). En règle générale, les conditions d’asepsie au cours du traitement clinique sont assurées d’une part par la prise en charge du patient dans une unité appelée stérile durant la phase critique de la pancytopénie absolue et, d’autre part, par une élimination la plus complète possible, dans la phase préthérapeutique, de la flore microbienne naturelle de l’organisme, en particulier celle du tractus gastro-intestinal, y compris celle de la cavité buccale et des téguments (GURWITH et colll. 1979). Il semblerait toutefois que dans ce contexte l’élimination, ou du moins la réduction, de la flore naturelle colonisant la cavité buccale, à l’aide de cures antibiotiques et de rinçages antibactériens, soit extrêmement peu efficace (BROWN et coll. 1990). D’une part, les substances actives utilisées pour la réduction des germes ne sont dans la plupart des cas pas efficaces contre toutes les 1218 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 souches du spectre microbien présent dans la sphère buccale (HEIMDAHL et coll. 1989). D’autre part, la cavité buccale se caractérise par la présence d’un grand nombre de niches de rétention et de compartiments, à l’instar des poches parodontales, qui réussissent à se soustraire à l’action tant systémique que locale des substances antimicrobiennes (Lasser et coll. 1977). A ce propos, certains auteurs ont proposé un assainissement préthérapeutique du tractus gastro-intestinal et de la sphère oro-pharyngée par une antibiothérapie fondée sur la réalisation d’un antibiogramme individuel de la flore microbienne existante (OTIS & TEREZHALMY 1985). Contrairement à la situation des leucocytes, il est possible de procéder à une substitution efficace des cellules de la lignée rouge, y compris des thrombocytes, par des transfusions de préparations concentrées de cellules sanguines durant cette phase du traitement qui dure en règle générale entre 30 et 120 jours. 3.2 Effets secondaires, au plan buccal, de la transplantation de cellules souches 3.2.1 Effets secondaires du traitement de conditionnement Les effets secondaires les plus fréquents dans la zone buccale d’une greffe de cellules souches sont dans une large mesure identiques aux effets secondaires non désirés observés lors des traitements cytostatiques conventionnels mis en œuvre dans les maladies hématologiques; en l’occurrence ces effets sont toutefois, dans la majorité des cas, bien plus prononcés sur le plan clinique (WEISDORF et coll. 1989) (tab. II). En règle générale, avant une greffe autologue de moelle osseuse, les patients doivent se soumettre à une radiothérapie par irradiation totale, d’une dose totale de 10 à 12 Gray; cette radiothérapie peut entraîner des complications buccales particulières (THOMAS et coll. 1975). L’exposition des glandes salivaires aux rayons ionisants a comme conséquence une augmentation de la viscosité de la salive et une réduction significative du flux salivaire (BERKOWITZ et coll. 1983). A l’instar des conséquences observées suite à l’exposition des glandes salivaires principales aux rayons ionisants lors des radiothérapies de tumeurs malignes de la sphère cervico-faciale, la radiothérapie par irradiation totale de la phase de conditionnement avant une greffe de moelle osseuse provoque également une réduction considérable du flux salivaire, de plus de la moitié (CHAUSU et coll. 1995, HEIMDAHL et coll. 1985). Toutefois, la xérostomie temporaire après une irradiation totale est en règle générale réversible (JONES et coll. 1992). Jusqu’à présent, la littérature ne fait pas état de données précises relatives aux répercussions directes des rayons ionisants sur les tissus dentaires durs après des radiothérapies d’une dose totale de 10 à 12 Gray. A titre d’exemple, HANDTMANN et coll. (1990) ont rapporté un cas de destruction massive des tissus dentaires durs survenue après une greffe de moelle osseuse; ces Tab. II Effets secondaires typiques après une greffe de moelle osseuse allogénique. Effets secondaires, au plan buccal, des transplantations de moelle osseuse ➱ Mucosite ➱ Augmentation de la tendance aux hémorragies et de la susceptibilité aux infections ➱ Diminution du flux salivaire ➱ Parotidite ➱ Troubles du sens gustatif ➱ GvHD (maladie du greffon contre l’hôte) ➱ Hyperplasie de la gencive marginale (ciclosporine A) A s p e c t s d e l a p r i s e e n c h a r g e m é d i c o - d e n t a i r e d e s p a t i e n t s i m m u n o s u p p r i m é s – 1 re p a r t i e auteurs supposent que la destruction a pu être provoquée par des effets directs des rayons ionisants sur les dents. Plusieurs autres auteurs ont attiré l’attention sur une prévalence significativement plus importante de lésions carieuses affectant les dents de patients ayant subi des greffes de moelle osseuse (PAJARI et coll. 1995). En tant que causes possibles de la progression rapide des lésions carieuses chez les patients au cours d’une transplantation de moelle osseuse, peuvent entrer en considération au premier plan la xérostomie temporaire induite par le traitement, ainsi que les modifications des habitudes alimentaires qui en découlent, mises à part les possibilités sérieusement limitées d’hygiène bucco-dentaire pendant les longues phases du traitement, qui peuvent durer jusqu’à trois mois (HEIMDAHL et coll. 1985, OKAMOTO et coll. 1989). Des conséquences particulières du traitement de conditionnement peuvent être observées chez les enfants, du fait que tant le développement des dents que la croissance osseuse de la face sont susceptibles d’être affectés sévèrement et perturbés durablement par une chimiothérapie et/ou une radiothérapie de la sphère oro-maxillo-faciale (JAFFE et coll. 1984, Sonis et coll. 1990). L’exposition du système nerveux central aux rayons ionisants peut entraîner, notamment chez des patients ayant été âgés de moins de cinq ans au moment du traitement, des troubles du développement particulièrement importants des dents, tels que par exemple des déformations radiculaires, des aplasies amélaires et une microdontie (DAHLLÖF et coll. 1988a, NÄSMAN et coll. 1997). Les cytostatiques semblent induire notamment des troubles de la minéralisation de l’émail et de la dentine, et dans une moindre mesure des déformations des racines (PAJARI et coll. 1988, ROSENBERG et coll. 1987). Il semblerait en particulier que la vincristine provoquerait une inhibition de la sécrétion des odontoblastes, par le blocage de la microtubuline cytokinétique. 3.2.2 Manifestations buccales de la «maladie du greffon contre l’hôte» En tant que conséquence particulière après une greffe de moelle osseuse, les muqueuses et les glandes salivaires peuvent en outre être touchées par une «graft versus host disease» (GvHD, ou «maladie du greffon contre l’hôte») au cours de la phase après la transplantation. Il s’agit d’une réaction immunologique provoquée par des cellules formées par la moelle osseuse greffée; elle est déclenchée par des antigènes cellulaires du receveur (CARL & HIGBY 1985). On distingue en général une forme aiguë et une forme chronique de GvHD, la forme chronique survenant à une fréquence au-dessus de la moyenne chez les patients âgés (WIESNER 1995). Les symptômes cliniques se manifestent non seulement dans les muqueuses du tractus gastro-intestinal, mais également dans les téguments, le foie, la musculature, les conjonctives des yeux, ainsi que les glandes salivaires et lacrymales exocrines (ARMITAGE 1994, DEEG & STORB 1986). Des symptômes d’une GvHD surviennent chez près de 50 pour cent des patients ayant subi une greffe autologue de moelle osseuse; dans la quasi-totalité de ces cas, les tissus buccaux sont également impliqués (SCHUBERT et coll. 1984). Les lésions des muqueuses provoquées par la GvHD ne se distinguent pas, au plan clinique, des modifications survenues au cours de la transplantation; elles peuvent se manifester sous la forme de desquamations de zones relativement étendues des muqueuses, qui peuvent avoir comme conséquence la formation d’ulcérations qui sont souvent persistantes (NIKOSKELAINEN 1990). Dans la forme chronique de la GvHD, on peut en outre observer dans certains cas une atrophie généralisée et des modifications lichénoïdes dans la muqueuse (BARETT & BILOUIS 1984). Dans le but d’éviter la survenue de réactions de type GvHD, qui sont susceptibles de mettre sensiblement en péril le succès thérapeutique d’une greffe de moelle osseuse au long cours, les patients reçoivent en règle générale un traitement prophylactique combiné après la transplantation. En général, le traitement se compose de ciclosporine A, un immunosuppresseur très efficace, et de méthotrexate, un cytostatique puissant. Conséquences: alors que le méthotrexate provoque une exacerbation des altérations déjà existantes des muqueuses, la ciclosporine A stimule en outre la prolifération non contrôlée de la gencive marginale (THOMASON et coll. 1993). Il est possible que l’expression de la GvHD soit également déclenchée par certains processus inflammatoires chroniques. Ainsi, SHAPIRA et coll. (1996) ont rapporté la survenue d’un épisode aigu de GvHD chez un nourrisson âgé de cinq mois; la réaction était apparemment causée par la percée des premières incisives de lait dans le maxillaire supérieur. Les auteurs ont suggéré l’existence d’un renforcement des réactions immunologiques autoagressives consécutives à l’inflammation de la muqueuse buccale concomitante à la percée des dents. Il se pourrait, par conséquent, que la production plus importante d’interleukine-1 (IL-1), un médiateur cellulaire, dans les tissus enflammés, la stimulation de l’IL-1 serait due à la péricoronarite, et serait un facteur déclenchant la GvHD. De même, CURTIS & CAUGHMAN (1994) ont également rapporté un cas de GvHD chronique persistante pour lequel l’état bucco-dentaire extrêmement défavorable suite au traitement était évoqué non seulement en tant que facteur causal possible mais aussi de persistance de l’affection. 4 Prise en charge médico-dentaire des patients avant une chimiothérapie à visée cytostatique ainsi qu’avant les greffes de cellules souches ou de moelle osseuse 4.1 Examens préthérapeutiques Avant les chimiothérapies à doses élevées, et a fortiori avant toute greffe de moelle osseuse, il convient de procéder par principe à l’élimination de tous (si possible) les foyers infectieux buccaux qui risqueraient d’être à l’origine de complications aiguës pendant la phase de la suppression relative ou complète des fonctions de la lignée blanche (GREENBERG et coll. 1982, PETERSON et coll. 1987) (tab. III). En outre, compte tenu de la suppression immunitaire générale, l’élimination des niches de rétention dans la cavité buccale, susceptibles de causer des rétentions de germes pathogènes est au premier plan chez ces patients. En effet, comme évoqué précédemment, de telles zones ont tendance à se soustraire aux efforts de désinfection et même aux effets antimicrobiens de la cure préthérapeutique par des antibiotiques (MCELROY 1984). 4.1.1 Parodontologie Le parodonte marginal revêt une importance particulière en tant que porte d’entrée potentielle d’infections, notamment dans des cas de maladies hématologiques ou lymphatiques malignes. Ce rôle est corroboré par des observations de patients souffrant de leucémie myéloïde aiguë, chez lesquels le parodonte marginal a été le point de départ buccal le plus fréquent de crises septiques (PETERSON & OVERHOLSER 1981). Dans une étude transversale comparative réalisée sur des patients leucémiques, les auteurs ont observé le nombre le plus élevée d’exacerbations aiguës de la parodontite chronique dans le groupe Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1219 Pratique quotidienne · formation complémentaire Tab. III Résumé des indications pour un assainissement médico-dentaire de la cavité buccale avant les chimiothérapies des tumeurs malignes et des affections hématologiques malignes, ainsi qu’avant les greffes de cellules souches ou de moelle osseuse. Indications pour un traitement dentaire dans le cadre d’une chimiothérapie, d’une greffe autologue de cellules souches ou d’une transplantation allogénique de moelle osseuse Spécialité Diagnostic Traitement Endodontie Dent non vitale (sans TR). PMN > 1000/µl durant les 7 jours consécutifs à la fin prévue du TR Traitement endodontique conventionnel, le cas échéant sous couverture antibiotique Dent non vitale (sans TR). PMN < 1000/µl durant les 7 jours consécutifs à la fin prévue du TR Trépanation et instrumentation mécanique, ainsi que nettoyage chimique, suivies de la mise en place d’un pansement médicamenteux et d’une obturation étanche de la cavité d’accès (p.ex. par du composite) Dent non vitale (sans TR). Foyer radiologique étendu Avulsion, au moins 7 jours avant le début de la chimiothérapie ou symptômes cliniques (même pendant le traitement endodontique Dent non vitale (avec TR). Obturation endodontique complète ou incomplète, pas de signes cliniques ni radiologiques de pathologie apicale Pas de traitement spécifique pour le moment Dent non vitale (avec TR). Obturation endodontique complète ou incomplète, présence de signes cliniques et/ou radiologiques de pathologie apicale Avulsion, au moins 7 jours avant le début de la chimiothérapie Dent vivante avec indication à un traitement endodontique (avec ou sans symptômes cliniques). PMN > 1000/µl durant les 7 jours consécutifs à la fin prévue du TR Traitement endodontique conventionnel Dent vivante avec indication à un traitement endodontique (avec ou sans symptômes cliniques). PMN < 1000/µl durant les 7 jours consécutifs à la fin prévue du TR Extirpation de la pulpe vivante, instrumentation mécanique, ainsi que nettoyage chimique, suivies de la mise en place d’un pansement médicamenteux et d’une obturation étanche de la cavité d’accès (p.ex. par du composite) Parodontologie Profondeur maximale au sondage des poches 5 mm, PMN > 1000/µl Cariologie Chirurgie Implantologie Pédodontie 1220 Elimination minutieuse et complète des dépôts sous-gingivaux (scaling et root planing) Profondeur maximale au sondage des poches 5 mm, PMN < 1000/µl Elimination minutieuse et complète des dépôts sous-gingivaux (scaling et root planing), sous couverture antibiotique systématique Profondeur des poches > 5 mm Avulsion Atteinte de furcation de degré I Elimination minutieuse et complète des dépôts sous-gingivaux (scaling et root planing), le cas échéant sous couverture antibiotique Atteinte de furcation de degré II ou III Avulsion Hygiène bucco-dentaire Evaluation, le cas échéant motivation et instruction sur les liens entre les effets secondaires buccaux et l’intensité de l’hygiène buccale Lésions carieuses (caries moyennes) Réalisation d’obturations, en fonction de l’état général du patient Lésions carieuses (caries profondes) Réalisation d’obturations, le cas échéant TR, au moins 7 jours avant le début de la chimiothérapie Dent semi-incluse ou enclavée Avulsion chirurgicale, au moins 7 jours avant le début de la chimiothérapie Dent complètement incluse Pas de traitement spécifique pour le moment Reste radiculaire (sans symptômes cliniques ou radiologiques d’inflammation) Pas de traitement spécifique pour le moment Reste radiculaire (avec symptômes cliniques ou radiologiques d’inflammation) Avulsion chirurgicale, au moins 7 jours avant le début de la chimiothérapie Crête osseuse sous-prothétique présentant des arrêtes vives Interdiction de porter la prothèse ou élimination des arrêtes vives/lissage du lit osseux Implant: absence de symptômes cliniques, absence de mobilité, sillon gingival marginal 3 mm Pas de traitement spécifique pour le moment Implant: présence de symptômes cliniques faibles à modérés, sillon gingival marginal 4 à 6 mm Nettoyage soigneux du col implantaire, en cas d’hygiène buccale insuffisante, le cas échéant prévoir l’avulsion Implant: présence de symptômes cliniques importants, sillon gingival marginal 7mm Avulsion de l’implant avant le début de la chimiothérapie Dent de lait avec exfoliation spontanée < 12 mois Avulsion Dent de lait avec exfoliation spontanée > 12 mois Pas de traitement spécifique pour le moment Dent de lait nécrosée Avulsion Carie profonde sur dent de lait, avec perforation dans la pulpe Avulsion Appareillages orthodontiques fixes Ablation de l’appareillage avant la chimiothérapie Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 A s p e c t s d e l a p r i s e e n c h a r g e m é d i c o - d e n t a i r e d e s p a t i e n t s i m m u n o s u p p r i m é s – 1 re p a r t i e présentant des destructions marginales au stade avancé, lequel avait été défini par la présence de profondeurs de sondage des poches dépassant 6 mm (OVERHOLSER et coll. 1982) (fig. 1). De même, PETERSON & OVERHOLSER (1979) ont rapporté le cas d’un patient souffrant d’une leucémie myéloïde aiguë qui avait été frappé par une septicémie ayant eu comme point de départ des lésions parodontales d’une profondeur entre 4 et 5 mm. Il est fréquent d’observer qu’en particulier chez de nombreux patients souffrant d’une leucémie myéloïde aiguë, les affections inflammatoires du parodonte marginal subissent des exacerbations supplémentaires en raison de l’hyperplasie de la gencive marginale causée par la maladie de base (fig. 2). Il est dès lors possible de déduire de façon directe de ces résultats l’exigence d’un assainissement suffisant, avant la chimiothérapie, des lésions parodontales marginales, soit par l’avulsion des dents concernées, soit, pour autant que ce soit possible, par un traitement parodontal conservateur. Outre la présence d’atteintes de furcations des dents pluriradiculaires, la profondeur de sondage du parodonte marginal se prête à titre d’évaluation approximative du degré de gravité des lésions parodontales. Dans ce contexte, plusieurs auteurs ont proposé en tant que seuil critique une profondeur au sondage de 6 mm (SIMON & ROBERTS 1991), respectivement de 7 mm (TOTH et coll. 1990). A partir de ce seuil, l’avulsion est en général indiquée dans le cadre de l’assainissement buccal préthérapeutique. En raison de l’importance fondamentale de l’obtention d’une situation exempte d’inflammation des structures parodontales marginales pour la prévention de complications buccales au cours de la chimiothérapie à doses élevées ou en cas d’une greffe de cellules souches, il convient en outre d’exiger l’élimination systématique et approfondie de tous les dépôts supra-gingivaux et sous-gingivaux sur toutes les autres dents naturelles présentes, notamment en cas d’une parodontopathie légère à modérée (CHILDERS et coll. 1993, PETERSON et coll. 1980). 4.1.2 Endodontie Il semblerait que les lésions carieuses profondes et les parodontites apicales chroniques soient, sur un plan général, plus rarement à l’origine d’une dissémination systémique d’infections odontogènes. A ce propos, HEIMDAHL et coll. (1989) ont rapporté quatre cas concernant des patients ayant présenté des lésions périapicales mises en évidence par des radiographies; ces foyers n’avaient plus pu être traités avant le début de la chimiothérapie, en raison d’un état général affaibli; toutefois, ces patients avaient bien survécu à la phase stérile de la transplantation de moelle osseuse, sans présenter aucune complication à partir de ces foyers. Toutefois, selon l’avis concordant de plusieurs auteurs, il convient de considérer toutes les dents qui ne réagissent pas au test de vitalité ou qui présentent des modifications des tissus périapicaux évidentes à la radiographie, en tant que foyers potentiels d’infections; par conséquent, ces dents doivent soit être traitées endodontiquement soit être avulsées avant le début du traitement (FLEMING 1991, TOTH et coll. 1990). Les dents présentant des symptômes cliniques ou radiologiques d’une parodontite apicale doivent également faire l’objet d’une révision/assainissement, voire être extraites, même si le traitement radiculaire existant paraît a priori radiologiquement correct (TOTH et coll. 1990). Dans ce contexte, PETERSON et coll. (1990) rappellent que le résultat de l’examen clinique à la percussion des dents est souvent faux négatif au cours de l’immunosuppression. Pour les dents antérieures et pour les prémolaires présentant une nécrose ou une gangrène pulpaire, TOTH et coll. (1990) préconisent par principe un traitement endodontique ou chirurgical. Selon TOTH et coll. (1990), le recours exclusif au traitement endodontique conventionnel, tel qu’il a été préconisé par d’autres auteurs, n’est pas à même de garantir l’élimination sûre des infections périapicales. En raison du risque relativement important d’échecs des traitements endodontiques, plusieurs auteurs ont en outre exigé l’avulsion de toutes les molaires présentant une nécrose pulpaire ou des inflammations apicales parodontales. Lorsque le traitement radiculaire est réalisé après extirpation de la pulpe vivante, il est possible de se limiter aux seules techniques endodontiques conventionnelles. D’autres publications ont proposé un schéma différent qui préconise, au choix, soit un traitement endodontique ou l’avulsion, pour les dents présentant une parodontite périapicale chronique ou aiguë; la décision thérapeutique sera alors fonction des symptômes cliniques et des signes radiologiques d’inflammation, ainsi que de l’état général du patient (DEPAOLA et coll. 1986). Quant au problème de l’assainissement préthérapeutique des dents endodontiquement traitées, mais cliniquement asymptomatiques, qui présentent des modifications radiologiquement visibles des tissus périapicaux, la littérature ne fournit pas de réponse faisant l’unanimité. A en croire les résultats d’une étude rétrospective effectuée sur des patients ayant dû subir une greffe de cellules souches, la révision endodontique de l’obturation radiculaire des dents concernées n’aurait pas d’influence sur l’incidence des infections systémiques (PETERS et coll. 1993). A titre de solution temporaire pour la phase de la pancytopénie, certains auteurs ont proposé la préparation endodontique du canal radiculaire et la mise en place d’un pansement médicamenteux provisoire; le canal est ensuite traité définitivement après la normalisation des paramètres hématologiques. 4.1.3 Chirurgie Chez les patients en phase d’immunosuppression, les dents enclavées ou semi-incluses représentent un risque particulièrement important d’infection (LOCKHART & SONIS 1979). Pour cette raison, il convient d’avulser lors de l’assainissement préthérapeutique en particulier les dents de sagesse enclavées présentant des symptômes d’inflammation péricoronaire (PETERSON 1992). Il est préférable d’achever si possible toutes les mesures thérapeutiques nécessaires, qu’elles soient chirurgicales ou conservatrices, 2 à 3 semaines avant la chimiothérapie, afin d’assurer un délai suffisant pour la guérison et la cicatrisation de la couche épithéliale (HEIMDAHL et coll. 1989). Concernant les conditions préalables au plan hématologique permettant de procéder à des étapes chirurgicales invasives pour l’assainissement dentaire précédant une greffe de moelle osseuse, certains auteurs ont proposé un taux limite de 2000 polynucléaires neutrophiles et de 50 000 thrombocytes par microlitre (PETERSON 1992). Lorsque les valeurs actuelles de laboratoire se situent en dessous de ce seuil au moment de la chimiothérapie, il est nécessaire de prendre des précautions particulières, telles que par exemple une couverture par des antibiotiques ou l’administration de préparations concentrées de thrombocytes (DEPAOLA et coll. 1986). En outre, il ne faudrait en aucun cas que le taux des polynucléaires neutrophiles dans le sang périphérique ne descende en dessous de 500 PMN par microlitre durant les dix jours suivant une avulsion dentaire (PETERSON 1992). D’autres auteurs ne recommandent l’administration d’antibiotiques à titre prohylactique qu’à partir du moment où le taux des PMN est inférieur à 1500 (3) voire de 1000 PMN par microlitre au moment de l’intervention ou qu’il risque de descendre en dessous de ces valeurs durant les dix jours suivants (WILLIFORD et coll. 1989). Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1221 Pratique quotidienne · formation complémentaire Toutefois, il est en général possible de satisfaire aux exigences évoquées pour le nombre de polynucléaires neutrophiles, en réalisant les avulsions nécessaires au moins quatre jours avant la chimiothérapie et en assurant une fermeture primaire de la plaie par des sutures appropriées (PETERSON 1992). Afin d’améliorer l’hémostase en cas d’un manque de thrombocytes, il faudrait éviter d’avoir recours aux préparations hémostyptiques intraalvéolaires durant le stade de la suppression des fonctions de la moelle osseuse (PETERSON 1992). Il est alors préférable d’administrer des préparations concentrées de thrombocytes 30 minutes avant l’intervention prévue (PETERSON & D’AMBROSIO 1992). L’AMERICAN ACADEMY OF PERIODONTOLOGY (1997) a proposé des paramètres différents pour l’évaluation du risque d’infection que représentent les implants dentaires. Selon KARR et coll. (1992), il est sans autre possible de laisser en place les implants présentant une profondeur d’attache parodontale maximale jusqu’à 3 mm. Lorsque la profondeur de sondage atteint 4 à 5 mm, la décision définitive se fondera sur la prise en compte d’autres critères cliniques, tels que la mobilité accrue de l’implant, les symptômes d’inflammation gingivale ou des signes d’une hygiène bucco-dentaire insuffisante. En présence de profondeurs de sondage de 6 mm ou plus, l’implant devrait être éliminé avant même le début de la chimiothérapie. 4.1.4 Traitements conservateurs L’étendue des traitements conservateurs par des obturations sera fonction de la situation clinique initiale. Afin de réduire autant que possible le risque de rétention de dépôts de germes pathogènes, il convient, selon l’état général du patient, d’assainir, par la réalisation d’obturations, en premier lieu toutes les lésions carieuses relativement importantes qui n’auraient pas été traitées et ce, avant le début de la chimiothérapie (WIESNER 1995). Toutefois, lorsque le patient présente une granulocytopénie importante dès le moment de la première consultation, l’assainissement préthérapeutique devrait se limiter à l’élimination des seuls foyers infectieux. En revanche, toutes les étapes thérapeutiques à caractère électif, par exemple la réalisation d’obturations destinées à l’élimination des réservoirs potentiels de germes dans la cavité buccale, devraient être différées jusqu’à un stade ultérieur de rémission hématologique (OTIS & TEREZHALMY 1985). 4.2 Aspects particuliers de la prise en charge médico-dentaire d’enfants et d’adolescents en cas de transplantations de moelle osseuse Contrairement aux considérations valables pour les patients adultes, deux autres aspects sont importants lors de l’évaluation médico-dentaire préthérapeutique chez les enfants et adolescents souffrant de néoplasies malignes: d’une part, les appareillages orthodontiques fixes représentent un obstacle majeur et superflu à la création d’une situation aussi exempte que possible de germes dans la cavité buccale. Par conséquent, plusieurs auteurs ont recommandé l’ablation des appareillages orthodontiques fixes, notamment chez les patients devant subir une greffe autologue de moelle osseuse (LASSER et coll. 1977, PETERSON 1992). Une démarche analogue est également indiquée chez les patients souffrant de leucémie ou avant une chimiothérapie à doses élevées. D’autre part, les dents de lait aux stades précédant l’exfoliation risquent dans bien des cas, dans le cadre du changement physiologique de la dentition, de causer des foyers d’infection parodontaux qui peuvent par la suite constituer des portes d’entrée à des infections systémiques risquant alors de mettre en danger le pronostic vital du jeune patient (MARQUES & 1222 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 WALKER 1991). De ce fait, plusieurs auteurs ont préconisé par le passé l’extraction avant terme des dents de lait dont il faut s’attendre à la perte physiologique spontanée au cours de la chimiothérapie (OKAMOTO & DUPERON 1989). 4.3 Prise en charge médico-dentaire pendant le traitement 4.3.1 Hygiène bucco-dentaire mécanique durant la myélosuppression Différentes mesures prophylactiques permettent de réduire non seulement l’intensité de la mucosite consécutive au traitement cytostatique, de même que celle des douleurs y relatives, mais également les conséquences néfastes dans les habitudes alimentaires et, aspect à ne pas négliger, le risque d’infections systémiques secondaires. Outre l’optimisation de l’hygiène buccodentaire habituelle, l’utilisation régulière de solutions de rinçages buccaux inhibiteurs de la plaque convient particulièrement bien pour réduire de façon maximale les risques associés aux lésions de la muqueuse buccale (HICKEY et coll. 1982) (tab. IV). Force est toutefois de constater que chez de nombreux patients, tout nettoyage mécanique des dents est à proscrire durant le stade de pancytopénie au cours de la transplantation de moelle osseuse, en raison du risque extrêmement important de la dissémination systémique d’infections parodontales marginales locales et du risque d’hémorragies spontanées profuses. Dans ces cas, il est préférable, en tant que méthode alternative, de recourir à la seule utilisation de préparations chimiques, en règle générale des solutions de chlorhexidine, pour assurer l’inhibition de la plaque (WIESNER 1995). Toutefois, certains auteurs recommandent, pour les patients immunosupprimés également, de procéder à des nettoyages mécaniques réguliers à l’aide d’une brosse à dents souple, indépendamment des paramètres actuels du laboratoire hématologique (KOLBINSON et coll. 1988). En effet, une étude clinique contrôlée a permis de démontrer que la mise en pratique d’un nettoyage mécanique intensif des dents, même pendant la phase de pancytopénie après une greffe de moelle osseuse, n’est pas forcément associée à une prévalence plus importante de septicémies (BOROWSKI et coll. 1994). Dans le contexte de l’hygiène buccale mécanique durant les traitements conventionnels des leucémies, certains auteurs ont proposé une démarche différenciée en fonction des paramètres hématologiques (BLAHA & REEVE 1994, WRIGHT et coll. 1985). D’avis de ces auteurs, le nettoyage mécanique des dents peut être envisagé chez les patients présentant des taux de leucocytes supérieurs à 2000 PMN par microlitre et de supérieurs à 20 000 thrombocytes par microlitre. Lorsque les concentrations des Tab. IV Possibilités du traitement pharmacologique des lésions des muqueuses associées aux chimiothérapies. Traitement antibactérien Traitement symptomatique Substitution locale (lors de traitements par des antagonistes de l’acide folique, tels que le méthotrexate) ➱ Digluconate de chlorhexidine (0,1%) ➱ Antibiotiques (aminoglycosides) ➱ Eau oxygénée (3 %) ➱ Rinçages par une solution de NaCl/Na2CO3 ➱ Antihistaminiques ➱ Corticostéroïdes ➱ Anesthésiques locaux (solution dite de «Philadelphie») ➱ Sucralfate ➱ Leucovérine ➱ (Prostaglandine E2) A s p e c t s d e l a p r i s e e n c h a r g e m é d i c o - d e n t a i r e d e s p a t i e n t s i m m u n o s u p p r i m é s – 1 re p a r t i e leucocytes ou des thrombocytes sont inférieures à ces limites dans la formule sanguine différenciée, il faudrait renoncer à l’utilisation de la brosse à dents et lui préférer en lieu et place un nettoyage mécanique doux de la cavité buccale à l’aide de tampons de gaze humidifiés. A ce propos, TOTH et coll. (1990) estiment qu’il est nécessaire de respecter en tant que minima pour le nettoyage bucco-dentaire mécanique des valeurs seuil de 500 PMN et de 40000 thrombocytes par microlitre dans le sang périphérique. Finalement, Seto et coll. (1985) ont proposé à ce même propos de fixer les valeurs limites à une concentration inférieure à 500 PMN et inférieure à 20 000 thrombocytes par microlitre. Les recommandations publiées par l’AMERICAN ACADEMY OF PERIODONTOLOGY (1997) dans ses prises de position à ce sujet ne sont pas non plus concluantes: à titre de taux minimaux d’éléments cellulaires, elles fixent des valeurs seuil pouvant varier entre 20 000 et 50 000 thrombocytes par microlitre, ainsi que de l’ordre de 2000 leucocytes par microlitre. 4.3.2 Chlorhexidine Des bains de bouche réguliers à l’aide de solutions de chlorhexidine ont été recommandés à titre de mesure adjuvante ou alternative, au nettoyage mécanique de la cavité buccale (EPSTEIN et coll. 1992). En règle générale, la littérature évoque à ce propos deux applications par jour d’une solution de chlorhexidine à 0,2% pour l’inhibition efficace de la formation de plaque (LOË et coll. 1976). Afin de réduire autant que possible le risque d’effets secondaires non désirés dans les conditions d’une utilisation à long terme de la chlorhhexidine, des effets d’autant plus importants que les structures buccales sont déjà lésées chez ces patients par le traitement de la tumeur maligne, d’autres auteurs, par exemple MCGAW et coll. (1985) estiment qu’il est préférable d’utiliser plutôt une solution de 0,1% de chlorhexidine. Outre les effets nettoyants et inhibiteurs de plaque, plusieurs auteurs attribuent aux applications topiques de chlorhexidine des effets supplémentaires directs, notamment une efficacité antimicrobienne et antifongique (FERRETTI et coll. 1985). Etant donné qu’une partie des modifications de la muqueuse associées au traitement cytostatique sont dues à la suprainfection bactérienne de la muqueuse lésée au préalable, il semble que des bains de bouche réguliers par une solution de chlorhexidine permettent de réduire, du moins dans une certaine mesure, les symptômes subjectifs chez les patients souffrant d’une mucosite buccale (FERRETTI et coll. 1988, MCGAW et coll. 1985). Contrairement à cet avis, d’autres auteurs mettent fondamentalement en question toute influence de la chlorhexidine sur le degré de sévérité des modifications de la muqueuse induites par le traitement (EPSTEIN et coll. 1992). Dans certains cas, la survenue d’autres effets secondaires délétères, par exemple des sensations de «brûlures» dans les muqueuses buccales, aurait été observée sous traitement par la chlorhexidine. Du fait que la mucosite buccale est due, du moins en partie, à la colonisation de la muqueuse par des germes à Gram négatif (MARTIN & VAN SAENE 1992, SOWELL 1982), bactéries contre lesquelles la chlorhexidine est dans une large mesure inopérante, il est possible qu’il s’agisse là en fait de la raison qui permettrait d’expliquer la faible efficacité de cette substance dans le traitement de la mucosite buccale associée aux chimiothérapies, telle qu’elle a été rapportée par de nombreux auteurs. Par contre, la bonne efficacité antifongique de la chlorhexidine, notamment contre Candida albicans, est bien documentée dans la littérature (SPIJKERVET et coll. 1989). En cas de traitements au long cours par la chlorhexidine, la survenue de colorations, réversibles, des dents et de la muqueuse a régulièrement été observée (KATZ 1982). Lorsque la chlorhexidine est utilisée simultanément en combinaison avec un gel fluoré à 1%, il est par contre possible d’éviter à coup sûr ces colorations, même en cas d’utilisation prolongée de cette substance (KATZ 1982, SOLHEIM et coll. 1980). En même temps, les applications régulières de fluorures seraient susceptibles de contrecarrer le risque plus important de caries chez les patients après une chimiothérapie à visée cytostatique ou après une greffe de moelle osseuse (CARL 1993). Toutefois, bon nombre de patients s’opposent à une utilisation prolongée de ces préparations, en raison de leurs effets secondaires causant des irritations des muqueuses. Pour améliorer la reminéralisation des tissus dentaires durs chez les patients souffrant de xérostomie après radiothérapie, ainsi que de l’application simultanée de fluorures, certains auteurs ont dès lors proposé des bains de bouche réguliers à l’aide d’une solution de reminéralisation à base d’électrolytes (FEATHERSTONE et coll. 1982), comprenant une adjonction de fluorure à une concentration de 0,05% (WIESNER 1995). 4.3.3 Autres principes actifs à utilisation topique Des applications topiques de médicaments à visée antibiotique, en particulier les aminoglycosides ou la polymyxine sont reconnues en tant que traitement efficace de la mucosite buccale (SPIJKERVET et coll. 1991). Dans une étude clinique, des applications (quatre fois par jour) de pastilles à sucer à base d’antibiotiques ont permis de supprimer complètement les altérations typiques de la muqueuse induites par une radiothérapie ou chimiothérapie. Pour l’élimination spécifique de la colonisation temporaire par des streptocoques, il est en outre possible d’envisager en complément des applications topiques de vancomycine. Un tel traitement permet de réduire de manière significative la fréquence des septicémies d’origine buccale par des streptocoques -hémolytiques. D’autres auteurs ont rapporté différentes méthodes thérapeutiques destinées à aborder les altérations des muqueuses associées aux traitements antitumoraux, notamment à l’aide de bêta-carotène (vitamine A), de PGE2, d’allopurinol, d’acide folique et de vitamine B12 (SHEPERD 1978). Force est toutefois de constater que l’administration d’acide folique chez les patients sous traitement cytostatique, entre autres par des inhibiteurs de la réductase (ou antagonistes) de l’acide folique, est considérée comme problématique. Le traitement local peut également être réalisé par le recours à un antidote contre les effets du méthothrexate, l’acide (5-formyl-)tétrahydrofolique, aussi appelé citrovorum factor ou leucovorine (MCGAW & BELCH 1985). Cette molécule n’est introduite dans les voies métaboliques qu’après l’étape tributaire de la réductase de l’acide folique en tant que catalyseur, étape qui est précisément inhibée par le méthothrexate. L’acide tétrahydrofolique ne peut pas être métabolisé par les cellules à dégénérescence maligne, raison pour laquelle toute atténuation de l’efficacité de la chimiothérapie antinéoplasique semble exclue (NEUMANN 1987). Toutefois, jusqu’à présent, aucun de ces régimes thérapeutiques novateurs n’a été reconnu au plan clinique. Outre les solutions à base de chlorhexidine, d’autres auteurs préconisent, pour la désinfection et à titre d’adjuvant de l’hygiène buccale, de bains de bouche par des solutions diluées d’eau oxygénée (FLEMING 1991). La libération d’oxygène natif permettrait d’obtenir un effet antimicrobien qui serait efficace en particulier contre les germes anaérobies (CARL 1993). Un traitement purement symptomatique des lésions des muqueuses peut être réalisé pas des applications de sucralfate, qui consiste en une suspension d’un complexe de sulfate de saccharose-hydroxyde d’aluminium Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1223 Pratique quotidienne · formation complémentaire (BARKER et coll. 1991). En raison de ses propriétés polyanioniques, cette substance active se lie aux protéines à charge positive qui sont présentes à la surface des ulcérations buccales, et y forme une couche protectrice. Ce médicament, habituellement utilisé dans le traitement des ulcères gastro-intestinaux, recouvre ainsi les couches superficielles de la muqueuse et y crée une barrière protectrice à l’encontre des agressions buccales externes. On présume en outre que le sucralfate possède des effets complémentaires, antibactériens, en particulier contre Streptococcus mutans (BROWN et coll. 1993). Mises à part les substances évoquées, la littérature fait état d’un grand nombre de solutions spécifiquement préparées pour le traitement symptomatique des lésions des muqueuses. En général, ces cocktails sont préparés sur la base de combinaisons de plusieurs substances actives, pour la plupart des corticoïdes à effets anti-inflammatoires, d’antihistaminiques, d’anesthésiques locaux et d’antibiotiques; parmi celles-ci l’une des plus connues est la «solution dite de Philadelphie» (ROSENBERG 1990, SIMON & ROBERTS 1991). 4.4 Prise en charge médico-dentaire après une greffe de moelle osseuse La prise en charge médico-dentaire après une greffe de moelle osseuse doit en premier lieu tenir compte du risque important de carie qui persiste jusqu’au moment du rétablissement complet de la fonction des glandes salivaires (JONES et coll. 1992). Alors que les entraves à la production de salive, telles qu’elles sont habituelles après des radiothérapies de tumeurs solides de la sphère cervico-crânienne, sont dans une large mesure irréversibles, en raison des doses locales sensiblement plus élevées qui sont appliquées dans la plupart des cas, on peut raisonnablement s’attendre à une restitution presque complète de la fonction des glandes salivaires après des radiothérapies par irradiation totale à des doses entre 10 et 12 Gray, telles qu’elles sont pratiquées avant des greffes de moelle osseuse (JONES et coll. 1992). Toutefois, le délai nécessaire à la récupération des fonctions et des structures sécrétoires des glandes salivaires peut dans certains cas dépasser cinq ans (WIESNER 1995). Au cours de ce laps de temps, une destruction carieuse étendue de certaines parties des tissus dentaires durs peut avoir eu lieu, du fait que dans l’intervalle la cavité buccale a pu être colonisée par une flore bactérienne composée de souches hautement cariogènes, en particulier par des streptocoques et des lactobacilles (JONES et coll. 1992). Il est par conséquent nécessaire pour ce groupe de patients également d’instaurer les mesures prophylactiques (voir première partie du texte), telles qu’elles sont préconisées après des radiothérapies, et de les maintenir jusqu’au rétablissement complet de la sécrétion salivaire. 5 Conséquences et conclusions cliniques Au premier plan de l’assainissement préthérapeutique en vue d’une chimiothérapie à visée cytostatique et d’une transplantation de cellules souches, il convient de placer l’élimination des foyers d’infection chroniques, dont une exacerbation aiguë au moment des effets maximaux de l’immunosuppression risquerait de contribuer à la dissémination de germes pathogènes et par la suite à des crises de septicémie susceptibles de mettre en danger le pronostic vital du patient. Il est dès lors nécessaire, au cours du premier examen déjà, de procéder à un examen clinique approfondi de l’ensemble des structures bucco-dentaires, en relevant soigneusement les status dentaire et parodontal, et 1224 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 de compléter les observations cliniques par des examens complémentaires de radiologie, voire d’imagerie, permettant de poser un diagnostic précis. Pour ce type de patients il n’existe pas de protocoles précis spécifiant quel genre de mesures thérapeutiques doivent nécessairement être instaurées pour assurer l’élimination de processus infectieux et d’éventuelles niches de rétention qui risqueraient de constituer des réservoirs de germes pathogènes. Sur la base des données disponibles dans la littérature, il est cependant possible de formuler un certain nombre de critères appropriés pour la planification de l’assainissement médico-dentaire de la cavité buccale, tels qu’ils sont résumés dans le tableau 3. Ces critères ne se fondent qu’en partie sur des données étayées par des études cliniques contrôlées, une autre partie correspondant aux propositions du National Cancer Institute (NCI). En outre, il est primordial, en particulier chez ce type de patients, de procéder à une réduction aussi approfondie que possible de la concentration de germes présents dans la cavité buccale, notamment par l’élimination et le nettoyage des niches de rétention. Pour cette raison, l’élimination de tous les dépôts supra-gingivaux et sous-gingivaux de plaque et de tartre doit être placée au centre des préoccupations médico-dentaires. Pour autant que l’état général du patient et le délai de temps imparti avant le traitement médical le permettent, il faudrait également traiter par des obturations les lésions carieuses profondes. Afin de prévenir le risque de destructions non nécessaires des dents par des caries en raison d’une hygiène bucco-dentaire insuffisante ou le passage obligé à une alimentation sous forme de bouillies riches en hydrates de carbone, du fait des symptômes douloureux des lésions affectant les muqueuses buccales, il est impératif de viser l’instauration de traitements efficaces pour soulager la mucosite associée à la chimiothérapie. Pour le moment, aucune substance ne s’est avérée supérieure à d’autres dans ce domaine. Toutefois, de nombreuses cliniques utilisent actuellement de préférence des préparations composées d’antihistaminiques, d’antibiotiques, d’électrolytes et d’anesthésiques locaux (par exemple des solutions dites de «Philadelphie» ou de «Bonn»). Au vu de la sensibilité plus élevée aux infections, un certain nombre de centres de transplantations hématologiques récusent tout nettoyage mécanique à l’aide de la brosse à dents et de fil dentaire durant la phase de pancytopénie. Pour passer ce cap, ces centres préconisent le nettoyage grossier à l’aide de tampons de gaze et de bains de bouche réguliers par des solutions inhibitrices de plaque (par exemple chlorhexidine à 0,2%). Les seuls patients nécessitant des mesures postthérapeutiques particulières sont les patients après une greffe allogène de moelle osseuse, étant donné que la radiothérapie par irradiation totale entraîne en règle générale une limitation réversible de la fonction des glandes salivaires. Aussi longtemps que la xérostomie persiste – et à compter à partir du début de la radiothérapie –, il convient de recommander les mesures prophylactiques telles qu’elles ont été évoquées dans la première partie cette contribution, consacrée aux patients sous traitement par irradiation, à savoir en premier lieu les efforts réguliers et soutenus d’hygiène bucco-dentaire, des applications quotidiennes de gelées fluorées, ainsi que le maintien d’un régime aussi peu cariogène que possible. Les patients doivent être instruits de sorte qu’ils évitent le plus possible l’absorption d’aliments riches en glucides. Après la phase dite stérile des greffes de moelle osseuse et jusqu’au rétablissement du flux salivaire, des contrôles supplémentaires de la cavité buccale par un médecin-dentiste sont à prévoir à des intervalles d’un mois dans la phase initiale.