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LES DOSSIERS DU GÉNÉRALISTE
N° 1974 - MARDI 12 OCTOBRE 1999
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ALIX/PHANIE
Dependre un pendu
Dans l’imaginaire collectif, la pendaison est le plus souvent associée à l’idée de
suicide. Ce mode d’autolyse ne représente pourtant que 1% des tentatives de
suicide, mais près de 45% des décès (sept cents morts par an en France). Plus
rarement, la pendaison peut être accidentelle (en particulier chez les enfants) et
poser un délicat problème de prévention. Dans certains cas, enfin, elle peut
évoquer un homicide (contexte médico-légal).
LES pendaisons sont des pa-
thologies circonstancielles
dont le pronostic est géné-
ralement sombre. Les pa-
tients décèdent dans 85% des cas
(70% avant l’arrivée des secours,
15% secondairement et malgré
une réanimation bien conduite).
Parmi les 15% de survivants, la
plupart présentent de lourdes sé-
quelles neurologiques.
La pendaison constitue une ur-
gence absolue dont le pronostic
est lié à la rapidité de la « dépen-
daison » et à l’absence d’arrêt car-
dio-respiratoire initial, le coma
isolé ayant généralement une évo-
lution plus favorable. La redou-
table efficacité de ce mode d’auto-
lyse en fait l’apanage des
dépressifs graves (mélanco-
liques). Ce mode de suicide a une
prédominance masculine mar-
quée. Il est plus fréquent en mi-
lieu rural, psychiatrique ou carcé-
ral.
La pendaison, la strangulation
et la suffocation aboutissent à la
mort par des processus relative-
ment voisins. Elles se distinguent
néanmoins par des mécanismes
lésionnels très différents.
Pendaison,
strangulation et
suffocation
Alors que la pendaison et la
strangulation résultent de phéno-
mènes de striction s’exerçant au
niveau des structures cervicales,
la suffocation obéit à un mécanis-
me notablement différent.
La pendaison suppose la sus-
pension du corps par le cou au
moyen d’un lien attaché à un
point fixe. La striction cervicale
s’exerce par l’intermédiaire de ce
lien soumis à la traction du poids
du corps. L’effet de la gravité
(hauteur de la chute) augmente la
force circonférentielle appliquée
autour du cou.
La strangulation correspond à
l’application d’une force extérieu-
re perpendiculairement à l’axe du
cou, responsable d’une compres-
sion (accidentelle ou criminelle)
des voies aériennes supérieures
ou des structures vasculaires. La
force de gravité n’intervient pas.
C’est cette caractéristique qui dis-
tingue la strangulation de la pen-
daison.
Avec la suffocation, comme
pour la strangulation, l’entrée
d’air dans les poumons est blo-
quée de façon brutale. Cette obs-
truction peut être due à une oc-
clusion du nez ou de la bouche,
ainsi qu’à une compression du
thorax (incarcération, sauvetage-
déblaiement, victime d’ava-
lanche).
Trois syndromes
associés
Les lésions rencontrées sont
dues à l’action de forces méca-
niques de compression et de trac-
tion s’exerçant au niveau des struc-
tures anatomiques du cou : plan
cutané (sillon de pendaison), voies
aériennes supérieures (lésions la-
ryngo-trachéales), vaisseaux du cou
(ischémie par compression arté-
rielle, gêne au retour veineux) et ra-
chis cervical (lésions médullaires).
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DÉPENDRE UN PENDU
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* SDIS 13, Urgence Pratique.
** SDIS 13, Smur de Hyères [83].
*** SDIS 13, Samu 83.
Pendaisons :
les objectifs de la réanimation
La réanimation a quatre objectifs :
— maintien d’une hyperventilation alvéolaire modérée (intuba-
tion, ventilation artificielle);
— correction de l’acidose métabolique (bicarbonate de sodium) ;
— rétablissement de l’état hémodynamique (remplissage, dobu-
tamine);
— lutte contre l’œdème cérébral (mannitol, hyperventilation,
oxygénothérapie hyperbare, barbituriques).
Le traitement précoce peut faire appel à l’oxygène hyperbare.
Ces mécanismes expliquent que le
tableau clinique de la pendaison
associe trois syndromes (neurolo-
gique, respiratoire et neurovégéta-
tif), l’importance relative de chacun
pouvant varier. La pendaison
constitue cependant un modèle pri-
vilégié d’encéphalopathie anoxique,
dans lequel la vascularisation cé-
rébrale est interrompue alors qu’il
n’existe encore aucune atteinte or-
ganique. Le mécanisme pathogè-
ne essentiel est donc l’occlusion
des vaisseaux du cou.
Le syndrome neurologique.
Les lésions de compression des
vaisseaux du cou (et des voies aé-
riennes supérieures) sont respon-
sables d’une souffrance cérébrale
diffuse, secondaire à l’apparition
rapide et brutale d’un œdème cé-
rébral d’origine anoxique, aggravé
par l’hypercapnie et l’acidose mé-
tabolique et respiratoire. Le ta-
bleau clinique associe des
troubles de la conscience qui peu-
vent aller de l’obnubilation au co-
ma. Une crise convulsive n’est pas
exceptionnelle. Des anomalies
pupillaires (myosis ou mydriase)
sont fréquentes. Parfois, un syn-
drome hallucinatoire peut appa-
raître après le retour à la
conscience. En cas de lésions mé-
dullaires, la mort est immédiate
(pendaison judiciaire). Dans ce
contexte, on peut retrouver une
fracture postérieure de la deuxiè-
me vertèbre cervicale (désignée
d’ailleurs par les Anglo-Saxons
sous le nom de « hangman’s frac-
ture »).
La variabilité de l’examen neu-
rologique durant la phase initiale
de la prise en charge, ainsi que la
sous-estimation de la gravité de
l’état neurologique en raison de
l’agitation méritent d’être souli-
gnées. Outre les lésions médul-
laires, on trouve également des lé-
sions d’étirement du plexus
brachial ou des lésions de com-
pression des nerfs pneumogas-
triques ou phréniques (arrêt car-
dio-respiratoire réflexe).
Le syndrome respiratoire est
très variable (dyspnée laryngée,
œdème aigu du poumon, arrêt res-
piratoire, encéphalopathie posta-
noxique...). Généralement le pha-
rynx est totalement obstrué par la
base de la langue, refoulée par la
pression du lien. On retrouve fré-
quemment (25% des cas) un œdè-
me aigu du poumon (OAP) dont la
physiopathologie, mal connue, est
attribuée à un mécanisme baro-
traumatique (gasp sur glotte fer-
mée, responsable d’une dépression
intra-alvéolaire) ou à des causes
centrales (hypertension artérielle
pulmonaire, histaminolibération,
SDRA).
Le syndrome neurovégétatif
peut associer des perturbations
cardio-vasculaires (instabilité ten-
sionnelle, variations de la fré-
quence cardiaque, troubles du
rythme pouvant aller jusqu’à la fi-
brillation ventriculaire), une irré-
gularité du rythme respiratoire,
des perturbations de la thermoré-
gulation (hyperthermie, sueurs
profuses) et des troubles vasomo-
teurs (hypersudation, vasodilata-
tion capillaire, priapisme).
Facteurs de gravité
Les principaux facteurs de gra-
vité sont appréciés sur la notion
de pendaison complète ou in-
complète :
— dans la pendaison « complè-
te » (70% des cas), les pieds ne
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Respecter l’axe tête-cou-tronc.
Message clés
Les pendaisons sont des
pathologies circonstancielles
dont le pronostic est sombre.
Le succès de la réanimation
préhospitalière repose sur la
précocité de la prise en char-
ge autant que sur la technicité
des intervenants. Le rôle des
témoins est fondamental.
Le décès est dû principale-
ment à l’occlusion des vais-
seaux du cou, responsable
d’une anoxie cérébrale immé-
diate.
Bien que la pendaison ne
soit qu’exceptionnellement
un homicide, l’aspect médico-
légal ne doit pas être négligé.
VOISIN/PHANIE
La position du
nœud :
— si le nœud
se situe en posi-
tion antérieure
ou postérieure
(75% des cas), il
peut être à l’origi-
ne d’un phéno-
mène d’ischémie
cérébrale brutale
par compression
des vaisseaux ar-
tériels contre le
plan vertébral
(pendus blancs
ou vasculaires);
de plus, si la
compression est
symétrique et bi-
latérale, la gravité
est accentuée;
— si le nœud
est placé en posi-
tion latérale (25%
des cas), il peut provoquer une
gêne au retour veineux avec pré-
servation transitoire de la circula-
tion artérielle du côté du nœud
(pendus bleus).
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Attention aux pendaisons accidentelles
RAGUET/PHANIE
touchent pas le sol; la force exer-
cée par la chute du corps est
transmise intégralement aux
structures de la région cervicale
par l’intermédiaire du lien;
— dans la pendaison « incom-
plète » (30% des cas), les pieds
ou la partie basse du corps repo-
sent sur le sol; le lien ne transmet
alors qu’une partie du poids du
corps aux structures cervicales.
Chez l’adulte, une force d’environ
quinze kilos suffit à assurer l’oc-
clusion totale des vaisseaux du
cou, la perte de connaissance im-
médiate, donc l’efficacité de la
pendaison « incomplète ».
La hauteur de la chute. Une
chute de hauteur considérable as-
socie fréquemment des lésions du
rachis cervical, avec élongation
de la moelle épinière ainsi que de
possibles lésions bulbaires (pen-
daison judiciaire). Au contraire,
dans une pendaison simple
« haut et court », le décès est gé-
néralement lié à une cause vascu-
laire ou asphyxique.
(intérêt du bilan toxicologique
systématique).
Arrêt
cardio-respiratoire ou
non?
Le diagnostic clinique ne pré-
sente pas de difficulté particulière,
puisque le contexte de pendaison
est évident. Le patient présente un
faciès vultueux et cyanosé. Le
sillon cervical est toujours bien vi-
sible. Il reproduit toutes les irré-
gularités du lien. On doit cepen-
dant distinguer deux situations.
Le patient est en arrêt cardio-
respiratoire. Dans ce cas, la réani-
mation cardio-respiratoire prime
sur tous les autres gestes. Elle doit
s’effectuer en respectant l’axe tête-
cou-tronc, en raison de la possible
atteinte du rachis cervical. Comme
toujours dans ce cas-là, l’action
des témoins est déterminante
(gestes de secourisme, alerte, ré-
animation cardio-pulmonaire de
base).
Le patient n’est pas en arrêt
cardio-respiratoire. Le tableau cli-
nique est variable. Il repose sur
l’association des trois syndromes,
neurologique, respiratoire et neu-
rovégétatif, décrits précédemment.
Le traitement est symptomatique et
vise à maintenir l’intégrité des fonc-
tions vitales.
Le pronostic est lié à la rapidité
de la « dépendaison ». La prise en
charge initiale repose sur le bon
sens et les gestes de secourisme de
base idéalement réalisés par la fa-
mille ou par les témoins dont le rô-
le est fondamental. Elle doit être re-
layée au plus tôt par la prise en
charge médicale spécialisée.
La dépendaison doit être im-
médiate (donc précéder l’alerte).
Il est souhaitable de couper le lien
et de le desserrer, en évitant de dé-
faire le nœud qui présente un
La nature du lien :
— les liens étroits (cordelette,
fil de Nylon) provoquent des lé-
sions de compression graves, as-
sociées à des lésions cervicales
parfois délabrantes (plaies, sec-
tion du larynx);
— les liens larges (écharpe,
foulard, drap...) sont respon-
sables de dégâts moins impor-
tants, puisque l’étalement de la
zone de constriction permet de
diminuer la pression.
Le temps de pendaison
conditionne le pronostic. Si la
« dépendaison » est très rapide
on parle de « pendaison man-
quée ».
L’existence d’une intoxication
associée est fréquente dans le
cadre des tentatives de suicide
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BURGER/PHANIE
La pendaison est une xtrème urgence
justifiant une équipe médicale extrahospitalière.
grand intérêt médico-légal. Même
coupé, le lien doit être retiré, car il
peut faire office de garrot veineux
s’il se coince dans le sillon cervical.
Le corps est soutenu afin d’éviter sa
chute qui risque d’aggraver le ta-
bleau clinique par de nouvelles lé-
sions traumatiques. Il faut s’effor-
cer de respecter l’axe tête-cou-
tronc, mettre en place, dès que
possible, un collier cervical, évi-
ter toute mobilisation intempesti-
ve de la victime et la considérer
d’emblée comme un traumatisé du
rachis cervical, jusqu’à preuve ra-
diologique du contraire. Certains
auteurs recommandent la position
proclive à 30° pour favoriser le
drainage céphalique.
L’alerte est passée rapidement
aux services concernés (15, 18,
112). L’adresse sera donnée préci-
sément, en particulier si l’accident
survient en milieu rural. Elle devra
faire état, au minimum, du bilan
fonctionnel de la victime (état de
conscience, état ventilatoire, état
circulatoire).
Avant l’hospitalisation,
agir vite
Le mécanisme essentiel est l’oc-
clusion des vaisseaux du cou. Le
facteur temps est décisif pour le
devenir du pendu « vasculaire »,
puisque l’anoxie débute dès la pre-
mière seconde, alors que l’anoxie
consécutive à un arrêt cardiaque
secondaire à un obstacle sur les
voies aériennes ne survient que
trois à cinq minutes plus tard. On
distingue quatre types de situa-
tions cliniques.
• Le patient est en arrêt car-
dio-respiratoire. L’origine de cet
arrêt cardio-respiratoire peut être
polyfactorielle (hypoxie, origine
neurovégétative, choc spinal, pri-
se de toxiques). La prise en char-
ge de tout arrêt cardiaque (massa-
ge cardiaque externe, ventilation
en oxygène pur, adrénaline en cas
d’asystolie, choc électrique exter-
ne en cas de fibrillation ventricu-
laire).
Dans ce contexte, l’intubation
trachéale peut être probléma-
tique, même à l’aide d’une sonde
de faible diamètre (sept milli-
mètres chez l’adulte), en raison
des particularités lésionnelles de
la victime (lésions laryngo-tra-
chéales, œdème cervical com-
pressif). Dans certains cas, l’intu-
bation naso-trachéale peut être
indiquée (trismus). L’écrasement
des cartilages laryngés et l’œdème
laryngé nécessitent, en principe,
une trachéotomie « de
sauvetage », dont l’indication res-
te exceptionnelle sur le terrain.
Le respect de l’axe tête-cou-
tronc interdit les mouvements
d’hyperextension du rachis.
L’intubation devra donc être réali-
sée « à quatre mains ». Une son-
de gastrique sera mise en place.
Le remplissage vasculaire a
pour objectif l’obtention d’une
pression artérielle systolique su-
périeure à 120 mmHg au maxi-
mum. Il faut cependant se méfier
d’un remplissage vasculaire trop
important qui risque de majorer
l’œdème cérébral. L’alcalinisation
(bicarbonate de sodium semi-mo-
laire) est à discuter dès que les
manœuvres de réanimation se
prolongent au-delà de dix mi-
nutes.
Le patient présente une dé-
tresse respiratoire. Le traitement
dépend du mécanisme lésionnel
en cause. En cas d’œdème aigu du
poumon, l’intubation sera réali-
sée et la ventilation assistée pour-
ra se faire en pression expiratoire
positive (PEP) si la SpO2est infé-
rieure à 90%, malgré une ventila-
tion en oxygène pur. En cas d’œ-
dème laryngé ou
d’encombrement trachéo-bron-
chique, une corticothérapie pa-
rentérale sera proposée (méthyl-
prednisolone IV [Solu-Médrol®]:
1 mg par kilo).
Le patient présente des
troubles de la conscience isolés.
L’intubation trachéale doit être pré-
coce et prudente (intubation à
« quatre mains »); elle peut être
compliquée par la présence d’une
hypertonie. La ventilation assistée
vise à obtenir une normoxie (au-
dessus de 80 mmHg) et une hypo-
capnie (voisine de 35 mmHg) des-
tinées à favoriser la régression de
l’œdème cérébral (effet vasocons-
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