MG & PROFESSION L’euthanasie en Belgique : état des lieux par le Dr Béatrice Figa* * Médecin généraliste 1200 Bruxelles L ’euthanasie médicale — c’est-à-dire l’acte pratiqué par un médecin qui met intentionnellement fin à la vie d’un patient à la demande de celui-ci — a été rendue légale dans des conditions strictement définies par la loi du 28 mai 2002, entrée en vigueur le 22 septembre 2002. Ou en est-on actuellement en Belgique depuis l’entrée en vigueur de la loi? PRÉTEST 1. Près de 70 % des euthanasies sont pratiquées au domicile du patient par le médecin généraliste. 2. Le nombre d’euthanasies déclarées correspond à 0.2 % de l’ensemble des décès depuis la mise en pratique de la légalisation. 3. L’euthanasie est à déclarer comme mort naturelle sur le certificat de décès. Vrai ❑ Faux ❑ ❑ ❑ ❑ ❑ Réponses en page 63. ABSTRACT A general practitioner faces often difficult problems related to the end of life and, sometimes, a patient asks him to put an end to his sufferings by ending his life. Though performing medical euthanasia is allowed by law in hopeless situations under strict conditions and procedures, the first report to Parliament of the federal Commission for control and evaluation of euthanasia has underlined some practical difficulties encountered when euthanasia is performed at home, as often wished by the patient, and has asked that more information should be available especially about the correct technique to be used. This seems particularly needed in the French speaking part of the country. The present paper describes the experience of three years of application of the law. Key words : Euthanasia, Belgium law about euthanasia, drugs in euthanasia. À la date du 22 septembre 2005, soit en trois années d’application de la loi, environ 900 euthanasies ont été pratiquées dans le respect de cette loi et déclarées comme telles à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie chargée d’examiner les documents d’enregistrement introduits par les médecins. Cette commission est composée de 16 membres désignés par arrêté royal (8 médecins dont 4 professeurs d’université, 4 professeurs de droit ou avocats et 4 membres issus de milieux chargés de la prise en charge de patients incurables). Après un bref rappel des principes sur lesquels se fonde la loi ainsi que des conditions et procédures à suivre pour que l’euthanasie ne constitue plus un délit, le présent article se propose d’analyser les aspects pratiques que pose au médecin généraliste la réalisation d’une euthanasie et les problèmes propres à la médecine générale qui ont été exposés dans le premier rapport aux Chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. RAPPEL DE LA LOI RELATIVE À L’EUTHANASIE (1) L’euthanasie, quelles que soient les circonstances, était jusqu’au 22 septembre 2002 assimilée par notre code pénal à un meurtre avec préméditation. La loi promulguée vise à dépénaliser cet acte lorsqu’il est pratiqué par un médecin pour autant que certaines conditions soient remplies et que certaines procédures soient suivies. La pratique d’une euthanasie implique donc le strict respect de ces conditions et procédures dont les points essentiels sont repris “Dans la pratique, nous retiendrons”. La Revue de la Médecine Générale n° 230 février 2006 60 L’APPLICATION DE LA LOI (2, 3) LES AFFECTIONS QUI ONT DONNÉ LIEU À UNE EUTHANASIE Surtout le cancer et les affections neurologiques Comme c’est le cas aux Pays-Bas, la grande majorité des affections qui ont donné lieu à une euthanasie étaient des cancers généralisés ou gravement mutilants (tumeurs, leucémies, myélomes, etc.). La plupart des patients avaient subi de multiples traitements à visée curative et/ou palliative (82,5 % des euthanasies). Les affections neuromusculaires évolutives mortelles (sclérose latérale amyotrophique, sclérose multiple, dégénérescences neurologiques progressives) et, dans une moindre mesure, les séquelles neurologiques viennent en second lieu (12 %). Les autres affections ont été beaucoup plus rarement à l’origine d’une euthanasie. Dans 91,5 % des cas, le décès était prévisible dans les jours ou semaines à venir. 22 cas dont le décès n’était prévisible qu’à une échéance lointaine ont obtenu une euthanasie, comme la loi le permet, après avis de deux consultants et l’observance d’un délai d’un mois entre la demande écrite et l’acte. La commission a tenu à préciser que la notion d’échéance non brève du décès, ne s’appliquait qu’aux cas où le décès n’était pas prévisible dans les jours, semaines ou mois à venir. Elle a également rappelé que le rôle du consultant se borne à confirmer la nature incurable et grave de la maladie ainsi que la nature insupportable des souffrances. Lorsqu’un second consultant est nécessaire, son rôle est de confirmer la nature insupportable des souffrances et le carac- L’ÂGE DES PATIENTS Surtout des patients d’âge moyen 80 % des euthanasies ont été pratiquées chez des patients âgés de 40 à 79 ans. Une seule euthanasie a été pratiquée chez un patient âgé de moins de 20 ans (18 ans). On relève que l’euthanasie n’a pas été fréquemment pratiquée chez des patients âgés de plus de 79 ans, ce qui suggère que l’âge avancé ne semble pas avoir constitué en soi un facteur favorisant l’euthanasie. LE LIEU OÙ L’EUTHANASIE A ÉTÉ PRATIQUÉE Près de la moitié des euthanasies ont été pratiquées au domicile des patients La commission constate le nombre élevé des euthanasies pratiquées à domicile (41 %) et considère que cette manière d’agir devrait être facilitée car elle correspond au désir fréquemment exprimé de terminer sa vie chez soi. On relève que les euthanasies n’ont été que rarement pratiquées dans les maisons de repos et de soins. Beaucoup de médecins ont tenu à signaler que le malade, lors de l’euthanasie, était entouré de proches tant à l’hôpital qu’au domicile. LA NATURE DES SOUFFRANCES Des souffrances physiques et psychiques Chez la plupart des malades, plusieurs types de souffrances, tant physiques que psychiques, étaient présents simultanément. Les souffrances étaient toutes décrites comme constantes, insupportables et inapaisables. Parmi les souffrances physiques le plus souvent mentionnées, il faut noter la suffocation, l’obstruction digestive avec vomissements, les douleurs ; quant aux souffrances psychiques, la dépendance, la perte de dignité et le désespoir sont les plus fréquents. Il est important de remarquer que la commission a considéré que si certains facteurs objectifs peuvent contribuer à estimer le caractère insupportable de la souffrance, celui-ci est en grande partie d’ordre subjectif et dépend de la personnalité du patient, des conceptions et des valeurs qui lui sont propres. Quant au caractère inapaisable de la souffrance, la commission rappelle que le patient a le droit de refuser un traitement de la souffrance, même palliatif, par exemple lorsque ce traitement comporte des effets secondaires ou des modalités d’application qu’il juge insupportables. Dans ces cas, la commission recommande une discussion approfondie entre le médecin et le patient. MG & PROFESSION tère volontaire et valable de la demande. Leur position de principe relative à l’euthanasie n’a pas à intervenir. … MG & PROFESSION LA MANIÈRE DONT L’EUTHANASIE A ÉTÉ PRATIQUÉE Une mort calme et rapide en sommeil profond Dans la très grande majorité des cas, le décès a été obtenu en induisant d’abord une inconscience profonde par injection IV de 1 à 2 g de Pentothal ou similaires et en injectant ensuite un paralysant neuromusculaire (Norcuron®, Pavulon®, Tracrium®, etc.) qui provoque le décès par arrêt respiratoire (parfois, une sédation préalable par Dormicum® ou Temesta® est pratiquée). Le médecin signale souvent que la mort est survenue en quelques minutes, souvent même après la seule injection de Pentothal®. La commission relève que d’après les données disponibles de la littérature médicale (3), une telle manière d’agir est effectivement la plus adéquate pour remplir les conditions requises pour une euthanasie correcte : décès rapide et calme, sans souffrance ni effets secondaires. La morphine, seule ou en association n’a été utilisée que rarement (1 % des cas). La commission note que ceci est en accord avec les connaissances médicales. Sauf en extrême fin de vie, la morphine, excellent anti-douleur n’est en effet pas à recommander comme euthanasique en raison de son action inconstante et de durée variable, ainsi que de ses effets secondaires possibles. Comme l’administration de fortes doses de morphine est très fréquente dans les derniers moments de vie pour apaiser les souffrances, la commission relève que cette manière d’agir, lorsqu’elle a été utilisée, a donc été considérée par le médecin comme un traitement de la souffrance et non comme une euthanasie et n’a donc pas fait l’objet d’une déclaration, même si elle a pu accélérer le décès. Euthanasie et suicide médicalement assisté Dans six euthanasies, l’inconscience a été obtenue par administration de 9 g d’un barbiturique en potion que le malade a avalé luimême. Dans cinq de ces cas, le décès s’est produit rapidement sans autre intervention mais dans un cas, un paralysant neuromusculaire a été injecté après la perte de conscience. Quand c’est le malade lui-même qui ingère le produit, que cette ingestion soit suivie ou non d’une injection de paralysant neuromusculaire, il s’agit d’un acte qui peut être qualifié de « suicide médicalement assisté ». La commission a cependant considéré que cette manière de procéder est autorisée par la loi pour autant que les conditions et les procédures légales pour que l’euthanasie soit autorisée aient été respectées et que l’acte se soit déroulé sous la responsabilité du médecin présent et prêt à intervenir : la loi n’impose pas, en effet, la manière dont l’euthanasie doit être pratiquée. LANGUE DE LA DÉCLARATION Cinq fois plus de déclarations d’euthanasie en néerlandais qu’en français On a constaté que 83 % des déclarations ont été rédigées en néerlandais et seulement 17 % en français. Des facteurs socioculturels font-ils que la demande d’euthanasie soit moins fréquente en Wallonie ? Les médecins francophones sont-ils plus réticents à répondre favorablement à une demande d’euthanasie que leurs confrères flamands ? Utilisent-ils plus volontiers la morphine comme euthanasique, malgré ses inconvénients, ce qui crée une ambiguïté sur la cause du décès et sur l’obligation de la déclaration ? La discordance est-elle due à une réticence des médecins francophones à remplir le formulaire de déclaration ? Plusieurs facteurs s’additionnent-ils ? La commission s’interroge mais sans pouvoir conclure. Aucune déclaration ne comportait d’éléments faisant douter du respect des conditions de fond de la loi et aucun dossier n’a donc été transmis à la justice. COMMENTAIRES EUTHANASIES DÉCLARÉES ET EUTHANASIES PRATIQUÉES Le nombre d’euthanasies déclarées correspond à près de 0.2 % de l’ensemble des décès pendant cette période, estimé sur la base de 103 000 décès annuels. Combien d’euthanasies ont-elles réellement été pratiquées dans notre pays pendant les 36 mois d’application de la loi ? En Belgique, contrairement aux Pays-Bas, aucune enquête sur les pratiques médicales en fin de vie n’est à ce jour, réalisée. Cette lacune sera bientôt comblée. Une enquête auprès des médecins a été en effet mise sur pied par le ministre fédéral de la Santé afin de connaître leurs attitudes face à la problématique de la vie finissante. LIEU DE L’EUTHANASIE : RÔLE DU MÉDECIN GÉNÉRALISTE 41 % des euthanasies ont été pratiquées au domicile du patient. Bien que nettement moins élevée qu’aux Pays-Bas où elle atteint 70 %, cette proportion témoigne du souhait fréquemment exprimé du patient de mourir chez soi. L’euthanasie à domicile étant presque toujours pratiquée par le médecin généraliste, cette proportion rend compte du rôle fondamental que joue le généraliste pour l’accompagnement en fin de vie lorsqu’un patient demande une euthanasie. Elle démontre que le médecin généraliste est confronté de manière significative à des demandes d’euthanasies dans sa pratique médicale et que le généraliste est un intervenant essentiel pour garantir le respect des souhaits du patient en matière de fin de vie (quels qu’ils soient). Ceci souligne combien l’information du généraliste concernant les questions de fin de vie est essentielle, de même que la connaissance des moyens à utiliser pour adoucir la fin de vie, jusque et y compris les techniques adéquates pour une pratique correcte de l’euthanasie. On relève que l’euthanasie est rarement pratiquée dans les maisons de repos et de soins, (5% des euthanasies) comme c’est également le cas aux Pays-Bas. Cette constatation est à mettre en relation avec la répartition des euthanasies pratiquées par tranches d’âge. Elle confirme que ce n’est pas l’âge qui est à l’origine d’une euthanasie, mais bien l’affection dont est atteint le patient. CONCLUSION Le rapport de la Commission de contrôle et d’évaluation met en évidence que la pratique de l’euthanasie est une réalité de terrain pour le médecin généraliste puisque près de 50% des euthanasies déclarées sont pratiquées au domicile du patient par un médecin généraliste. La mise en œuvre d’une euthanasie implique un rapport privilégié et confiant entre le malade et le médecin, une parfaite connaissance de la législation et l’utilisation d’une technique adéquate assurant une mort calme et rapide. Les données nécessaires sont actuellement disponibles et permettent de respecter les volontés exprimées par un patient se trouvant dans une situation médicale sans issue conforme aux conditions précisées par la loi. ❚ RÉSUMÉ Le médecin généraliste est souvent confronté à des problèmes difficiles de fin de vie et parfois à des demandes d’abréger les souffrances en mettant prématurément fin à la vie. Bien que la législation autorise la pratique de l’euthanasie médicale dans des situations sans issue moyennant le respect de conditions et de procédures définies, le premier rapport aux Chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie a souligné que la réalisation de l’euthanasie au domicile du patient par le médecin généraliste, souvent souhaitée par le malade, se heurte à certaines difficultés pratiques; il a notamment mis en évidence la nécessité d’un effort d’information pour une pratique correcte de l’euthanasie. Il est apparu que ces aspects sont plus particulièrement aigus en communauté française. Le présent article décrit les informations recueillies après trois années de dépénalisation de l’euthanasie. Mots clefs : Euthanasie, loi belge relative à l’euthanasie. BIBLIOGRAPHIE 1. Moniteur Belge du 22/06/2002 et site Internet http://www.health.fgov.be/AGP/fr/euthanasie. 2. Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Premier rapport aux Chambres législatives. 3. Englert M, Hanson B, Lossignol D. Deux années d’euthanasie dépénalisée en Belgique : comparaison avec les Pays-Bas. Premier bilan d’une unité de soins palliatifs. 4. Kimsma G K. Euthanasia and euthanizing Drugs in The Netherlands. In « Drug Use in Assisted Suicide and Euthanasia » M.B. Battin and A.G. Lipman ed., Pharmaceutical Products Press, New-York-London 1996. RÉPONSES AU PRÉTEST 1. Faux – 2. Vrai – 3. Vrai DANS LA PRATIQUE, NOUS RETIENDRONS Concerne • Patient majeur ou mineur émancipé, conscient et capable. • Patient irréversiblement inconscient ayant rédigé préalablement une déclaration anticipée. Conditions de l’absence d’infraction • Affection incurable grave (maladie ou accident) • Souffrances physiques ou psychiques, insupportables, constantes et inapaisables. • Demande volontaire et répétée sans pression extérieure. Procédure à suivre • Informer le patient de son état de santé et des possibilités thérapeutiques et palliatives • S’assurer de la volonté ferme et réitérée du patient (demande écrite, entretiens répétés…) • Consulter au moins un autre médecin indépendant (si le décès n’est pas prévu à brève échéance, un deuxième médecin est requis et un délai d’un mois après la demande écrite doit être respecté). • S’entretenir avec l’équipe soignante si elle existe, avec les proches si telle est la volonté du patient. • S’assurer que le patient a pu s’entretenir avec les personnes souhaitées par lui. • Adresser à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation, sous pli recommandé, la déclaration de l’euthanasie endéans les 4 jours qui suivent le décès. Remarques • Aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie mais dans ce cas, il doit en informer le patient. • Au point de vue légal, l’euthanasie est considérée comme une mort naturelle (déclaration de décès, assurances, …). • Aucune personne n’est tenue de participer à une euthanasie. 63 La Revue de la Médecine Générale n° 230 février 2006 MG & PROFESSION LA