Pratique quotidienne · formation complémentaire Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés e – 2 partie Cette partie de la présente contribution (1re partie 10/2001) sera consacrée aux effets secondaires typiques bucco-dentaires, des chimiothérapies à visée cytostatique, de la transplantation de cellules souches, de même qu’aux moyens les plus efficaces de prévention et de traitement actuellement à disposition. En outre, cet article passera en revue les critères, tels qu’ils ont été publiés dans la littérature, de l’assainissement médico-dentaire préthérapeutique des patients devant subir un traitement cytostatique ou une greffe d’organe. Transplantations d’organes Matthias Folwaczny, Reinhard Hickel Policlinique de restaurations dentaires et de parodontologie, Université Ludwig-Maximilian, Munich Mots clés: Néoplasies malignes, leucémie, lymphome, santé buccale, infection, prévention Source: Publication de la DZZ Adresse pour la correspondance: Dr Matthias Folwaczny Poliklinik für Zahnerhaltung und Parodontologie Ludwig-Maximilians-Universität München Goethestrasse 70 D-80336 München Tél. +49 89 5160 3134 Fax +49 89 5160 5344 E-mail [email protected] Traduction française de Thomas Vauthier (Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 1317) 1 Généralités Les transplantations allogènes de différents organes, en particulier les greffes cardiaques, rénales, pulmonaires, hépatiques et de pancréas, se sont développées au cours des dernières décennies au point de devenir une forme de traitement à part entière, qui est une routine et dont on ne saurait se passer dans l’ap- proche clinique de la défaillance chronique ou l’insuffisance terminale de ces organes (BUSUTTIL et coll. 1986). Dans ce contexte, la mise au point et l’amélioration constante des traitements immunosuppresseurs permettant de juguler les réactions de rejet sont sans doute à la clé de la percée des techniques de transplantation d’organes allogènes (BOTTOMLEY et coll. 1972). Simultanément, il découle du recours aux substances à visée immu- Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2001 1327 Pratique quotidienne · formation complémentaire nosuppressive deux aspects essentiels pour la prise en charge médico-dentaire des patients après une greffe d’organe. D’une part, il convient de tenir compte du fait que l’activité du système immunitaire du patient receveur d’un organe devra être réduite par la prise à vie de médicaments appropriés, afin de supprimer de manière efficace les réactions de rejet de son propre organisme dirigées contre l’organe greffé, reconnu comme «étranger» (BUSUTTIL et coll. 1986). Par conséquent, et c’est le revers de la médaille, la compétence de l’organisme de se défendre contre des germes pathogènes est sensiblement entravée en même temps (SVIRSKY & SARAVIA 1989, TYLDESLEY et coll. 1979). D’autre part, le médicament le plus souvent utilisé après des transplantations d’organes, la ciclosporine A, entraîne des effets secondaires caractéristiques dans la gencive marginale, des effets qui se manifestent sous la forme d’une hyper-prolifération qui sera dans une large mesure non contrôlée (WYSOCKI et coll. 1983). 2 Aspects médico-dentaires des transplantations d’organes En fonction du type d’organe greffé, de la constitution individuelle et de l’âge du patient, différentes combinaisons de médicaments à visée immunosuppressive seront utilisées pour juguler les réactions de rejet. Ces «cocktails» se composent dans la plupart des cas d’un corticostéroïde, d’une substance antimétabolique, et de ciclosporine A (SEYMOUR & JACOBS 1992, SVIRSKY & SARAVIA 1989). La quasi-totalité des molécules utilisées à ces fins se caractérisent par une propriété commune: un large spectre de différents effets secondaires. Dans un passé relativement récent, la gamme des médicaments immunosuppresseurs s’est encore élargie par l’avènement de produits tels que le CellCept® et le FK 506 (Prograf®), qui se distinguent par leurs effets dans une large mesure spécifiques sur les réactions immunitaires basées sur les lymphocytes T. Toutefois, la littérature ne fait actuellement pas encore état de réactions secondaires se manifestant spécifiquement dans la cavité buccale. 2.1 Traitements immunosuppresseurs par des corticoïdes et des antimétabolites Parmi les médicaments faisant partie du groupe des substances dites antimétaboliques (les antimétabolites), c’est notamment l’azathioprine qui est bien établie dans les traitements immunosuppresseurs (SCHULLER et coll. 1973). Outre les effets immunosuppresseurs, désirés du point de vue thérapeutique, les substances de la classe des antimétabolites, qui sont d’ailleurs aussi utilisées dans les traitements antitumoraux, se caractérisent par des effets cytotoxiques et myélosuppressifs (WESTBROOK 1978). En revanche, on ne trouve pas dans la littérature des indications concernant d’éventuels effets secondaires indésirables directs de cette molécule contre les structures buccales, dont en particulier la muqueuse. Outre l’inhibition, bien connue, de la production endogène de stéroïdes, un phénomène qui entraîne une limitation de la capacité de l’organisme à réagir en cas de stress (SEYMOUR et coll. 1994), les corticostéroïdes efficaces en immunosuppression provoquent également une myélosuppression marquée par des effets directs sur le taux de prolifération des cellules souches de la moelle osseuse (SOWELL 1982). En outre, de nombreuses observations ont démontré une réduction sensible du taux d’immunoglobulines chez les patients subissant un traitement par des corticoïdes à hautes doses lorsque celui-ci est associé à un traitement immunosuppresseur supplémentaire (BOTTOMLEY et coll. 1972). De ce fait, il n’est pas rare que les stéroïdes aient entre autres tendance à masquer certains symp- 1328 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2001 tômes cliniques des processus d’inflammation chronique, par exemple ceux d’une parodontopathie chronique marginale (KARDACHI & NEWCOMB 1978). Dans ce contexte, certains auteurs sont toutefois d’avis que la destruction des tissus parodontaux et la perte osseuse ne sont pas influencées, voire même qu’elles progressent plus vite dans certains cas, en dépit de la diminution de la réaction inflammatoire face aux agressions extrinsèques (THOMASON et coll. 1994). 2.2 Traitement immunosuppresseur par la ciclosporine A 2.2.1 Effets pharmacodynamiques de la ciclosporine A La ciclosporine A a été isolée pour la première fois en 1972 sous forme de produit de fermentation de deux espèces de champignons, Trichoderma polyporum et Cylindrocarpum lucidum (BUTLER et coll. 1987, DALEY & WYSOCKI 1986). Contrairement aux antimétabolites et aux corticoïdes, la ciclosporine A ne déploie pas ses effets anti-immunologiques par une suppression non spécifique de la prolifération des leucocytes dans la moelle osseuse (BENNETT & CHRISTIAN 1985). En revanche, outre la libération de médiateurs de l’inflammation, tels que les interleukines 1 et 2, la ciclosporine A inhibe l’activation des macrophages et l’expression de certains récepteurs de la membrane cellulaire localisés sur les lymphocytes T auxiliaires (helper) et lymphocytes T suppresseurs (suppressor), ainsi que sur les cellules T non différenciées (DALEY & WYSOCKI 1986, NEUMANN 1987). Globalement, la ciclosporine A déploie ses effets immunosuppressifs en grande partie de manière sélective, sur les réactions du système immunitaire basées sur les cellules T, alors que ces effets ne se répercutent que dans une moindre mesure sur les réactions d’immunité humorale (BIRD & BRITTON 1979). Au plan moléculaire, la ciclosporine A se lie à deux protéines cytoplasmiques des cellules T, la calmoduline et la cyclophiline, ce processus étant médié par des ions de calcium (SEYMOUR & JACOBS 1992). Du fait que la calmoduline est impliquée dans le processus d’activation de la cellule T, on suppose que l’activation de la cellule T induite par des antigènes serait inhibée par la liaison de la ciclosporine A à cette protéine cytoplasmique. En revanche, le rôle physiologique de la cyclophilline et les effets de la liaison de la molécule de ciclosporine A à cette protéine ne sont pas encore définitivement élucidés. En outre, certains auteurs ont évoqué une inhibition de la production de l’interféron gamma, une cytokine, par la ciclosporine A, de même que la réduction consécutive de l’expression des antigènes de surface du complexe MHC, qui jouent un rôle important dans les réactions de l’immunité cellulaire (WELLHÖRNER 1990). 2.2.1 Effets secondaires, au plan buccal, des traitements par la ciclosporine A Du point de vue de la médecine dentaire, l’utilisation clinique de la ciclosporine A, un médicament immunosuppresseur disponible depuis le début des années 80, est le principe actif qui s’accompagne des effets secondaires les plus fréquents et les plus marqués par rapport aux autres substances actives similaires. Le mode d’action caractéristique des effets immunosuppresseurs de la ciclosporine A, tel qu’il a été évoqué précédemment, intervient sur les mécanismes de l’immunité cellulaire de l’organisme. Il est d’une part à l’origine d’une augmentation de la susceptibilité du corps aux infections, en particulier pour des récidives d’infections virales (GÜNAY et coll. 1990a). Il est d’autre part probable que certains stimuli propres à la ciclosporine A entraînent une prolifération des fibroblastes du parodonte marginal, ainsi que de la synthèse de collagène de ceux-ci, ayant comme résultat une hyperplasie plus ou moins marquée de la Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés – 2e partie gencive chez de nombreux patients subissant un traitement de longue durée par la ciclosporine A suite à une greffe d’organe (ZEBROWSKI et coll. 1986). Dans le passé, la prolifération de la gencive marginale induite par la ciclosporine A était connue sous le terme d’«hyperplasie fibreuse accompagnée d’infiltration inflammatoire», une entité clinique qui était assimilée aux modifications gingivales provoquées par la nifédipine, un antihypertenseur de la classe des antagonistes calciques (SEYMOUR et coll. 1994). Les données concernant la prévalence de l’hyperplasie gingivale chez les patients subissant un traitement au long cours par la ciclosporine A, telles qu’elles sont disponibles dans la littérature, ne sont pas homogènes; les taux se situent entre 30 et 80% (BENNETT & CHRISTIAN 1985). Certains auteurs supposent que la fréquence et l’intensité des hyperplasies gingivales sont fonction de l’âge du patient (SOMACARRERA et coll. 1994). En règle générale, les proliférations des tissus gingivaux surviennent au cours des trois premiers mois après le début du traitement immunosuppresseur (SEYMOUR et coll. 1987). Pour l’instant, les autres facteurs de prédisposition favorisant la survenue des hyperplasies gingivales provoquées par la ciclosporine A ne sont dans une large mesure pas encore connus. Alors que certains auteurs évoquent une corrélation significative entre la dose moyenne administrée de ciclosporine A et la fréquence des hyperplasies gingivales (ROSTOCK et coll. 1986), d’autres études n’ont en revanche pas permis d’observer de relations entre la concentration plasmatique de ciclosporine A et le taux de survenue de proliférations excessives de la gencive (ALLMANN et coll. 1994, SEYMOUR & SMITH 1991). Cette constatation est par ailleurs en accord avec les résultats observés après des traitements par la nifédipine. En effet, le suivi clinique de patients traités par la nifédipine n’a mis en évidence aucune relation entre la posologie administrée, d’une part, et l’intensité de la prolifération gingivale ou l’index de plaque, d’autre part (BARCLAY et coll. 1992). Par contre, des essais plus récents sur des rats et des chiens ont fait état de relations entre les doses administrées de ciclosporine A et l’importance des effets secondaires dans la gencive (MORISAKI et coll. 1997). Des contradictions similaires existent également à propos des données concernant les facteurs d’irritation locaux, tels que la présence de plaque et de tartre, qui seraient susceptibles d’entraîner les altérations typiques de la gencive. Alors que certains auteurs n’ont observé aucune relation entre le taux de prolifération de la gencive en fonction des stimuli locaux d’irritation chronique marginale (SEYMOUR & SMITH 1991), d’autres sources rapportent l’existence d’une relation entre les facteurs irritants marginaux et la survenue d’une hyperplasie gingivale (SOMACARRERA et coll. 1994). Des relations analogues avaient également été observées après des traitements par la phénytoïne et la nifédipine, de même que dans des essais avec la ciclosporine A sur des animaux (HANCOCK & SWAN 1992, PHILSTROM et coll. 1980). En revanche, l’hypothèse selon laquelle il y aurait un seuil individuel à partir duquel des altérations prolifératives risquent de survenir dans le cadre d’un traitement par la ciclosporine A, est pour ainsi dire incontestée (DALEY et coll. 1986). La physiopathologie aboutissant à la prolifération non contrôlée de la gencive est considérée comme ayant des origines multifactorielles (SEYMOUR & SMITH 1991). Ainsi, il est possible qu’en plus de certains facteurs de prédisposition génétiquement déterminés (WYSOCKI et coll. 1983), d’autres facteurs, tels que la concentration de la ciclosporine A dans la salive ou dans le fluide créviculaire, ainsi que la durée de l’administration de la ciclosporine A, l’âge du patient, ou encore le niveau d’hygiène buc- cale y contribueraient en tant que facteurs pathogénétiques (SEYMOUR et coll. 1994). Il est possible que la réaction gingivale par rapport à la ciclosporine A soit également modulée par un traitement par des corticoïdes ou des médicaments antimétaboliques (ADAMS & DAVIES 1984). A l’instar d’autres substances évoquées précédemment, l’immunosuppression par la ciclosporine A entraîne globalement une diminution des symptômes de l’inflammation marginale du parodonte (KARDACHI & NEWCOMB 1978). Et pourtant, la destruction du parodonte marginal ne cesse de progresser chez ces patients (SEYMOUR & SMITH 1991). La situation se complique encore par le fait que de nombreux patients ayant subi une greffe d’organe reçoivent un traitement complémentaire par de la nifédipine, en association au traitement immunosuppresseur, cette substance étant destinée à juguler l’hypertension artérielle survenant en tant que conséquence des effets secondaires de la ciclosporine A au niveau rénal (FEEHALLY et coll. 1987). Comme évoqué précédemment, la nifédipine, qui appartient au groupe des inhibiteurs des canaux calciques, provoque aussi des réactions de prolifération dans les structures du conjonctif de la gencive; ces réactions inflammatoires sont analogues à celles causées par la ciclosporine A (BUTLER et coll. 1987). En cas d’administration simultanée de ciclosporine A et de nifédipine, il faut par conséquent s’attendre à des effets additifs des stimuli de prolifération des deux substances (THOMASON et coll. 1993). Au-delà de ces considérations, certains auteurs sont d’avis que l’hyperplasie gingivale induite par la ciclosporine A constituerait un risque plus important de survenue de carcinomes épidermoïdes (VARGA & TYLDESLEY 1991). Et finalement, outre l’hyperplasie gingivale, la ciclosporine A peut également entraîner, à une fréquence variable, une hyperesthésie de la région péri-orale; ce phénomène peut persister pour des laps de temps variables, bien qu’il soit dans la plupart des cas réversible (DALEY & WYSOCKI 1986). 3 Prise en charge médico-dentaire dans le cadre d’une transplantation d’organe 3.1 Examen médico-dentaire préthérapeutique Pour les patients devant subir une greffe d’organe, SVIRSKY & SARAVIA (1989) recommandent l’élimination de tous les foyers infectieux qui risquent de passer en exacerbation aiguë au cours des 12 mois suivant la transplantation. Afin de limiter tant que peut le risque d’une bactériémie d’origine iatrogène après une greffe d’organe et de la situation concomitante de l’immunosuppression nécessaire, il convient en outre de réaliser, avant la transplantation de l’organe allogène, toutes les interventions de chirurgie buccale ou parodontale pouvant s’avérer nécessaires dans un avenir proche ou à moyen terme (BOTTOMLEY et coll. 1972, NAYLOR et coll. 1988, SCHMELZEISEN et coll. 1991). Au-delà de ces considérations, ces auteurs relèvent tout particulièrement l’importance fondamentale d’une hygiène buccale optimale et de l’obtention, avant l’intervention, d’une situation parodontale le plus possible exempte d’inflammation, notamment par l’élimination de tous les dépôts supra-gingivaux et sous-gingivaux. Lorsqu’il y a lieu de craindre que le patient ne sera pas en mesure d’assurer une élimination efficace et durable de la plaque, il faut même envisager d’avulsion radicale de toutes les dents naturelles (BOTTOMLEY et coll. 1972). Pour leur part, KIRKPATRICK & MORTON (1971) préconisent également pour les patients devant recevoir une greffe d’organe un assainissement complet par des traitements conservateurs, ainsi que l’avulsion de toutes les dents présentant un test de vitalité négatif ou douteux ou des Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2000 1329 Pratique quotidienne · formation complémentaire poches dues à une parodontite marginale au stade avancé. Par contre, ces auteurs ne font mention d’aucune valeur limite concernant la profondeur encore tolérable du sondage des poches. Du fait que la ciclosporine A et les substances immunosuppressives récentes agissent avant tout sur la partie du système immunitaire dépendant des cellules T, contrairement aux stéroïdes et antimétaboliques utilisés au début de l’ère de la transplantation d’organes, les infections causées par des bactéries en tant que facteur de risque sont depuis lors passées quelque peu à l’arrière-plan. A la lumière de ces connaissances actuelles, l’avulsion radicale ne semble par conséquent plus guère justifiée (BOTTOMLEY et coll. 1972). D’avis de plusieurs auteurs, l’instauration d’une hygiène bucco-dentaire optimale, avec le soutien par des moyens professionnels, est la mesure décisive de la prise en charge médico-dentaire des patients devant subir une greffe d’organe (GÜNAY et coll. 1990a, SOWELL 1982). Selon GÜNAY et coll. (1990a), l’assainissement bucco-dentaire avant une transplantation d’organe peut être divisée en quatre étapes, à savoir une partie prophylactique, suivie des traitements chirurgicaux, conservateurs et prothétiques. Toutes les dents ne pouvant raisonnablement être sauvegardées à long terme, que ce soit pour des raisons de carie profonde, d’atteinte parodontale avancée ou de foyers péri-apicaux, doivent être éliminées, de même que toutes les dents incluses ou enclavées dont on ne peut s’attendre à une mise en place en position physiologique à long terme. Toutefois, ces auteurs n’ont pas publié de critères concrets ou de définitions précises susceptibles de servir de valeurs limites concernant le degré de destruction carieuse ou parodontale encore admissibles (GÜNAY et coll. 1990a). Dans le cadre des autres étapes partielles de l’assainissement, le respect des aspects parodontaux revêt une importance fondamentale; la démarche à visée parodontale comprend le nettoyage professionnel des dents, l’élimination des niches de rétention marginales, notamment dans les régions des bords de restaurations et le la confection de travaux prothétiques respectant strictement les exigences de la prothèse parodontale. Pour le cas particulier des patients devant subir une greffe rénale, certains auteurs ont par ailleurs attiré l’attention sur une augmentation de la formation de dépôts de plaque et de tartre en cas d’insuffisance rénale chronique (WESTBROOK 1978). 3.2 Prise en charge médico-dentaire après une transplantation d’organe 3.2.1 Prophylaxie anti-infectieuse chez les patients sous traitement immunosuppresseur L’inhibition médicamenteuse à vie du système immunitaire propre de l’organisme rend obligatoire une couverture prophylactique par des antibiotiques en cas d’interventions médicodentaires risquant d’être à l’origine d’une dissémination de germes pathogènes (SVIRSKY & SARAVIA 1989). GÜNAY et coll. (1990a), de même que SOWELL (1982), préconisent une antibiothérapie à titre prophylactique, en analogie avec le protocole thérapeutique de l’Association américaine de cardiologie (American Heart Association, AHA) pour les patients présentant un risque élevé d’endocardite (DAJANI et coll. 1997). En cas de survenue d’une infection dentaire, il faudrait en outre instaurer sans tarder un traitement efficace par des antibiotiques, si possible sur la base d’un antibiogramme (NAYLOR et coll. 1988). Force est toutefois de constater que jusqu’à présent il n’a pas encore été possible de mettre en évidence de manière définitive l’efficacité de l’antibiothérapie à titre prophylactique pour la prévention des infections bactériennes systémiques causées par des traitements dentaires; de ce fait, le recours aux antibiotiques 1330 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2001 dans cette indication repose essentiellement sur des expériences purement cliniques (OTIS & TEREZHALMY 1985). Dans ce contexte, il est important de relever qu’il ne faut pas administrer, dans la mesure du possible, des médicaments à visée antibiotique avec des propriétés néphrotoxiques ou hépatotoxiques; il va de soi que cette précaution est importante en particulier pour les patients après une greffe de foie ou de rein. Il n’est pas exclu que les substances présentant de tels effets secondaires indésirables, telles que celles appartenant aux groupes des aminoglycosides ou des sulfamides (BOTTOMLEY et coll. 1972) favorisent le renforcement des effets secondaires de la ciclosporine A au plan rénal et hépatique (BENNETT & NORMAN 1986). Par contre, le chloramphénicol est susceptible de renforcer les effets myélosuppressifs des autres médicaments immunosuppresseurs, c’est-à-dire des stéroïdes et des antimétabolites. Pour les patients porteurs de greffes d’organes allogènes, les antibiotiques de choix pour les applications prophylactiques sont les préparations du groupe des aminopénicillines, de préférence de l’amoxicilline, qui devrait être absorbé une heure avant l’intervention prévue (SEYMOUR et coll. 1994). En cas d’allergie à la pénicilline, il est possible d’administrer, à titre d’alternative, de l’érythromycine (NAYLOR et coll. 1988) ou de la clindamycine (SEYMOUR et coll. 1994). Toutefois, l’érythromycine inhibe la clairance rénale de la ciclosporine A, une particularité dont résulte un risque plus impor0tant d’accumulation de doses néphrotoxiques de cette substance immunosuppressive. En tant que mesure prophylactique permettant de juguler le risque d’une dissémination systémique d’une infection par Candida albicans, BOTTOMLEY et coll. (1972), de même que NAYLOR et coll. (1988) préconisent des bains de bouche répétés par de la nystatine, un antifongique efficace, avant et après l’intervention, et ce même en cas d’absence de symptômes cliniques. 3.2.2 Aspects pharmacologiques du traitement dentaire après une transplantation d’organe Fondamentalement, les patients receveurs d’une greffe de rein ou de foie présentent dans bien des cas une fonction limitée de l’organe transplanté. Il en découle un risque non négligeable d’une insuffisance directe du métabolisme rénal ou hépatique des médicaments administrés par voie exogène. Une accumulation non désirée du principe actif par des réactions toxiques subséquentes risque d’entraîner une dégradation supplémentaire de la fonction de l’organe (SEYMOUR et coll. 1994). Pour ces raisons, l’indication d’un traitement pharmacologique, notamment par des analgésiques, par exemple le paracétamol ou le métamizol, ne devrait par principe n’être donnée qu’avec la plus grande restriction, et la posologie devrait en tout état de cause être adaptée à la situation individuelle. En outre, l’administration d’anesthésiques locaux avec l’adjonction d’adrénaline en tant que composante vasoconstrictrice n’est pas exempte de risques chez les patients greffés cardiaques, du fait que chez ces patients il n’existe plus d’innervation du cœur greffé par les fibres parasympathiques du nerf vague (SEYMOUR et coll. 1994). Chez ces patients, la régulation du rythme cardiaque passe exclusivement par l’influence des catécholamines plasmatiques, raison pour laquelle il faut craindre des crises de tachycardie passagère, notamment en cas d’injection accidentelle intravasale de l’anesthésique local. Chez les patients sous corticothérapie à titre immunosuppressif, il est possible d’assurer un niveau suffisant de réponse biochimique de l’organisme en regard des stress par l’administration de stéroïdes exogènes à titre substitutif avant des inter- Aspects de la prise en charge médico-dentaire des patients immunosupprimés – 2e partie ventions stressantes au plan physique ou psychique (SEYMOUR et coll. 1994). 3.2.3 Prophylaxie et traitement des effets secondaires d’un traitement par la ciclosporine A La tendance caractéristique à la formation d’hyperplasies de le gencive marginale chez les patients sous traitement par la ciclosporine A nécessite un suivi médico-dentaire strict. Bien que, comme déjà évoqué, la relation entre la prolifération gingivale et le degré de colonisation par la plaque n’ait pas été démontrée de manière indubitable, différents auteurs s’accordent à penser qu’il existe au moins un lien entre la quantité de plaque et l’expression des processus inflammatoires tels qu’ils sont souvent observés dans la gencive hypertrophiée (SEYMOUR & SMITH 1991). C’est entre autres pour cette raison que GÜNAY et coll. (1990b) exigent des contrôles médico-dentaires réguliers à des Tab. I intervalles de six semaines. Dans le cadre de ces séances, il sera possible d’évaluer, par des relevés d’indices gingivaux et de plaque appropriés, le niveau de l’hygiène bucco-dentaire et de procéder à un nettoyage professionnel des dents. Afin de mieux pouvoir évaluer l’état de la gencive marginale chez les patients sous traitement immunosuppresseur après une greffe d’organe, des indices gingivaux spécifiques ont été mis au point. Ceux-ci permettent une documentation plus aisée et une appréciation reproductible des altérations dans la région de la gencive marginale induites par les médicaments (NASSOUTI et coll. 1991). Bien que les mesures prophylactiques évoquées ne permettent pas de juguler à coup sûr les manifestations hypertrophiques induites par le traitement par la ciclosporine A, un contrôle efficace de la plaque est du moins susceptible de freiner la prolifération supplémentaire de la gencive marginale, à partir d’un certain stade qui peut être différent selon la situation individuelle (SOMA- Résumé des indications à un assainissement médico-dentaire de la cavité buccale avant les transplantations d’organes. Spécialité Indications à un traitement dentaire préalable à une transplantation d’organe Diagnostic Traitement Endodontie Dent non vitale (sans TR) patient en bon état général Traitement endodontique conventionnel, le cas échéant sous couverture antibiotique Dent non vitale (sans TR) importante diminution de l’état général Avulsion, le cas échéant sous couverture antibiotique Dent non vitale (avec TR) obturation endodontique complète ou incomplète, pas de signes cliniques ni radiologiques de pathologie apicale Résection apicale ou avulsion, le cas échéant sous couverture antibiotique Dent vivante avec indication à un traitement endodontique (avec ou sans symptômes cliniques) Traitement endodontique conventionnel, le cas échéant sous couverture antibiotique Profondeur des poches 6 mm Elimination minutieuse et complète des dépôts sousgingivaux (scaling et root planing) Profondeur des poches > 6 mm Avulsion, le cas échéant sous couverture antibiotique Atteinte de furcation de degré I Elimination minutieuse et complète des dépôts sousgingivaux (scaling et root planing), le cas échéant sous couverture antibiotique Parodontologie Cariologie Chirurgie Implantologie Pédodontie Atteinte de furcation de degré II ou III Avulsion, le cas échéant sous couverture antibiotique Hygiène bucco-dentaire Evaluation, le cas échéant motivation et instruction sur les liens entre les effets secondaires buccaux et l’intensité de l’hygiène buccale Lésions carieuses (caries moyennes) Réalisation d’obturations, en fonction de l’état général du patient Lésions carieuses (caries profondes) Réalisation d’obturations, le cas échéant TR, si possible avant le début de la transplantation d’organe Dent semi-incluse ou enclavée Avulsion chirurgicale Dent complètement incluse Pas de traitement spécifique pour le moment Reste radiculaire Avulsion chirurgicale Crête osseuse sous-prothétique présentant des arrêtes vives Elimination des arrêtes vives/lissage du lit osseux Implant: absence de symptômes cliniques, absence de mobilité, sillon gingival marginal 3 mm Pas de traitement spécifique pour le moment Implant: présence de symptômes cliniques faibles à modérés, sillon gingival marginal 4 à 6 mm Nettoyage soigneux du col implantaire, en cas d’hygiène buccale insuffisante, le cas échéant prévoir l’avulsion Implant: présence de symptômes cliniques importants, sillon gingival marginal 7mm Avulsion de l’implant avant la transplantation d’organe Dent de lait nécrosée Avulsion Carie profonde sur dent de lait, avec perforation dans la pulpe Avulsion Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2000 1331 Pratique quotidienne · formation complémentaire CARRERA et coll. 1994). Il est ainsi admis qu’à condition d’obtenir une situation d’hygiène buccale optimale, il est possible de limiter au minimum, voire d’éviter complètement, les altérations de la gencive marginale (SVIRSKY & SARAVIA 1989). Par ailleurs, des applications quotidiennes d’une gelée à base de chlorhexidine (à 1%), administrée à l’aide d’une gouttière porte-médicaments, peuvent être envisagées en tant que mesure auxiliaire (GÜNAY et coll. 1990b). L’association d’une hygiène bucco-dentaire intensifiée et de l’application d’une gelée inhibitrice de la plaque, complétées le cas échéant par l’élimination (professionnelle) réitérée de la plaque supra-gingivale et sous-gingivale, permettent en règle générale de traiter avec succès les cas légers ou moyennement graves d’hyperplasie gingivale induite par la ciclosporine A. Par contre, lorsque la prolifération a progressé à un stade plus sévère, plusieurs auteurs préconisent l’ablation des hypertrophies tissulaires par des techniques de chirurgie parodontale, soit par gingivectomie ou gingivoplastie (DALEY & WYSOCKI 1986). Force est toutefois de constater que cette démarche ne permet pas d’exclure la survenue de récidives d’hyperplasies gingivales ultérieures. Du fait que les proliférations parodontales marginales induites par le traitement par la ciclosporine A sont très bien vascularisées, leur ablation chirurgicale provoque en règle générale des hémorragies extrêmement importantes. Outre l’hémostase par une plaque de compression en résine confectionnée individuellement avant l’intervention, le recours aux propriétés hémostatiques du laser CO2 peut être mis à contribution pour tarir les hémorragies postopératoires (PICK et coll. 1985). Au-delà de des considérations, les examens préventifs à intervalles réguliers doivent assurer le diagnostic précoce des carcinomes épidermoïdes qui risquent de survenir sur le fond d’une hyperplasie gingivale (VARGA & TYLDESLEY 1991). 4 Conséquences et conclusions cliniques Il n’existe pas de lignes directrices universellement admises ou officielles pour la prise en charge, au plan de la médecine den- 1332 Rev Mens Suisse Odontostomatol, Vol 111: 11/2001 taire, des patients candidats à une transplantation d’organe allogène. Globalement, la littérature est pauvre en informations documentées et les rares indications reposent essentiellement sur des expériences obtenues de manière empirique. S’ajoute à cela que le développement de médicaments immunosuppresseurs récents, caractérisés par une efficacité sélective sur les mécanismes immunitaires cellulaires, a contribué à réduire les risques d’infections causées par des bactéries. Nonobstant ce fait, les infections d’origine bactérienne continuent à représenter un risque non négligeable pour les patients ayant subi une greffe d’organe, bien que ce risque puisse être éliminé dans la plupart des cas simplement par l’assainissement dentaire qui est de toutes façons nécessaire. Ainsi, l’assainissement de la cavité buccale, réalisé avant la transplantation, est censé assurer une situation susceptible d’exclure, selon toute vraisemblance, le risque de manifestations inflammatoires, voire infectieuses, à court ou à moyen terme. Ce faisant, il convient de prendre en considération le fait que toute intervention chirurgicale invasive risque de provoquer des problèmes particuliers chez un patient en état d’immunosuppression suite à une transplantation d’organe. Le tableau I résume les différentes indications, telles qu’elles ont été publiées dans la littérature, à un traitement médico-dentaire des dents présentant des lésions existantes. En raison de la nécessité de prendre à vie des médicaments immunosuppresseurs, le patient ayant subi une greffe d’organe sera toujours soumis à certaines limitations en matière de traitements dentaires. Il convient de rappeler à ce propos en premier lieu la nécessité d’une antibiothérapie péri-opératoire obligatoire à titre prophylactique avant toute intervention à caractère invasif. La plupart des auteurs préconisent en général l’application du protocole pour les patients à risque d’endocardite, tel qu’il a été défini par l’American Heart Association (AHA). En outre, il y a lieu, chez ces patients, de respecter un certain nombre de restrictions, selon le type de transplantation réalisée, concernant l’administration de différents médicaments fréquemment utilisés en médecine dentaire, par exemple les analgésiques et les anesthésiques locaux.