Pratique quotidienne · formation complémentaire
cytostatiques puissantes – que ce soit en monothérapie ou en
association avec une ablation de la tumeur primitive et/ou une
radiothérapie –, est une routine en clinique depuis quelque
30 ans (BLAHA & REEVE 1994). Toutefois, il convient d’admettre
que les effets antiprolifératifs de la plupart des substances cyto-
statiques se caractérisent par un manque de sélec- tivité, qui est
confinée aux seules cellules malignes (DAHLLÖF et coll. 1994).
De ce fait, des compartiments tissulaires sains, en particulier la
Aspects de la
prise en charge
médico-dentaire
des patients
immunosupprimés
– 1re partie
Maladies hématologiques, chimiothérapie
et greffes de moelle osseuse, ainsi que
transplantations d’organes
Matthias Folwaczny, Reinhard Hickel
Policlinique de restaurations dentaires et de parodontolo-
gie, Université Ludwig-Maximilian, Munich
Mots clés: Néoplasies malignes, leucémie, lymphome, san-
té buccale, infection, prévention
Source: Publication de la DZZ
Adresse pour la correspondance:
DrMatthias Folwaczny
Poliklinik für Zahnerhaltung und Parodontologie
Ludwig-Maximilians-Universität München
Goethestrasse 70, D-80336 München
Tél. +49 89 5160 3134, fax +49 89 5160 5344
Traduction française de Thomas Vauthier
(Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 1201)
A Affections hématologiques malignes:
chimiothérapie, greffes de cellules souches
et de moelle osseuse
1Généralités
Dans le traitement des tumeurs malignes et des lymphomes,
ainsi que des leucémies, la chimiothérapie par des substances
Dans le traitement des tu-
meurs malignes, des mala-
dies hématologiques et des
lymphomes, la chimiothéra-
pie à visée cytostatique, de
même que les greffes de cel-
lules souches et de moelle
osseuse, revêtent une impor-
tance centrale. En raison des
effets myélosuppresseurs as-
sociées, ces types de traite-
ment s’accompagnent d’une
inhibition significative des ca-
pacités de la défense immu-
nitaire propre de l’organis-
me. Dans ces conditions, les
foyers infectieux chroniques
de la sphère bucco-dentaire
sont susceptibles de subir
des exacerbations aiguës et
d’être à l’origine d’une dissé-
mination quasi illimitée de
l’infection dans l’organisme
du patient. Des conditions si-
milaires se rencontrent égale-
ment après des transplanta-
tions d’organes, du fait que
le système immunitaire des
patients doit être supprimé à
vie par des médicaments ap-
propriés, afin de juguler les
réactions de rejet.
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001 1215
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001
1216
Pratique quotidienne · formation complémentaire
moelle osseuse ou les muqueuses du tractus gastro-intestinal,
sont en règle générale affectés dans leur fonction physiologique
par les effets cytotoxiques de la chimiothérapie (LOCKHART &
SONIS 1979). Selon CARL (1993) et SONIS & KUNZ (1988), quelque
40 à 50% des patients devant subir une chimiothérapie sont
atteints de complications buccales au cours du traitement. Dans
la cavité buccale, ce sont notamment les muqueuses qui sont
alors affectées (TOTH et coll. 1990). Il en résulte, d’une part, une
diminution significative de la résistance de la muqueuse bucca-
le et une réduction locale et systémique des capacités immuno-
logiques, entraînant d’autre part une susceptibilité accrue aux
infections; par la suite, ces deux phénomènes ont tendance à se
renforcer mutuellement. Il en résulte un risque non calculable
d’infections sévères, tant locales que systémiques, ayant comme
origine des portes d’entrée dans la sphère buccale (MCELROY
1984).
Contrairement aux protocoles thérapeutiques habituels dans
les leucémies aiguës et chroniques, le traitement des récidives
de leucémies ou le maintien d’une rémission durable peut
également être réalisé par le remplacement complet du systè-
me hématopoïétique par le recours à ce qui est connu sous le
terme de greffe autologue de cellules souches ou par une
greffe de cellules d’un donneur allogénique (DAHLLHÖF et
coll. 1988b). La transplantation de cellules souches auto-
logues peut en outre représenter une alternative thérapeu-
tique pour les patients atteints d’un lymphome malin ou
d’une tumeur solide métastatique (THOMAS et coll. 1975). Fi-
nalement, la greffe de moelle osseuse allogénique est indi-
quée dans de nombreux cas de déficits immunitaires systé-
miques ou d’anémie aplasique (BORTIN & RIMM 1977, CAMITTA
et coll. 1982).
En raison de la perte temporaire de toute compétence immuno-
logique, caractéristique de ce type de traitement, les patients
ayant subi une greffe de moelle osseuse – indépendamment du
fait qu’il se soit agi de la transplantation de cellules autologues
ou allogéniques – représentent sans soute le défi le plus exi-
geant concernant la prophylaxie des infections d’origine bacté-
rienne, étant donné qu’une infection bucco-dentaire banale
peut constituer un risque mettant en danger le pronostic vital
du patient (HEIMDAHL et coll. 1989, WILLIFORD et coll. 1989). Les
effets secondaires de l’association d’une radiothérapie par irra-
diation de la surface corporelle totale et d’une chimiothérapie
myéloablative et, d’un autre côté, la «graft-versus-host-disease»
(GvHD, ou «maladie du greffon contre l’hôte»), fréquente en
cas de transplantations allogéniques de moelle osseuse, peu-
vent induire un grand nombre de symptômes buccaux (SETO et
coll. 1985).
Du fait que les effets secondaires au plan buccal, de même que
les infections concomitantes soient dans bien des cas un fac-
teur qui limite la puissance du traitement antitumoral (FERRET-
TI et coll. 1990), alors qu’il est sans autre possible d’y remédier
rapidement par des mesures relativement simples d’hygiène
(HICKEY et coll. 1982), la présente contribution a comme objec-
tif de passer en revue un résumé des conséquences les plus
importantes au plan buccal de la chimiothérapie à visée cyto-
statique ainsi que celles des greffes de cellules souches. Seront
en outre évoquées les possibilités thérapeutiques et prophy-
lactiques actuellement disponibles pour le traitement des
complications buccales associées aux chimiothérapies. Finale-
ment, ce travail souhaite présenter un certain nombre de cri-
tères relatifs à l’assainissement préthérapeutique adéquat de
la cavité buccale, à l’aide d’une revue des cas documentés dans
la littérature.
2Effets secondaires, au plan buccal,
de la chimiothérapie à visée cytostatique
2.1 Muqueuses
Dans la région de la cavité buccale, des effets secondaires locaux
d’une chimiothérapie peuvent s’observer surtout dans la
muqueuse (BARRETT 1987, EPSTEIN & GANGBAR 1987), ainsi que
dans les glandes salivaires (MAIN et coll. 1984) (tab. I). A l’ins-
tar des modifications survenant en cas de mucosite post-
actinique, la régénération de l’épithélium de la muqueuse est
d’une part ralentie par la chimiothérapie, un phénomène qui
entraîne un amincissement de l’épithélium épidermoïde en
raison de la desquamation des couches cellulaires en surface
(KOLBINSON et coll. 1988). Outre la réduction du taux de réplica-
tion, GUGGENHEIMER et coll. (1977) ont évoqué un autre méca-
nisme, à savoir la destruction des structures de la trame intercel-
lulaire de soutien, telles que les desmosomes, par exemple, qui
assurent la résistance mécanique de l’épithélium.Tant la réduc-
tion de l’épaisseur de l’épithélium que l’affaiblissement des pro-
Tab. I Symptômes et causes des effets secondaires typiques, au
plan buccal, d’une chimiothérapie à visée cytostatique.
Symptôme Pathogenèse et conséquences cliniques
Mucosite buccale répercussions cytostatiques de la chimio-
généralisée thérapie sur la muqueuse buccale à taux
mitotique élevé
affaiblissement des propriétés statiques
de l’épithélium par la diminution de
l’épaisseur épithéliale et par la destruc-
tion des zones de contact intercellulaires
(desmosomes)
colonisation/prolifération de souches
de germes nosocomiaux endogènes et
exogènes
disponibilité réduite de vitamine A
Augmentation diminution du nombre de thrombocytes
de la tendance aux circulants en tant que conséquence des
hémorragies effets myélosuppresseurs de la chimio-
thérapie
fragilité accrue des muqueuses en
regard de traumatismes, concomitante
à une augmentation générale de l’acti-
vité inflammatoire de la cavité buccale
perturbation de la synthèse des facteurs
de coagulation du complexe de la pro-
thrombine dépendants de la vitamine K
en raison des troubles de résorption au
niveau intestinal
coagulopathie de consommation en
raison de l’apoptose cellulaire massive
Modifications diminution du flux salivaire par une chi-
qualitatives et miothérapie moyennant des substances
quantitatives ayant une composante anticholinergique
du flux salivaire infiltration de la glande salivaire en
raison d’une maladie hématologique
maligne
dégénération des acinus glandulaires
et des canaux excréteurs
diminution de la concentration des
enzymes salivaires et des IgA
diminution du pouvoir tampon
Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés – 1re partie
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1217
priétés statiques de celui-ci entraînent par la suite une augmen-
tation de la fragilité de l’épithélium. Par conséquence, à ce sta-
de-là, de banales contraintes mécaniques physiologiques
s’exerçant sur la muqueuse, par exemple au cours de la mastica-
tion, suffisent pour briser l’intégrité de la muqueuse. Sur le plan
clinique, les premiers symptômes dans la muqueuse se manifes-
tent en général dans les 2 à 7 jours après le début de la chimio-
thérapie, sous la forme d’une réaction inflammatoire générali-
sée que le patient ressent le plus souvent comme des brûlures
(CARL 1993, PETERSON & D’AMBROSIO 1992).Au stade plus tardif,
on observe des ulcérations discrètes et une perte généralisée des
couches superficielles de la muqueuse; des symptômes qui per-
sistent tout au long de la chimiothérapie. Ces phénomènes sont
en général résumés sous le terme de «mucosite» (CARL 1986,
DREIZEN et coll. 1986).
En principe, les effets secondaires de la chimiothérapie touchent
à la même fréquence et à la même intensité les parties kératini-
sées et non kératinisées de la muqueuse. Selon DAHLLÖF et coll.
(1990), les endroits de prédilection pour des manifestations
buccales de type ulcération seraient les régions sublinguales et
vestibulaires des muqueuses buccales, ainsi que les commis-
sures des lèvres. Dans 29% des cas, on observe une atteinte gé-
néralisée touchant l’ensemble des muqueuses buccales. Les al-
térations des muqueuses et l’inflammation associée entraînent
dans la plupart des cas une limitation de l’hygiène bucco-den-
taire et des habitudes alimentaires du patient, deux conséquen-
ces qui ont tendance à aggraver encore davantage la situation
buccale (HAUSAMEN 1970). Dans la plupart des cas, la guérison
des lésions ou des ulcérations des muqueuses après la fin de la
chimiothérapie nécessite un délai de plusieurs semaines et son
évolution dépend dans une large mesure non seulement de la
sévérité des lésions mais également des infections secondaires
qui risquent de se manifester sur le fond des lésions (BARRETT et
coll. 1984).
Il semble que toutes les substances utilisées en chimiothérapie à
visée cytostatique ne provoquent pas des effets secondaires de
la même intensité dans la muqueuse buccale. Ainsi, des symp-
tômes particulièrement prononcés d’une mucosite associée au
traitement sont observés après l’administration de méthothre-
xate, de 5-fluoro-uracile, de doxorubicine, de daunorubicine et
de bléomycine (BOTTOMLEY et coll. 1977, HERZIG et coll. 1987). Il
est possible que le méthothrexate soit susceptible de provoquer
des effets délétères particulièrement importants sur les mu-
queuses buccales, du fait que cette substance n’est pas seule-
ment transportée sur le lieu d’action par voie sanguine, mais
qu’elle est également véhiculée et sécrétée à des concentrations
élevées dans la salive (OLIFF et coll. 1979). Dans de nombreux
cas, le moment de l’apparition des premiers symptômes cli-
niques consécutifs aux altérations de la muqueuse buccale coïn-
cide avec une phase de taux relativement faible de polynu-
cléaires neutrophiles dans le sang (LEGOTT 1990).
2.2 Glandes salivaires
Dans les glandes salivaires, les effets secondaires non désirables
de la chimiothérapie se manifestent le plus souvent par une dimi-
nution plus ou moins importante du flux salivaire (BOTTOMLEY
et coll. 1977). Parmi les causes de la survenue d’une xérostomie,
LOCKHART & SONIS (1981) évoquent notamment des modifica-
tions dégénératives des acinus glandulaires, de même que de
certaines parties des canaux excréteurs des glandes salivaires.
Certaines substances cytostatiques semblent influencer dans
une moindre mesure le volume absolu de sécrétion de la salive;
elles modifient plutôt les propriétés chimiques de la salive, par
exemple le pouvoir tampon de celle-ci (CARL 1993, SCHUM et al.
1979). De cette altération de composition de la salive, il serait
possible de conclure, à l’instar de la situation en cas de xérosto-
mie postactinique, à un risque accru de la survenue de lésions
carieuses, caries qu’il conviendrait dès lors d’intituler «chimio-
carie» (CARL 1993).Toutefois, l’augmentation de ce risque ne re-
vêt qu’un caractère temporaire, étant donné que jusqu’à présent,
la littérature ne fait état d’aucune lésion irréversible des glandes
salivaires consécutive à une chimiothérapie à visée cytostatique.
En outre, on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas
plutôt le relâchement des efforts d’hygiène buccale en raison des
effets secondaires pénibles de la chimiothérapie qui serait à l’ori-
gine de l’activité carieuse chez ces patients.Toutefois, force est de
constater qu’en principe, il y a la possibilité d’une atteinte primi-
tive des glandes salivaires dans différentes affections, du moins
en cas de maladies malignes du système lymphatique, par
exemple dans le cadre d’un syndrome de Mikulicz, sous la forme
d’infiltrats cellulaires et d’une limitation consécutive de la fonc-
tion (LENNERT 1990).
Il est important de relever que pour les traitements associant
une chimiothérapie et une radiothérapie, il n’y a en général pas
à craindre un effet cumulatif des effets secondaires au plan buc-
cal (ARCHIBALD et coll. 1986).
2.3 Symptômes buccaux de la myélosuppression
Outre les conséquences directes sur les différents comparti-
ments tissulaires de la sphère buccale, la chimiothérapie pro-
voque certains effets indirects dans la cavité buccale, via les ré-
percussions sur le système myélopoïétique.Ainsi, l’inhibition de
la synthèse des cellules du système immunitaire, telle qu’elle est
associée à la chimiothérapie, entraîne une réduction de la com-
pétence immunologique générale, un phénomène qui se reflète
entre autres par une susceptibilité accrue aux infections locales
(LAINE et coll. 1992). Les effets hématologiques de la myélosup-
pression provoquée par les cytostatiques utilisées dans la chi-
miothérapie en cas de leucémie sont par la force des choses plus
importants encore, raison pour laquelle ces substances ont des
effets – souhaités et non souhaités – nettement plus agressifs
par rapport aux autres cytostatiques (DREIZEN et coll. 1986).
La thrombocytopénie résultant des effets de la suppression du
système myélopoïétique exercés par les cytostatiques entraîne
une susceptibilité accrue, mais transitoire, aux saignements;
dans le domaine de la cavité buccale, cette tendance se manifes-
te entre autres par la survenue de foyers hémorragiques sous-
muqueux, sous forme de pétéchies ou d’ecchymoses (FERGUSON
et coll. 1978). A partir d’un taux de thrombocytes inférieur à
60 000/microlitre, le risque d’hémorragies spontanées dans la
cavité buccale s’accroît considérablement, cet effet pouvant être
utilisé pour estimer approximativement le degré de la myélo-
suppression du moment (LYNCH & SHIP 1967). Toutefois, le
risque de saignements spontanés n’est pas uniquement tribu-
taire du nombre absolu de thrombocytes, mais il semble qu’il
soit plutôt fonction de la proportion relative de thrombocytes
jeunes (SHULMAN et coll. 1968). Outre la diminution du nombre
absolu de thrombocytes, d’autres modifications ultrastructu-
relles des plaquettes, consécutives à la maladie de base, sont in-
criminées comme étant responsables de la susceptibilité accrue
aux hémorragies (MCGAW & BELCH 1985). Au delà de ces consi-
dérations hématologiques, des lésions affectant le système gas-
tro-intestinal et hépatique induites par le traitement peuvent
contribuer aux vices de la coagulation, en raison de la réduction
de l’absorption des vitamines liposolubles et des troubles de la
synthèse des facteurs de coagulation du complexe de la pro-
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2001
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Pratique quotidienne · formation complémentaire
thrombine, dépendants de la vitamine K (MCGAW & MAIN
1983). Finalement, la destruction massive de cellules, résultant
de la chimiothérapie, provoque la libération non contrôlée d’un
grand nombre de substances de dégradation et de médiateurs
cellulaires métaboliquement actifs, dont une partie contribue à
augmenter encore la diathèse hémorragique. Répercussion im-
médiate, la tendance aux saignements s’accroît davantage dans
le cadre de la coagulopathie de consommation qui se manifeste
en tant que conséquence des phénomènes évoqués précédem-
ment (DREIZEN et coll. 1975, GOEPFERT & TOTH 1979). Parmi les
facteurs prédisposants au plan local, il convient d’évoquer la
xérostomie, souvent observée, les lésions de la muqueuse en
raison du traitement, ainsi que les parodontopathies marginales
préexistantes, qui peuvent favoriser la survenue d’hémorragies
spontanées dans la sphère buccale (LOCKHART & SONIS 1979).
3 Greffes de moelle osseuse
3.1 Généralités
Lors de la préparation en vue d’une transplantation de moelle
osseuse, il faut dans la plupart des cas détruire au préalable l’en-
semble des cellules souches du système hématopoïétique pré-
sentes dans la moelle osseuse du patient; cette étape initiale est
réalisée par une radiothérapie et chimiothérapie combinée hau-
tement agressive (THOMAS et coll. 1977). En cas de greffe de cel-
lules souches autologues et de transplantation de moelle osseu-
se entre patients de la même fratrie, il est possible de renoncer à
une radiothérapie préalable par irradiation du corps entier.
En raison de l’élimination de la moelle osseuse naturelle, le pa-
tient perd temporairement toute la protection par son propre
système immunitaire. En outre, l’érythro- et la thombocytopoïè-
se sont également inhibées de façon complète durant cette pha-
se. Il s’ensuit que pendant cette étape particulièrement vulné-
rable du traitement, la moindre infection par des germes banals,
normalement non pathogènes ou facultativement pathogènes,
par exemple ceux de la flore bactérienne naturelle du tractus
gastro-intestinal ou des voies aériennes, peut être à l’origine
d’une dissémination non contrôlée de micro-organismes dans
l’organisme du patient (COHEN et coll. 1983, SOLBERG et coll.
1979). A partir d’un taux de polynucléaires neutrophiles (PMN)
inférieur à 1000/µl, le risque d’une infection systémique aug-
mente significativement (OTIS et coll. 1985). Lorsque le taux des
PMN est inférieur à 1000/µl, il est fréquent d’observer chez ces
patients la survenue d’états septiques gravissimes, qui s’instal-
lent en quelques jours (NAUSEEF et coll. 1981). Une substitution
provisoire des fonctions des cellules de la lignée blanche n’est
possible qu’à condition de respecter des conditions de stérilité
absolue, ainsi qu’en ayant recours, selon les besoins, à des mé-
dicaments antibactériens, antifongiques et antiviraux (OTIS &
TEREZHALMY 1985). En règle générale, les conditions d’asepsie
au cours du traitement clinique sont assurées d’une part par la
prise en charge du patient dans une unité appelée stérile durant
la phase critique de la pancytopénie absolue et, d’autre part, par
une élimination la plus complète possible, dans la phase pré-
thérapeutique, de la flore microbienne naturelle de l’organisme,
en particulier celle du tractus gastro-intestinal, y compris celle
de la cavité buccale et des téguments (GURWITH et colll. 1979).
Il semblerait toutefois que dans ce contexte l’élimination, ou du
moins la réduction, de la flore naturelle colonisant la cavité buc-
cale, à l’aide de cures antibiotiques et de rinçages antibactériens,
soit extrêmement peu efficace (BROWN et coll. 1990). D’une part,
les substances actives utilisées pour la réduction des germes
ne sont dans la plupart des cas pas efficaces contre toutes les
souches du spectre microbien présent dans la sphère buccale
(HEIMDAHL et coll. 1989). D’autre part, la cavité buccale se carac-
térise par la présence d’un grand nombre de niches de rétention
et de compartiments, à l’instar des poches parodontales, qui
réussissent à se soustraire à l’action tant systémique que locale
des substances antimicrobiennes (Lasser et coll. 1977).A ce pro-
pos, certains auteurs ont proposé un assainissement préthéra-
peutique du tractus gastro-intestinal et de la sphère oro-pha-
ryngée par une antibiothérapie fondée sur la réalisation d’un
antibiogramme individuel de la flore microbienne existante
(OTIS & TEREZHALMY 1985). Contrairement à la situation des leu-
cocytes, il est possible de procéder à une substitution efficace
des cellules de la lignée rouge, y compris des thrombocytes, par
des transfusions de préparations concentrées de cellules san-
guines durant cette phase du traitement qui dure en règle géné-
rale entre 30 et 120 jours.
3.2 Effets secondaires, au plan buccal,
de la transplantation de cellules souches
3.2.1 Effets secondaires du traitement de conditionnement
Les effets secondaires les plus fréquents dans la zone buccale
d’une greffe de cellules souches sont dans une large mesure
identiques aux effets secondaires non désirés observés lors des
traitements cytostatiques conventionnels mis en œuvre dans les
maladies hématologiques; en l’occurrence ces effets sont toute-
fois, dans la majorité des cas, bien plus prononcés sur le plan cli-
nique (WEISDORF et coll. 1989) (tab. II). En règle générale, avant
une greffe autologue de moelle osseuse, les patients doivent se
soumettre à une radiothérapie par irradiation totale, d’une dose
totale de 10 à 12 Gray; cette radiothérapie peut entraîner des
complications buccales particulières (THOMAS et coll. 1975).
L’exposition des glandes salivaires aux rayons ionisants a com-
me conséquence une augmentation de la viscosité de la salive et
une réduction significative du flux salivaire (BERKOWITZ et coll.
1983). A l’instar des conséquences observées suite à l’exposition
des glandes salivaires principales aux rayons ionisants lors des
radiothérapies de tumeurs malignes de la sphère cervico-facia-
le, la radiothérapie par irradiation totale de la phase de condi-
tionnement avant une greffe de moelle osseuse provoque égale-
ment une réduction considérable du flux salivaire, de plus de la
moitié (CHAUSU et coll. 1995, HEIMDAHL et coll. 1985).Toutefois,
la xérostomie temporaire après une irradiation totale est en
règle générale réversible (JONES et coll. 1992).
Jusqu’à présent, la littérature ne fait pas état de données pré-
cises relatives aux répercussions directes des rayons ionisants
sur les tissus dentaires durs après des radiothérapies d’une do-
se totale de 10 à 12 Gray.A titre d’exemple, HANDTMANN et coll.
(1990) ont rapporté un cas de destruction massive des tissus
dentaires durs survenue après une greffe de moelle osseuse; ces
Tab. II Effets secondaires typiques après une greffe de moelle os-
seuse allogénique.
Effets secondaires, au plan buccal, des transplantations
de moelle osseuse
Mucosite
Augmentation de la tendance aux hémorragies et de la
susceptibilité aux infections
Diminution du flux salivaire
Parotidite
Troubles du sens gustatif
GvHD (maladie du greffon contre l’hôte)
Hyperplasie de la gencive marginale (ciclosporine A)
Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés – 1re partie
Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 10/2000 1219
auteurs supposent que la destruction a pu être provoquée par
des effets directs des rayons ionisants sur les dents. Plusieurs
autres auteurs ont attiré l’attention sur une prévalence significa-
tivement plus importante de lésions carieuses affectant les
dents de patients ayant subi des greffes de moelle osseuse
(PAJARI et coll. 1995). En tant que causes possibles de la progres-
sion rapide des lésions carieuses chez les patients au cours
d’une transplantation de moelle osseuse, peuvent entrer en
considération au premier plan la xérostomie temporaire induite
par le traitement, ainsi que les modifications des habitudes ali-
mentaires qui en découlent, mises à part les possibilités sérieu-
sement limitées d’hygiène bucco-dentaire pendant les longues
phases du traitement, qui peuvent durer jusqu’à trois mois
(HEIMDAHL et coll. 1985, OKAMOTO et coll. 1989).
Des conséquences particulières du traitement de conditionne-
ment peuvent être observées chez les enfants, du fait que tant le
développement des dents que la croissance osseuse de la face
sont susceptibles d’être affectés sévèrement et perturbés dura-
blement par une chimiothérapie et/ou une radiothérapie de la
sphère oro-maxillo-faciale (JAFFE et coll. 1984, Sonis et coll.
1990). L’exposition du système nerveux central aux rayons ioni-
sants peut entraîner, notamment chez des patients ayant été
âgés de moins de cinq ans au moment du traitement, des
troubles du développement particulièrement importants des
dents, tels que par exemple des déformations radiculaires, des
aplasies amélaires et une microdontie (DAHLLÖF et coll. 1988a,
NÄSMAN et coll. 1997). Les cytostatiques semblent induire
notamment des troubles de la minéralisation de l’émail et de la
dentine, et dans une moindre mesure des déformations des ra-
cines (PAJARI et coll. 1988, ROSENBERG et coll. 1987). Il semblerait
en particulier que la vincristine provoquerait une inhibition de
la sécrétion des odontoblastes, par le blocage de la microtubuli-
ne cytokinétique.
3.2.2 Manifestations buccales de la «maladie du greffon contre l’hôte»
En tant que conséquence particulière après une greffe de moel-
le osseuse, les muqueuses et les glandes salivaires peuvent en
outre être touchées par une «graft versus host disease» (GvHD,
ou «maladie du greffon contre l’hôte») au cours de la phase
après la transplantation. Il s’agit d’une réaction immunologique
provoquée par des cellules formées par la moelle osseuse gref-
fée; elle est déclenchée par des antigènes cellulaires du receveur
(CARL & HIGBY 1985). On distingue en général une forme aiguë
et une forme chronique de GvHD,la forme chronique survenant
à une fréquence au-dessus de la moyenne chez les patients âgés
(WIESNER 1995). Les symptômes cliniques se manifestent non
seulement dans les muqueuses du tractus gastro-intestinal,
mais également dans les téguments, le foie, la musculature, les
conjonctives des yeux, ainsi que les glandes salivaires et lacry-
males exocrines (ARMITAGE 1994, DEEG & STORB 1986). Des
symptômes d’une GvHD surviennent chez près de 50 pour cent
des patients ayant subi une greffe autologue de moelle osseuse;
dans la quasi-totalité de ces cas, les tissus buccaux sont égale-
ment impliqués (SCHUBERT et coll. 1984). Les lésions des mu-
queuses provoquées par la GvHD ne se distinguent pas, au plan
clinique, des modifications survenues au cours de la transplan-
tation; elles peuvent se manifester sous la forme de desquama-
tions de zones relativement étendues des muqueuses, qui peu-
vent avoir comme conséquence la formation d’ulcérations qui
sont souvent persistantes (NIKOSKELAINEN 1990). Dans la forme
chronique de la GvHD, on peut en outre observer dans certains
cas une atrophie généralisée et des modifications lichénoïdes
dans la muqueuse (BARETT & BILOUIS 1984).
Dans le but d’éviter la survenue de réactions de type GvHD, qui
sont susceptibles de mettre sensiblement en péril le succès thé-
rapeutique d’une greffe de moelle osseuse au long cours, les pa-
tients reçoivent en règle générale un traitement prophylactique
combiné après la transplantation. En général, le traitement se
compose de ciclosporine A, un immunosuppresseur très effica-
ce, et de méthotrexate, un cytostatique puissant. Conséquences:
alors que le méthotrexate provoque une exacerbation des alté-
rations déjà existantes des muqueuses, la ciclosporine A stimule
en outre la prolifération non contrôlée de la gencive marginale
(THOMASON et coll. 1993).
Il est possible que l’expression de la GvHD soit également dé-
clenchée par certains processus inflammatoires chroniques.
Ainsi, SHAPIRA et coll. (1996) ont rapporté la survenue d’un épi-
sode aigu de GvHD chez un nourrisson âgé de cinq mois; la ré-
action était apparemment causée par la percée des premières
incisives de lait dans le maxillaire supérieur. Les auteurs ont
suggéré l’existence d’un renforcement des réactions immunolo-
giques autoagressives consécutives à l’inflammation de la mu-
queuse buccale concomitante à la percée des dents. Il se pour-
rait, par conséquent, que la production plus importante
d’interleukine-1 (IL-1), un médiateur cellulaire, dans les tissus
enflammés, la stimulation de l’IL-1 serait due à la péricoronari-
te, et serait un facteur déclenchant la GvHD. De même, CURTIS
& CAUGHMAN (1994) ont également rapporté un cas de GvHD
chronique persistante pour lequel l’état bucco-dentaire extrê-
mement défavorable suite au traitement était évoqué non seu-
lement en tant que facteur causal possible mais aussi de persis-
tance de l’affection.
4Prise en charge médico-dentaire des
patients avant une chimiothérapie à visée
cytostatique ainsi qu’avant les greffes de
cellules souches ou de moelle osseuse
4.1 Examens préthérapeutiques
Avant les chimiothérapies à doses élevées, et a fortiori avant
toute greffe de moelle osseuse, il convient de procéder par prin-
cipe à l’élimination de tous (si possible) les foyers infectieux
buccaux qui risqueraient d’être à l’origine de complications ai-
guës pendant la phase de la suppression relative ou complète
des fonctions de la lignée blanche (GREENBERG et coll. 1982,
PETERSON et coll. 1987) (tab. III). En outre, compte tenu de la
suppression immunitaire générale, l’élimination des niches de
rétention dans la cavité buccale, susceptibles de causer des ré-
tentions de germes pathogènes est au premier plan chez ces pa-
tients. En effet, comme évoqué précédemment, de telles zones
ont tendance à se soustraire aux efforts de désinfection et même
aux effets antimicrobiens de la cure préthérapeutique par des
antibiotiques (MCELROY 1984).
4.1.1 Parodontologie
Le parodonte marginal revêt une importance particulière en
tant que porte d’entrée potentielle d’infections, notamment
dans des cas de maladies hématologiques ou lymphatiques ma-
lignes. Ce rôle est corroboré par des observations de patients
souffrant de leucémie myéloïde aiguë, chez lesquels le parodon-
te marginal a été le point de départ buccal le plus fréquent de
crises septiques (PETERSON & OVERHOLSER 1981). Dans une étu-
de transversale comparative réalisée sur des patients leucé-
miques, les auteurs ont observé le nombre le plus élevée d’exa-
cerbations aiguës de la parodontite chronique dans le groupe
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